C’est la rentrée, et avec elle, le coup d’envoi de la bataille pour les élections européennes. A neuf mois du scrutin qui se tiendra en mai 2019, Emmanuel Macron passe à l’offensive en construisant un clivage entre nationalistes et progressistes en France et en Europe.
L’Elysée avait promis une « rentrée européenne de combat ». L’expression vaut aussi bien pour la scène internationale qu’en matière de politique intérieure. La séquence qui s’ouvre est en effet celle des élections européennes, thème qui dominera l’actualité politique pour l’année à venir. Dans la bataille qui s’annonce, Emmanuel Macron poursuit la stratégie appliquée depuis le début de son mandat : incarner l’ouverture contre le repli sur soi. En d’autres termes, dichotomiser l’espace politique entre progressistes et populistes.
Progressistes contre nationalistes
La rhétorique du « candidat anti-populiste » prend cependant une coloration particulière compte tenu de la séquence en train de s’ouvrir. Le Président de la République choisit en effet de tracer une ligne de démarcation claire entre le camp progressiste et celui des « nationalistes » de tous bords, fussent-ils de droite ou de gauche. Une analyse qu’on retrouve en Une du Point (31/08) qui ne se prive jamais d’une référence historique subtile.
L’amalgame est audacieux, mais politiquement profitable. Candidat du « et de droite et de gauche », E. Macron balaie les anciens clivages et rejette tous ses adversaires dans le camp de l’inertie, du conservatisme, du populisme et du nationalisme. Face à un Rassemblement National (RN, ex-FN) affaibli et à un Laurent Wauquiez (LR) inaudible, En Marche semble faire le pari de désigner Jean-Luc Mélenchon comme principal adversaire et incarnation de cette improbable « convergence populiste ». Dans les colonnes des Echos (31/08), la ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, monte au créneau pour défendre la ligne de La République En Marche (LREM).
En défense d’un projet européen qu’elle conçoit comme une démarche de solidarité, Nathalie Loiseau fustige le leader de la France Insoumise (FI) pour son opposition au budget européen, avant d’ajouter : “Mais où est donc le sens de la solidarité de M. Mélenchon, valeur fondatrice de l’Union à laquelle on pourrait pourtant penser qu’il est sensible ? Cette solidarité est indispensable si nous voulons sérieusement aider des pays qui sortent tout juste d’une crise financière épouvantable comme la Grèce.”
Après invocation du devoir de solidarité avec le peuple grec, la ministre poursuit dans la dénonciation du « repli sur soi » et pousse l’argument jusqu’à opérer un rapprochement avec l’Italie de Matteo Salvini.
« C’est toute notre ambition pour les élections européennes du 26 mai 2019 » conclut la ministre. Mêmes éléments de langage du côté de Benjamin Griveaux qui déclarait dimanche sur Europe 1 avoir « peur que Jean-Luc Mélenchon, qui se dit internationaliste, soit au fond un nationaliste de première catégorie ». Recomposer la scène politique nationale et européenne autour du clivage entre « nationalistes » et « progressistes » s’explique tant par la configuration actuelle de la vie politique que par la tradition de pensée dont se réclame Emmanuel Macron. Disciple proclamé du philosophe autrichien Karl Popper, dont on retient la dichotomie sociétés ouvertes / sociétés fermées, il entend incarner la stabilité et la confiance dans l’avenir de la construction européenne contre une opposition dominée par ses « affects tristes ».
Il sait par ailleurs que les élections européennes lui offrent un champ de bataille favorable. En 2014, seuls 42,43% des Français s’étaient rendus aux urnes. Du fait de l’abstention différentielle, ce sont principalement les retraités qui décident de l’issue du scrutin, tandis que les classes populaires participent peu. Si la réforme de la CSG a fait reculer la popularité du Président de la République parmi les plus âgés, ce sont pourtant bien eux qui avaient constitué le principal pilier de la victoire du candidat Macron. Parce qu’il vit grâce aux fruits du travail des actifs et sur la base de son épargne, cet électorat est plus qu’aucun autre attaché à l’idée de stabilité et se défie des solutions politiques “populistes” considérées comme facteurs de risques.
Dans la perspective du scrutin de mai prochain, c’est ce coeur de cible électoral que cherchera à remobiliser LREM contre des forces d’opposition tentées pour l’occasion de mettre de l’eau dans leur vin et de lisser leur image « souverainiste ». Tandis que la France Insoumise poursuit un travail de resignification de l’idée de souveraineté mais peine encore à imposer ses thèmes dans l’agenda politique, la majorité choisit d’attaquer en créant l’amalgame avec les forces réactionnaires qui progressent ailleurs en Europe.
En position de force, Emmanuel Macron entend devenir le chef de file des progressistes en France comme en Europe et trouve en Matteo Salvini un allié objectif bien commode.
L’offensive d’Emmanuel Macron sur le champ de bataille européen
En Europe, justement, rien ne va plus. Quelques observateurs pressés avaient voulu voir dans l’élection d’Emmanuel Macron le sursaut tant attendu de l’idée européenne, mais les élections italiennes ont eu tôt fait de démentir des pronostics formulés sur le mode de la prophétie auto-réalisatrice. Prenant acte de la nouvelle configuration politique issue du scrutin italien, E. Macron a trouvé en Matteo Salvini, ministre de l’intérieur et chef de la Lega, son principal adversaire. Malgré leurs positions antagonistes, ils ont l’un et l’autre intérêt à s’opposer pour refaçonner le paysage politique européen en simplifiant les clivages entre deux camps rivaux. Ainsi se tisse une alliance objective morbide où le Français et l’Italien espèrent tirer leur épingle du jeu.
Le 28 août, Viktor Orbán et Matteo Salvini ont donné une conférence de presse conjointe à Milan. La rencontre se voulait la démonstration d’un rapprochement sur la thématique de l’immigration et l’affirmation d’une alliance contre la France d’Emmanuel Macron, qualifié pour l’occasion de « chef des partis pro-migrants en Europe » (sic).
« Il y a actuellement deux camps en Europe. Macron est à la tête des forces soutenant l’immigration. De l’autre côté, il y a nous, qui voulons arrêter l’immigration illégale. » a déclaré le ministre de l’intérieur Matteo Salvini. « C’est mon héros et aussi mon compagnon de route » a renchéri le Premier ministre hongrois à propos de son homologue italien. En s’affichant aux côtés du leader du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) et alors que Rome menace de suspendre sa participation financière au budget de l’Union européenne, le chef de la Lega durcit la ligne de son gouvernement et cherche à isoler un peu plus la France.
« Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine. S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison. » a immédiatement réagi Emmanuel Macron depuis son déplacement en Finlande.
Désireux de faire aboutir son projet de budget commun de la zone euro et en recherche de partenaires, Emmanuel Macron a en effet parcouru la moitié des pays européens depuis le début de son mandat et est allé jusqu’à se rendre en Finlande et au Danemark où un Président français n’avait pas posé le pied depuis respectivement 19 et 36 ans.
Résumés dans son discours de La Sorbonne de septembre 2017, les desseins européens d’E. Macron apparaissent pourtant largement contrariés par la conjoncture politique actuelle. S’il a obtenu l’accord de principe d’Angela Merkel, il lui faudra encore convaincre tous les autres pays-membres.
En juin dernier, l’accord préalable avec la chancelière allemande avait déjà valu à celle-ci des critiques, y compris au sein de son propre gouvernement. Angela Merkel sort considérablement affaiblie de la crise latente qui couve depuis plusieurs mois en Allemagne. L’épisode Seehofer et la montée de l’Alternative für Deutschland (AfD) dans les intentions de vote ont eu pour conséquence un recul du gouvernement allemand sur sa politique migratoire et privent la chancelière de la marge de manoeuvre qui était la sienne sur la scène politique européenne. L’électorat de la CDU ne veut pas payer pour l’Europe et le sentiment eurosceptique progresse outre-Rhin.
Si le couple franco-allemand se veut toujours le moteur de la construction européenne, il devra se passer de la mécanique allemande pour avancer. Privé d’un partenaire historique réduit à l’inertie, Emmanuel Macron fait le choix de la confrontation. Plutôt que de chercher à faire converger des partenaires aux positions irréductibles, il trace une frontière claire entre deux camps.
Emmanuel Macron n’a pas encore abattu toutes ses cartes et il est, pour l’heure, difficile de lire clairement dans son jeu. On peut cependant déduire de ses prises de position au niveau international une volonté de dynamiter le paysage politique au Parlement européen afin de faire émerger une nouvelle majorité qui lui serait acquise. Le parlement issu des élections de 2014 est en effet dominé par le Parti Populaire Européen (PPE) avec 216 sièges sur 751, suivi par les Socialistes et Démocrates (S&D) et leurs 189 eurodéputés. Sans surestimer l’importance du Parlement dans le jeu complexe des institutions européennes, il est permis de penser qu’Emmanuel Macron a en tête de faire éclater les principaux groupes parlementaires pour donner naissance à un parti européen dominant sur le modèle d’En Marche. S’il parvient à détacher les partis de centre-droit d’un PPE en proie aux fractures, il peut disposer d’une base arrière solide capable de servir ses projets européens.
En cela, une alliance objective se noue entre Emmanuel Macron et ceux qu’ils désignent comme ses adversaires nationalistes. Matteo Salvini poursuit un objectif en définitive très semblable. Faire exploser le PPE – dont les plus gros contingents proviennent de la CDU – c’est nuire à l’influence allemande dans les institutions européennes et affaiblir Angela Merkel sur le plan intérieur. A cet égard, la rencontre de Milan du 28 août illustre les volontés italienne et hongroise de détacher des forces conséquentes de la droite européenne afin de créer une vaste alliance capable de servir leurs intérêts contre l’Allemagne et contre la France.
Isolé en Europe par une conjoncture politique compliquée et affaibli par l’affaire Benalla et une rentrée chaotique marquée par la démission surprise de Nicolas Hulot, Emmanuel Macron garde son cap et poursuit coûte que coûte sa tactique de dynamitage des anciens clivages. Les stratégies européenne et nationale du chef de l’Etat sont étroitement liées. En polarisant sur la question européenne, il redéfinit les camps et tente d’établir une nouvelle frontière politique entre progressistes et nationalistes. Quitte à prendre le risque d’une déstabilisation générale des équilibres sur le continent.
Crédits photo : Image de couverture ©Julien Février / Captures Les Echos / Le Point / Courrier International