Le malade est bien pâlichon ? La saignée répond le Dr. Fillon !

©Maire-Lan Nguyen

Comment François Fillon veut détruire l’appareil d’État français et mettre notre système de protection sociale à genoux, au bénéfice des plus riches.

Du Munich social au Blitzkrieg social

“Moi, ce que je veux, c’est que le 1er juillet, les deux ou trois ministres chargés des réformes – l’Économie et les Finances, le Travail, pour l’essentiel – arrivent avec des textes prêts et, dans une forme de blitzkrieg, fassent passer devant le Parlement, en utilisant, d’ailleurs, tous les moyens que donne la Constitution de la Cinquième République – les ordonnances, les votes bloqués, le 49 al. 3, enfin tout ce qui est nécessaire – fassent passer, en l’espace de deux mois, sans interruption estivale, les 6 ou 7 réformes qui vont changer le climat de l’économie et le climat du travail dans notre pays. C’est, évidemment pour moi : l’abrogation des 35h et la suppression de la durée légale du travail et le renvoi à la négociation dans les entreprises sans contrainte, c’est le nouveau code du travail, c’est la réforme de la fiscalité du capital, c’est la réforme de l’assurance chômage, c’est la réforme de l’apprentissage et c’est les mesures d’économies sur le budget de l’État et sur le fonctionnement de l’État”. Voilà comment Fillon résume sa stratégie économique devant un parterre de grands patrons, soigneusement triés et réunis pour l’occasion à la Fondation Concorde.

Ainsi donc, la stratégie du Dr Fillon, médecin de Molière s’il en est, repose sur trois piliers. Un plan d’austérité aussi efficace qu’un saignée, une libéralisation du marché du travail qui fonctionnera comme une véritable machine à broyer des vies et à fabriquer de la précarité, et des baisses d’impôts et de cotisations essentiellement pour les entreprises et les revenus du capital. Toutes ces politiques auront une conséquence : la déflation et son corollaire, la dépression.

Une saignée à 100 milliards

Fillon commence par une saignée de 100 milliards dans les dépenses publiques. Un tiers pour les dépenses de l’Etat essentiellement réalisées par la suppression de 500 000 fonctionnaires (dans les trois fonctions publiques), 20 % pour les collectivités territoriales et le reste pour la sécurité sociale : 20 milliards avec le passage à la retraite à 65 ans et l’établissement d’un étage de retraite par capitalisation, 20 milliards de coupes dans les dépenses de santé (avec notamment la suppression de nombreux hôpitaux et le non-remboursement des soins autres que les “maladies graves ou de longue durée”) et 10 milliards dans l’assurance  chômage. C’est un remède de cheval qui tuera le malade. L’Etat, notamment par l’intermédiaire des collectivités locales, est l’un des premier investisseurs de ce pays.

En agissant ainsi, Fillon plombera les entreprises qui travaillent en relation avec l’Etat. Le secteur du bâtiment, dont nombre d’entreprises dépendent des investissements des collectivités locales, sera notamment plombé pour quelques années. Autre élément essentiel : en coupant dans les budgets sociaux, dans les services publics et en supprimant 500 000 fonctionnaires, vous plombez la consommation populaire, pourtant motrice de notre économie. D’ailleurs, en augmentant la TVA de 2 points, Fillon casse le pouvoir d’achat populaire.

Comme la TVA est un impôt forfaitaire et non progressif, il est plus payé, proportionnellement, par les pauvres que par les riches. Nul besoin d’être docteur en keynésianisme pour comprendre qu’étant donné que le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes sera plombé, et étant donné qu’elles ont la propension marginale à consommer la plus élevée, la consommation diminuera.  Au lieu d’investir ou de consommer, les classes aisées, grandes bénéficiaires des transferts d’argent promis par Fillon, auront plus tendance à épargner. La demande baissera et les carnets de commande des entreprises se videront. A cette objection, Fillon nous répond deux choses.

Le coût du travail : une fumisterie idéologique doublée d’une vision archaïque de la compétitivité

La première, c’est que Fillon veut s’aligner sur le modèle allemand fondé sur l’exportation. Que ce modèle soit un modèle d’inégalité plutôt que de prospérité, la chose est entendue. La vérité, c’est que Fillon veut en finir avec le modèle francais dont la croissance est tiré par la consommation intérieure. Il veut en faire une économie fondée essentiellement sur l’exportation. Pour cela, propose-t-il de diminuer la valeur de l’euro comme la gamme de produit de notre industrie l’exigerait ou d’investir pour monter en gamme et ne plus subir le poids de cette monnaie ? Diable non !

Fillon a une seule obsession : le coût du travail. Comme il ne peut ni toucher à la monnaie, corsetée qu’elle est par les traités européens, ni au niveau des investissements ni à la matrice productive du pays vu que les règles budgétaires inscrites dans les traités européens l’interdisent, il veut engager la déflation salariale : baisser le prix des salaires afin de jouer sur la compétitivité prix des produits de l’industrie française à l’exportation. C’est ainsi qu’il propose 50 milliards de baisses de prélèvements dont 40 pour les entreprises : 25 milliards de “baisses de charges”. En clair, des baisses de cotisations salariales et d’impôts assis sur la masse salariale. 10 milliards de baisses d’impôts sur les sociétés sans distinction aucune (nonobstant le fait que grâce aux diverses niches fiscales, les PME paient un impôt sur les sociétés nettement supérieur à celui des grandes entreprises du CAC 40).

Autre élément permettant de baisser le “coût du travail” : la précarisation des conditions sociales des travailleurs. Fillon souhaite supprimer la durée légale du travail, revenir à un code du travail centré sur “les normes sociales fondamentales” (le resta étant renvoyé à la négociation et aux accords d’entreprises), introduire un motif de réorganisation de l’entreprise pour faciliter le licenciement économique, et engager la dégressivité des allocations chômage. Ces mesures auront pour fonction de diminuer les salaires des travailleurs, le prix qu’implique le cycle des embauches et des licenciements, et les coûts qu’impliquent les protections que le Code du Travail garantit aux travailleurs.

Au delà, Fillon espère que cela pjermettra aux employeurs d’embaucher puisqu’ils pourront licencier plus facilement leurs employés. C’est d’une logique imparable. Fillon espère donc que ces mesures permettront aux entreprises d’investir, de baisser le prix du travail et d’offrir des produits moins chers. Au delà de la brutalité sociale de ces mesures, il ne semble pas avoir conscience que l’expérience du CICE a montré que les baisses de prélèvements conduisent les entreprises à reconstituer leur taux de marge et à augmenter la part reversée aux actionnaires, d’autant plus que les baisses de prélèvements annoncées par Fillon se feront sans aucune contrepartie sociale ni garantie écologique.

Même en partant du principe que les entreprises profiteront des ces baisses de prélèvements pour baisser le prix des marchandises, le programme de Fillon repose sur un postulat faux : la diminution de la consommation populaire sera remplacée par l’exportation. Le marché extérieur remplacera les manques que le plan d’austérité de Fillon aura produit sur le marché intérieur. Cela pourrait marcher si tous les autres pays européens ne faisaient pas exactement la même chose. Or, tous les pays européens mènent une politique de déflation salariale pour gagner de la compétitivité prix. Par conséquent, la demande se rétracte dans toute l’Europe et aucun marché extérieur ne viendra apporter son secours à l’économie. La rétractation de la demande conduira à la récession qui elle-même mènera mécaniquement le pays au cycle infernal de la déflation.

Caresser le capital ne fera qu’alimenter la bulle financière

Dernier élément de la stratégie Fillon : la baisse de la fiscalité sur le capital. Fillon pense que le faible investissement des grandes fortunes françaises est du à la “pression fiscale” qu’elles subissent. Si on baisse la fiscalité sur le capital, alors les capitaux reviendront s’investir en France. Fillon propose donc de supprimer l’ISF (5,5 milliards), de diminuer les droits sur les donations et d’instaurer une “flat taxe” à hauteur de 30 % sur les produits du capital. Fillon n’a pas l’air de saisir que nous avons changé d’époque et que les profits d’aujourd’hui ne font plus les investissements de demain ni les emplois d’après-demain. Les détenteurs de capitaux exigent de tels taux de retour sur investissement (autour de 15%) qu’ils ne peuvent que les placer dans la bulle financière. Les entreprises se roulent par terre pour satisfaire leurs appétits voraces en dividendes et en cours d’actions.

En somme, Fillon veut prendre le pouvoir “avec un programme qui date des années 80, pensé pendant les années 70 et réfléchi pendant les années 60”pour paraphraser Dominique Strauss-Kahn à propos du programme commun. Le malade étant bien pâlichon, nous nous permettons de suggérer qu’en lieu et place d’une saignée, un plan de relance ne ferait de mal à personne.

Photo : ©Marie-Lan Nguyen