La guerre larvée au sein du Parti démocrate

© Capture d’écran CNN

À l’image des divisions politiques et stratégiques qui traversent le parti démocrate, un nombre record de candidats briguent l’investiture pour la présidentielle de 2020. De vingt-quatre en avril, ils sont encore une douzaine à faire campagne à cinq mois du premier scrutin. Trois candidats font la course en tête : le centriste Joe Biden, la sociale-démocrate Elizabeth Warren et le socialiste Bernie Sanders. Par Politicoboy.


Pour comprendre les difficultés du Parti démocrate et les particularités de cette primaire, il faut revenir quatre ans en arrière.

En 2016, Hillary Clinton mobilise ses réseaux d’influence pour s’assurer du soutien de la machine démocrate. Barack Obama, les cadres du parti, la presse libérale et l’appareil financier font bloc derrière sa candidature. Ses principaux adversaires jettent rapidement l’éponge. Joe Biden est vivement encouragé à rester sur la touche – « Vous ne réalisez pas ce dont ils sont capables, les Clinton essayeront de me détruire » confira-t-il en off. À gauche, Elizabeth Warren renonce à se présenter et apporte son soutien à Hillary Clinton.

La primaire devait constituer une simple formalité. Mais quelque chose d’inattendu va se produire. La campagne de Bernie Sanders, sénateur indépendant du Vermont alors inconnu du grand public, décolle rapidement. Son message contraste de manière cinglante avec celui d’Hillary Clinton et reçoit un écho important chez les jeunes, la classe ouvrière et les abstentionnistes. Fustigeant les inégalités sociales et l’oligarchie, il propose des réformes radicales : une assurance maladie universelle et publique, le doublement du salaire minimum fédéral (à 15 dollars de l’heure), la gratuité des études universitaires, un vaste plan d’investissement pour le climat et la mise au banc de Wall Street, qui finance largement la campagne d’Hillary Clinton.

Sanders dénonce surtout la corruption de la vie politique américaine et l’influence de l’argent dans le financement des campagnes électorales. La sienne s’appuie uniquement sur les dons individuels, avec succès. Il réunit plus d’argent que son adversaire, remporte les fameux États de la Rust Belt qui offriront ensuite la victoire à Donald Trump, et manque de peu la nomination.

La défaite surprise d’Hillary Clinton à la présidentielle va achever de fracturer le parti démocrate.

ABC NEWS – 12/19/15 © ABC/ Ida Mae Astute

D’un côté, une aile populiste et progressiste émerge rapidement. Elle s’appuie sur l’activisme et les mouvements sociaux, soutient un programme ambitieux de réformes socialistes plébiscitées par une majorité de la population (selon les enquêtes d’opinion), envoie des élus charismatiques au Congrès comme Alexandria Ocasio-Cortez et fait pencher le socle idéologique du parti vers la gauche. La majorité démocrate à la Chambre des représentants du Congrès soutient désormais une socialisation progressive de l’assurance maladie et la hausse du salaire minimum à 15 dollars de l’heure.

Mais du point de vue strictement électoral, l’aile gauche reste minoritaire. De nombreux espoirs ont été douchés pendant les élections de mi-mandats : Stacey Abrams au poste de gouverneur en Géorgie, Beto O’Rourke comme sénateur au Texas et Andrew Gillum en Floride perdent sur le fil des élections difficiles, bien que la gauche leur conteste l’étiquette progressiste.

Inversement, la victoire médiatisée d’Alexandria Ocasio-Cortez à New York masque le fait que les démocrates ont repris le contrôle de la Chambre des représentants grâce aux candidats centristes alignés dans les circonscriptions périurbaines aisées. [1]

D’où ce dilemme stratégique pour le DNC (Comité national démocrate). Faut-il aligner des modérés pour faire basculer les électeurs centristes, ou des candidats populistes capables de récupérer les abstentionnistes (près d’un électeur sur deux) et mobiliser la base du parti ? Les biais idéologiques et le ressentiment anti-Sanders des élites démocrates verrouillent ce débat, et forcent l’aile gauche à adopter une position de confrontation avec l’establishment.

Or la solution différera en fonction des causes que l’on attribue à la victoire de Donald Trump. En 2016, les hauts revenus ont principalement voté pour le Parti républicain, la classe ouvrière blanche qui avait soutenu Obama s’est majoritairement abstenue et le vote identitaire a outrepassé les questions économiques. Sachant cela, faut-il cibler les abstentionnistes (43 % du corps électoral) ou les déçus du trumpisme ?

Viser la classe ouvrière blanche et les milieux ruraux qui ont permis à Donald Trump de conquérir les anciens bastions démocrates de la région des Grands Lacs peut se faire de différentes manières. Faut-il privilégier un populiste comme Bernie Sanders capable de porter un discours de classe, ou un modéré issu de l’un de ces États, avec une stratégie reposant sur l’identité culturelle et les valeurs ?

À l’inverse, pour les États disputés du Sud, ne vaut-il pas mieux cibler l’électorat noir et hispanique qui s’était démobilisé en 2016 ? Un candidat issu d’une minorité serait-il en capacité de reconstruire la coalition d’Obama ? Ou le simple fait d’aligner son ancien vice-président Joe Biden suffira-t-il ?

Ces questions restent largement sans réponses. Le parti démocrate a refusé de faire son introspection, préférant expliquer la défaite d’Hillary Clinton par l’ingérence russe supposée et traiter Donald Trump comme un simple « accident ». Derrière ce refus se cachent des intérêts financiers puissants qui ne souhaitent pas être remis en question, et les biais idéologiques d’une élite démocrate liée à ces intérêts.

La multiplicité des candidatures reflète ces problèmes structuraux.

Battre Donald Trump reste la priorité absolue pour les électeurs démocrates

L’influence de Bernie Sanders plane indiscutablement sur la primaire. Les candidats ont dû se positionner par rapport à ses propositions phares : en matière d’assurance maladie (avec la réforme medicare for all qui divise drastiquement le parti), et face au New deal vert promulgué par les activistes du Sunrise et repris par Alexandria Ocasio-Cortez. Même Joe Biden s’est fendu d’un (timide) plan pour le climat et propose d’améliorer Obamacare en y ajoutant un régime d’assurance publique.

Du point de vue électoral, les candidats soucieux d’apparaître comme de courageux réformateurs ont dû s’aligner sur Bernie Sanders en matière de financement de campagne, en s’engageant à refuser les dons des entreprises et traditionnels dîners de levés de fonds auprès des riches donateurs. [2]

Cependant, on ne peut comprendre la dynamique de la campagne qu’en intégrant le fait que la question du projet politique vient en second dans l’esprit des électeurs démocrates, qui souhaitent avant tout sélectionner le candidat ayant le plus de chances de battre Donald Trump. La question de l’électabilité est donc centrale, et les sondages jouent pour beaucoup dans cette perception.

Ceci explique certainement pourquoi le second choix des électeurs de Joe Biden n’est autre que Bernie Sanders, candidat le plus éloigné de sa ligne politique. [3]

Joe Biden, la garantie du statu quo

« Avec moi, rien de fondamental ne changera ». Prononcée à l’attention de riches donateurs rassemblés à un dîner de levée de fonds, cette phrase résume à elle seule la candidature du vice-président.

Son programme modéré ne remet en cause ni le système économique ni les structures institutionnelles. Pourquoi alors se présenter ? Biden se dit traumatisé par le soutien implicite apporté par Donald Trump aux néonazis de Charlottesville et veut rétablir l’intégrité morale du pays. Cela ne fait ni un projet politique fédérateur ni une raison suffisante pour mobiliser l’électorat abstentionniste. Mais ses soutiens semblent convaincus qu’une campagne « contre Trump » peut faire l’économie du « pour Biden ».

Pour la gauche, Biden est une catastrophe en devenir. Le septuagénaire traîne d’innombrables casseroles que la droite se fera un plaisir d’agiter le moment venu, depuis ses ambiguïtés ségrégationnistes des années 70, son rôle central dans la mise en place d’une politique d’incarcération de masse dans les années 90, son soutien indéfectible à l’invasion de l’Irak en 2003, jusqu’à son attachement au libre échange et à la dérégulation bancaire. Hillary Clinton 2.0, appuyé par les mêmes intérêts financiers. [4]

À 76 ans, son âge semble affecter ses capacités cognitives. Biden multiplie les lapsus et les gaffes. Il a livré des performances télévisées préoccupantes, où il a parfois du mal à tenir des propos cohérents, lorsqu’il ne produit pas des sous-entendus racistes. Les médias conservateurs s’attaquent à son image et font tourner en boucle les séquences où on le voit réajuster son dentier (lors du troisième débat) ou saigner de l’œil suite à l’éclatement d’un vaisseau sanguin pendant le forum urgence climatique de CNN. Des détails, mais pour le journaliste à Rolling Stones Matt Taibbi, « si Bernie Sanders avait affiché ce genre de difficultés, les médias démocrates lui seraient tombés dessus et sa campagne serait terminée ».

La gauche s’attendait à ce que Joe Biden implose rapidement, comme les nombreux candidats néolibéraux qui espèrent incarner le centre droit à sa place. Pourtant, Uncle Joe est toujours en tête des sondages. Deux raisons peuvent expliquer le succès relatif du vice-président. Ses huit ans passés auprès d’Obama semblent l’avoir lavé de ses pêchés aux yeux de l’électorat. Contrairement à Hillary Clinton, il bénéficie d’un véritable capital de sympathie, en particulier auprès des groupes d’électeurs qui comptent le plus pour la primaire : les plus âgés, qui s’informent surtout par la télévision, les Afro-Américains et la classe ouvrière blanche.

Deuxièmement, sa célébrité lui permet de jouir des meilleurs scores dans les sondages l’opposant à Donald Trump (du reste, on observe une corrélation parfaite entre la célébrité des candidats démocrates et leur score face à Trump). Sa force provient en grande partie de ces sondages fragiles et d’un soutien médiatique qui maintiennent sa candidature sous perfusion.

Son statut de favori et son positionnement idéologique au centre droit en font le candidat par défaut de l’écosystème médiatique démocrate et des instances du parti (40 % de la couverture audiovisuelle lui est dédiée contre 16 % pour Sanders et 19 % pour Warren). Cette bienveillance reste prudente, car ses faiblesses sont un peu trop évidentes pour qu’il parvienne à fédérer l’appareil démocrate comme l’avait fait Hillary Clinton. Mais la crainte de l’émergence d’une alternative à sa gauche explique probablement les hésitations de l’establishment à critiquer ouvertement le vice-président.

Elizabeth Warren, une sociale-démocrate « capitaliste jusqu’à l’os »

La sénatrice du Massachusetts pourrait rapidement incarner le plan B de l’establishment démocrate. Jusqu’à présent, elle est parvenue à naviguer avec brio dans le champ politique pour réussir à se placer en numéro deux ou trois des sondages.

Ancienne membre du Parti républicain et professeur de droit des affaires à Harvard, cette spécialiste des faillites personnelles a rejoint le camp démocrate après avoir observé de près les dégâts humains causés par le capitalisme dérégulé. Son ascension politique débute avec la crise des subprimes, où sa critique de Wall Street lui vaut une position dans les cabinets de l’administration Obama. En 2012, elle est élue sénatrice du Massachusetts, et s’illustre au Congrès par la conduite d’auditions musclées face aux acteurs de la finance. [5]

La presse ne donnait pas cher de sa candidature, jugée en concurrence directe avec celle de Bernie Sanders. Mais Warren a eu l’intelligence de lancer sa campagne très tôt et de mettre en place un réseau efficace de militants, avant de se lancer dans une série interminable de propositions détaillées qui renforcent son image de sérieux. « J’ai un plan pour ça » est rapidement devenu le slogan officieux de sa campagne, tandis que la presse commente chacune de ses propositions plus radicales et ambitieuses les unes que les autres avec un certain respect. On y trouve des projets pour casser les monopoles des GAFAM à l’aide des lois antitrusts, une taxe sur les profits des entreprises prélevée à la source où encore un impôt sur la fortune construit avec l’aide des économistes français Gabriel Zucman et Thomas Piketty.

Lors des trois premiers débats télévisés, elle a défendu avec panache la proposition de nationalisation de l’assurance maladie de Bernie Sanders, dénoncé dans un style populiste l’influence des multinationales et des puissances de l’argent et souligné l’importance de construire un mouvement de masse pour faire bouger les lignes au Congrès. Du Bernie Sanders dans le texte. Cette stratégie lui a permis de s’imposer dans le trio de tête, au point de présenter une alternative crédible à Bernie Sanders pour la gauche, et à Joe Biden pour la presse. Car Elizabeth Warren « croit au marché » et affirme être « une capitaliste jusqu’à l’os». Interrogée sur l’opportunité de nationaliser la production d’électricité dans le cadre d’un New deal vert, proposition portée par Bernie Sanders, elle a livré une réponse illustrant le fossé qui les sépare. Pour combattre le réchauffement climatique, elle compte utiliser « la carotte et le bâton » afin d’inciter le secteur privé à jouer le jeu, sans chercher à le remplacer.

D’autres signes montrent sa volonté d’opérer une forme de triangulation. Elle reste en contact étroit (mais très discret) avec Hillary Clinton, courtise et multiplie les appels du pied en direction des cadres du parti, et prévoit de solliciter de nouveau les riches donateurs une fois la primaire remportée. Le fait qu’elle n’ait pas « un plan pour ça » lorsqu’on lui parle d’assurance maladie (pour l’instant, elle soutient la proposition de Sanders, mais semble prête à nuancer sa position) constitue un autre motif d’inquiétude pour la gauche socialiste. Dernier point préoccupant en vue d’une présidentielle, son attachement passé à se présenter comme une femme de couleur aux origines Cherokee avait blessé la communauté amérindienne, et pourrait compromettre sa capacité à fédérer le vote afro-américain et hispanique.

Tous ces éléments se retrouvent dans la sociologie de son électorat, majoritairement blanc et issu des classes sociales éduquées, alors que celui de Sanders est plus multiculturel, jeune et défavorisé. Or, pour Bhaskar Sunkara – fondateur de la revue socialiste Jacobin, c’est ce second type d’électorat qui est susceptible de rester mobilisé après la victoire d’un candidat démocrate afin de mettre la pression sur le Sénat. [6]

En résumé, Elizabeth Warren est une sociale-démocrate au programme ambitieux, mais dont le positionnement politique s’est construit dans le cadre imposé par Bernie Sanders. Puisqu’elle a sollicité les riches donateurs démocrates avant la primaire et prévoit de les solliciter de nouveau une fois la nomination remportée, on est en droit de s’inquiéter des concessions qu’elle pourrait faire avant l’élection, ou une fois à la Maison-Blanche. Pour l’instant, les milieux financiers s’alarment ouvertement de sa progression dans les sondages, ce qu’elle répète avec fierté.

Bernie Sanders, la révolution démocrate socialiste

La campagne de 2016 a profondément modifié le cadre de la primaire 2020 et la ligne politique du parti. Cependant, Bernie Sanders n’est pas parvenu à prendre le contrôle de l’appareil démocrate ni à s’imposer comme le de facto favori pour 2020.

Son succès de 2016 s’explique aussi par le rejet qu’Hillary Clinton suscitait. Depuis, le champ politique s’est considérablement élargi et les alternatives ne manquent pas. Plus fondamentalement, Biden lui conteste le vote de la classe ouvrière blanche et des Afro-Américains, tandis que Warren capture une partie des cadres et diplômés qu’il avait séduits en 2016.

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Bernie Sanders en meeting, 27/09/2015 © Phil Roeder, flickr

Mais Sanders fait surtout face à une opposition viscérale de l’appareil démocrate. Certains ne lui pardonnent pas l’échec d’Hillary Clinton, d’autres sont convaincus qu’un candidat trop radical perdra face à Trump. Ironiquement, ce dernier confie en privé sa conviction qu’un « socialiste » sera beaucoup plus difficile à battre qu’un « mou du cerveau » comme Joe Biden. Si Trump comprend le pouvoir de séduction d’un discours populiste, les élites démocrates semblent déterminées à reproduire l’erreur de 2016. À moins qu’elles craignent tout autant la perspective d’une présidence Sanders que la réélection du président sortant.

Son programme entre en conflit avec les intérêts qui financent le parti, tandis que ses hausses d’impôts menacent ouvertement le portefeuille des innombrables experts, journalistes et présentateurs multimillionnaires qui peuplent les médias libéraux et sont souvent employés directement par les industries que Sanders pointe du doigt. Le New York Times révélait ainsi la tenue de dîners entre richissimes donateurs et cadres du parti, dont la cheffe de la majorité parlementaire Nancy Pelosi et le candidat Pete Buttigieg, sur le thème « comment stopper Sanders ». Il ne faudrait cependant pas y voir le signe d’une opposition systémique et coordonnée à l’échelle du parti.

À l’inverse, les principaux médias démocrates font tous bloc contre lui, que ce soit par intérêt financier ou biais idéologique. Le Washington Post continue de s’illustrer par son opposition systématique, allant jusqu’à vérifier des propos tenus par Sanders à partir d’un article publié dans ce même journal, pour conclure que le socialiste ment. L’ensemble des journalistes politiques du New York Times jugent sa réforme Medicare for all comme une « pure folie » (qui est pourtant soutenue par la majorité des électeurs démocrates et républicains) et sa performance au dernier débat très médiocre du seul fait de sa « voix enrouée ». Le second débat organisé par CNN a pris la forme d’un procès en règle de la candidature Sanders [7]. On pourrait multiplier les exemples, mais un sondage résume parfaitement l’étendue du problème : les téléspectateurs de la chaine ultra conservatrice Fox News ont une meilleure opinion de Sanders que le public de sa concurrente pro-démocrate MSNBC.

© Capture d’écran CNN

Pour contourner ce problème, Bernie Sanders compte sur une mobilisation de masse via l’activisme de terrain, et cherche à étendre sa base électorale en ciblant les abstentionnistes et la classe ouvrière. Il a accepté de participer à un Town Hall organisé par Fox News (Warren a refusé) où il a défendu sa réforme de l’assurance maladie et pointé du doigt l’hypocrisie de Donald Trump. Il a profité du soutien des rappeurs et pop star comme Cardi B et Killer Mike pour enregistrer des interviews avec eux, diffusés sur leurs comptes Instagram totalisant plus de 50 millions d’abonnés. Son passage chez le youtubeur et comédien Joe Rogan, critiqué pour ses interviews déformatés où défilent parfois des polémistes d’extrême droite, a fait dix millions de vues, dont près de 3 millions sur les premières 24 heures. En comparaison, seuls 1,5 million d’Américains regardent CNN aux heures de grande écoute. Preuve du succès de cette stratégie, Bernie Sanders possède de loin la plus large base de donateurs individuels.

Au-delà de la méthode, son programme appelle à une véritable révolution qui vise à marginaliser le Capital pour redonner le pouvoir aux travailleurs. Son New deal vert s’appuie sur une garantie universelle à l’emploi qui modifierait profondément les structures du marché du travail. Sa réforme de la santé socialiserait 4 % du PIB et transformerait en profondeur un secteur qui pèse pour un sixième de la plus-value du pays. Plutôt que de détailler des projets de loi au dollar près, Bernie Sanders soutient les mouvements de grève et fait pression sur les grandes entreprises pour qu’elles augmentent le salaire minimum, avec succès dans le cas d’Amazon et Walt Disney.

Mais Bernie Sanders se fait vieux, à 78 ans, et son message en parti coopté par Elizabeth Warren a perdu de son originalité. Si Joe Biden se maintient en tête des sondages, Sanders risque d’avoir du mal à élargir sa base électorale de manière suffisante pour s’imposer.

Vers une course à trois ?

Sauf surprise majeure, l’élection devrait se jouer entre ces trois favoris, et avec elle l’avenir du parti démocrate. Biden souhaite revenir à une forme de normalité représentée par l’ère Obama, période marquée par une culture du compromis avec les puissances de l’argent et la droite conservatrice. Cette proposition séduit une part non négligeable de l’électorat, en particulier auprès des personnes âgées et des électeurs peu engagés politiquement.

Plus ambitieuse, Elizabeth Warren veut réformer les institutions américaines et le capitalisme, sans pour autant les remettre en cause structurellement. Sa candidature représente une volonté de renouer avec les trente glorieuses et l’âge d’or de la classe moyenne.

Contrairement à Warren, Bernie Sanders a intégré l’échec de la social-démocratie. Centré sur les classes populaires, sa candidature cherche à poser les jalons d’une véritable révolution. Pour autant, les différences qui le séparent d’Elizabeth Warren ne sont pas nécessairement comprises par les commentateurs, et par extension, par les électeurs. Cela rend sa position plus difficile à tenir, entre Joe Biden qui séduit une partie de la classe ouvrière et des minorités ethniques nostalgiques d’Obama, et Warren qui semble plus jeune et mieux articulée pour les classes éduquées. Sa récente hospitalisation suite à une attaque cardiaque risque également de lui nuire.

Du fait de la compatibilité de leurs électorats, le duo Sanders-Warren devrait être en mesure de remporter la primaire, le premier qui dépassera Biden dans les sondages pouvant espérer agréger les soutiens du second. Certains médias commencent à anticiper ce basculement, et se tournent progressivement vers Warren afin d’invisibiliser Sanders. Mais encore faut-il que Biden dévisse, or il s’est montré particulièrement résilient jusqu’à présent. Faute d’alternative satisfaisante, une part non négligeable de l’appareil démocrate s’accroche toujours à sa candidature.

Le premier scrutin aura lieu le 3 février 2020 en Iowa, avant d’enchaîner avec le New Hampshire (le 11), le Nevada (le 18) et la Caroline du Sud (le 22). Puis le 3 mars aura lieu le super Tuesday où la moitié des États restants voteront. Le nom du vainqueur sera probablement connu au terme de cette soirée, bien que les primaires s’étalent jusqu’en juin.

 

Notes et références :

  1. Les circonscriptions périurbaines et relativement aisées ont basculé en faveur des démocrates aux midterms, et dans la plupart des cas, des candidats « modérés » avaient été sélectionnés par le parti démocrate, ce qui laisse penser que ce type de profil a plus de chances de gagner dans ces circonscriptions. Cependant, très peu de candidats « progressistes » ont été alignés dans ces circonscriptions, cette stratégie alternative n’a donc pas été solidement testée.  The suburbs abandoned Republicans in 2018, and they might not be coming back.
  2. Nombre d’entre eux ont été contraints de renoncer à cette promesse, comme le détaille cet article du LA Times qui explique magistralement les difficultés de financement de campagnes.
  3. Matt Taibbi, « Bernie Sanders’s chances depend on taking support from Joe Biden, and soon“.
  4. Médiapart : Joe Biden, candidat anachronique 
  5. Lire son portrait dans Médiapart 
  6. Pour une critique de fond de la candidature d’Elizabeth Warren, lire : Elizabeth Warren Is Thirty Years Too Late
  7. Lire à ce propos notre résumé du débat de CNN ici.