La France, comme de nombreux pays partout sur la planète, connaît un fort recul de la participation électorale chez les 18-25 ans. Si l’on peut croire que nombreux sont ceux qui s’abstiennent par désintérêt total de la sphère politique, on assiste cependant à une recrudescence des mouvements sociaux impliquant la jeunesse. Alors, faut-il voir dans les positions contradictoires de la jeunesse un réel manque d’intérêt pour la politique ou un simple « ras-le-bol » des institutions et de ses représentants ?
Manque de temps, manque d’informations, sentiment d’injustice ou encore de non-importance… De plus en plus de jeunes choisissent l’abstention. En France, lors des dernières élections présidentielles, moins de deux jeunes sur dix ont voté aux deux tours de la présidentielle de 2017. Un phénomène qui se répète dans plusieurs autres pays occidentaux, comme au Canada, où 67 % des jeunes se sont déplacés aux élections fédérales de 2015, contre 84% pour le reste de la population. Autre exemple, l’Angleterre, où seulement 44% des jeunes Britanniques ont pris part au renouvellement du Parlement en 2010. Une situation semblable aux Etats-Unis, notamment en Californie, où les dernières élections n’ont attiré que 8,4% de l’électorat des moins de 25 ans.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette défiance des jeunes vis-à-vis du politique. En premier lieu, les dernières années n’ont été que très peu marquées par des mobilisations de grande ampleur, à l’image de mai 68, de la loi Devaquet, du « plan Juppé », ou encore plus récemment contre du Contrat Première Embauche (CPE) de 2006, mobilisations qui avaient rassemblé chacune plusieurs millions de personnes. Cela a son importance, puisque, comme en témoigne le mouvement des Gilets Jaunes, un soulèvement populaire s’accompagne généralement d’une politisation massive et rapide de la population. Par ailleurs, les défaites successives des dernières grèves et manifestations, constituent une autre explication du non-engagement des jeunes, tant au niveau politique, (que ce soit dans l’opposition ou non), que syndical. Le fort niveau d’implication qu’un tel engagement engendre, pour finalement, n’obtenir que peu de résultats, a de quoi décevoir. Un constat que partage la sociologue Anne Muxel, dans le hors-série du mensuel Sciences Humaines, Où va la France ? : « N’ayant connu que les crises sociales, économiques et aussi politiques taraudant la société française depuis une bonne trentaine d’années, les jeunes sont de fait porteurs d’une défiance globale ».
Ce ressenti trouve également sa source dans le sentiment de manque de représentation et de considération des différents élus, mais également dans un fort sentiment d’invisibilité des politiques publiques dans la vie quotidienne des jeunes. Les dernières mesures du gouvernement, baissant les APL de 5 euros pour les étudiants principalement, accompagnées de petites phrases cyniques telles que « Si à 18 ans (…) vous commencez à pleurer pour 5 euros, qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? », de la députée de la majorité Claire O’Petit, ne fait que renforcer ce sentiment de fracture entre une classe politique déconnectée et une jeunesse de plus en plus en proie à des difficultés économiques et sociales. Ainsi, en 2011, une enquête co-réalisée entre le CSA et de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) révèle que 75% des jeunes pensent « qu’ils ne sont ni entendus, ni reconnus dans la société, et ne se sentent pas respectés par les responsables politiques ».
75% des jeunes pensent « qu’ils ne sont ni entendus, ni reconnus dans la société, et ne se sentent pas respectés par les responsables politiques ».
Malgré tout, certains jeunes ont choisi une voix plus traditionnelle d’expression politique. En France, par exemple, 1/3 des 18-25 ans a voté Mélenchon aux élections présidentielles, porteur d’un vrai espoir pour la jeunesse. De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, Bernie Sanders, qui briguera prochainement la place du représentant des démocrates pour les élections présidentielles de novembre 2020, est soutenu par une grande partie de la jeunesse américaine. Un programme qui suscite de l’espoir dans la jeunesse, au point de vouloir s’engager dans la politique. L’exemple le plus significatif est la montée en puissance d’Alexandra Ocasio-Cortez, élue au Congrès en 2018, à seulement 29 ans, ce qui fait d’elle la plus jeune élue du Congrès américain. Ambassadrice du Green New Deal, aux côtés de Bernie Sanders, elle est promise à une belle carrière politique avec ses discours très engagés, comme on a pu le voir récemment contre Marc Zuckerberg.
Néanmoins, là où la jeunesse reste le plus active, c’est dans les mouvements sociaux ou soulèvements populaires partout dans le monde. Preuve en est, de plus en plus de mouvements sociaux mondiaux de ces dernières années sont amorcés par les jeunes eux-mêmes. À commencer par le Printemps arabe, en 2011, débuté par une jeunesse tunisienne en quête de liberté et de démocratie. Grâce aux réseaux sociaux, la génération Y a rapidement révolutionné l’ensemble de la région du Maghreb. Sur fond de revendications économiques, avec une jeunesse sacrifiée qui n’a que très peu accès à l’emploi, les revendications des peuples vont largement dériver vers des demandes plus politiques, à savoir la demande croissante de démocratie et de participation à la vie de la société.
Autres temps, autre pays et autre revendications: le Printemps érable au Québec, en 2012, au cours duquel la jeunesse québécoise se soulève pour un autre enjeu primordial : l’accès à l’éducation pour le plus grand nombre. Un mouvement imité en France en 2018, avec les multiples manifestations contre la réforme de Parcoursup qui a mobilisé aussi bien des lycéens que des étudiants. Autre exemple, le soulèvement populaire à Hong-Kong, où la jeunesse est présente en masse pour faire face à un projet d’extradition des citoyens hongkongais vers la Chine. Plus généralement, que cela soit au Chili, au Liban ou encore en Irak, tous les soulèvements populaires actuels sont basés sur une forte implication de la jeunesse. Mais la mobilisation qui rassemble le plus ces derniers temps reste les différentes manifestations en faveur du climat, avec le mouvement Youth Climate, Greta Thunberg en tête. Lors des deux dernières grèves du climat, le 20 et 29 septembre dernier, 7 millions de jeunes ont manifesté partout à travers le monde. Face aux réactions timides des autorités internationales, les jeunes se saisissent eux-mêmes de la question environnementale, aussi bien pour sensibiliser l’opinion publique sur ce sujet, que pour instaurer un rapport de force avec les politiques et les forcer à se soucier enfin de l’enjeu principal des années à venir.
Qu’ont en commun tous ces mouvements que l’on a vu apparaître ces dernières années ? Les réseaux sociaux et leur utilisation. Le web reste un outil majeur de mobilisation chez les jeunes. Ainsi, de plus en plus de rassemblements se font grâce à une organisation sur la toile, notamment par l’intermédiaire de Facebook qui regorge d’événements politiques et militants en tout genre. Ce phénomène s’est principalement fait ressentir au moment du printemps arabe, où la jeunesse de tout le Maghreb s’est soulevée, notamment en Tunisie, par l’intermédiaire de diffusion d’informations, mais l’organisation n’est pas la seule utilité du web. En effet, à l’heure où la majorité des jeunes sont très actifs sur les réseaux, et avec le recul de l’intérêt pour la télévision, c’est également un moyen pour eux de s’informer, et a fortiori, de se politiser.
À l’avenir, il est évident que l’engagement et la re-politisation des jeunes passeront par une bonne stratégie en matière de communication numérique. Et cela, deux personnalités politiques l’ont bien compris. Bernie Sanders, en tête, lors des primaires de 2016, a adopté un plan directement tourné vers la jeunesse, un électorat qu’il souhaitait séduire, notamment à coup de vidéos Youtube, de memes et de GIFS. Une stratégie qui semble avoir porté ses fruits puisque, lors de la primaire démocrate, ils ont réussi à séduire massivement les jeunes démocrates, qui ont voté à 73% en sa faveur. Une stratégie dont Jean-Luc Mélenchon s’est largement inspiré. Entouré d’une jeune équipe de communication, le candidat s’est lancé dans une conquête de numérique, notamment en étant très présent sur les réseaux sociaux.
Un constat s’impose : la jeunesse, désenchantée par la politique institutionnelle actuelle, ne s’implique plus dans les moyens traditionnels de mobilisation. Néanmoins, elle choisit de s’impliquer autrement, notamment à travers des mouvements populaires ou des manifestations sur le climat. Dans ce contexte de remise en question de la démocratie, phénomène qui se reproduit sur une bonne partie de la planète, il est indéniable que l’engagement des jeunes passera forcément par une refonte totale du système participatif. Et pourquoi pas, par la création d’une démocratie numérique, pour inclure l’ensemble des jeunes, toutes sociétés confondues, au processus démocratique.