Le « made in France » et ses obstacles

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Le made in France est à la mode. Aux côtés du protectionnisme économique et des relocalisations industrielles, il signe son grand retour médiatique en pleine crise économique et sanitaire. Il est invoqué comme un mantra aux allures de prophétie autoréalisatrice. Suffirait-il de ressasser cette formule magique pour voir l’industrie française renaître de ses cendres ? En réalité, une poignée d’entreprises et de militants porte à bout de bras le made in France. Sur le plan culturel, leur bilan est considérable et le made in France a bel et bien gagné les coeurs ; sur le plan économique, il est négligeable. En cause, – outre un pouvoir d’achat trop faible – une information insuffisamment transparente pour le consommateur. Les institutions de l’Union européenne font office de verrou ; plusieurs dispositifs européens entravent en effet l’affichage de l’origine des produits. Il convient donc de considérer les réformes nécessaires et les obstacles réglementaires à faire sauter.


Jean 1083 et slip français portés avec élégance. Boîte à histoire Lunii et blanc bonnet sur les oreilles. La carte française pour tous à Noël… Les produits fabriqués en France sont en retour de hype, au point que la matinale de France Inter les chronique. Derrière les filtres Instagram, les usines françaises ont du talent. Elles plaisent aux dandys métropolitains et autres consommateurs du bon goût. Face à une crise économique d’une violence inégalée, le made in France passe la sur-multiplié du « click and collect ». La filière tente de survivre face à la déferlante. Le secteur peut s’appuyer sur les 89% des Français souhaitant que la production des industriels français soit relocalisée, même si cela augmente le prix final pour le consommateur 1. Le made in France a gagné dans les têtes.

L’Union européenne est un obstacle à l’affichage de l’origine des produits. L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 25 avril 1985 a jugé que les réglementations nationales prévoyant l’obligation de mentionner l’origine d’un produit étaient incompatibles avec l’article 30 du traité de Rome.

Plus rien ne s’oppose au made in France, vraiment ?

Les Français ont raison. Acheter français, c’est donner un travail à son voisin et à son cousin. En 2018, le conseil d’orientation pour l’emploi estimait que si les français achetaient seulement 10% de produits français parmi les biens consommés, 150.000 emplois nets seraient créés. Plus de 11Md€ de chiffres d’affaires seraient également générés.

84% des français pensent favoriser le respect de l’environnement en achetant des produits français 2. Et pour cause, 60 % des émissions de l’empreinte carbone en 2011 provenaient de la chaîne amont de produits dont la dernière transformation a lieu en France 3. Le made in France permet de mieux maitriser les émissions de cette empreinte carbone amont, en grande partie générées par les transports internationaux.

Le marketing du made in France tourne à plein, surfant sur l’envie de produits français. Mais dans les faits, le désir de consommation peine à se traduire en acte d’achat. La bataille, gagnée dans les têtes, n’a pas encore conquis les portefeuilles. En 2015, l’INSEE estimait que le made in France représentait 36% des biens manufacturés consommés dans le pays et cette part tombait à 15% sans les produits agro-alimentaires.

Cette difficulté à traduire la volonté des Français en actes d’achat s’explique par la faiblesse de l’offre. En effet, créé en 2010, le label Origine France Garantie a été élaboré avec sérieux pour distinguer les produits réellement fabriqués sur le territoire national. Après près d’une décennie d’existence et malgré l’énergie déployée par ses promoteurs de l’association ProFrance, seuls 600 entreprises se sont engagées dans le label. Le made in France peine à sortir du segment de niche et des métropoles heureuses.

On pourrait arguer que les labels, logos et autres certifications des produits fabriqués en France constituent un maquis difficilement déchiffrable pour le consommateur. C’est sans doute vrai, même s’il existe des labels clairs, exigeants et facilement reconnaissables, comme Origine France Garantie justement. Cette raison n’est pas suffisante. Il existe des causes davantage structurelles à cette timide expansion du made in France.

Le catenaccio juridique européen du made in France

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La traçabilité de l’origine des produits consommés en France fait l’objet d’un cadenas juridique puissant. L’Union européenne est un obstacle à l’affichage de l’origine des produits. Un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 25 avril 1985 a jugé que les réglementations nationales prévoyant l’obligation de mentionner l’origine d’un produit constituaient une mesure équivalente à une restriction quantitative aux échanges, incompatible avec l’article 30 du traité de Rome. Cet arrêt traitait d’une affaire au Royaume Uni. Cependant, mécaniquement, la France qui disposait depuis 1979 d’une mesure imposant l’obligation de marquage de l’origine des produits textiles et d’habillement a dû abroger celle-ci en 1986.

L’imposition de l’origine des produits n’est aujourd’hui possible, en vertu du droit européen, que sur certaines denrées alimentaires périssables (légumes, fruits, oeufs, viande bovine, …) dans l’optique de la préservation de la sécurité sanitaire.

L’origine des produits manufacturés importés n’est donc pas connue du consommateur, mais uniquement de l’administration.

Cette connaissance administrative permet d’appliquer au produit importé les droits douaniers et les mesures de politique commerciale, en vertu des règles d’origine préférentielle (pays disposant d’un accord douanier avec l’UE) ou non préférentielle (ne disposant pas d’accord). Pourquoi la traçabilité des produits connue de l’administration ne pourrait-elle pas l’être du consommateur ?

Modifier le droit européen en la matière – et le rejeter si cela s’avérait impossible – conduirait donc à favoriser les relocalisations industrielles. Le made in France n’aura d’avantage concurrentiel que lorsque le consommateur sera en mesure de connaître l’origine de son produit. Il est ainsi probable qu’il privilégiera un produit qui maximise la production d’emplois locaux et minimise l’impact environnemental.

Le Yuka du made in France ?

Pour bien comprendre le levier que constitue l’information du consommateur, prenons le cas de l’éducation nutritionnelle. Celle-ci a été largement accélérée par les applications d’évaluation des aliments, à l’instar de Yuka qui a séduit 20 millions de consommateurs dans le monde. Muni de son smartphone et de cette application, chaque français a désormais la possibilité de faire ses courses, en pleine conscience de l’impact sur sa santé des produits choisis. La collecte patiente de données relatives aux compositions nutritionnelles a permis de créer ces applications. Yuka a en effet longtemps utilisé une base de données ouverte, l’Open Food Facts, qui répertoriait la composition des aliments. Ce répertoire de données s’est construit grâce à l’obligation de mentionner la composition des produits sur les emballages alimentaires.

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Or, le lancement d’une application d’évaluation globale du made in France n’est aujourd’hui pas possible. À l’exception de l’agroalimentaire, nous ne connaissons pas l’origine des produits manufacturés. Nicolas Chabanne, fondateur de C’est qui l’patron?! a récemment annoncé le lancement de “l’appli des consos ». Ce dispositif permet l’évaluation des produits agro-alimentaires à l’aune de plusieurs critères, dont l’origine. Pour tous les autres produits français, la censure de la traçabilité interdit la création d’une telle application.

Seules les marques volontaires mentionnent leurs origines françaises sur leurs emballages. Le made in France devient ainsi un supplément d’âme marketing, pas un critère de choix pour le consommateur. Le consommateur ne peut connaitre la part de « fabriqué en France » qui rentre dans la composition de ses achats. Seule une évaluation fine et personnalisée de l’origine, à travers une application dédiée, permettrait pourtant de massifier l’éducation des consommateurs au made in France. Cet outil constituerait un atout décisif pour emporter cette bataille culturelle, celle de l’entrée du made in France dans l’âge de la maturité.

Porter le combat pour et par la transition écologique

Soutenir la production nationale, au-delà des slogans, impose donc de rouvrir le dossier de la traçabilité. Le contexte environnemental rend impérieuse la prise en compte des obstacles à celle-ci. Si la sécurité sanitaire du consommateur justifie l’imposition de la traçabilité des produits alimentaires, le péril écologique la légitimerait à plus forte raison sur d’autres produits. En effet, dans de nombreux secteurs – pas dans tous -, le made in France permet de réduire substantiellement la part du transport international et donc les émissions de CO2 attenantes.

La relocalisation industrielle porte en son sein une sécurité environnementale et donc sanitaire supplémentaire pour le consommateur. La France pourrait dès lors imposer légalement la traçabilité des produits manufacturés. En cas de contestation juridique, la France plaiderait devant les instances européennes, notamment la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la sécurité environnementale et donc sanitaire du consommateur inhérente à cette mesure, comme les règlements européens le permettent sur les denrées périssables. En cas d’échec, le rétablissement de la suprématie du droit national sur le droit européen s’imposerait.

Dans de telles circonstances, il y a fort à parier qu’une réorientation de la consommation se produirait, à la faveur des produits nationaux. Un cercle vertueux de création d’emplois locaux, doublé d’une décarbonation de l’économie, pourrait s’enclencher. La création d’applications numériques dédiées permettrait de l’accroître encore.

Notes :

1 Sondage Odoxa-Comfluence pour les Echos-Radio Classique, réalisé en avril 2020.
2 Sondage IFOP pour ProFrance « les Français et le made in France », réalisé en septembre 2017.
3 Rapport du Haut Conseil pour le climat, « maîtriser l’empreinte carbone de la France », publié en octobre 2020.