Le 20 septembre dernier est paru L’économie post-keynésienne, Histoires théories et politiques, un ouvrage collectif dirigé par Eric Berr, Virginie Monvoisin, et Jean-François Ponsot. Il s’agit là d’une première grande synthèse française sur une école de pensée hétérodoxe relativement méconnue, ou du moins encore mal identifiée dans l’hexagone. Dans cet entretien avec Virginie Monvoisin, enseignante-chercheuse à Grenoble Ecole de Management et Jean-François Ponsot, professeur à l’université Grenoble Alpes, nous revenons sur des points essentiels du corpus post-keynésien, puis tentons d’appréhender certains débats économiques à travers le regard post-keynésien.
LVSL – Le courant post-keynésien a pour principales références historiques John Maynard Keynes, Michal Kalecki, ou encore Joan Robinson, mais il n’a réellement pris forme que dans les années 1970, notamment avec la création par Paul Davidson et Sidney Weintraub du Journal of Post Keynesian Economics en 1978. Alors qu’en France, le courant économique hétérodoxe dominant fut pendant des années l’École de la Régulation, comment avez-vous personnellement découvert l’économie post-keynésienne, et pourquoi vous a-t-elle attirés ?
VM – Bien que de nombreux auteurs à l’origine de l’économie postkeynésienne soient anglo-saxons, il y a également une tradition en France et en Italie, et certains éléments du corpus post-keynésien étaient déjà enseignés sous une forme ou sous une autre[1]. Pour ma part, c’est surtout la volonté de travailler sur le thème de la monnaie, auquel les auteurs postkeynésiens accordent beaucoup d’importance, qui m’a poussée à m’intéresser à ce courant. Concernant l’École de la Régulation, ce serait une erreur de la considérer comme “concurrente”. C’est à travers le régulationnisme grenoblois que j’ai découvert les problématiques monétaires keynésiennes. Et on ne peut pas comprendre le régulationnisme si l’on ne comprend pas Keynes. Je dirais donc que si les post-keynésiens ne mettent pas l’accent sur les mêmes points, les influences sont proches et les convergences nombreuses.
JFP – Pour ma part, j’ai découvert le post-keynésianisme pendant mes études et notamment lors de la rédaction de ma thèse, où j’ai travaillé sur Keynes dans les archives du Trésor britannique à Londres, et au cours de laquelle j’ai rencontré des chefs de file post-keynésiens dans des colloques en Amérique du nord, comme Paul Davidson ou Marc Lavoie. Cependant, à la différence de Virginie, je ne suis pas post-keynésien “à 100%”, puisque je suis également très fortement influencé par la théorie institutionnaliste de la monnaie, développée par des auteurs comme André Orléan ou Michel Aglietta.
LVSL – Les post-keynésiens accordent beaucoup d’importance aux considérations d’ordre épistémologiques et à la réflexion sur les postulats qui sont au fondement des théories économiques. Pourquoi ?
VM – Si le post-keynésianisme ne se contente pas d’une critique systématique, il est cependant vrai qu’il s’est avant tout construit en réaction au monétarisme. Et pour pouvoir mettre en cause de façon globale, cohérente et sérieuse une théorie économique, on ne peut faire l’économie de remonter jusqu’aux considérations épistémologiques. Ainsi, une épistémologie postkeynésienne spécifique, notamment fondée sur le réalisme critique (en opposition au constructivisme néoclassique ou marginaliste, ndlr), s’est développée.
JFP – L’épistémologie est au fondement de l’opposition théorique entre post-keynésiens et économistes orthodoxes. La première est ontologique et consiste en une remise en cause de l’instrumentalisme à la Friedman, fondé sur la cohérence d’un raisonnement à partir d’hypothèses données. Les post-keynésiens s’inscrivent au contraire dans une démarche de “réalisme critique”, en se fondant sur des faits réels. Au niveau microéconomique, les postkeynésiens substituent le concept d’incertitude radicale à ceux de rationalité (ou rationalité limitée) et d’agent optimisateur, cher aux économistes néoclassiques. En effet, on ne peut pas construire des anticipations sur la base de probabilités, et c’est l’incertitude qui est en réalité à l’origine de la création de normes et de conventions. Enfin, une troisième opposition majeure concerne les positionnements respectifs par rapport au marché et à l’État. Les orthodoxes supposent une action vertueuse du marché livré à lui-même, tandis que les post-keynésiens le jugent intrinsèquement instable. D’où une divergence d’appréciation par rapport au rôle de l’État, perturbateur pour les premiers, vertueux pour les seconds, notamment pour stimuler la demande.
LVSL – S’il a souvent été reproché aux économistes post-keynésiens de se cantonner à une critique de l’orthodoxie, ces derniers sont en réalité à l’origine de réflexions majeures sur le fonctionnement de la monnaie et de la politique monétaire, sur la financiarisation, le rôle de l’État, etc. Plusieurs modèles économiques ont vu le jour, et il existe même une microéconomie post-keynésienne. Quels sont pour vous les apports fondamentaux du corpus post-keynésien ?
JFP – Un premier apport fondamental me semble être la prise en compte de l’incertitude. D’ailleurs, mêmes les économistes orthodoxes essayent, sans toutefois vraiment y parvenir, d’intégrer cette dernière. C’est par exemple le cas de Jean Tirole quand il se rapproche de l’économie ou de la finance comportementale et remet en cause l’homo oeconomicus. Une autre contribution de poids consiste à mettre en avant les politiques de soutien à la demande. Si cela peut sembler évident aujourd’hui, c’est la crise financière globale des Subprime, ses conséquences économiques, et la réhabilitation des politiques de demande par les chefs d’États devant l’urgence, qui ont prouvé que nous avions raison sur ce point.
VM – Le fait de considérer l’État comme un acteur à part entière me semble être une première contribution majeure. Il n’y a pas seulement d’un côté les entreprises et les consommateurs de l’autre, mais aussi l’État. Et, outre le rôle de régulateur mentionné plus haut par Jean-François Ponsot, ceci est loin d’être anodin, notamment lorsqu’on aborde des questions comme celle de la dette. Compris comme un agent spécifique, porteur du bien public, avec une durée de vie différente d’un ménage ou d’une entreprise, l’État a en effet son propre rapport à la dette. Son comportement ne peut dès lors être réductible à celui d’un ménage (ou d’une entreprise), contrairement à ce que pensent les orthodoxes. Cela revient aussi à réhabiliter le rôle de « l’homme d’État ». Keynes a évolué dans les plus hautes sphères des fonctions publiques, et, à travers son analyse économique, il redonne ses lettres de noblesse à l’action politique sur l’économie et la société. Des leviers existent pour changer le cours des choses.
Le second apport majeur peut être résumé par la formule mise au point par les post-keynésiens d’”économie monétaire de production”, qui revient à dire deux choses. Tout d’abord, contrairement à ce que pensent les orthodoxes, pour lesquels la monnaie est neutre, ne “compte” pas et est rarement intégrée dans les modélisations, elle est fondamentale pour les post-keynésiens. On ne peut pas penser le monde réel sans la monnaie, et il est erroné de séparer une sphère “réelle” d’un côté et “monétaire” de l’autre. La demande de monnaie venant notamment des entreprises via le crédit, lequel est une avance sur la production, celle-ci est intimement liée à l’activité économique, et non un simple “voile jeté sur les échanges”. De plus, le fait de parler d’”économie monétaire de production” et pas simplement d’”économie de marché” permet de comprendre que dans les économies développées, caractérisées par l’industrialisation et la reproductibilité des biens, c’est la rareté de la demande qui s’est substituée à la rareté de l’offre. On comprend dès lors mieux l’importance du soutien à la demande mentionné auparavant par Jean-François Ponsot.
LVSL – Abordons maintenant certains sujets de débats importants. Commençons par la politique monétaire. Les post-keynésiens semblent être critiques vis-à-vis de la politique monétaire dite « non conventionnelle » (assouplissement quantitatif et taux d’intérêts réels négatifs) de la BCE. Dans le chapitre 9 du livre, vous affirmez que « l’analyse de la monnaie endogène explicite clairement les limites et les écueils de telles politiques ». Pouvez-vous expliquer ?
VM – Il faut dans un premier temps constater que les politiques monétaires non-conventionnelles menées par les banques centrales ont joué leur rôle, du moins dans une certaine mesure. Si l’on fait fi de l’effet positif initial sur le canal du taux de change, la mise en rapport des quantités de monnaie injectées avec l’accroissement relativement faible de l’activité ne permet cependant pas de conclure à une efficacité directe, mais bien plutôt indirecte, notamment parce que le fait de savoir qu’un acteur institutionnel majeur comme la banque centrale “joue le jeu” est de nature à réduire les incertitudes.
Mais il est vrai que de manière générale, les postkeynésiens sont assez sceptiques vis à vis de l’efficacité de la politique monétaire, conventionnelle ou non, compte tenu du caractère intrinsèquement “suiveur” et “accommodant” des banques centrales. En effet, en “injectant de la monnaie pour injecter de la monnaie” (60 Md€ puis 80Md€ par mois pour la BCE, ndlr) alors que, sans stimulation budgétaire menée en parallèle, l’économie ne demande pas spécialement à ce que de la monnaie soit créée, les politiques non conventionnelles n’intègrent pas le caractère endogène de celle-ci. Autrement dit, elles témoignent d’une mauvaise compréhension du circuit monétaire, et ont par conséquent un impact direct limité. Pour les post-keynésiens, c’est donc avant tout la politique budgétaire qui est primordiale, puisque celle-ci permet d’agir sur des leviers fondamentaux comme le multiplicateur ou la répartition via la réduction des inégalités. C’est également la politique budgétaire qui permet à une politique monétaire expansionniste d’être plus efficace.
LVSL – Restons sur le thème de la monnaie. Y a-t-il un consensus parmi les économistes post-keynésien sur la question de l’euro ? Sinon, quelle est votre position ?
JFP – Les post-keynésiens ont une vision théorique commune sur la monnaie : celle-ci est endogène, c’est-à-dire créée pour répondre aux besoins de la production. En revanche, il n’y a pas de consensus concernant les architectures monétaires ou les formes institutionnelles de la monnaie. Ceci étant dit, je ne crois pas prendre de risque en disant que l’immense majorité des post-keynésiens considèrent l’euro comme une monnaie incomplète, en l’absence de politique budgétaire et/ou de mécanismes de transfert.
En revanche les positions sont beaucoup plus partagées concernant la pertinence d’une sortie de l’euro, et dépendent de considérations politiques et institutionnelles. Certains économistes post-keynésiens ont des positionnements de type souverainiste, et, partant du principe que l’État-nation demeure le meilleur cadre d’intervention pour mener à bien une politique économique, estiment que l’euro présente plus d’inconvénients que d’avantages. Mais d’autres considèrent au contraire qu’il faut savoir dépasser le stade des États-nations et partager la souveraineté, et sont donc plutôt fédéralistes. Ces divergences sont donc politiques et ne relèvent pas du corpus théorique et des considérations macroéconomiques stricto sensu.
Je rajouterais que sur des sujets comme l’Union européenne ou l’euro, l’apport des institutionnalistes et des régulationnistes est intéressant, les post-keynésiens ne s’intéressant pas beaucoup dans leurs travaux à la question démographique (pourtant fondamentale pour analyser l’Allemagne), ni à celle des valeurs (les représentations de la souveraineté, de la dette ou de la monnaie sont différentes en France et en Allemagne). Il faut donc également s’intéresser à ce que ces derniers peuvent écrire.
LVSL – Les post-keynésiens sont dans leur grande majorité favorables à une politique d’ « État employeur en dernier ressort ». Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit, et en quoi cette mesure est, selon vous, préférable à des dispositifs de type « revenu universel » ?
VM – Le thème du revenu universel s’est imposé dans le débat public depuis deux ans environ, depuis l’élection présidentielle de 2017. On semble oublier que c’est dès l’origine une idée libérale. Une critique élémentaire que tout hétérodoxe pourrait faire [pas seulement les post-keynésiens, ndlr], au-delà de la stricte question du financement, consiste dans le fait que ce revenu se substitue à la sécurité sociale et à ses 4 piliers (protection de la santé, de la famille, contre le chômage, et contre la vieillesse). C’est donc une remise en cause d’un principe fondamental de solidarité mis en place dans le cadre de l’État Providence après la Seconde Guerre mondiale. Le revenu universel, philosophiquement, est donc une négation du contrat social qui nous lie les uns aux autres. De plus, d’un strict point de vue post-keynésien, le revenu universel n’est pas efficient puisqu’il consiste à verser une allocation équivalente à des ménages ayant une propension à consommer forte (les plus modestes) et à ceux ayant une propension à épargner élevée (les plus aisés). Il n’y a donc que dans la théorie libérale, qui valorise l’épargne censée financer l’économie, qu’une telle mesure trouve sa cohérence.
Les post-keynésiens, en revanche, sont favorables à l’idée d’État employeur en dernier ressort (Job Guarantee[2]), inspirée par Keynes, mais aussi Abba Lerner et Hyman Minsky. Il s’agit pour l’État de proposer (rien d’obligatoire) un emploi provisoire à des gens qui n’en n’ont pas. Cela répond à un double objectif économique (hausse de la demande) et social (formation, insertion, etc.). Le programme peut être national, mais se décliner localement sur un territoire donné, avec un calibrage du nombre d’emplois dont la collectivité a besoin et des niveaux de formation requis. On retrouve ici l’attachement des post-keynésiens au rôle de l’État, acteur économique majeur.
LVSL – Enfin, quelle est votre position sur les politiques économiques menées en France et en Europe ?
JFP – En ce qui concerne l’Union européenne, les post-keynésiens sont fascinés par cette obsession qui consiste à contrôler les banques centrales pour que celles-ci limitent l’inflation, alors que cette dernière ne s’explique pas par une création monétaire excessive. Ce débat n’est pas très présent en France, mais est fondamental en Allemagne. Notons que certaines banques centrales, comme celle du Canada, ont décidé d’abandonner ce ciblage d’inflation.
Un second point qui nous semble important est la dette publique. Le niveau de dette publique/PIB n’a en réalité aucune signification. C’est sa trajectoire et sa soutenabilité qui sont importantes. D’autant plus que la dette peut et doit être considérée comme vertueuse.
Enfin, puisqu’il s’agit de répondre aux grands enjeux du 21ème siècle, il nous est impossible de ne pas mentionner la transition écologique. Un moyen efficace pour la mettre en œuvre, tout en stimulant la demande et l’économie, serait de s’engager dans des grands programmes soutenant celle-ci, si possible au niveau européen. Cela permettrait de créer des millions d’emplois tout en relevant le défi écologique.
LVSL – Sortons des débats économiques à proprement parler, et intéressons-nous maintenant à l’état de la discipline économique. Le champ des économistes en France et dans la plupart des pays se caractérise par la faiblesse du pluralisme, notamment en raison d’un verrouillage institutionnel de plus en plus prégnant de la part des économistes orthodoxes. Il est particulièrement inquiétant de voir que même dans une ville comme Cambridge, qui fut longtemps un des berceaux de l’hétérodoxie mondiale, celle-ci a presque disparu. Pouvez-vous nous décrire brièvement quels sont les mécanismes à l’origine du contrôle du champ par les orthodoxes, et la manière dont les économistes post-keynésiens et plus généralement hétérodoxes appréhendent ce phénomène ?
JFP – Tout d’abord, les économistes orthodoxes, qui dominent le champ, ont mis en place des stratégies de domination qui ont porté leurs fruits. Très concrètement, en France, cela se retrouve par exemple dans la réforme actuelle du programme des sciences économiques et sociales du secondaire, avec une volonté d’influence très forte de la part des économistes orthodoxes (ils donnent notamment la part belle à la microéconomie, ndlr). Au niveau universitaire, la création d’une nouvelle section d’économie politique et institutionnelle, que de nombreux économistes hétérodoxes soutenaient, n’a pas pu voir le jour. Ceci en raison d’une intervention de Jean Tirole, alors récemment auréolé de son “prix nobel”[3], pour contrer cette initiative.
Le verrouillage est également institutionnel. Par exemple, le CNU, qui évalue les chercheurs et définit qui peut candidater à des postes de maître de conférence ou de professeur, met en avant des critères de plus en plus conformes à la vision de l’économie dominante, comme la publication d’articles dans des revues. Or les revues orthodoxes sont mieux classées que les hétérodoxes. Il y a donc un combat à mener pour s’extraire de cette situation de domination et ne pas disparaître ou finir marginalisé. Des regroupements comme l’AFEP (Association française d’économie politique, présidée par Florence Jany-Catrice), ou l’ADEK (Association pour le Développement des Etudes Keynésiennes, présidée par Edwin Le Héron) pour les postkeynésiens, permettent aux économistes hétérodoxes de se regrouper pour définir des actions communes. Il ne s’agit pas d’imposer ses idées, mais de demander le respect du pluralisme, et faire vivre le débat et les controverses. Précisons d’ailleurs ici qu’une des spécificités de l’hétérodoxie post-keynésienne est qu’elle n’est pas allergique à l’outil mathématique et à la modélisation, même si nous critiquons souvent l’usage qui peut en être fait par les économistes orthodoxes. Dans notre ouvrage, deux chapitres sont consacrés aux modèles macroéconomiques “stocks/flux SFC” et à base d’agents multiples, offrant ainsi une alternative aux modèles DSGE [l’un des modèles dominants, ndlr].
LVSL – Dans l’interview de Jean Tirole réalisée par le Monde, on a l’impression que ce dernier veut rediriger le champ vers les travaux d’économie appliquée ou expérimentale, qui, à bien des égards, s’éloignent des fondements de la discipline économique (les échanges, la production, la dette, l’analyse des grands agrégats, etc.) pour lui préférer des thèmes plus exotiques, le tout dans un cadre général d’ultra-spécialisation du travail au sein du champ et de dépolitisation de la discipline. Ne doit-on pas considérer cette volonté de modifier les frontières du champ comme une dérive ?
VM – L’économie standard “relâche” des hypothèses depuis 30 ou 40 ans. Concernant la rationalité, on est par exemple passé de l’homo oeconomicus ultra-rationnel et optimisateur à la “rationalité limitée”, car les incohérences entre le modèle et la réalité devenaient trop criantes. Mon hypothèse est que, les fondements de la théorie mainstream étant assez indéfendables sur le papier, l’économie expérimentale est perçue par les économistes orthodoxes comme une ”bouffée d’air pur”. Cela leur permet notamment, en continuant à se parer des atours de la “scientificité”, de maintenir leur domination symbolique du champ. Pourtant, même si tout n’est pas à rejeter, l’économie expérimentale pose également d’importants problèmes épistémologiques (par exemple la question de la reproductibilité).
JFP – Les orthodoxes sont confrontés au fait qu’ils ont de plus en plus de mal à “relâcher les hypothèses” de base, la réalité étant de plus en plus complexe à intégrer dans leurs modèles. Ils sont obligés de faire appel à des approches alternatives, plus appliquées et empiriques, et au carrefour avec d’autres disciplines. C’est le cas de la psychologie cognitive ou la finance comportementale. Les biais comportementaux que ces approches mettent en exergue permettent dès lors d’expliquer pourquoi les marchés ne sont pas efficients comme le prévoit la théorie. Le côté “ouvert” et pluridisciplinaire de la tribune de Jean Tirole, ne doit donc surtout pas être naïvement sur-interprété. Il s’agit encore une fois de maintenir le corpus théorique de la théorie mainstream. Les post-keynésiens, eux, ont lu Keynes et n’ont pas attendu une crise financière majeure pour intégrer l’incertitude et prendre en compte les fameux “esprits animaux” des agents économiques. En réalité, la microéconomie post-keynésienne, qui postule l’incertitude fondamentale, part même du principe que c’est cette dernière qui est à l’origine de la rationalité, les agents devant mettre au point des normes ou des conventions (rule of thumb) pour faire leur choix. En ce sens, cela se rapproche des résultats mis en évidence par l’approche des conventions et les analyses institutionnalistes.
[1] Virginie Monvoisin fait ici notamment référence à la Théorie du Circuit, sous-branche française historique de l’économie postkeynésienne, et dont les figures de proue sont notamment Alain Barrère, Alain Parguez, Bernard Schmitt ou Frédéric Poulon.
[2] Notons que le programme “Job Guarantee” est également mis en avant par la gauche du parti démocrate aux Etats-Unis, et également par le Labour de Corbyn au Royaume-Uni.
[3] Le prix nobel d’économie n’en n’est pas vraiment un. Il s’agit du prix de la Banque de Suède, en mémoire d’Alfred Nobel.