Augmenter les salaires permet de relancer l’économie – Entretien avec Miguel Viegas eurodéputé communiste portugais

Miguel VIEGAS. ©Parlement Européen.

Miguel Viegas est député européen du Parti communiste portugais (PCP). Alors que les bons indicateurs économiques du pays soulèvent de nombreux commentaires, il a accepté de revenir pour nous sur l’expérience politique à l’œuvre dans son pays et qui traduit de nombreux enjeux traversant les gauches européennes.


Avant toute chose, nous aimerions revenir sur votre parcours. Vous êtes né en France et êtes ensuite retourné vivre au Portugal, pourriez vous revenir un peu sur votre histoire personnelle ? Comment un enfant né à Paris devient-il député Européen du PCP ?

Je suis le fils d’une génération de portugais qui a du quitter le pays dans les années soixante, pour des raisons économiques, politiques ou pour échapper à la guerre coloniale. Plus d’un demi-million de Portugais ont émigré pendant cette période. La dictature fasciste s’acharnait sur toute opposition politique et en particulier sur les militants du Parti Communiste Portugais qui fut la seule organisation politique à résister (dans la clandestinité) contre le régime de Salazar.

L’entrée du Portugal dans l’UE et l’ouverture des frontières au commerce intracommunautaire en 1993 a lancé le pays dans une crise sociale et économique qui a fortement affecté la plupart des secteurs productifs et m’a amené à remettre en question beaucoup de choses qui nous ont été présentées comme l’unique chemin possible. C’est à partir de cet arrière-plan que j’ai décidé de devenir un acteur politique dans le seul parti qui non seulement dénonçait la situation mais en même temps proposait un modèle alternatif et un instrument pour y aboutir.

Le travail de base dans l’organisation, la solidarité et l’entraide dans une région difficile où le PCP représente entre 4 et 5% de l’électorat m’a aidé à comprendre l’importance de la lutte organisée, la nécessité de renforcer la discipline et rôle de la lutte idéologique contre les préjugés et contre toutes les offensives dirigées contre les communistes aussi bien au Portugal comme dans de nombreux pays de l’Europe capitaliste.

Aujourd’hui je suis député au Parlement européen au service du PCP. C’est une tâche que j’essaye d’accomplir avec la même joie et la même confiance que celle avec laquelle j’ai accompli tant de tâches dans mon organisation de base, mobilisant les travailleurs et renforçant le PCP, toujours avec cet objectif fondamental de transformation de la société.

 La situation politique du Portugal détonne dans le contexte européen. Une coalition de gauche est au pouvoir avec votre appui critique mais sans que le PCP ne participe directement au gouvernement dominé par le Parti socialiste. Cet accord appelé «geringonça» succède à 40 ans de défiance entre le PS et le PCP. Comment expliquer qu’une alliance ait pu se dessiner en 2015 ?

Nous avons aujourd’hui un gouvernement du Parti socialiste avec le soutien parlementaire du PCP, du Parti écologique “les Verts” et du Bloco de Esquerda. Pour le PCP, ce soutien repose sur une position commune qui exprime les termes de l’accord avec des aspects concrets plus immédiats et d’autres plus éloignés et moins précis.

Cet accord résulte de deux facteurs. Le premier a trait à la corrélation des forces issues des élections d’octobre 2015. Le second repose sur le défi lancé au PS dans la soirée électorale par notre secrétaire général, Jerónimo de Sousa. Au moment où le parti socialiste avait déjà félicité la droite pour sa victoire électorale, en se préparant à devenir le plus grand parti d’opposition, Jerónimo de Sousa, en direct à la télévision, a mis au défi le PS de former un gouvernement étant donné qu’il y avait une large majorité de gauche dans l’Assemblée de la République.

Cet accord et ses fruits reflètent la corrélation des forces existantes aussi au sein de la gauche. Dans une certaine mesure, on peut dire que les petits progrès réalisés pour inverser la dymanique d’austérité, l’augmentation des salaires et des pensions, l’arrêt des privatisations ou, par exemple, les manuels scolaires gratuits dans l’éducation primaire, reflètent la proportion de députés que nous avons face au nombre de députés socialistes. Avec plus de députés, nous aurions certainement pu aller plus loin. Ceci dit, nous apprécions à leur juste valeur toutes ces réalisations, mais nous continuons à mobiliser les travailleurs. La lutte de masse continue à être le moteur de l’histoire. Ce PS n’a pas changé sa nature de classe. Ce qui a changé, c’est la corrélation des forces au niveau social et politique.

 On estime que la croissance économique au cours du trimestre à venir devrait être de 2,9 %, le meilleur résultat en 17 ans au Portugal. La politique enclenchée – qui inclut des éléments de relance – n’est pourtant pas du gout de la Commission européenne qui a engagé une procédure de sanction pour endettement excessif mais qui reste étonnamment modérée dans ses réprimandes. Comment analysez vous cette situation ?

Le Portugal a été soumis à la procédure pour déficit excessif de façon permanente entre 2000 et 2016 (à l’exception de 2005 et 2008). Nous pouvons dire que notre présence dans la zone euro s’est faite sous un régime néocolonial avec les institutions européennes dictant, fusse au Parti Socialiste, fusse au Parti Social Démocrate (Centre-Droit), les mesures politiques économiques et budgétaires. Nous nous rappelons tous comment la Commission européenne a réagi lorsque le gouvernement du PS issu des élections de 2015, avec le soutien du PCP, a inversé certaines des mesures imposées par la Troïka, en augmentant le salaire minimum ou en annulant la privatisation de notre compagnie aérienne. Le chantage, les menaces avec des sanctions ou encore les coupes dans les fonds structurels ont atteint des niveaux intolérables. Un an plus tard, avec l’amélioration des indicateurs macroéconomiques et la performance des finances publiques, la Commission Européenne a du revoir son discours, jusqu’à faire de notre ministre des finances le Ronaldo de la zone euro !

L’importance de la consommation interne comme facteur de la croissance économique est reconnu. Nous avons toujours dit que la dynamisation de la demande n’était pas seulement une mesure de justice sociale. C’était aussi un moyen de relancer l’économie et d’augmenter les recettes fiscales. Cependant, nous reconnaissons également la nature conjoncturelle de cette croissance économique et la contribution du tourisme dont l’augmentation est due à l’instabilité de nombreuses destinations traditionnelles au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Les faiblesses structurelles de notre économie perdurent. Le niveau d’endettement compromet notre avenir. Notre optimisme est donc modéré et nous restons convaincus qu’il est aujourd’hui plus que nécessaire de rompre avec les politiques actuelles.

 L’Euro a eu des effets dévastateurs sur l’économie portugaise et joue comme une contrainte importante. Le PCP est porteur d’une ligne affirmée de rupture avec les institutions européennes et de défense da la souveraineté nationale comme vous l’exprimez dans votre tribune sur Médiapart et publiée dans La Revue du Projet « De l’importance de la nation » . Pensez vous que ce discours soit porteur au Portugal ? Est-il possible de le concilier avec le soutien à une coalition gouvernementale dominée par des europhiles ?    

La médiocrité de la performance de l’économie portugaise dans l’euro ne fait aucun doute. Au cours des dernières décennies du vingtième siècle, le Portugal présentait un des meilleurs taux de croissance au niveau mondial. Entre 2000 et 2013, le Portugal et la Grèce (deux pays de la zone euro …) se situent dans le groupe des sept pays avec le plus bas taux de croissance du monde. Compte tenu du caractère conjoncturel de la croissance économique actuelle, le PCP continue de défendre sa triple proposition de renégociation de la dette, du contrôle public du système bancaire et de la libération du pays face aux impératifs de l’euro. Cette proposition n’est pas un objectif en soi, mais plutôt un moyen de mettre en œuvre une politique souveraine pour développer nots capacités de production et mettre ainsi fin à notre position de dépendance vis à vis de l’extérieur.

À l’heure actuelle, nous luttons pour récupérer des parcelles de notre souveraineté qui nous ont été retirées au fur et à mesure du processus d’intégration capitaliste de l’UE, et qui empêche objectivement toute solution politique alternative au capitalisme libéral. Nous défendons la coopération entre les partis progressistes et les organisations qui partagent avec nous des positions et des principes de gauche et anticapitalistes, mais nous ne partageons aucune illusion réformiste au niveau de cette UE et de son projet économique et politique.

 On parle beaucoup de la baisse du chômage qui a actuellement lieu au Portugal, mais moins du fait que des centaines de milliers de jeunes sont partis du pays depuis 2010. Cette baisse s’est-elle faite sur le sacrifice de la nouvelle génération ?

Au cours de la période de la troïka (2011-2016), 500 000 personnes ont quitté le Portugal. Ce flux migratoire est comparable en nombre à celui des années soixante en pleine dictature fasciste, avec cependant une différence : cette génération du présent est plus qualifiée. Cela signifie que le Portugal a consacré des ressources à la formation de milliers d’infirmiers, d’architectes, d’ingénieurs, mais malheureusement, ce sont d’autres pays qui bénéficient de cet investissement à cause des politiques d’austérité imposées par la Troïka avec la complicité active des partis qui ont signé l’accord (parti socialiste, parti social démocrate et centristes). Sans cette sortie massive d’une bonne partie de notre force de travail, le taux de chômage serait monté bien au dessus de 25%.

La réduction de l’investissement public persiste étant données les contraintes budgétaires qui découlent de notre présence dans l’UEM [la zone euro, ndlr]. Il faut bien noter que le Parti socialiste n’a jamais remis en cause les engagements envers l’UE. Vu la situation actuelle, le retour de cette génération n’est pas encore à l’ordre du jour.

 Le PCP est certainement un des derniers partis communistes d’Europe à assumer son héritage historique et une ligne politique que l’on peut qualifier de « marxiste-léniniste ». Pour beaucoup d’observateurs ce positionnement pourrait sembler anachronique, mais il ne vous empêche pas de réaliser des scores tout à fait honorables, autour de 10%. Cependant ne pensez vous pas – à l’instar de ce qui est prôné par certains dans d’autres partis communiste d’Europe – que cela soit un frein à votre progression et que cela permette à d’autres forces de gauche d’avoir un espace pour émerger ?

Notre ligne politique, l’origine de classe de notre parti et sa matrice idéologique résultent d’un débat interne et d’une analyse que nous faisons de façon régulière, notamment à chaque congrès. Le marxisme-léninisme représente pour nous un instrument fondamental destiné à interpréter la réalité sociale, économique et politique et à établir notre stratégie politique en fonction de nos objectifs. Les enseignements de Marx et de Lénine, que nous adaptons à la réalité portugaise, nous aident à comprendre l’importance d’avoir un parti organisé et uni où chacun peut et doit contribuer à l’unité du parti et à l’établissement de sa ligne politique.

Les appels qui ont pour but le gommage idéologique des partis communistes, sont souvent accompagnés de vagues médiatiques qui cherchent à diaboliser les réalisations de la révolution russe et de toutes les autres expériences socialistes. Inutile de dire que cela ne fait que renforcer nos convictions sur l’actualité du projet communiste. Suite à la fin de l’Union soviétique, le PCP a tenu un congrès extraordinaire (en 1990) pour analyser la nouvelle situation mondiale résultant de cet événement tragique. La conjoncture internationale renforce la validité des thèses approuvées lors de ce congrès. Le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire. L’actualité du projet communiste s’affirme tous les jours, avec l’exploitation des travailleurs, les attaques contre les services publics ou les guerres impérialistes. Le rôle des partis communistes passe par l’assimilation critique des expériences du passé et du présent, contre le dogmatisme et en partant toujours de la réalité concrète.

 Quand on regarde la répartition géographique du vote CDU, la coalition menée par le PCP, on constate une grande disparité Nord-Sud, avec une implantation plus marquée au Sud. Vous êtes d’ailleurs candidat aux municipales à venir à Aviero dans le Nord. Comment expliquez vous cette disparité ? Lorsque l’on visite le Portugal, notamment dans les quartiers populaires de Lisbonne, la forte présence visuelle du PCP saute aux yeux ; cela est il révélateur d’un vote de bastion ?

Il existe des différences sociologiques importantes qui remontent au siècle dernier entre les régions du Sud où le prolétariat rural était dominant et les régions plus au Nord où domine la petite propriété. C’est en partie cette réalité qui explique une faible implantion du PCP dans le Nord du Portugal. Dans ma région, Aveiro, les préjugés contre les communistes sont fortement enracinés. C’est ici qu’une grande partie de l’offensive contre-révolutionnaire s’est concentrée après la révolution de 1974. D’importants secteurs de l’église n’ont jamais cessé d’agiter le danger communiste en insinuant qu’on allait confisquer les terres des petits agriculteurs. Entre 1974 et 1976 plusieurs sièges du Parti dans la région ont été détruits et brûlés.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus menacés physiquement. Mais nous n’avons pas accès aux journaux locaux. Nous dépendons avant tout de notre capacité à chercher le contact direct avec les gens et les travailleurs. Tous nos efforts sont dirigés vers les entreprises, dans lesquelles nous essayons d’organiser le Parti et de renforcer le mouvement syndical. Nous pouvons dire que notre influence sociale va bien au-delà de notre influence électorale assez faible. À Aveiro, où je suis candidat, nous avons progressé un peu au cours des dernières élections municipales de 2013 en passant de un à trois élus (environ 4% des votes exprimés). Le 1er octobre, nous espérons pouvoir passer à quatre élus.

Contrairement aux autres partis politiques où la distribution géographique des votes est plus homogène, notre score électoral dépend beaucoup du niveau d’organisation et d’implantation. La couverture télévisée de nos candidatures n’existe pas ou se résume a des caricatures, entretenant l’idée que nous sommes un parti du passé, alors que nos élus parlementaires sont parmi les plus jeunes (aussi bien dans l’assemblée de la république qu’au Parlement européen). De fait, nous dépendons principalement de nous-mêmes, de notre organisation et de nos moyens de communication. Cela renforce ce que j’ai dit plus tôt, le parti et son organisation sont la base fondamentale indispensable à notre travail.

 Le PCP a fait face à l’émergence d’une nouvelle force politique à la gauche du PS avec la création du Bloco de Esquerda dans les années 2000. Ce parti parfois qualifié de « parti des causes fracturantes » semble, sur le modèle d’autres partis de gauche en Europe comme Podemos ou La France Insoumise dans une certaine mesure, mettre au second plan le discours traditionnel sur la lutte des classes au profit de positionnements « populistes ». Avec 19 députés contre 15 au Parlement national mais 1 contre 3 pour le PCP au Parlement Européen, les forces semblent d’un poids relativement comparable. Qu’est ce qui vous distingue de ce parti et comment expliquez-vous vos meilleurs résultats aux élections européennes ?

Ces forces politiques nouvelles et ces mouvements émergent régulièrement et visent principalement à contenir les hémorragies de la social-démocratie, afin d’éviter un transfert massif de votes vers les partis qui se battent pour une véritable alternative de gauche. Avec un soutien important des médias dominants, ces partis ou ces mouvements sont généralement construits autour d’une personne charismatique avec un programme purement médiatique et un discours de gauche, mais dépourvu d’engagements sérieux.

Au Portugal, le Bloco de Esquerda regroupe certains secteurs de la gauche, notamment certaines franges du Parti socialiste. Mais avec son discours antisystème allié à l’absence d’un véritable projet politique alternatif, le BE parvient à capturer les votes de diverses natures idéologiques. Le BE et le PCP convergent sur plus de 90% des votes au Parlement. Par contre, nous ne suivons pas le BE dans ses conceptions réformistes de l’UE qui aboutissent souvent à un soutien explicite de l’UE, par exemple lors de l’intervention en Lybie, en Syrie ou vis à vis du Venezuela.

Les résultats des élections européennes que vous mentionnez coïncident avec des divisions au sein du BE et une transition dans sa direction, avec l’émergence d’un nouveau parti, le «Libre» qui s’est mis en avant pour servir de nouvelle arme du capital pour diviser à gauche. Pour plusieurs raisons ce projet n’a pas abouti et les projecteurs se sont de nouveau reportés vers le BE.

 Pour conclure, qu’attendez vous des prochaines échéances municipales le 1 octobre, quel jugement portez-vous sur les résultats et l’avenir de l’union de la gauche dans votre pays ? 

Les élections à venir confirmeront le PCP en tant que force politique majeure au niveau municipal. Nous sommes la force politique qui se présente dans le plus grand nombre de municipalités, ce qui démontre notre forte implantation locale dans tout le pays. Nous espérons gagner plus de municipalités et renforcer le parti dans celles où nous sommes dans l’opposition.

Malheureusement, nous n’arrivons pas à conserver le même score qu’aux municipales aux élections législatives pour le parlement national. Ceci dit, le PCP augmente son score depuis 2002. Avec notre travail, nous espérons pouvoir aller plus loin et mobiliser plus de travailleurs pour renforcer le PCP et donner plus de poids à ceux qui défendent un véritable changement politique dans notre pays.

La question des alliances ne se pose pas en ce moment. Le PCP continue avec son projet qui est connu de la population portugaise. C’est pour ce projet unique et pour les propositions de politiques concrètes qu’il importe que nous nous battions. Le résultat électoral dictera la possibilité et la portée des accords à faire.

 

 

  1. Dans son sens original, geringonça désigne une invention « mal foutue », peu solide et destinée à se désagréger ; utilisée par un ex-député social-démocrate (PSD), pour désigner la solution de gouvernement du PS soutenu par les partis à sa gauche – jugée précaire et artificielle – la « geringonça » a été rapidement adoptée par tous, ayant été sacrée mot de l’année 2016 au Portugal. Dans la dimension politique qu’elle a acquise, la « geringonça » contredit son sens étymologique, résistant déjà depuis environ dix-huit mois à la désagrégation promise aux inventions brinquebalantes qu’elle désigne