Haut-Commissariat au Plan : farce néolibérale ou retour de l’État-stratège ?

François Bayrou © Wikimedia Commons

Le 22 septembre 2020, François Bayrou a tenu un discours devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en tant que nouveau Haut-commissaire au Plan. C’est sur le constat d’un pays dépendant de l’étranger concernant son approvisionnement pharmaceutique qu’il pose les problématiques de « souveraineté et de responsabilité sociale ». Après avoir « découvert » le phénomène de délocalisation de productions dites stratégiques, le gouvernement a expliqué avoir pris en considération la gravité de la situation. Lors du discours de politique générale de juillet 2020, le Premier ministre Jean Castex a suggéré le rétablissement d’une force de prospection au service de l’État, à même « d’éclairer les pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ». La (re)création de cette institution étatique, dont la mission est l’orientation du développement économique, conformément aux intérêts que le pays, questionne sur les réelles motivations d’un exécutif néolibéral à se saisir des enjeux stratégiques de long terme.

L’idée d’une institution qui organise le développement économique n’est pas nouvelle. En 1936, le Front populaire crée le ministère de l’Économie nationale afin « d’assurer l’unité de la direction des initiatives du gouvernement dans le domaine économique »1. Il entreprend des grands projets d’infrastructures et d’équipements des villes et des campagnes tout en contrôlant les prix des denrées alimentaires pour que l’inflation ne desserve ni les producteurs ni les consommateurs. Le Commissariat Général au Plan de De Gaulle poursuit ce même objectif de penser l’orientation du développement économique et industriel selon les besoins, les ressources et les ambitions du pays. Si le Haut-Commissariat au Plan de François Bayrou est sensiblement différent sur le fond par rapport à son ancêtre, il n’en reste pas moins sujet aux logiques dominantes de l’action publique. Le gouvernement s’inscrit dans une politique néolibérale dont les fondements reposent sur la compétitivité des entreprises et l’offre d’un point de vue économique, l’individualisme et le mérite d’un point de vue social. Il rejette, par principe, toute politique qui viserait à planifier l’économie, préférant inciter financièrement au développement de certains secteurs qualifiés « d’innovants ».

Pourquoi penser une politique industrielle ?

Pour Guy Lemarchand2, les premières formes de politiques industrielles en France remontent à Colbert. D’inspiration mercantiliste, il développe les manufactures royales à travers des incitations financières publiques. Dès le XVIIIe siècle émerge un clivage entre hauts fonctionnaires concernant la nature de l’intervention publique. Ils se partagent entre la vision d’un État qui intervient directement dans la sphère économique et celle d’un État qui favorise des conditions réglementaires optimales au développement des marchés. Si le libéralisme économique se développe à partir de l’ouvrage de référence d’Adam Smith3, le libéralisme politique anglais commence déjà à se diffuser au sein des administrations de l’Ancien Régime en charge de la bonne tenue des manufactures. Aujourd’hui, il s’agit de l’opposition entre les politiques industrielles verticales de soutien direct et ciblé à des entreprises, secteurs, technologies ou produits ciblées et horizontales qui visent à créer un « environnement favorable au développement de l’ensemble des entreprises »4. France Stratégie résume la politique industrielle comme « l’ensemble des interventions publiques ciblant les activités économiques au sens large, pour en améliorer la performance, pour des raisons stratégiques ou encore pour maintenir la cohésion sociale et territoriale ». L’enjeu est de concilier ces deux approches à travers le Commissariat au Plan en vue de produire des synergies dans l’élaboration de la politique industrielle. Stimulant l’environnement économique de manière générale et sans orientation, la politique gouvernementale menée jusque-là s’inscrit dans le cadre d’une politique de l’offre d’inspiration néolibérale.

Deux situations justifient l’intervention publique : lorsque le fonctionnement optimal d’un marché n’est pas assuré mais qu’il peut l’être grâce à l’intervention publique ou lorsque le fonctionnement optimal d’un marché n’est pas souhaitable pour la collectivité.

L’intervention de l’État dans la sphère économique trouve de solides fondements économiques, bien qu’ils ne soient pas acceptés par tous aujourd’hui. Les défaillances de marché (rendements d’échelle croissants, asymétries d’informations, externalités et biens publics) provoquent de forts déséquilibres ce qui conduit à une situation sous-optimale, justifiant l’intervention publique. Selon le rapport de Gallon et al (2005), aux orientations libérales, deux situations justifient l’intervention publique : lorsque le fonctionnement optimal d’un marché n’est pas assuré mais qu’il peut l’être grâce à l’intervention publique ou lorsque le fonctionnement optimal d’un marché n’est pas souhaitable pour la collectivité. On comprend alors que pour élaborer une politique industrielle permettant de contrecarrer les défaillances de marché, l’intelligence économique se pose comme un outil majeur d’aide à la décision.

C’est sur ce constat de défaillances des marchés ne conduisant pas à un optimum souhaitable que reposait le Commissariat Général au Plan. D’inspiration économique keynésienne, l’intervention de l’État garantit la coordination du développement de l’économie au service des objectifs économiques et sociaux du pays. Le contexte de reconstruction du capital productif national et le volontarisme de l’État ont fait passer le pays de la pénurie et de la misère généralisée à une société d’abondance (et de grande consommation), au taux de chômage bas. Les Trente Glorieuses font ainsi de la France l’une des premières puissances économiques du monde. L’orientation économique du Plan est à la source des programmes d’envergure qui ont fait la renommée de son économie : TGV, aéronautique et spatial, maillages autoroutiers, indépendance énergétique, automobile, etc. L’État finance le développement de filières qu’il juge stratégique aux côtés des industriels tout en finançant l’aménagement des régions en équipements et en services publics : barrages, routes et autoroutes, irrigation, universités ou hôpitaux. Le Plan permettait ainsi de coordonner et de mettre en cohérence les différentes politiques économiques et sociales. C’est l’un des outils par lequel l’État se donnait les moyens de ses ambitions.

Le contexte géo-économique de notre époque n’a rien à voir avec celui des années 60. Le renforcement du phénomène de globalisation suite à l’effondrement du bloc soviétique marque l’avènement du capitalisme financier et dérégulé sur le plan économique mais aussi la domination des politiques publiques néolibérales aux niveaux nationaux et européens. Le cadre réglementaire de l’Union européenne contraint et limite les possibilités d’intervention publique, tandis que la multiplication des accords de libre-échange renforce la concurrence sur les ressources et les tensions sur les modèles sociaux. Le contexte actuel produit donc des problématiques similaires en termes d’orientation du développement économique selon une vision stratégique de long terme afin de répondre aux enjeux de notre époque.

Depuis le rapport Martre de 19945, élaboré pour l’ancien Commissariat Général au Plan sous le second septennat de Mitterrand établissant les fondements de l’intelligence économique en France, l’État a peiné à se saisir du concept et à le mobiliser dans le cadre de politiques économiques. Cela se traduit par une succession d’institutions ayant connu des appellations et un périmètre d’action différent. Depuis 2016, le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) est l’organe de pilotage de l’intelligence économique à la française6. Le décret du 29 janvier 2016 instituant le SISSE précise le périmètre de son action, participant à l’élaboration d’une « politique publique en matière de protection et de promotion des intérêts économiques de la Nation ». Il s’agit ici d’une approche défensive de l’intelligence économique fondée sur l’identification des risques et menaces pouvant affecter des secteurs dont dépendrait la stabilité du pays. Cette approche correspond au passage d’une politique industrielle volontariste vers une politique industrielle plus modeste et défensive. Il manque alors une vision offensive et anticipante de l’intelligence économique comme un outil de diagnostic en vue de proposer une orientation structurelle du développement économique du pays conformément à ses priorités.

Lire sur LVSL l’entretien de Nicolas Moinet au sujet des défis posés à la France en matière d’intelligence économique : « Nicolas Moinet : Nous sommes en guerre économique. On ne peut pas répondre aux dynamiques de réseaux par une logique de bureau ».

Anaïs Voy-Gillis, lors d’un entretien donné pour Le Vent Se Lève7, analyse les effets de la crise financière de 2008 comme un premier électrochoc venant questionner la « dépendance de la France, la façon de recréer de la valeur en France, et le fait que le modèle d’une économie post-industrielle n’avait pas apporté la prospérité espérée ». Le passage d’Arnaud Montebourg au ministère du Redressement productif en 2014 illustre ainsi la prise de conscience concernant l’importance d’avoir une base productive nationale d’une part, mais aussi de l’orienter dans un sens permettant d’atteindre un meilleur équilibre. Cela nécessite alors de mobiliser l’information créée par les services d’intelligence économique afin d’assurer le succès de la politique industrielle. Après le départ de Montebourg, remplacé par Emmanuel Macron, l’ambition en matière de politique industrielle s’est simplifiée pour ne devenir qu’une liste d’objectifs lointains associés à une politique en faveur de l’offre par des avantages fiscaux pour la recherche et le développement. Il semble que ce soit la crise sanitaire actuelle qui vienne questionner, au sein même du gouvernement, la pertinence de penser une politique industrielle nationale plus ambitieuse. Qu’en est-il avec la renaissance du Haut-Commissariat au Plan ?

Quelle vision étatique pour une institution devant planifier ?

Lors du discours de présentation du 22 septembre devant le CESE, François Bayrou a clarifié les fondements politiques et économiques sur lesquels repose le Haut-Commissariat au Plan. Essentiellement, il a pour ambition de proposer des orientations « pour que la vie économique ne compromette pas l’existence et l’efficacité » des domaines stratégiques bien que la définition et les caractéristiques d’un secteur stratégique soient encore source de débat. Dans une perspective plus large, il s’agirait de penser aux questions stratégiques de long terme et de les traiter « dans une démarche de dialogue entre toutes les forces, professionnelles, scientifiques, techniques, sociales, associations et civiques qui la composent, et proposer aussi simplement que possible des options cohérentes pour y répondre ». Les « questions stratégiques » touchent à des domaines variés, définis de manière arbitraire tant leur définition est encore source de débat aujourd’hui. Ainsi, un secteur ou un bien est défini comme stratégique s’il assure la sécurité ou la continuité de la vie de la Nation en cas de crise brutale mais également s’il assure la souveraineté de la Nation au regard des objectifs prioritaires qu’elle se fixe8. On trouve ainsi listés la défense nationale, la cybersécurité et le numérique, l’industrie aéronautique et spatiale, l’eau, l’énergie, les télécommunications, l’agroalimentaire et les produits pharmaceutiques. On retrouve l’approche défensive de l’intelligence économique, dont la mission relève déjà du SISSE.  On ne sait par exemple rien de la coordination entre le nébuleux et technocratique Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), chargé de la politique d’investissement de l’État dans les filières d’avenir, et le Haut-Commissariat au Plan. Le SGPI représente pourtant un outil majeur de l’action publique, en charge de 57 milliards d’euros sur le quinquennat actuel pour financier la transition écologique, la « société de la connaissance », la compétitivité et l’innovation ainsi que « l’État numérique ».

Si l’État souhaite orienter la politique économique et industrielle conformément à ses objectifs économiques, environnementaux, sanitaires et sociaux, il ne peut se contenter de ne compter que sur la coopération bienveillante des entreprises.

François Bayrou laisse transparaître son changement de paradigme d’analyse de cette situation d’urgence. Ce n’est pas par « l’obligation », qui serait considérée comme un « ordre abusif », mais en « fédérant les efforts » que l’on peut établir un consensus sur l’intérêt général et les points qui font débat. Or, si l’État souhaite orienter la politique économique et industrielle conformément à ses objectifs économiques, environnementaux, sanitaires et sociaux, il ne peut se contenter de ne compter que sur la coopération bienveillante des entreprises. S’il existe des entreprises qui respectent des logiques et finalités différentes que l’optimisation du profit, dans l’économie sociale et solidaire par exemple, elles restent relativement marginales. Par conséquent, l’État doit nécessairement intervenir, c’est un investissement, afin de corriger les effets négatifs que les entreprises peuvent produire et n’internalisent pas à leurs coûts de production comme la pollution par exemple. Or, le Haut-Commissariat au Plan s’attachera à définir des incitations afin que, peut-être, les agents économiques les suivent.

L’annonce de la renaissance du Commissariat au Plan a suscité interrogations et scepticismes parmi les médias et économistes. Ils soulignent la coexistence de différentes institutions, comités et conseils dont les périmètres d’action se superposent. Le président de l’un des comités souligne cependant que ce pourrait être l’occasion de redéfinir l’organisation de ces structures. Certains questionnent le bien-fondé d’un « colbertisme 2.0 » pouvant s’incarner à travers le Haut-Commissariat au Plan. L’économiste libéral Élie Cohen préfère ainsi « orienter les fonds publics vers des projets de développement en partenariat avec le privé »9. Dans une tribune10, un collectif de personnalités explique la conception d’un Haut-Commissariat au Plan moderne qui articulerait son action en lien avec ses partenaires européens et avec les collectivités territoriales. Ils insistent sur l’urgence climatique et les limites de la mondialisation comme variables essentielles à ne pas mettre de côté. Ils proposent des « assises territoriales » qui rassembleraient les acteurs concernés par les problématiques de développement économique. « L’ensemble de ces travaux servirait de socle à une planification d’un nouveau type élaborée par le Haut-Commissariat au Plan, à l’écoute des dynamiques locales comme des réalités de la mondialisation, flexible et adaptable, soucieuse de répondre aux impératifs environnementaux et sociaux. Un tel exercice permettrait une appropriation par le plus grand nombre des orientations prises et marquerait une nouvelle méthode d’instruction des choix stratégiques au sein de l’État ».  L’ancien Commissariat Général au Plan fonctionnait avec cette démarche de concertation entre les ministères, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et autres parties prenantes. Les commissions réunissaient ces acteurs et le Commissariat harmonisait ces différents travaux. Si cette dimension inclusive est présentée par François Bayrou, elle reste encore à prouver car n’est pas instituée par les textes officiels Le Haut-Commissariat au Plan semble, au contraire, être placé à côté des circuits de décision.

Trois approches sont présentées et permettent d’appréhender la nature des questions stratégiques envisagées par François Bayrou. Il évoque les questions qui touchent à la « vitalité » du pays (rapport au vivant et à la nature, enjeux climatiques, démographie, économie, innovation, etc.) et à « l’indépendance » vis-à-vis des importations étrangères de produits stratégiques – ainsi que la nécessité de relocaliser ces activités. Il évoque aussi le « projet de société » centré sur la justice sociale à travers l’éducation et la santé par l’aménagement des régions en vue de réduire les inégalités. C’est un programme ambitieux, qui touche à un grand nombre de questionnements stratégiques mais présentant un risque de dispersion11 tant les thématiques sont nombreuses et larges. Il pourrait aussi ne pas trouver d’écoute auprès d’un gouvernement imperméable à tout changement de cap idéologique. Par son rattachement à Matignon, le Haut-Commissariat au Plan se trouve dans une situation ambivalente. Si cette position lui permet, en principe, de pouvoir mener ses missions de coordination entre les ministères, il se place également au service du chef du gouvernement et donc de son influence politique. En répondant aux critiques de l’opposition concernant l’approvisionnement en médicament (symbole d’une politique industrielle erratique), en créant le Haut-Commissariat, et en nommant François Bayrou à sa tête, l’exécutif espère probablement éteindre la polémique en recyclant cet outil.

Comment en faire un outil pertinent d’orientation industrielle ?

Anaïs Voy-Gillis évoque le fondement qui doit animer le Haut-Commissariat au Plan : décorréler le temps de la politique industrielle du temps de la politique électorale. « Cela peut donner une stabilité et une vision aux industriels, avec l’idée que chaque mandature ne va pas changer en profondeur la politique publique ou fiscale. Ce commissariat peut également avoir un rôle prospectif en identifiant les technologies de demain. En revanche, il doit être agile, pragmatique, voire opportuniste. Les changements se font sur un temps très rapide et il faut être capable de s’adapter à ces évolutions rapides ». Cela questionne la légitimité du Haut-Commissariat au Plan, dont les membres sont non élus, à élaborer une politique industrielle que les gouvernements successifs ne pourraient remettre en question à chacune des mandatures. La coordination entre les institutions existantes devrait être approfondie afin d’éviter les cumuls de missions. Le ministère de l’Industrie et le Conseil national de l’industrie participent déjà activement à l’identification des filières d’avenir. Leur travail devrait ainsi être mieux coordonné à celui du Haut-Commissariat au Plan pour amplifier la qualité des analyses.

« Les aspirations sociales et les considérations environnementales poussent à imaginer de nouveaux processus industriels en cohérence avec les engagements du pays en matière environnementale et sociale, tout en ce qu’ils sont viables économiquement. »

Les problématiques que rencontrent les industries françaises aujourd’hui touchent à leur nécessaire modernisation dans un objectif de compétitivité, certes, mais aussi à la sécurité (des données, des réseaux), la dynamique technologique, le recyclage, la réduction de la consommation d’énergies, des polluants ou le mal-être au travail. Les aspirations sociales et les considérations environnementales poussent à imaginer de nouveaux processus industriels en cohérence avec les engagements du pays en matière environnementale et sociale, tout en ce qu’ils sont viables économiquement. C’est en mobilisant l’intelligence économique de manière offensive, de manière à élaborer une politique industrielle au long terme en orientant le développement des activités par sa force de proposition auprès du législateur que le Commissariat peut honorer sa charge de « mettre l’avenir au cœur du présent ».

L’ambition affichée par François Bayrou est louable mais manque pour l’instant cruellement de consistance. Une volonté politique forte d’affirmer cette ambition de prospective et d’orientation a besoin de s’émanciper des dogmes néolibéraux aujourd’hui dominants dans les logiques de l’action publique. On sait que c’est principalement la formation des élites politiques, fondée sur des programmes dispensés par les grands établissements, qui se révèle être un terreau fertile au développement d’une culture particulière de l’action publique, néolibérale. Mayntz et Derlien évoquent la « politisation fonctionnelle » pour qualifier l’idée que les hauts fonctionnaires sont partie intégrante de la construction et de la définition des politiques publiques. Ils montrent le brouillage permanent des frontières entre les élus et l’administration. Ainsi ils participent à l’élaboration des politiques publiques certes, mais surtout à les légitimer. Nécessairement, leur paradigme et leurs logiques d’actions néolibérales s’inscrivent et transpirent à travers les politiques publiques qu’ils façonnent. On peut légitimement craindre que cette institution ne reste qu’à l’état de « coquille vide » sans réelles raisons d’être. Seul le rattachement de France Stratégie et de ses nombreux rapports au Commissariat au Plan lui donne de la consistance. Il est peu probable qu’il amène à remettre en question cette approche de l’action publique qui est la source principale des maux du pays : insuffisance des politiques environnementales et sociales ; concurrence fiscale et sociale régionale, européenne et mondiale, source de délocalisation et de pertes de recettes fiscales, difficulté à élaborer une politique économique et sociale de long terme, etc.

La volonté de l’État de se doter d’un outil d’orientation et de planification industrielle a minima peut s’expliquer en partie par les engagements de la France et la conformité de son droit à la législation européenne. C’est un point critiquable car les directives européennes préconisent justement une politique industrielle fondée sur la compétitivité des entreprises à travers des politiques en faveur de l’offre et non une politique d’orientation de long terme répondant aux objectifs que l’Union européenne se fixe. Le changement de paradigme de l’action publique concernant la politique industrielle ne peut se faire légalement qu’au regard du droit européen, et c’est une difficulté majeure aujourd’hui à l’élaboration d’une politique industrielle nationale. En réalité, l’interdépendance entre les secteurs de production, entre et dans les pays, oblige à ce que la stratégie pensée nationalement soit en cohérence avec celle de nos voisins afin de ne provoquer de défaillances de marché supplémentaires. Elle doit tenir compte tant du dynamisme de la conjoncture économique mondiale que de l’évolution des économies de nos partenaires commerciaux pour ne pas être biaisée et contre-productive. Pour autant, on ne peut nier les stratégies concurrentielles de ces mêmes voisins peuvent déployer sur d’autres secteurs.

La cohérence et la complémentarité d’une politique industrielle nationale avec celle de nos voisins sont vitales afin de coordonner une croissance respectueuse des pays et répondant aux défis actuels. L’objectif de cette coordination est double, elle doit permettre à ce que les pays puissent penser leur développement économique selon leurs propres ambitions mais aussi selon leurs engagements internationaux concernant les enjeux environnementaux et sociaux. Finalement, le Haut-Commissariat au Plan est directement confronté aux paradigmes idéologiques néolibéraux qui l’animent. Entre le respect des réglementations européennes de la concurrence et les logiques d’actions propres aux hauts fonctionnaires qui y travaillent, il est peu probable que l’institution incite à l’élaboration d’une politique industrielle ambitieuse et de long terme à même de répondre aux défis auxquels la France est confrontée. Considérer les effets de la décentralisation des compétences, notamment en matière de développement économique, sur la coordination entre une politique industrielle nationale et son application locale est une clé de succès à sa réussite. Le temps nous dira comment ce Haut-Commissariat au Plan aborde concrètement les problématiques liées à la mobilisation de l’intelligence économique au service de l’élaboration d’une politique industrielle de long terme coordonnée à une échelle supranationale mais aussi locale.

Notes :

1 Décret du 19 juin 1936

2 LEMARCHAND, G. La politique industrielle sous l’Ancien Régime : MINARD, P. La fortune du Colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières.  Annales de Normandie, 50ᵉ année, n°1, 2000

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3 LEMARCHAND, G. La politique industrielle sous l’Ancien Régime : MINARD, P. La fortune du Colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières.  Annales de Normandie, 50ᵉ année, n°1, 2000

4 Rapport « Les politiques industrielles en France – Evolutions et comparaisons internationales », France Stratégie, novembre 2020

5 Rapport Martre « Intelligence économique et stratégie des entreprises », Commissariat Général au Plan, La Documentation Française, 1994

6 ROUSSEAU, E. BOUCHAUD, N. « La création du SISSE, nouveau chapitre dans l’histoire mouvementée de l’État et de l’intelligence économique », Portail de l’intelligence économique, 2016

7 VRIGNAUD, N. « Nous risquons de subir une nouvelle vague de désindustrialisation – entretien avec Anaïs Voy-Gillis », Le Vent Se Lève, septembre 2020

8 Note d’ouverture n°2, « Produits vitaux et secteurs stratégiques : comment garantir notre indépendance ? », Haut-Commissariat au Plan, décembre 2020

9 DE CALIGNON, G. « L’intérêt d’un retour du Commissariat au Plan fait débat », Les Echos, août 2020

10 Collectif. « Ce que doit faire le nouveau Haut-Commissariat au Plan », Les Echos, septembre 2020

11 SICARD, C. «  François Bayrou : un Commissaire au Plan en apesanteur ? », Contrepoints, janvier 2021