Le déclin du Hezbollah

Hezbollah - Le Vent Se Lève
Un écran géant projetant le Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah devant ses partisans © Bassem Khalil

Le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a pour l’essentiel exclu un engagement armé aux côtés du Hamas. Le « Parti de Dieu », qui maintient une rhétorique incendiaire à l’encontre d’Israël, se révèle pragmatique. Bête noire de Washington et de Tel-Aviv, pointe avancée de l’hégémonie iranienne au Proche-Orient, le Hezbollah ne jouit plus de la popularité qui était autrefois la sienne. La perspective d’une confrontation armée avec Israël est rendue improbable par l’érosion de sa base. En cause : sa participation au système clientéliste libanais, l’embourgeoisement de ses cadres et leur proximité avec les élites économiques du pays. Par Joseph Daher, auteur Hezbollah: The Political Economy of the Party of God (Pluto Press, 2016) [1].

Le Hezbollah, fort de ses cinquante mille soldats, représente une force armée significative. Elle a dissuadé les éléments les plus bellicistes du gouvernement israélien d’ouvrir un nouveau front au nord. Aux côtés d’Israël, les États-Unis ont alerté sur la possibilité d’une intervention de la milice chiite dans le conflit en cours. Au Liban, l’aura d’antan du Hezbollah n’est cependant plus qu’un lointain souvenir.

Une milice nationaliste devenue un acteur économique majeur

Le « Parti de Dieu », qui a officiellement vu le jour en 1985, a bénéficié d’un soutien politique, militaire et financier de la République islamique d’Iran. Les années passant, il a diversifié ses sources de financement au Liban et en Syrie, grâce à des activités de contrebande et de trafic de drogue. À partir des années 1990, le Hezbollah est devenu la principale voix de la population chiite au Liban, dépassant ainsi son rival, le parti Amal. Il a conquis cette prédominance grâce à son oeuvre sociale à destination de sa clientèle électorale, et à son opposition intransigeante à l’agenda de son voisin israélien. L’occupation en Palestine, la progression continue de la colonisation en Cisjordanie et les bombardements meurtriers sur Gaza, largement condamnés au Liban, ont permis au Hezbollah de capitaliser sur le rejet d’Israël.

Depuis lors, sa base s’est élargie et diversifiée. Aujourd’hui, le mouvement compte une fraction croissante de cadres issus de la bourgeoisie chiite et de la classe moyenne supérieure, particulièrement à Beyrouth. Cette évolution jure avec sa base originelle, religieuse et populaire. Dans les banlieues sud de la capitale, de nombreuses familles aisées et la plupart des commerçants sont devenus des partisans dévoués du Hezbollah. Parallèlement à la croissance du mouvement, une nouvelle fraction de la bourgeoisie, financée par l’Iran, est apparue.

Le parti a également accru son influence au sein de nombreuses entreprises privées, notamment dans les domaines de l’immobilier, du tourisme et du commerce. Sous l’influence directe du Hezbollah, ces intérêts ont gagné en importance dans la communauté des affaires du Liban.

De ce fait, le Hezbollah est devenu un acteur économique majeur. Cette combinaison d’activités, associée à sa présence dans la société civile et à sa branche armée, a dans un premier temps contribué à pérenniser sa base sociale. Le Hezbollah a également veillé à conserver sa position hégémonique au sein de la communauté chiite, maniant la carotte – multiplication des activités caritatives en faveur des plus démunis – et le bâton – répression féroce à l’encontre de ceux qui remettent en question son monopole sur l’opposition libanaise à Israël.

Accroissement de la puissance militaire et croissance du soutien populaire n’ont cependant pas été de pair. L’implication du Hezbollah dans de nombreux conflits religieux au Liban jure avec son orientation nationaliste originelle.

Suite au soulèvement d’octobre 2019, le Hezbollah n’a pas hésité à mobiliser ses partisans pour intimider les manifestants dans différentes localités, y compris au centre-ville de Beyrouth ou à Nabatiyeh, au sud du pays. Entre-temps, l’embourgeoisement du Hezbollah avait induit des changements dans son orientation politique vis-à-vis du système politique clientéliste et néolibéral libanais… Opposant radical aux institutions dominantes dans ses premiers temps, il accepte désormais les structures politiques existantes – qui lui ont permis d’acquérir cette situation confortable. Au point qu’il en est aujourd’hui l’un des principaux gardiens, aux côtés du reste de la classe dirigeante.

Militarisation, confessionnalisation et érosion du soutien populaire

L’invasion israélienne du Liban en 1982 a contribué à l’émergence du Hezbollah. Avant sa création officielle en 1985, il comptait à son actif de nombreuses opérations militaires – notamment des attentats-suicides contre les ambassades occidentales. Par la suite, le développement de son appareil armé fut étroitement lié au conflit qui l’opposait à Israël. En 2000, le Hezbollah réussissait à chasser Israël du sud du Liban, mettant fin à une occupation qui avait débuté en 1978.

La guerre libano-israélienne de 2006 marque l’apogée du Hezbollah. Le Liban déplore 1.500 victimes, dont 1.200 civils, tandis qu’Israël perd 160 de ses citoyens, dont 120 soldats. Malgré l’asymétrie des pertes, Israël a échoué à reconquérir la fraction territoriale perdue, permettant au Hezbollah de brandir ce conflit comme un trophée. Au sud du Liban, meurtri par l’invasion et l’occupation israélienne, son rôle lui a permis d’élargir sa base sociale au sein de la population chiite. Et au Moyen-Orient, le Hezbollah est ainsi devenu l’un des principaux symboles de l’opposition armée à Israël.

Depuis, l’antagonisme à l’égard de l’État hébreu est cependant passé au second plan ; le Hezbollah a subordonné ses objectifs politiques à celui de son sponsor, l’Iran. Cette évolution s’est notamment traduite par l’intervention militaire du Hezbollah en Syrie, qui a considérablement renforcé sa composante militaire.

Allié au régime autocratique de Bachar al-Assad, le Hezbollah a ainsi bénéficié de nouveaux alliés politiques et d’une expérience au combat. Il a notamment élargi son arsenal et détient désormais un grand nombre de roquettes et de missiles. Bien sûr, cette militarisation du « Parti de Dieu » lui offrait des moyens de pression supplémentaires vis-à-vis d’Israël, mais après la guerre de 2006, il allait déployer ses forces à des fins qui ne concernaient qu’indirectement son voisin.

Accroissement de la puissance militaire et croissance du soutien populaire n’ont cependant pas été de pair. Au Liban, population chiite mise à part, l’isolement du Hezbollah n’a fait qu’augmenter. L’implication du parti dans de nombreux conflits religieux au Liban jurait avec son orientation nationaliste originelle. En août 2021, à Khalde, au sud de Beyrouth, des affrontements ont éclaté entre le Hezbollah et des tribus sunnites, provoquant trois décès. Au cours de ce même mois, dans le village majoritairement druze de Chouaya, de jeunes manifestants ont intercepté une fourgonnette transportant des miliciens du Hezbollah équipés d’un lance-roquettes. Ils souhaitaient cibler Israël depuis cet endroit, ont été contraints de battre en retraite sous l’assaut des jeunes druzes.

Le Hezbollah, la classe dominante et les intérêts iraniens

En octobre 2021, un autre incident majeur s’est produit à la suite d’une manifestation du Hezbollah contre le juge Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Des affrontements ont éclaté dans le quartier voisin de Tayouné, au sud de Beyrouth, opposant des combattants chiites du Hezbollah à d’autres minorités établies dans les quartiers chrétiens – probablement des membres des Forces libanaises, un mouvement d’extrême droite chrétien. Le bilan, qui s’élevait à sept décès et trente-deux blessés, avait fait craindre le déclenchement d’une nouvelle guerre civile.

Au Liban, les partis politiques confessionnels opposés au Hezbollah, ainsi que de larges secteurs de la population, considèrent le « Parti de Dieu » comme le principal obstacle à l’aboutissement des enquêtes relatives à l’explosion du port de Beyrouth. Non sans raisons. Le chef de l’Unité de liaison et de coordination du Hezbollah, Wafic Safa, a ouvertement menacé d’en finir avec le juge Bitar. Même les anciens alliés du parti, comme le Courant patriotique libre, ont été de plus en plus critiques à son égard. Les principaux acteurs politiques libanais, tels que le Parti socialiste progressiste et son leader de longue date, Walid Joumblatt, continuent d’exprimer leur soutien à la lutte palestinienne dans la bande de Gaza, mais ils insistent sur leur opposition à toute implication de leur pays dans un nouveau conflit avec Israël.

Avec la crise socio-économique qui perdure depuis octobre 2019, le rejet du Hezbollah n’a cessé de croître. Au cours de cette période, le taux de pauvreté a crû en flèche, passant de 25 % en 2019 à plus de 80 %. De larges secteurs de la population sont ainsi rétives à l’engagement du pays dans un quelconque conflit.

L’immense soutien populaire dont bénéficiait le Hezbollah en 2006 fait aujourd’hui défaut. Au-delà de la scène nationale, son intervention militaire en faveur du régime syrien a également sapé sa popularité dans la région.

Depuis le commencement du soulèvement syrien de 2011, le Hezbollah a progressivement abandonné une stratégie principalement axée sur la confrontation armée avec Israël. Une partie de cette évolution découle du fait que l’Iran, son principal soutien, ne souhaite pas affaiblir significativement le Hezbollah dans un nouveau conflit avec Israël. Bien que le Hezbollah soit basé au Liban et bénéficie d’une certaine autonomie politique, il demeure fortement lié aux intérêts de la République islamique. Il n’a cessé de consolider et d’étendre le réseau d’alliés régionaux de l’Iran – qu’il s’agisse d’acteurs étatiques ou non étatiques.

Après l’assassinat de Qassem Soleimani, le commandant de la Force Qods – la branche des Gardiens de la révolution islamique principalement chargée des activités extraterritoriales et clandestines – l’importance du Hezbollah pour l’État iranien n’a cessé de croître.

Malgré les réserves du Hezbollah – partagées avec Téhéran – concernant le déclenchement d’une nouvelle guerre avec Israël, le parti doit aussi tenir compte de la nécessité de préserver sa relation avec le Hamas, et des avantages politiques qu’il peut retirer des massacres du 7 octobre.

Le conflit en cours a permis au Hamas de réaffirmer son rôle prédominant sur la scène politique palestinienne, marginalisant davantage une Autorité palestinienne déjà affaiblie. Sur le plan régional, il a entravé le processus de normalisation engagé par Donald Trump et poursuivi par Joe Biden, ainsi que le rapprochement israélo-saoudien. Une nouvelle donne de polarisation autour d’Israël que le Hezbollah compte exploiter… tout en demeurant trop faible pour enclencher un conflit ouvert.

Note :

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre de « Hezbollah Is Increasingly Isolated in the Middle East »