PNL, pour « Peace n’ Lovés » [Paix et fric, ndlr], a sorti la quatrième et dernière partie de leur film disponible gratuitement sur YouTube, appuyé par leurs musiques en bande originale. Pour une durée totale de 66 minutes, ce tétraptyque relève d’une prouesse cinématographique qui réinvente le genre du vidéo-clip grâce à un fil narratif d’un réalisme inédit qui décrit le quotidien de la banlieue, de péripéties folles, accrochantes mais jamais clichées ou irréelles. Si la musique de PNL peut en rebuter certains, d’aucuns reconnaîtront que leur talent cinématographique est indiscutable.
Lovés, joints, QLF et fame
Intitulée Jusqu’au dernier gramme, Pt. finale, la quatrième vidéo fait suite à Naha, Onizuka, et Béné, musiques également parues en 2016 sur leur album Dans la légende, certifié disque de Diamant, chose inédite pour un label indépendant. Le groupe de rap PNL, formé par les deux frères Ademo et N.O.S, a introduit le cloud rap en France, s’inspirant de Yung Lean ou d’ASAP Rocky. Malgré un vocabulaire plutôt pauvre et redondant, le duo est parvenu à relater le quotidien abrutissant et violent des banlieusards enterrés dans leur cité, zonant en bas des blocs. Vente de canabis — et l’ivresse inhérente —, rivalité entre les gangs, la figure de la sœur et de la mère, la célébrité sont au centre de leur univers.
« J’voudrais sauver la Terre / Parfois j’voudrais la voir brûler / Ça va pas trop j’roule un tehr trop d’haine pour neuf mètres carrés » (Jusqu’au dernier gramme)
Si ces thèmes paraissent communs aux autres rappeurs français, la manière dont PNL les traite demeure inédite. L’égotrip est souvent ironique, morose, réaliste. Quant à la vulgarité et la brutalité de certains de leurs propos [1], elles sont contrastées par la maturité et le recul acquis face à certaines situations. « En fait le truc c’est qu’j’dois tuer mon monstre. Ouais j’suis là, j’me balade dans ce décor de merde » (Humain), contraste avec « On veut la ville pas le sang du maire » (Dans la légende). Ils n’ont plus peur, ni du quartier ni de la justice, ils ont trop vécu et tout connu, maintenant « [ils] sourient car [ils] connaissent déjà le sort de cette juge qui [les] condamne » (Kratos), manière métaphorique de signifier qu’ils ont mûri.
En comparant avec les vidéo-clip d’un Booba ou d’un Maître Gims, la présence des femmes est souvent dépréciative, présentées comme des « filles faciles », seules la mère et la sœur y échappent et sont élevées sur un piédestal. Or, mis à part les quatre parties du film, notons la quasi-absence de femmes [2] dans les clips de PNL. Comment l’expliquer? En prenant attention à leurs textes, on a vite l’impression que leur misogynie est feinte à cause d’une socialisation trop oppressive du quartier. Comme si eux-mêmes ne croyaient pas à la prétendue infériorité de la femme mais qu’ils se retrouvaient contraints à adopter ce discours pour prouver leur virilité.
« J’viens faire mon beurre, mer de billets, j’fais des longueurs » (Onizuka)
L’odeur et la couleur de l’argent sont omniprésentes dans l’univers PNL. Au lieu, comme Kaaris, de se payer des prostituées, ils demeurent lucides et « leur frigo n’a plus peur. Petit frère change de paire [de chaussures] » (J’suis QLF) et « jusqu’à c’que la vie ne leur fasse plus jamais peur ». Eux-mêmes le disent, ils ont trouvé un équilibre grâce à la musique et n’éprouvent plus le besoin de vendre, de se battre, de prouver quoique ce soit. Ils travaillent sur leur musique et leur film.
Un réalisme quasi-zolien [3] de la banlieue
Les thèmes abordés dans le film sont ceux évoqués plus haut mais mettent en scène surtout quatre personnages : Naha, Béné, Onizuka et Macha. Le film s’ouvre sur l’intérieur d’une HLM de banlieue parisienne avec un jeune qui roule un joint. D’emblée, le ton est donné. L’univers est oppressant, mortuaire et abrutissant. Échapper à l’ennui par l’herbe, échapper à la pauvreté par sa vente. Des jeunes, déscolarisés ou trop âgés pour le secondaire, sont en bas des immeubles, fument des clopes, rient, discutent, attendent parfois et, surtout, ne font absolument rien. Toute l’intrigue du film part sur une guerre commerciale de contrôle du marché de la weed. Comme si cette petite guerre n’était que divertissement. Évidemment, il n’en sera rien.
Rapidement, l’introduction des policiers apparaît. Mais là où l’on croirait les voir présentés péjorativement, ils sont simplement des policiers observant la banlieue pour démanteler le trafic. Ils ne présentent pas de caractéristiques grossières du flic blanc qui vote FN. À aucun moment, on ne tombe dans le cliché. Pour autant, ils ne taisent pas la haine des policiers qui existent — notamment lorsque Béné lance une brique sur le pare-brise de la voiture policière ou l’altercation entre les policiers et les amis de Macha qui est recherché.
« Les billets bleus sont devenus violets, les rouges sont devenus verts » (Da)
Les jeu des acteurs qui proviennent de l’entourage des deux rappeurs est sans fausse note [4]. Le jeune Béné, nous touche par sa révolte candide, et par sa volonté de porter le monde sur ses épaules et de vouloir régler tous les problèmes seul. Le personnage d’Onizuka est particulièrement attachant car il fréquente l’université qu’il finit par quitter. Il incarne l’individu qui tente de se sortir de cet enfer mais que la réalité du quartier finit par rattraper.
La ville de Corbeil-Essonnes, et plus particulièrement la cité des Tarterêts, d’où est issu PNL, est marqué par sa violence quotidienne que le duo s’est efforcé de montrer dans le film. Bagarres entre les différents gangs, l’affligeante facilité pour se procurer un pistolet chez le voisin, les menaces, les regards qui se transforment en coup de couteau.
« Pas besoin des bras d’une femme, j’connais pas ceux de ma mère / Pas besoin qu’on m’aime en fait, j’ai juste besoin que tu quittes ma tête » (Simba)
Une courte scène dans la partie finale met en scène un contraste impressionnant entre le quotidien de Corbeil-Essonnes qui jouxte la banlieue pavillonnaire de Villabé, où des jeunes blancs jouent au foot et filment la voiture de police qui passe, comme pour marquer qu’ils sont inhabitués à cette présence [5].
La métaphysique du rêve [6] ponctue le film et a une place non négligeable : que cela soit la simple présence d’un survêtement de club de foot tels que FC Barcelone ou Inter Milan ; ou bien de clubs moins connus tels que FC Real Bristol, de façon à signifier que le jeune a dû faire un essai dans le club de formation mais qu’il a échoué ; ou encore Macha qui, ayant fui à Marbella, trompe l’ennui accompagné d’une femme, les pieds dans la piscine, les palmiers fouettés par le vent méditerranéen.
Le couple son-image
Et d’un point de vue technique ? PNL a utilisé ses musiques comme bande originale et nommé éponymement les épisodes de leur film. Ainsi, le titre Naha est la bande originale de la première partie du film. Ce procédé aurait pu devenir répétitif si PNL n’avait pas modulé les titres originaux pour qu’ils collent parfaitement au corps esthétique du film. Ils ont non seulement effectué des modulations du thème musical, augmenté de nouvelles nappes sonores et instruments, mais ils ont aussi amputé des sons présents sur le titre originel. Il faut encore noter l’astuce du leitmotiv pour annoncer l’action future d’un personnage principal. Par exemple, l’irruption du leitmotiv de Naha dans la musique d’Onizuka qui s’y entremêle avec perfection.
En ce qui concerne les techniques de tournage, PNL est renommé pour des clips de qualité. Que cela soit Oh Lala tourné en Islande ou La vie est belle tourné en Namibie, l’esthétique soignée et onirique du groupe cadrait déjà parfaitement avec la musique planante. Dans ce film, on remarque un soin particulier accordé à l’alternance entre les ralentis et les plans accélérés. Peut-être qu’un usage plus parcimonieux des ralentis aurait été plus judicieux. Sinon l’utilisation du fondu au blanc et fondu au noir obéit aux règles classiques du cinéma mais la règle du 180° [7] n’est parfois pas respectée, ce qui peut donner l’impression de faux-raccord.
« On veut la vie de rêve, elles veulent toutes l’arrière à Kim Kim / J’crame ma garo puis je respire comme si je sortais de Guantanamo » (Gala Gala)
Quant à la trame de l’histoire, on est vite happé par le destin de ces personnages pour qui l’on s’attache ou que l’on hait à l’instar de Macha — l’acteur ayant même reçu des menaces de mort de fans… Aussi, les deux frères ont évité de tomber dans la simplicité du manichéisme des policiers ou de Macha, le “méchant” du film. De fait, grâce à l’usage de flash-back, ils parviennent à raconter l’histoire de ce dernier et l’on parvient presque à s’émouvoir, à comprendre d’où vient sa violence. La violence, selon PNL, ne serait donc pas intrinsèque à l’homme mais proviendrait d’une enfance elle-même violente, d’un père qui bat son fils, d’un ballon de foot crevé. Une violence intériorisée comme moyen de vengeance contre cette « chienne de vie ».
Cette vie qui, après tout, mérite d’être fumée jusqu’au dernier gramme.
Notes de bas-de-page :
[1] On a beaucoup reproché à PNL leur vulgarité, l’usage de mots arabes et d’onomatopées, leur manière brutale de parler, presque animale mais, revendiquant cette appartenance à la cité, ils posent leur animalité en opposition à ceux qui parlent de manière civilisée. Les mêmes qui, pour eux, les enterrent dans des cités.
[2] Mise à part une paire de hanches qui passent très rapidement dans le clip J’suis QLF. C’est d’ailleurs ce que signifie aussi QLF (Que La Famille), qu’ils n’accordent aucune attention aux femmes sauf à leur sœur ou à leur mère.
[3] Peut-être est-il nécéssaire de s’expliquer sur l’utilisation du terme ‘zolien’, provenant de l’intellectuel Émile Zola. Le naturalisme zolien s’est toujours efforcé à dépeindre les classes populaires d’une précision encore inégalée aujourd’hui. Quant à PNL, si leur vocabulaire n’est effectivement en rien comparable à celui de l’écrivain, leur réussite passe justement par un dictionnaire pauvre mais une expression paradoxalement tout aussi riche. Si PNL est aussi apprécié c’est qu’ils ont su parler aux gens d’en bas avec leur vocabulaire. Pour autant, le mot ‘quasi’ apparaissait nécéssaire, car ce réalisme se distancie de celui de Zola puisqu’il n’a, si ce n’est le même but, au moins des moyens d’expression différents.
[4] Si le jeu d’acteur est bon pour une production indépendante sans grands moyens, la synchronisation des voix est parfois très légèrement décalée ce qui donne un résultat malheureusement très brouillon.
[5] Autre contraste très intéressant, la cité et Paris que les protagonistes sont amenés à rejoindre par RER. La capitale se résume à l’université ou aux stations de métro. L’autre scène dans Paris intra-muros est synonyme d’échappatoire pour Béné et son ami, consacrant la différence de monde entre des endroits pourtant séparés par moins de vingt kilomètres.
[6] Plus que la substance onirique, c’est le rêve, l’espoir, qui sont au centre de l’univers PNL mais comme moyen d’échappatoire, d’exutoire presque, à l’enfer qu’est la banlieue.
[7] « Lorsque l’on filme deux personnages qui se font face en champ/contre champ, la caméra ne doit pas franchir la ligne imaginaire qui réunit ces personnages » Vincent Pinel, Dictionnaire technique du cinéma
Pour aller plus loin :
La musique Tu sais pas est probablement l’une de leur plus engagée. Sinon, Jusqu’au dernier gramme est l’une des plus poétiques et la mieux écrite. Pour mieux cerner l’univers PNL vaut-il encore mieux se plonger dans leurs albums en entier plutôt qu’écouter des musiques isolées, écrites originellement pour former un tout.
Crédits images :
- Screenshot du clip Le monde ou rien, YouTube
- Screenshot du clip Jusqu’au dernier gramme, YouTube
- Screenshot du clip Onizuka, YouTube
- Screenshot du clip Jusqu’au dernier gramme, YouTube