Congrès de la CDU allemande : beaucoup de bruit pour rien

Angela Merkel ©Oma Teos

Reporté depuis près d’un an, le congrès de la CDU s’est tenu les 15 et 16 janvier pour élire le nouveau chef du parti et potentiel successeur d’Angela Merkel à la chancellerie. Un moment décisif pour les autres États européens qui s’est conclu par la victoire d’Armin Laschet, candidat de la continuation avec Angela Merkel. Face à lui, Friedrich Merz, tenant d’une ligne plus conservatrice, partisan d’un durcissement austéritaire de l’Union européenne et d’un réalignement atlantiste. Cette opposition illustre les tensions qui traversent les élites allemandes.

Les 15 et 16 janvier s’est tenu le 33e congrès de la CDU. Les militants du parti et leurs délégués y ont choisi l’homme qui mènera leur parti lors des élections de septembre et qui devra tenter de le maintenir au pouvoir. Un exercice délicat après qu’Angela Merkel ait passé 16 ans à la tête du pays. Davantage que le père fondateur de la République Fédérale Allemande, Konrad Adenauer (1949-1963) et autant que le mentor politique d’Angela Merkel, Helmut Kohl (1982-1998).

Konrad Adenauer (1949-1963), Helmut Kohl (1982-1998) et Angela Merkel (2005-2018). Les trois figures tutélaires de la CDU ont chacune dirigé le pays pendant près de 15 ans ©Wikimedia Commons

Cette succession a lieu alors que la CDU est à la croisée des chemins. En 2018, le parti avait déjà dû décider de la succession d’Angela Merkel. Deux candidats et deux lignes s’étaient alors affrontés. D’un côté Annegret Kramp-Karrenbauer, la dauphine d’Angela Merkel. Pour elle et les partisans de l’aile centriste du parti, il s’agissait de préserver le caractère de Volkspartei de la CDU. C’est-à-dire un parti de masse cherchant à rassembler un large spectre idéologique et social allant des employés laïcs aux retraités catholiques traditionalistes en passant par les entrepreneurs issus du christianisme social.

De l’autre, Friedrich Merz, ennemi juré d’Angela Merkel et tenant de l’aile droite du parti. Partisan d’une rupture conservatrice, il dénonçait une “social-démocratisation” de la CDU qui, du salaire minimum au mariage pour tous en passant par la sortie du charbon en 2038, lui aurait fait oublier ses valeurs. Pour Merz et ses alliés, il s’agissait d’en revenir aux valeurs chrétiennes du parti (CDU signifie Union Chrétienne Démocratie) et aux principes de l’ordolibéralisme qui ont fait le succès de l’économie sociale de marché allemande.

La victoire d’Annegret Kramp-Karrenbauer avait été courte dans son score (52% contre 48 pour Merz) comme dans sa durée. Le 5 février 2020, les députés de la CDU en Thuringe avaient convergé avec ceux de l’AfD (principal parti d’extrême-droite, proche des milieux néo-nazis) pour élire Thomas Kemmerich, le candidat libéral, au poste de ministre-président. Le scandale monumental provoqué par l’élection d’un ministre-président avec le soutien de l’extrême-droite avait forcé Thomas Kemmerich à démissionner le lendemain et Annegret Kramp-Karrenbauer cinq jours plus tard.

Certains observateurs estiment que l’élection d’Armin Laschet pourrait être le signe d’un retour à une CDU plus rigide sur l’intégration européenne et le respect des règles en matière de déficit.

Le feuilleton de la succession d’Angela Merkel était rouvert. Il fut cependant reporté par l’arrivée du coronavirus qui obligea un report du congrès de la CDU d’avril 2020 à janvier 2021. La faible ampleur de la première vague du coronavirus a néanmoins offert un répit à la CDU dans la descente aux enfers qu’elle vivait depuis 2015 en soudant les Allemands derrière Angela Merkel.

Friedrich Merz et Annegret Kramp-Karrenbauer lors du congrès de la CDU de 2018 © CDU

Le bon, la brute et le truand ?

Trois candidats ont présenté leurs candidatures pour le 33e congrès de la CDU qui s’est tenu les 15 et 16 janvier. Le candidat inattendu fut Norbert Röttgen, ancien ministre fédéral de l’environnement (2009-2012) tombé en disgrâce. Il a fait campagne sur le rajeunissement et la féminisation de la CDU et sur les thèmes de l’environnement et de la numérisation. Malgré sa rhétorique pro-européenne, il a toujours été opposé aux eurobonds et n’appelait qu’à poursuivre l’unification du marché commun et à « améliorer » la gouvernance de la zone euro, des positions très consensuelles au sein de la CDU. Il n’a finalement obtenu que 22% des voix lors du premier tour et est resté cantonné à son rôle de troisième homme.

Sans surprise, Friedrich Merz a de nouveau tenté un retour. Il fut officiellement proposé par la fédération du Mittelstand, un groupe dédié à la promotion de l’ordolibéralisme originel de la CDU. Les Jeunes de la CDU, connus pour leur positionnement conservateur sur les questions de société, ont aussi apporté leur soutien à Merz. Il était le candidat de tous ceux qui, pas échaudés par l’aventure de Thuringe, souhaitent que la CDU forme des gouvernements minoritaires. La CDU pourrait ainsi s’appuyer sur l’AfD pour faire passer des textes répressifs et conservateurs tout en évitant d’avoir à les faire entrer au gouvernement. Sa victoire aurait signifié un retour à la ligne européenne de l’Allemagne en 2011, davantage austéritaire et fermée à toute forme d’aide aux pays du sud. Il avait d’ailleurs obtenu le soutien de l’ancien ministre des finances, Wolfgang Schaüble. Finalement, il s’est de nouveau cassé les dents sur le second tour avec un score similaire à 2018, 47% des voix.

Pour une mise en perspective de l’inflexion – relative – de la politique européenne d’Angela Merkel, lire sur LVSL, par le même auteur : « Allemagne : un plan de relance pour tout changer sans que rien ne change »

Avec 53% des voix, le nouveau chef de la CDU est donc Armin Laschet. Candidat par défaut d’Angela Merkel, son grand fait d’arme fut d’avoir arraché le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie au SPD en 2017. En première ligne face à la première vague du coronavirus, sa gestion avait été saluée et sa popularité avait explosé. Puis est arrivé le scandale Tönnies sur les conditions de travail et de logement dans l’abattoir du même nom. Scandale auquel il avait répondu par une déclaration au relent xénophobe envers les travailleurs roumains et bulgares. Ce scandale et un soupçon de favoritisme dans une commande de masques pour une entreprise qui sponsorise son fils influenceur ont contribué à plomber sa côte de popularité.

https://www.cdu-parteitag.de/artikel/neuer-cdu-chef
Armin Laschet lors de l’annonce de sa victoire au 33e congrès de la CDU © CDU/Tobias Koch

Le Vert et le Noir

Deux questions se posent désormais pour la CDU: le programme et les alliances. Or, Armin Laschet peut être un problème sur ces deux sujets. Dès le lendemain de son élection, on trouvait en tendance sur twitter #ArminLassEs (Armin a laissé faire ça). Une campagne des écologistes allemands pour rappeler que la première décision d’Armin Laschet en tant que ministre-président avait été d’autoriser la destruction d’un village pour y creuser une mine de charbon. De manière générale, il a été le lobbyiste en chef des industries automobiles et charbonnières très présentes dans son Land. Il a notamment contribué à repousser la date de sortie du charbon de l’Allemagne à 2038.

Or, la question de l’alliance avec les Verts est cruciale aussi bien pour l’Allemagne que pour l’Europe. Ces derniers ont le vent en poupe en Allemagne et siphonnent des voix à droite comme à gauche en faisant carton plein chez les jeunes et dans les villes (voir les données électorales du Tagesschau). Les dirigeants des Verts, Annalena Baerbock et Robert Habeck, sont favorables à une coalition avec la CDU. Néanmoins, il faudrait pour cela que la CDU accepte une politique davantage verte et pro-européenne.

Si la question des réfugiés qui oppose les deux partis depuis 2016 est désormais moins d’actualité, les questions écologiques et européennes sont de plus graves pommes de discorde. La première avait déjà provoqué l’échec d’une coalition entre la CDU, le FDP et les Verts en 2017 et les pressions contradictoires du patronat (notamment de l’industrie automobile) et des mouvements écologistes vont croissantes.

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Cependant, c’est sans doute la question européenne qui est la plus cruciale et difficile à résoudre. Le gouvernement allemand s’est depuis peu engagé dans une phase de détente économique à l’échelle européenne comme nationale – dont la portée est cependant limitée, et qui vise avant tout à conjurer le spectre d’un Italexit. Bien que moins radical que Friedrich Merz, certains observateurs estiment tout de même que l’élection d’Armin Laschet pourrait être le signe d’un retour à une CDU plus rigide sur l’intégration européenne et le respect des règles en matière de déficit. Une position difficile à concilier avec les Verts qui partagent – du moins officiellement – les positions européennes d’Emmanuel Macron en faveur d’une plus grande intégration politique de la zone euro par l’entremise d’un assouplissement des règles économiques.

Un dernier point d’achoppement pourrait concerner la relation avec les Etats-Unis. Traditionnellement un pays atlantiste dépendant militairement des Etats-Unis, l’Allemagne a cherché progressivement à s’autonomiser depuis Gerhard Schröder et Angela Merkel avec la construction des gazoducs Nordstream pour s’approvisionner en gaz russe. Ils satisfaisaient ainsi le voeu d’une partie des élites économiques allemandes, désireuses de développer des liens commerciaux avec la Russie. Cette autonomisation vis-à-vis des États-Unis a été limitée par les sanctions du gouvernement américain, lesquelles ont notamment ciblé Nordstream 2. Ce projet irrite les atlantistes au sein de la CDU et du FDP – mais également les Verts, que ce soit par opposition au gaz ou au régime de Vladimir Poutine. Et ce, alors que la présidente de la Heinrich-Böll Stiftung (le think-tank rattaché au vert) a contribué au lancement d’un groupe de travail pour une relation renforcée et renouvelée entre les Etats-Unis et l’Allemagne. Or, Armin Laschet était sans doute le candidat le plus russophile, refusant de se positionner pour des sanctions après l’affaire Navalny ou de condamner le gazoduc Nordstream II.

Les élections fédérales de septembre vont donc être une heure de vérité pour la CDU. Elle pourra choisir de continuer la politique d’Angela Merkel de pragmatisme géopolitique au service des intérêts allemands caractérisée par douze années de Grandes Coalitions avec le SPD. Elle pourrait encore emprunter la voix de Friedrich Merz et se replier sur sa tradition de stricte ordolibéralisme à cheval sur les politiques d’austérité et d’atlantisme. Enfin, elle pourrait embrasser une coalition inédite avec les Verts et poursuivre les inflexions aperçues ces dernières années en faveur d’une plus grande intégration politique de la zone euro et d’un atlantisme qui fait les yeux doux à Joe Biden et aux démocrates américains.

Annalena Baerbock et Robert Habeck espèrent faire rentrer les Verts au gouvernement fédéral à l’issue des élections de septembre © Scheint sinnig, Raimond Spekking

L’homme venu des Alpes

L’incertitude demeure pourtant sur le sort d’Armin Laschet car un homme pourrait bien profiter de sa forte impopularité et de sa faible compatibilité avec les Verts: Markus Söder, le chef de la CSU (Union Chrétienne Sociale) et ministre-président de la Bavière. La CSU est le parti-frère de la CDU en Bavière, Land dans lequel elle est hégémonique depuis la fin de la guerre. Mouton noir de la politique allemande après un mauvais résultat historique aux élections régionales de 2018, Markus Söder est désormais l’homme politique le plus populaire au sein de l’union CDU/CSU et en Allemagne (derrière Angela Merkel) grâce à une politique de durcissement systématique des mesures contre le coronavirus adoptées au niveau fédéral.

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Markus Söder, ministre-président de la Bavière, président la CSU (l’équivalent bavarois de la CDU) et figure montante de la politique allemande © Kremlin

En plus de sa popularité, Markus Söder a un avantage considérable sur Armin Laschet: il est un caméléon politique. Précurseur sur les questions écologiques au sein de la CSU, il avait effectué un virage à droite sur les questions migratoires et sécuritaires après les attentats de Paris en 2015 pour ensuite se recentrer depuis les élections de 2018. Il pourrait donc être le candidat idéal pour rassembler les deux ailes de la CDU tout en étant capable de former une coalition avec les Verts. Un élément joue néanmoins contre lui. Les deux élections où l’union CDU/CSU était conduite par le chef de la CSU ont été des défaites. Markus Söder devra donc réussir à convaincre qu’il n’est pas un tenant de l’égoïsme bavarois traditionnel mais qu’il peut être le chancelier d’une Allemagne ouverte aussi bien en Europe qu’à l’intérieur vis-à-vis de l’ex-Allemagne de l’est.

Le choix du candidat devrait avoir lieu à la mi-mars après des élections régionales en Bade-Würtemberg (seul Land dirigé par les Verts, en coalition avec la CDU) et en Rhénanie-Palatinat (dirigé par le SPD, en coalition avec les Verts et le FDP). Un échec de la CDU à s’emparer de ces deux régions marquerait sans doute la fin des ambitions d’Armin Laschet et conduirait à une candidature de Markus Söder.

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