Macron, le nanti-système

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©Jeso Carneiro

Lui président ? Ok, mais en toute connaissance de cause alors. Emmanuel Macron est devenu en l’espace de quelques mois à peine l’un des favoris dans la course à l’Elysée. Anti-système, ni de gauche, ni de droite, son profil fourre-tout est on ne peut plus flou. Pourtant, l’ancien Ministre de l’Economie est l’incarnation la plus aboutie de ce que peut proposer le “système” politico-économico-médiatique. Décryptage d’une fable moderne en 10 points :

  1. Un CV en or ?
  2. Le tournant de la Commission Attali
  3. De l’art du réseautage
  4. Un ultra-libéral au Parti Socialiste
  5. Les années du pouvoir
  6. Un projet extrêmement clair
  7. Fossoyeur du patrimoine économique français
  8. Macron a.k.a Frankenstein 2.0
  9. En Marche, auberge espagnole du 3e âge
  10. Les affaires, quelles affaires ?

Un CV en or ?

Emmanuel Macron vient d’Amiens où il est scolarisé au Lycée privé catholique La Providence. En 1ère, il y rencontre sa future femme Brigitte, alors sa prof de français et de théâtre, de 24 ans son aînée. Suivent Henri IV et un DEA de philo à Paris-X, avant d’être diplômé de Science-Po Paris (2001) et de l’ENA (en 2004, seule promotion dont on ne connait pas le classement, invalidé par le Conseil d’Etat pour favoritisme).

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Emmanuel Macron, étudiant au parcours exceptionnel, esprit brillant au CV vertigineux voilà une première création médiatique, bien pratique quand on se présente à un poste de très grande responsabilité.

En effet, quelques zones d’ombre existent sur ce parcours de jeunesse. Macron est souvent présenté comme Normalien. C’est faux. Il a en fait raté deux fois l’écrit du concours d’entrée. Il n’existe pas non plus de trace du mémoire de philosophie qu’il prétend avoir soutenu auprès d’Etienne Balibar. Ce dernier a même déclaré “n’avoir aucun souvenir de son travail”… Ensuite, son poste d’assistant du philosophe Paul Ricoeur, régulièrement évoqué, est qualifié “d’abus de langage souvent repris par les médias” par Mme Revault d’Allones, membre du Fonds Ricoeur. En fait, Macron a aidé Ricoeur pour le livre La mémoire, l’Histoire et l’oubli, essentiellement pour du référencement et de la correction. Pas de quoi flamber.

Le tournant de la “Commission Attali”

Inspecteur des Finances à sa sortie de l’ENA, en 2004, Macron est pris en sympathie par le n°1 de l’institution, Jean-Pierre Jouyet. Aujourd’hui Secrétaire Général de l’Elysée, Jouyet fut, entre autres, Secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes, Président de la filiale française de la Barclays Bank, Président de l’Autorité des Marchés Financiers, de la Caisse des Dépôts ou de la Banque Publique d’Investissement. Indécent mélange.

Trois ans plus tard, en 2007, Nicolas Sarkozy met sur pied la “Commission pour la Libération de la Croissance Française” (sic), plus connue sous le nom de Commission Attali. L’ancien sherpa de François Mitterand monte une équipe trans-courants politiques composée de 43 membres, tous libéraux (avocats d’affaires, universitaires, hauts fonctionnaires, PDGs et banquiers).

Attali place Macron au poste de rapporteur de cette commission suite à l’entremise de Jouyet. C’est LE tournant dans le parcours d’Emmanuel Macron. “Un accélérateur de carrière extraordinaire”, dira lui-même Jacques Attali.

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En septembre 2008, il se met en disponibilité de l’Inspection des Finances et intègre la Banque d’Affaires Rotschild & Co, recommandé par… Jacques Attali, encore, et Serge Weinberg (énarque, Président du Fonds d’investissement portant son nom et Président du CA d’Accor). Dès 2010, il est promu associé chez Rotschild et doit quitter la Commission Attali. Il y est réintégré par décret en tant que simple membre.

La même année, il joue le rôle très discutable d’agent-double d’Alain Minc dans le processus de rachat du journal Le Monde par le trio Niel-Bergé-Pigasse, comme le montre la vidéo ci-dessous  :

https://www.facebook.com/StreetVoxByStreetPress/videos/1837488556532672/

De l’art du réseautage

En 2012, Macron réalise ses plus gros coups pour Rotschild. D’abord en conseillant Philippe Tillous-Borde, DG de Sofiprotéol et… membre de la Commission Attali, pour prendre 41% des parts du groupe Lesieur Cristal (une transaction qui se situe dans le monde agro-industriel). Ensuite, en facilitant le rachat de la filiale “alimentation” de Pfizer par Nestlé, à hauteur de 9 milliards d’euros. Un deal qui vaudra à Macron une promotion comme gérant dans sa banque et un joli chèque de 2,4 millions. On notera au passage que Peter Brabeck-Letmathe, PDG de Nestlé est également membre de… la Commission Attali. Quelle surprise !

La machine Macron est En Marche 😉 Tous les réseaux de pouvoir s’ouvrent à lui. En 2012, il est ainsi adoubé par les élites mondiales en devenant Young Leader de la bien nommée FAF (French American Foundation). En 2014, il est invité à la réunion ultra-VIP du Bildeberg à Copenhague. En 2016, c’est la cerise sur le gâteau au Forum Economique Mondial de Davos. Le Figaro écrit que son titre de Young Global Leader le désigne comme l’un des “121 maîtres du monde de moins de 40 ans”.

Un ultra-libéral au Parti Socialiste

En 2006, Jean-Pierre Jouyet fait les présentations entre Emmanuel Macron et François Hollande. Dans la foulée, Macron adhère au PS et devient son conseiller économique pour la campagne des primaires 2007. A ce moment, le Premier Secrétaire du parti n’a aucune chance de briguer l’Elysée. Pour Macron, c’est le moyen de rentrer en politique auprès d’un éléphant socialiste et de se placer pour la députation dans la Somme, son département d’origine. Rejeté par les adhérents locaux, il rebondit en intégrant la désormais célèbre Commission Attali. Surement un mal pour un bien dans son parcours.

Ce petit monde de l’entre-soi est à l’image d’une toile d’araignée, se recoupant à tous les niveaux. C’est ainsi que Macron intègre par exemple “les Gracques”, think-tank né en 2007 et visant à l’union PS-UDF. Parmi les fondateurs ? Jean-Pierre Jouyet. Certains ont vu dans l’alliance avec Bayrou l’accomplissement de cette mission originelle. On retrouve beaucoup de “libéraux de gauche” parmi ses soutiens, membres des groupes Esprit, Terra Nova, Jean-Jaurès ou La Rotonde. Cette gauche désavouée par son propre électorat dès qu’elle se présente devant les urnes. Affaire à suivre.

Macron est à nouveau aux côtés d’Hollande en 2009, dès avant que l’affaire DSK n’éclate et ne le propulse en position de présidentiable. Tous les 15 jours, Macron fait passer des notes à Hollande, qui forgeront son programme économique. Elles sont rédigées par le trio Philippe Aghion-Elie Cohen-Gilbert Cette (La Rotonde). Le futur président valide tout en bloc sauf le “choc de compétitivité”, qui sera finalement intégré en cours de mandat. Dans le même temps, il drague l’électorat de gauche avec son discours du Bourget et son fameux “mon ennemi n’a pas de visage, c’est le monde de la finance”. Bla bla bla.

Les années du pouvoir

Devenu Secrétaire Général adjoint de l’Elysée après la victoire du “candidat normal”, Emmanuel Macron va beaucoup peser sur le quinquennat, d’abord dans l’ombre, puis dans la lumière. Rappelons ici quelques faits d’armes économiques de l’ère Hollande/Ayrault/Valls/Macron :

  • CICE (Crédit d’impôts pour la compétitivité et l’emploi) :  Cadeau fiscal de 13 milliards d’euros aux entreprises, par la baisse des cotisations, sans aucune contrepartie.
  • Pacte de Responsabilité et de Solidarité : modernisation de la fiscalité et augmentation du CICE, de 21 milliards en 2014 à 41 en 2017

Considérant que le gouvernement ne va pas assez loin dans les réformes, Macron quitte l’Elysée en juin 2014 pour se lancer dans des projets personnels. Grâce à l’influence de Minc, il obtient instantanément le titre de Senior Researh Fellow à la London School of Economics. Il décroche également un poste à Harvard, cette fois par l’entremise de Philippe Aghion. De l’importance d’avoir les bons amis.

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Seulement deux mois plus tard, il est bombardé Ministre de l’Economie à la place d’Arnaud Montebourg, au moment culminant de l’épisode des “frondeurs”. Reprennent alors les réformes libérales :

  • Loi sur la Croissance, l’Activité et l’Egalité des chances économiques ou “Loi Macron” : Déréglementation ou “Uberisation” de l’économie (travail du dimanche,  professions réglementées, transports avec les “cars Macron”, etc…). Loi passée en 2015 avec l’aide du 49-3.
  • Loi sur les Nouvelles Opportunités Economiques ou “Macron 2” : projet trop ambitieux pour Manuel Valls. Il est divisé en plusieurs parties, dont une tombe sur le bureau de la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, ce qui donne…
  • Loi Travail ou “loi El Khomri”, assez connue pour ne pas être développée ici. Nouvel usage du 49-3.

Un projet extrêmement clair

Désormais candidat à la Présidentielle, Macron propose ni plus ni moins que de mettre en place les “recommandations sur 10 ans” qui sont sorties de la Commission Attali. Sans que ce soit dit aussi clairement, bien sûr.  Pêle-mêle :

  • Réduire le coût du travail
  • Ouvrir les professions réglementées à la concurrence
  • Laisser à tout salarié le choix de poursuivre une activité sans aucune limite d’âge
  • Renvoyer l’essentiel des décisions sociales à la négociation
  • Réduire la part des dépenses publiques à 1% du PIB
  • Baisse des cotisations sociales compensée par une hausse de la CSG et la TVA
  • Fin du système de retraite par répartition (fonds de pension “à la française”)
  • Réduction de la fiscalité qui pèse sur le secteur de la finance
  • Suppression des départements et réduction du nombre de communes
  • Suppression du principe de précaution…

Pour faire simple, le trio Macron-Attali-MEDEF propose exactement la politique libérale que la Commission Européenne impose aux Etats membres de l’Union Européenne à travers les GOPE (Grandes Orientations de Politiques Economiques). Contrairement aux autres candidats éligibles, qui ne parlent jamais de ce sujet, Macron pourra bien appliquer son programme s’il est élu.

Fossoyeur du patrimoine économique français

On sait ce que Macron prône, qu’il a déjà mis en place et qu’il compte accentuer s’il est Président. Au-delà des points déjà évoqués, il est également nécessaire de revenir sur son rôle dans plusieurs dossiers symboliques des dernières années et trop souvent passés sous silence :

  • Son rôle dans la vente d’Alstom, fleuron de l’industrie française (parfaitement résumé dans cette vidéo)
  • La vente de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, projet soutenu et défendu bec et ongles par Emmanuel Macron :49,9% des parts de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse ont été vendues à Casil-Europe, un fonds d’investissement chinois. Avant la vente, la moitié des 5 millions de bénéfices de la structure étaient reversés sous forme de dividendes aux actionnaires (Etat et collectivités locales). L’autre moitié était mise de côté pour de futurs investissements (trésor de guerre de 67 millions). Première mesure de Casil après la vente : piocher 15 millions dans ce fonds de réserve pour les nouveaux actionnaires…
  • Le rachat de SFR par Altice : Alors que Montebourg s’y était opposé et avait même fait publier un décret soumettant à l’autorisation de Bercy tout rachat dans les télécoms, Macron a discrètement autorisé la transaction en faveur de la société de Patrick Drahi, le 28 octobre 2014. Ce dernier a pu coupler les titres de ses groupes de presse avec les offres d’abonnements internet, faisant tomber la TVA de 20 à 2,1% sur une grande partie de ses factures. Il gagne environ 350 millions d’euros par an avec cette combine. Certains auront sans doute remarqué que BFM TV ou L’Express, propriétés du même Drahi, ont poussé la candidature de Macron de toutes leurs forces. Surement le hasard.

[On notera au passage que Bernard Mourad, patron d’Altice Media Group, présent tout au long du processus de vente puis de fusion des titres, a démissionné pour rejoindre la campagne d’En Marche, pour éviter tout conflit d’intérêt. Manque de bol, son frère Jean-Jacques, lui, est tombé pour cette même raison. Il était en effet membre de la commission santé du mouvement de Macron et rémunéré dans le même temps par les laboratoires Servier…]

Macron a.k.a Frankenstein 2.0

Porté comme on n’avait jamais vu un candidat l’être, Emmanuel Macron a été totalement fabriqué médiatiquement, pour devenir progressivement le “seul vote utile contre le FN”. Tellement anti-système, que l’ancien Ministre de l’Economie a été cité dans 17 000 articles de presse depuis sa démission du gouvernement, plus de 100 fois à la Une des différents journaux hexagonaux en 2016.

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En Marche, auberge espagnole du 3e âge

Porté comme on l’a vu par le gotha du libéralisme économique, par le monde médiatique dans sa quasi-globalité, Emmanuel Macron est également le refuge pour tous les politiciens en fin de course, qui le rallient sans aucune vergogne en trahissant parfois l’engagement de toute une vie. Pour le renouvellement on repassera.

C’est ainsi que se retrouvent ensembles En Marche des profils aussi divers que François Bayrou, Corinne Lepage, Anne-Marie Idrac, Claude Bartolone, Jean-Pierre Chevènement, Daniel Cohn-Bendit, François de Rugy, Barbara Pompili, Patrick Braouezec, Thierry Braillard, Robert Hue, Bernard Kouchner, Manuel Valls, Gérard Collomb, Nicole Bricq, Bertrand Delanoë, Jean-Paul Huchon, Jean-Yves Le Drian, Malek Boutih, Renaud Dutreil, Dominique Perben, Alain Madelin, Philippe Douste-Blazy, Jean Tibéri, Jean-Jacques Aillagon, Pierre Bergé, Erik Orsenna, Laurence Haïm, Eric Halphen, Pierre Arditi, Jean-Pierre Mignard,  Catherine Laborde, Genviève de Fontenay, Françoise Hardy, Line Renaud, Yohan Cabaye, François Berléand, Renaud… et bien évidemment BHL, Minc, Attali, Cohen, Aghion et toute la clique libérale.

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Les affaires. Quelles affaires ?

Quand on voit l’empressement et la vigueur de la réaction de la justice concernant François Fillon, légitime, on se dit que tous les candidats devraient être logés à la même enseigne. Or, il semble que Macron passe entre les gouttes malgré plusieurs dossiers potentiellement sulfureux :

  • Bizarreries concernant son patrimoine : notamment la sous-évaluation d’une propriété de son épouse pour échapper à l’ISF et un patrimoine personnel estimé à 35 000 euros après avoir touché plus de 2 millions chez Rotschild.
  • En Marche déclare son siège au domicile particulier de Laurent Bigorgne, directeur du très libéral Institut Montaigne, dont le Président est Henri de Castries, ex-PDG d’AXA et proche de François Fillon. Le candidat LR est d’ailleurs accusé de conflit d’intérêts avec cette compagnie d’assurances. Quid de Macron ?macron montaigne
  • Les 120 000 euros de Bercy. Dans le livre Dans l’enfer de Bercy, l’on apprend que Macron a dépensé 80% de l’enveloppe totale des frais de représentation du Ministère à des fins personnelles.dans l'enfer de bercy.jpg

Aux urnes, Citoyens !

Bref, les choses sont extrêmement claires : Emmanuel Macron a été choisi par les pontes du système pour incarner une simili-rupture (une révolution, LOL) qui doit, à terme, permettre que rien ne change. Sur ce point, lire l’interview passionnante du politologue Jérôme Sainte-Marie pour LVSL. Cependant, à quelques jours désormais du 1er tour de la présidentielle, le phénomène semble se fissurer, même si les sondages (<3) lui donnent toujours la victoire. En témoigne cette émission ahurissante de vérité sur LCI, retirée du replay de la chaîne après une plainte d’En Marche et du FN, mais toujours disponible sur Youtube

Favori, vraiment ? Poussé vers l’Elysée par les mondes financiers, médiatiques et politiques, épargné par la justice, Macron semble avoir toutes les cartes en main pour gagner le 7 mai prochain. Pourtant, on voit que tout le château de cartes ne tient plus qu’à un fil. On peut également se demander comment vont agir les électeurs français face à ce candidat imposé, qui ressemble de plus en plus au Clinton français.

Il n’y a plus très longtemps à attendre avant le dénouement de cette saga ahurissante qu’aura été la Présidentielle 2017. Vivement la saison 2.

Crédits photos : ©Jeso Carneiro

Matthieu Le Crom

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