Docteur en droit et avocat depuis 1939, Roland Weyl est doyen du barreau de Paris. Il est aussi premier vice-président de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD) dont il est membre depuis 1946, année de son adhésion au PCF.
LVSL – Vous êtes membre du Mouvement de la paix et de l’Association internationale des juristes démocrates, que vous inspire, à l’aune de votre engagement et votre expérience, l’état actuel des relations internationales ?
Roland Weyl – C’est très simple : Le monde donne le spectacle d’un abominable chaos, livré aux rapports de force entre puissances, avec les pires dangers.
Pourtant, à l’épreuve des tragédies des deux guerres mondiales, les puissances s’étaient accordées pour instituer une légalité internationale qui mette la guerre hors la loi. C’est la Charte des Nations Unies adoptée en 1945 au motif magnifiquement énoncé dans son préambule : « Nous peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui par deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’Humanité d’indicibles souffrances … avons décidé d’unir nos efforts ». Et la Charte crée l’ONU pour que les peuples y unissent leurs efforts par le moyen de leurs États.
Seulement elle n’a donné aux peuples que le pouvoir politique et non le pouvoir économique que les États soumis aux puissances financières leur avaient réservé par les Accords de Bretton Woods qui ont créé le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, et qui confisquent leurs États aux peuples pour en faire leurs instruments de pouvoir, marginalisant l’ONU ou même la détournant pour en faire leur instrument de gouvernance mondiale.
Et l’on se trouve comme avant 1945, comme s’il n’y avait pas de légalité internationale.
LVSL – Vous attachez une grande importance à la Charte des Nations-Unies. Alors que l’ONU semble souvent impuissante, pourquoi celle-ci peut-elle toujours être un outil au service de la paix ?
RW – L’outil existe et la question n’est pas d’en faire un autre, ou de changer celui-là car il serait semblablement confisqué ; Il n’y a pas d’alternative au combat des peuples pour exercer le pouvoir qui leur est confié et l’arracher à ceux qui le leur prennent ; Mais pour cela, il faut d’abord qu’ils le sachent et le rôle des médias est ici essentiel. Or ils entretiennent l’idée conforme aux vœux et besoins du capitalisme mondialisé d’une gouvernance mondiale (verticale) sur les peuples au lieu d’une concertation inter-nationale (horizontale) des peuples. D’où notre responsabilité dans la bataille de l’information.
LVSL – La question de la souveraineté populaire et nationale semble au cœur de votre engagement, comme avocat anticolonialiste d’abord, mais aussi plus tard en opposition à la construction européenne libérale. Le concept de souveraineté fait parfois débat à gauche. À l’heure où il semble être redécouvert, pourriez vous nous dire pourquoi il vous apparaît essentiel ?
RW – J’ai récemment commis un petit livre édité par les Éditions de l’Humanité sous le titre Droit, pouvoir, citoyenneté, où j’insiste sur le fait que dans tous les domaines de toute organisation sociale est fondamentale l’alternative entre pouvoir d’en haut et pouvoir d’en bas, c’est à dire le pouvoir citoyen.
La « démocratie » n’est pas seulement un catalogue de libertés, c’est la définition d’un pouvoir, celui du peuple (du grec ancien « demou », du peuple, « kratos », le pouvoir) ; Quand la bourgeoisie a confisqué pour elle la Révolution de 1789, toute la bataille du 19è siècle (en 1848 comme en 1851 et surtout en 1871) a été pour donner son contenu de souveraineté populaire (souveraineté du peuple) à la démocratie. Et c’est plus que jamais l’enjeu contemporain, quand on veut substituer aux partis politiques, qui sont les structures par lesquelles s’organisent dans leur diversité les instruments de la souveraineté populaire, des mouvements populistes qui consistent à demander au peuple de suivre un chef auquel ils délèguent leur pouvoir dont l’origine populaire fournit une apparence de caution.
Lorsque la Charte des Nations Unies fonde le droit international sur la souveraineté des peuples, parce que ce sont eux les principales victimes des guerres, elle porte la souveraineté populaire au rang de valeur universelle. Et la souveraineté nationale est la définition de la souveraineté populaire en prenant en compte qu’il n’y a pas un peuple mondial mais des peuples différents, chacun ayant seul le droit de gérer ses affaires sur son territoire et dans ses relations avec les autres, dans une obligation de respect mutuel et un intérêt à la coopération, ce qui est le contraire du nationalisme qui les oppose les uns aux autres.
C’est pourquoi on ne doit pas parler de citoyenneté mondiale – qui renverrait à une gouvernance mondiale dans laquelle chacun ne serait qu’un individu, alors que l’un des premiers droits de l’Homme est le droit de l’individu aux droits de son peuple – mais de la part internationale de l’exercice de la citoyenneté nationale.
LVSL – Vous avez publié avec votre épouse, Monique Weyl, Se libérer de Maastricht pour une Europe des Peuples en 1999. On peut dire que vos critiques de l’époque à l’égard de L’Union Européenne étaient en avance. À cet égard, le Non au traité constitutionnel de 2005 et son contournement par le traité de Lisbonne ont fait office de révélateurs. Comment vous positionneriez-vous aujourd’hui sur la question d’une sortie ou d’un changement des institutions européennes actuelles ?
RW – C’est très simple : Cela renvoie à l’alternative entre pouvoir d’en haut et pouvoir d’en bas et aussi à celle entre le vertical et l’horizontal.
Pour briser la possibilité par les peuples de résister par leurs États à la soumission à la loi de la jungle du libéralisme économique, l’Union Européenne est conçue comme un pouvoir supérieur, qui impose à l’État le respect de la « concurrence libre et non faussée », au détriment de nos services publics, de nos choix budgétaires, etc… En cela elle est contraire au droit international institué par la Charte qui repose sur le droit absolu des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il ne s’agit pas d’ignorer l’appartenance européenne, mais d’y substituer au vertical l’horizontal, et le modèle existe : c’est tout simplement l’Acte final de la Conférence d’Helsinki de 1975 qui avait été signé par tous les chefs d’État, dont Giscard d’Estaing et Brejnev, et qui comportait 3 corbeilles de coopération entre tous les peuples d’Europe par leurs États : dans le domaine du désarmement et des mesures de confiance mutuelle, des Droits de l’Homme et des échanges à ce sujet, et d’accords commerciaux. Cela n’est jamais passé dans la réalité pour des raisons que l’on peut comprendre, Mais ce qui était possible au temps où l’Europe était coupée en deux devrait l’être à plus forte raison aujourd’hui, et d’ailleurs des esprits avisés parlent d’un « Helsinki 2 ».
LVSL – Historiquement d’ailleurs le PCF a longtemps été à l’avant garde de la contestation d’une construction européenne d’inspiration fédéraliste et libérale comme l’a illustré la campagne victorieuse contre la Communauté Européenne de Défense (CED) dans les années 1950. Aujourd’hui, l’UE tente de se relancer par le retour à un projet de défense commune. Quelle est donc votre appréciation sur ce sujet ?
RW – D’abord, puisqu’à été évoquée la campagne contre la CED, je voudrais souligner combien elle et son résultat ont une valeur de référence que je cite souvent car elle illustre à la fois le rôle des partis et la nature du pouvoir citoyen, qui ne consiste pas à élire des députés pour leur donner le pouvoir mais pour l’exercer en permanence par leur intermédiaire ;
C’est en 1952 qu’a été lancé le projet d’une Communauté Européenne de Défense. Le PCF (avec les Gaullistes de gauche) a mené une campagne considérable de réunions et de pétitions. Cela a été facilité par le fait que la constitution de la 4è, quoi qu’on en prétende, a été la plus démocratique, comme d’ailleurs le fonctionnement de l’Assemblée qui était saisie longtemps à l’avance et travaillait publiquement.
Quand la ratification est venue devant l’Assemblée, il y avait une majorité pour, mais pendant les 3 jours de débats, il y a eu devant l’assemblée Nationale une queue de délégations porteuses des pétitions de leur village ou de leur atelier, et qui demandaient à parler à leur député, et la majorité a basculé et la CED a été rejetée.
Il ne doit pas y avoir d’Europe de la Défense, parce que chaque peuple doit être le seul maître de sa sécurité. D’ailleurs la Charte des Nations Unies exclut toute défense préventive parce qu’on sait trop comment des agressions peuvent avoir pris comme prétexte une craintre d’etre attaqué. Et nous ne pouvons pas être liés par l’obligation d’épouser des querelles qui ne seraient pas les notres. De plus cela remplacerait le droit inter-national par un droit inter-continental.
D’ailleurs ce ne serait qu’un remake de l’OTAN avec l’alibi que ce serait sans les Etats-Unis. Mais l’OTAN est illégale et pas seulement en raison de la présence des Etats-Unis. Comme rappelé ci-dessus, la Charte interdit le recours à la force dans les relations internationales et réserve au seul Conseil de Sécurité le droit de recourir à la force et seulement pour maintenir (par des interpositions) ou rétablir la paix. L’OTAN est donc ce que serait une bande armée dans un pays, et une force européenne le serait également .
LVSL – Vous avez adhéré au PCF en 1946 et traversé des périodes très différentes. Autant dire que vous devez avoir des anecdotes à raconter sur celui-ci ! Qu’est ce qui à motivé un engagement aussi constant ? Alors que la gauche semble aujourd’hui en pleine recomposition, quel rôle souhaitez vous voir le PCF tenir dans la prochaine période ?
RW – J’aurais peut-être beaucoup d’anecdotes, mais je m’en tiendrai à deux questions : pourquoi j’ai choisi d’être communiste, et pourquoi je le suis plus que jamais.
Mon adhésion a été l’aboutissement logique d’un long cheminement commencé dès mon enfance : avec un père de formation républicaine de gauche, sans engagement politique mais de gauche comme anti-droite, et dans la mouvance de pensée de ce que représentait dans les années 1900 Camille Pelletan, radical-socialiste du courant « pas d’ennemis à gauche ». Une famille judiciaire d’où découlait une exigence d’universalité de la justice, donc incluant la justice sociale, le tout nourri d’un culte de 1789.
En même temps une éducation de fierté nationale (en dépit du colonialisme), nourri par l’anti-germanisme d’une origine alsacienne après les guerres de 70 et 14-18 mais aussi contre la domination US ; avec cela une mère qui après la première guerre mondiale était obsédée de paix et m’en avait nourri ; en 1934 au lycée, sous la menace de l’exemple allemand, la participation aux pugilats dans la cour de récréation contre les « Action Française » et les « Croix de feu » , puis la joie du Front Populaire ; puis la découverte de l’internationalisme aux Auberges de la Jeunesse, une modeste activité de résistance hors les communistes mais à leur coté, et surtout, à la libération, les communistes porteurs du programme du CNR et le rejet de la compromission de tous les autres avec n’importe qui pour faire alliance contre les communistes.
Rien ne peut mieux le résumer que la citation commune de Vaillant-Couturier et d’Aragon: « nous continuons la France », et la conscience, qui fut celle de tant d’intellectuels, de ce que le Parti était le porteur de l’alternative de civilisation.
Et si je suis resté communiste plus que jamais c’est que l’alternative demeure, et que le PCF par toute son histoire en est le poteur. Certes, ce n’a jamais été sans des accrocs, mais selon l’adage « errare humanum est », se tromper est humain et rien n’est aussi redoutable que le dogme de l’infaillibilité.
L’un des plus sérieux avatars a été récemment la crise de la « mutation », tendant à une social-démocratisation, comme l’a vérifié l’évolution ultérieure de son initiateur. Mais la solution n’était pas de quitter le navire, avec des dispersions groupusculaires, mais de faire son possible chacun à sa mesure, pour aider à en reprendre et redresser la barre. Ce dont le PCF est le porteur, dans la continuité de son histoire, terreau fertile de son avenir et des responsabilités qui lui incombe, c’est l’unité de la lutte de classes avec la démocratie et une mise en cohérence entre souveraineté nationale et internationalisme…
Enfin, la vérification de la nécessité du PCF est la façon dont les médias aujourd’hui l’ignorent et l’occultent. C’est la meilleure preuve de ce qu’il est gênant, et donc de son importance.