Midterms : une victoire pour Biden et l’aile gauche démocrate ?

© Alison Drake

La vague conservatrice tant annoncée n’a pas eut lieu. Les démocrates conservent leur majorité au sénat et ne perdent que 9 sièges à la Chambre, alors que le parti au pouvoir en concède historiquement 27 en moyenne et depuis 1946. Ce succès est avant tout celui de l’aile gauche pro-Sanders, qui renforce sa présence au Congrès et voit son orientation politique validée par les urnes, alors que les choix tactiques de l’aile droite démocrate ont vraisemblablement coûté la majorité à la Chambre des représentants. Joe Biden sort renforcé de ce scrutin, lui qui depuis deux ans a été réticent à céder aux désidératas de l’establishment démocrate. À l’inverse, Donald Trump subit un véritable camouflet sur fond de recul de l’extrême droite américaine.

S’il fallait retenir une image de la soirée électorale, ce serait celle de la salle de fête louée par le Parti républicain pour célébrer les résultats. Le président de l’opposition à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, avait convié la presse et les militants aux alentours de 22h pour prononcer un discours triomphal. Selon Politico, ses équipes projetaient un gain historique de 60 sièges. À l’inverse, les démocrates n’avaient prévu aucun événement public, anticipant une soirée compliquée. Pourtant, à minuit, le hall de réception républicain demeurait désespérément vide et les perspectives d’une victoire toujours incertaines. Au grand dam de McCarthy, la vague conservatrice n’a jamais atteint le rivage.

Sept jours plus tard, Kevin McCarthy peut enfin célébrer la reconquête de la Chambre des représentants, avec un gain net de 9 sièges (1), soit une des pires performances de l’Histoire des midterms qui débouche sur une courte majorité (cinq sièges, 222-213). Le Parti démocrate conserve le Sénat et pourrait y étendre sa majorité. Aux élections locales, il progresse au sein des parlements des États et gagne trois postes de gouverneur. Enfin, les démocrates battent tous les candidats pro-Trump et potentiellement putschistes qui briguaient des postes liés à la certification des élections dans des États clés. Autrement dit, le spectre d’une tentative de subversion de la présidentielle est écarté pour 2024. 

Du fait de son hétérogénéité territoriale et de la multitude des scrutins, ces élections de mi-mandat restent complexes à analyser, et riches en enseignements.

Un camouflet pour Donald Trump et l’extrême-droite « MAGA »

Le raté historique de la droite américaine est d’autant plus embarrassant que ses cadres et médias n’ont eu de cesse d’annoncer une vague rouge (couleur du Parti républicain) dans les jours et heures précédant l’élection.

Interrogé par un journaliste la veille du vote, Donald Trump avait déclaré : « je pense que l’on va assister à une vague rouge. Je pense qu’elle sera probablement plus grande que ce que tout le monde imagine. (…) Si on gagne, ça sera grâce à moi. Si on perd, ça ne sera pas de ma faute, mais on me désignera comme responsable ». Il a eu raison sur ce dernier point. 

La presse conservatrice a mis l’échec du GOP (surnom du Parti républicain) sur le dos de l’ancien Président. Reconnaître le caractère politiquement toxique de la suppression du droit à l’avortement par la Cour suprême ou critiquer la stratégie électorale de Kevin McCarthy et Mitch McConnell (leader républicain au Sénat) impliquerait d’admettre l’extrême impopularité de l’agenda conservateur. McConnell avait assumé de ne pas présenter de programme, convaincu du fait que la colère des Américains face à l’inflation suffirait. À l’inverse, McCarthy avait indiqué vouloir utiliser sa majorité à la Chambre pour forcer Joe Biden à choisir entre des coupes budgétaires drastiques dans la sécurité sociale ou un défaut sur la dette américaine. Puisqu’il n’était pas question de remettre en cause l’idéologie du Parti, la responsabilité de cet échec a été attribuée à la mauvaise qualité des candidats imposés par Trump. Sélectionnés pour leur dévouement à sa cause (la négation du résultat des élections de 2020), ils brillaient par leur extrémisme et leur inexpérience. Ils ont été spectaculairement battus dans tous les scrutins clés, lorsqu’ils n’ont pas échoué à conserver des sièges réputés imperdables.

La soirée électorale commençait pourtant bien pour Donald Trump. En Floride, le gouverneur d’extrême-droite Ron DeSantis est réélu avec 20 points d’écart, le sénateur conservateur Marco Rubio avec 16 points, malgré les lourds investissements démocrates dans ces scrutins. Ces derniers perdent deux sièges à la Chambre et reculent dans tous les comtés de cet ancien « swing state » repeint en nouveau bastion républicain. Dans l’État de New York, les démocrates apparaissent immédiatement en difficulté. Ils perdront un record de 5 sièges à la Chambre, coûtant la majorité aux Démocrates. La vague rouge semble alors se matérialiser, prête à tout emporter sur son passage. Avant que le dépouillement du New Hampshire vienne semer le doute. La sénatrice démocrate sortante, une centriste vendue aux intérêts financiers, écrase le candidat d’extrême-droite imposé par Donald Trump face à elle. Au fil des dépouillements, cette dynamique va se répéter à travers tout le pays, ou presque : la grande majorité des candidats proches de Donald Trump ont été battus.

Les bons résultats républicains – en Floride et dans l’État de New York, notamment – ne sont pas à proprement parler des « victoires » pour Donald Trump. À New York, les candidats républicains victorieux appartiennent à l’aile modérée du parti, l’un d’entre eux déclarant peu de temps après son élection qu’il était temps de tourner la page Trump. Quant à la Floride, le triomphe évident est d’abord celui du gouverneur Ron DeSantis, pressenti comme le principal adversaire de Trump pour obtenir la nomination du Parti en 2024.

Une primaire opposant les deux hommes pourrait fracturer le camp républicain. La base électorale reste – pour le moment – acquise à Trump. Mais l’establisment et son écosystème médiatique sont de plus en plus ouvertement hostiles à l’ancien président. L’annonce précipitée de sa candidature est un premier signe de faiblesse. Elle s’explique avant tout par sa volonté de reprendre la main et de couper l’herbe sous le pied de ses adversaires républicains. Mais c’est également le produit de son mauvais calcul : il avait annoncé l’imminence de sa candidature en pensant pouvoir se déclarer après des élections de mi-mandats triomphales. Sauf à reconnaître son échec, il lui était difficile de faire machine arrière en repartant la queue entre les jambes.

De même, la courte majorité républicaine à la Chambre des représentants repose autant sur la réélection sur le fil de candidats ultra-tumpistes comme Lauren Boebert que sur celle des modérés ayant ravi des sièges aux démocrates dans l’État de New York. Faire tenir cette coalition sans affaiblir le parti va s’avérer délicat. 

À l’inverse, la performance historique des Démocrates renforce leur coalition et offre une seconde jeunesse à Joe Biden, qui voit son action validée par ce « succès » électoral. Il doit beaucoup à son aile gauche, qui l’a poussé à gouverner de manière plus populaire, a fait activement campagne et vient de remporter de nombreux scrutins déterminants.

Porté par son aile gauche, le Parti démocrate obtient des résultats inespérés

Les progressistes ont enchaîné des succès électoraux à travers tout le pays. Les huit membres emblématiques du « squad » associés à la socialiste Alexandria Ocasio-Cortez ont été réélus. Ils peuvent en outre se féliciter de la réélection de Keith Ellison, le procureur général du Minnesota. Ce proche de Bernie Sanders avait fait parler de lui en obtenant la condamnation du policier ayant tué Georges Floyd. Connu pour son acharnement contre la corruption et le crime en col blanc, il faisait face à un candidat soutenu par les intérêts financiers locaux et les puissants syndicats de police. Sa victoire sur le fil permet de contrer le discours sur la toxicité politique du soutien au mouvement Black Lives Matter. 

À cette réussite au fort potentiel symbolique s’ajoutent de nombreux succès dans les référendums locaux : le Massachusetts a voté une taxe exceptionnelle sur les très hauts revenus ; le Michigan, le Vermont et la Californie vont constitutionnaliser le droit à l’avortement ; une loi visant à renforcer le pouvoir des syndicats a largement été adoptée en Illinois ; le cannabis sera légalisé dans le Maryland et le Missouri. Preuve que les idées progressistes sont populaires, y compris dans les États républicains, le Nebraska a voté pour le doublement du salaire minimum (à 15 dollars), le Kentucky a voté contre un référendum antiavortement et le Dakota du Sud a choisi d’étendre la couverture santé gratuite Medicaid, un programme fédéral réservé aux bas revenus. Autant de référendums qui ont contribué à la mobilisation des électeurs démocrates et viennent valider la ligne politique et stratégique de la gauche américaine.

Les démocrates centristes ne peuvent pas se targuer d’un tel bilan. Tous les sièges de sortants perdus par les démocrates sont le fait de néolibéraux ou « modérés ». En Iowa et en Virginie, deux élues s’étant opposées à la proposition de loi visant à interdire aux parlementaires d’investir en bourse, du fait des potentiels délits d’initiés, ont été battues. Leurs adversaires avaient fait campagne sur cette question. Dans l’État de New York, l’obsession des dirigeants démocrates locaux contre l’aile gauche du parti a provoqué les conditions structurelles d’une défaite, en plus de la campagne désastreuse de la gouverneure, qui sauve le siège de justesse dans ce bastion démocrate. Le directeur de la campagne nationale démocrate et cadre du parti, Sean Patrick Maloney, est lui-même battu dans sa circonscription de New York City.

La direction du Parti démocrate a également pris des décisions tactiques désastreuses. En refusant de soutenir le progressiste Jamie McLeod-Skinner en Oregon (5e district), elle perd ce siège de seulement deux points. McLeod-Skinner avait battu le candidat démocrate sortant Kurt Schrader lors des primaires. Il appartenait au « gang des 9 » qui avait torpillé l’agenda social de Biden en 2021, mais avait tout de même été soutenu par la direction du parti. Autrement dit, l’aile droite démocrate rend des candidats inéligibles en s’opposant à l’agenda politique de Biden, puis abandonne les progressistes élus par la base électorale pour les remplacer. L’inventaire des ratés similaires contraste avec le récit officiel de l’habileté des cadres du Parti à aborder ces élections de mi-mandat. 

Si les démocrates ont su capitaliser sur le fait marquant de cette campagne – la suppression du droit à l’avortement par la Cour suprême – , la stratégie gagnante demeure celle mise en œuvre par les progressistes. Celle d’un discours axé sur les problématiques économiques et sociales, ancré dans une rhétorique de lutte des classes et une critique des multinationales.

Droit à l’avortement, inflation, sauvegarde de la démocratie, vote de la jeunesse : les clés du scrutin

À quelques jours des élections de mi-mandat, le Parti démocrate semblait divisé entre deux stratégies. La première, portée par les cadres et la majorité néolibérale, consistait à repeindre les Républicains en extrémistes et faire du scrutin une forme de référendum contre le trumpisme. Cette stratégie plaçait la protection du droit à l’avortement au cœur du discours démocrate. La détérioration brutale des sondages et les enquêtes d’opinions plaçant l’inflation en tête des préoccupations des Américains, très loin devant le droit à l’avortement et l’avenir de la démocratie, avaient provoqué un vent de panique. La presse proche du Parti démocrate attribua l’imminente défaite à cette mauvaise lecture de l’électorat. La gauche démocrate insistait également sur l’importance de faire campagne sur l’économie et le social tout en dénonçant le programme de coupes budgétaires porté par les Républicains. Dans les deux dernières semaines, la direction du Parti démocrate a pivoté dans ce sens, sans renoncer à sa stratégie initiale pour autant.

Les résultats semblent lui donner raison. Les enquêtes réalisées en sortie des urnes et sur des échantillons bien plus vastes que les sondages électoraux montrent que la question du droit à l’avortement figurait parmi les priorités des électeurs, aux côtés de l’inflation et de la hausse de la criminalité. Elle a certainement permis aux démocrates de mobiliser leur base, en particularité dans des États où ce droit est menacé. Les Démocrates triomphent ainsi dans le Michigan et la Pennsylvanie, tout en réalisant des contre-performances à New York et en Californie, où l’avortement est bien protégé et la hausse de la criminalité plus marquée. 

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Traditionnellement, les électeurs se déclarant indépendants votent avec l’opposition par une marge de 10 à 20 points lors des midterms. Cette fois, ils ont préféré le parti du Président de 1 point (49-48). L’idée selon laquelle les élections se sont jouées au centre, et que l’extrémisme des républicains a antagonisé les indépendants, s’est naturellement imposée comme la clé de lecture du scrutin.

Mais elle n’explique pas la débâcle des Démocrates en Floride ni leurs bons résultats dans les comtés ruraux du Midwest. L’économie a également joué un rôle important. Or, les enquêtes en sortie des urnes montrent que l’opinion est divisée 50-50 sur la question de la responsabilité de Biden dans la hausse des prix. Ce qui témoigne de l’échec du Parti républicain et de la machine médiatique conservatrice à imprimer l’idée que les politiques sociales de Biden avaient provoqué l’inflation. Les Démocrates sont parvenus à contrer ce discours en pointant du doigt la responsabilité accablante des grandes entreprises et en comparant leur bilan économique à celui de l’opposition. Entre un pari républicain qui ne proposait aucune solution et les avancées modestes réalisées par Joe Biden, les électeurs ont souvent favorisé la seconde option.

Les Démocrates ont pu s’appuyer sur sa politique de hausse salariale, de baisse des prix des médicaments, d’investissement dans la transition énergétique et de hausse de l’imposition sur les multinationales. Le protectionnisme visant à réindustrialiser l’ancien cœur industriel du Midwest (la « Rustbelt ») a pu également jouer un rôle marginal dans les excellents résultats obtenus par les démocrates dans cette région. De même, la politique résolument pro-syndicale de Joe Biden, une première depuis Carter pour un président américain, a permis de fédérer les syndicats ouvriers derrière les candidats démocrates. Un élément qui semble avoir été déterminant en Pennsylvanie, dans le Nevada, l’Ohio et le Michigan. 

Enfin, les 18-29 ans se sont fortement mobilisés et ont plébiscité les démocrates, également majoritaires auprès des 30-44 ans. Là aussi, les politiques de Joe Biden semblent avoir joué un rôle, que ce soit son annulation partielle de la dette étudiante ou sa volonté de dépénaliser progressivement l’usage de cannabis.

Des implications importantes pour le futur

Contrôler le Sénat va permettre aux Démocrates de poursuivre les nominations de juges fédéraux, un élément essentiel pour contrer la dérive conservatrice du pouvoir judiciaire. Cela va également offrir de multiples opportunités de placer les Républicains de la Chambre face à leurs contradictions. 

Ces derniers vont disposer d’un pouvoir de véto législatif, d’un levier de négociation pour le vote du budget, et de la capacité de lancer des procédures de destitution et des commissions d’enquête parlementaires. Mais leur courte majorité rend leur situation aussi complexe que précaire. 

À l’échelle locale enfin, il sera intéressant d’observer les dynamiques dans l’État de New York, où Alexandria Ocasio-Cortez réclame la tête du président de l’antenne démocrate. La Floride étant perdue pour 2024, Joe Biden n’a plus à craindre de froisser la diaspora cubaine en levant le blocus de Cuba.

Sur le moyen terme, l’attention va désormais se tourner vers la présidentielle de 2024. Côté démocrate, Joe Biden dispose d’un solide argument pour justifier une nouvelle candidature. L’aile gauche démocrate sort également renforcée de ce cycle électoral, tant sur le plan du nombre de sièges obtenus que du point de vue purement idéologique et stratégique.

Au sein du Parti républicain, Trump tente de manœuvrer pour éteindre l’incendie et se placer en vue de 2024. S’il reste la figure dominante du parti, sa position s’est considérablement affaiblie. Tout comme celle de ce qu’il portait : une extrême droite dénuée du moindre égard pour les institutions démocratiques et persuadée de sa capacité à tordre la réalité à son avantage. Les résultats de ces midterms prouvent, au contraire, que les faits sont têtus.