Dans un pays en proie à diverses crises comme le Liban, le ballet des avions de chasse israéliens n’est qu’une menace parmi d’autres. Insécurité alimentaire, pandémie, augmentation de la délinquance, relents autoritaires… La crise socio-économique et l’absence de gouvernement constituent à bien des égards les premiers dangers pour la population. Tour d’horizon des menaces multiformes qui font de l’ombre au pays du Cèdre.
Dimanche 28 février. Le bourdonnement des chasseurs de l’Israeli Air Force (IAF) se mêle au ciel bleu azur de Beyrouth. Cette mélodie quasi quotidienne est le fruit d’un orchestre varié, mêlant avions de reconnaissance et avions de combat multi rôles. S’y ajoutent les drones, et, de temps à autre, le bruit sourd des missiles tirés en direction de la Syrie. Ces vols surviennent dans un contexte d’autant plus tendu que beaucoup de Libanais sont encore sous le choc de la double explosion du 4 août dernier, qui a réveillé chez certains les traumatismes de la guerre.
Vers une intensification des opérations israéliennes au Liban
Bien qu’agacés par ces allées et venues intempestives, la plupart des Libanais n’y voient pas une menace directe. Ces vols sont avant tout tactiques et s’inscrivent dans une logique de guerre psychologique : ils permettent d’intimider et de récolter des renseignements (photographies, surveillance électronique…). Mais de façon générale, les opérations de l’Etat hébreu sur le sol libanais se sont intensifiées ces trois dernières années. Elles prennent notamment la forme de tentatives d’assassinat, qui rappellent les exécutions de certaines figures iraniennes comme le commandant de la Force al-Qods Qassem Soleimani (janvier 2020) et le physicien chargé du programme nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh (novembre 2020). Des opérations qui incluent également les mystérieuses déflagrations survenues en fin d’année dernière dans des zones sous contrôle du Hezbollah et qui selon certaines sources sécuritaires, pourraient continuer à se multiplier.
Il en va de même pour ces fameux vols. En effet, si Israël fait fi de la souveraineté libanaise depuis plusieurs années, la multiplication de vols à basse altitude s’est intensifiée ces dernières semaines. Aux zones d’influences du Hezbollah continuellement surveillées par l’IAF – banlieue sud de Beyrouth, Sud-Liban, nord de la Békaa – s’ajoute désormais une bonne partie du territoire, y compris l’ensemble de la capitale. Avec un ennemi aux portes du pays et le départ récent du président Trump, Israël est plus que jamais sous pression. Ces survols représentent une violation du droit international, mais celui-ci faisant comme souvent l’objet d’un « deux poids deux mesures », l’énième plainte déposée par le gouvernement libanais auprès de l’ONU est un coup d’épée dans l’eau. D’une certaine manière, ces vols à répétions font l’objet d’un accord tacite entre un pays constamment sur le qui-vive et un autre submergé par les multiples crises qui le traversent.
Multiplication des liquidations politiques
La dégradation économique, associée à des tensions politiques et à la confusion institutionnelle, font du Liban un terrain en proie à des menaces multiformes. Un contexte préoccupant qui a engendré plusieurs réunions du Conseil supérieur de défense. L’augmentation des éliminations de personnalités, notamment des mondes politique, sécuritaire et journalistique, est souvent présentée comme l’un de ses symptômes. La dernière en date : celle de l’intellectuel et militant chiite Lokman Slim. Cet opposant au Hezbollah a été retrouvé dans sa voiture le 4 février dernier au Sud-Liban, atteint de quatre balles dans la tête et d’une dans le dos. Objet de menaces depuis plusieurs années, les regards se sont tournés vers le Parti de Dieu, qui a démenti toute implication.
Cet assassinat s’ajoute à une longue liste d’autres ayant eu lieu dans des circonstances tout aussi mystérieuses, comme celui d’Antoine Dagher (juin 2020), cadre de la banque Byblos – dont on dit qu’il aurait été éliminé pour avoir pris connaissance de certains dossiers financiers sensibles ; celui de l’officier des douanes Mounir Abou Rjeily (décembre 2020) – dont on affirme qu’il est mort en glissant et se tapant la tête contre le sol, tandis que certains affirment que sa disparition serait liée à des informations qu’il aurait récoltées sur la contrebande au port de Beyrouth ; ou encore celui du photographe professionnel Joe Bejjani (décembre 2020).
L’augmentation des délits, conséquence directe de la crise économique
La menace sécuritaire au Liban n’est donc pas seulement extérieure. Elle se décline en une palette de couleurs, allant du vert dollar au jaune Hezbollah, en passant par le marché noir. La population elle, voit rouge, affectée par une crise économique sans précédent qui plonge une partie des Libanais dans une misère extrême. Plus de 50% d’entre eux vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et 20% sous le seuil d’extrême pauvreté. Une situation socio-économique qui génère une instabilité s’exprimant notamment par une augmentation des délits. Vols à l’arrachée, cambriolages, hold-up dans de petits commerces…. Ces actes relèvent davantage de la survie que de grand banditisme. Après l’explosion également, beaucoup de maisons ont été pillées.
Cette crise a aussi pour conséquence l’augmentation de l’animosité de certains Libanais envers les réfugiés syriens, qui bénéficient d’aides d’ONG quand les habitants du pays ne reçoivent pas ou peu d’aides de l’État. Des tensions intercommunautaires qui s’accroissent dans un pays où ces réfugiés, qui représentent 20% de la population, sont également accusés de peser sur le secteur économique.
Insécurité alimentaire et manifestations
Quoi qu’il en soit, rares sont ceux que cette crise épargne. L’insécurité alimentaire, aggravée par la pandémie, en est l’un des principaux symptômes. Les confinements à répétition empêchent nombre de Libanais de manger à leur faim, ceux-ci vivant généralement au jour au le jour, c’est-à-dire en dépensant le soir ce qu’ils ont gagné durant la journée pour nourrir leur famille. Les mesures de restrictions sanitaires les privant de leur activité professionnelle et les aides du gouvernement étant inexistantes ou très sporadiques, l’accès aux produits de première nécessité est un réel combat. Conséquences : malnutrition, suicides, des habitants qui tentent de fuir – en vain – par bateau, et des mouvements de contestations dans la lignée de ceux de la révolution.
Dernier soulèvement en date : celui de Tripoli, une des régions les plus pauvres du pays. Dans cette ville du nord dont un tiers de la population active est au chômage, entre 60 et 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Rien d’étonnant donc qu’en janvier dernier la « mariée de la révolution » ait à nouveau été le théâtre de manifestations violentes, opposant citoyens en colère et forces de sécurité. Après une semaine intense où 300 personnes ont été blessées et deux manifestants tués par balles, après que la police a ouvert le feu, le mouvement s’est finalement essoufflé.
Relents autoritaires
Le 22 février, la justice militaire a lancé des poursuites pour terrorisme, tentative de former un groupe terroriste et vol, à l’encontre de 35 personnes ayant participé aux manifestations de Tripoli. Des accusations qui peuvent mener jusqu’à la peine capitale et relèvent d’une décision politique. Une première depuis le début de la révolution en 2019. Elles marquent ainsi une escalade dangereuse dans la répression pratiquée par les autorités contre leur peuple. L’opinion publique libanaise et les organisations de défense des droits de l’Homme sont d’autant plus inquiètes que les civils précédemment jugés par le tribunal militaire ont fait état de nombreuses violations, comme des interrogatoires sans la présence d’avocats, l’utilisation de confessions obtenues sous la torture ou encore des décisions rendues sans explications.
Les violences et actes de désordre public ayant eu lieu à Tripoli sont le fruit d’une colère exprimée par des manifestants qui luttent pour leurs droits et dénoncent un accroissement de la pauvreté. Laisser entendre qu’ils sont terroristes est une manière pour les autorités de les décrédibiliser et de dissuader la population de manifester. Une rhétorique utilisée par de nombreux États si bien que ce terme, qui ne possède pas de définition juridique commune faute d’un manque de consensus entre ces derniers, est souvent utilisé à tort et à travers par des gouvernements afin de justifier leurs décisions politiques.
Au Liban, la menace principale semble à bien des égards émaner des actions répressives et de la désinvolture de la classe dirigeante. Celle jugée responsable de l’explosion – dont on attend toujours les résultats de l’enquête, de la crise économique et de l’extrême pauvreté. Celle accusée d’une gestion catastrophique de la crise sanitaire. Celle dont on attend depuis plus de six mois qu’elle forme un nouveau gouvernement. Celle, enfin, dont les mesures punitives à l’encontre des manifestants virent à l’autoritarisme. Nombreux sont pessimistes quant à la capacité du Liban à sortir de ces crises à court et moyen terme. Aujourd’hui, loin des caméras braquées sur la colère des Libanais, c’est tout un pays qui sombre lentement et silencieusement dans la misère.