Julien Gosselin réaffirme sa virtuosité avec Joueurs, Mao II, Les Noms

Julien Gosselin est un des metteurs en scène les plus attendus de cette 72e édition du Festival d’Avignon. Joueurs, Mao II, Les Noms, la nouvelle pièce mise en scène par Julien Gosselin est une petite bombe à l’image des explosifs de ses personnages. C’est la troisième pièce jouée par le collectif Si vous pouviez lécher mon coeur au festival d’Avignon. Cette pièce vient après Les particules élémentaires et 2666, toutes deux saluées par la critique.


Julien Gosselin est un des metteurs en scène les plus attendus de cette 72e édition du Festival d’Avignon. Joueurs, Mao II, Les Noms, la nouvelle pièce mise en scène par Julien Gosselin est une petite bombe à l’image des explosifs de ses personnages. Cest la troisième pièce jouée par le collectif Si vous pouviez lécher mon coeur au festival d’Avignon. Cette pièce vient après Les particules élémentaires et 2666, toutes deux saluées par la critique.

Julien Gosselin repousse les limites du théâtre en cassant ses règles élémentaires 

Il nous emmène dans un spectacle de 10 heures. Des chansons, des projections et une performance prennent la place des entractes. Les spectateurs ont le droit de sortir de la salle quand ils le désirent et peuvent continuer à regarder la pièce sur l’écran présent dans la cour. Les textes sont issus des romans de Don Delillo dénommés respectivement Joueurs sorti en 1993, Mao II publié en 1991 et Les Noms édité en 1982. Trois histoires, un lien qui unit ces romans : le terrorisme. L’anti-américanisme, la haine du capitalisme transpirent dans chaque pièce. Et pourtant, le spectateur sera étonné de s’apercevoir que le terrorisme n’est pas l’unique thème. Le descriptif de la pièce est une fourberie car finalement l’intimité amicale et conjugale prennent une place dominante. Ainsi, il frustre le spectateur, subterfuge largement appréciable puisqu’on est dans l’attente de voir apparaître le thème qui n’émerge finalement que par épisode. Ce décalage provoque en nous un sentiment sans avoir à passer par une scène équivoque. Et c’est là la force de Julien Gosselin : il vient nous chercher, nous provoquer, nous faire sortir d’une identité de spectateur ordinaire.

Le travail de ce metteur en scène est à l’image de la création contemporaine et de l’évolution de l’édification des nouveaux codes et expériences scéniques. Elle repousse les limites du théâtre en introduisant des disciplines ou en cassant les règles élémentaires du théâtre. Elle agît sur l’espace temps ou travaille le mode communicationnel par exemple.

La qualité des plans et du jeu des comédiens a de quoi faire pâlir le cinéma classique

Julien Gosselin commence dès le début par la première note qui est un « boum » sonore très fort. On pourrait imaginer une explosion faisant référence aux dynamites de terroristes. Ce son, quand on l’entend, nous fait trembler de surprise autant qu’une victime prise au dépourvu lors d’un attentat. C’est une parole directement adressée au corps. Cette intonation revient plusieurs fois mais les fois suivantes, elle est mêlée à la musique. Il joue aussi avec notre regard en nous privant pour la majeure partie du temps de la pièce du contact visuel immédiat avec la scène. Il nous impose des écrans pour les voir. La pièce est entièrement filmée en live. De cette manière, il a une prise directe sur notre regard. La réalisation donne une direction sur l’acteur qu’il convient de regarder et sur l’angle par lequel il faut poser nos yeux sur lui. Paradoxalement, cette réalisation permet aussi de voir de près. C’est d’ailleurs une prouesse cinématographique, la qualité des plans et du jeu des comédiens a de quoi faire pâlir le cinéma classique qui a ce luxe de pouvoir refaire des prises. Ici, ça n’est pas possible et c’est tout aussi beau.

Une autre particularité de Joueurs, Mao II, Les Noms est le décor. Pour la première pièce, le spectateur fait face à de grands murs en bois cachant entièrement la scène. La deuxième, quant à elle, donne une visibilité partielle sur les côtés tandis que la troisième permet de visualiser la moitié ; l’autre partie étant cachée par des grands rideaux dorés. Les comédiens jouent d’ailleurs avec l’espace par des sorties de scène ou des sorties de murs du logement aménagé. On a l’impression qu’ils déshabillent le décor au fur et à mesure ou bien qu’ils nous autorisent à rentrer avec les comédiens derrière les vitres de l’appartement recomposé.

Une autre caractéristique de cette pièce est l’utilisation de mots écrits qui défilent sur l’écran et introduisent une autre temporalité narrative. On obtient des informations à l’avance sur le déroulement sans acquérir de précisions qui court-circuitent la compréhension de la pièce. Le dernier trait significatif  est annoncé dès le début. Il s’agît du temps de la représentation.

La longueur de la pièce paraît introduire une expérience difficile à surmonter plus qu’à vivre aisément alors qu’en sortant de ces dix heures même si la fatigue vient, qu’on a mal au cou à force de lever la tête pour voir l’écran,  on a envie d’y rester, de ne plus jamais repartir, de voir en somme la vie à travers les yeux de Julien Gosselin et de ne vivre qu’auprès d’œuvres qui marquent l’esprit, le corps et le temps et ceci pour des années. Pur chef d’œuvre issu d’un grand et jeune talent, cette pièce aura sans surprise rehaussé le niveau et la qualité des propositions de cette année. C’est le genre de performance pour laquelle on garde une excitation intérieure de plaisir tout au long de la création par le simple fait de prendre une vraie claque théâtrale si rare et si désirée.

Crédits photos : Julien Gosselin

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