Pourquoi les Occidentaux ont du mal à comprendre les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud

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©The Presidential Press and Information Office

Kim Jong-un serrant la main de Donald Trump : en un instant on basculait, dans la grammaire trumpienne, du « Rocket Man » au « Brave Man ». L’idylle, on l’a vu, fut de courte durée, et la Corée du Nord n’a pas tardé à redevenir le régime honni qu’il était aux yeux des États-Unis. Dans les médias français, c’est une analyse manichéenne et monocausale qui domine : les échecs diplomatiques du régime nord-coréen seraient uniquement imputables à sa soif de pouvoir et à son irrationalité. Afin d’en saisir tous les enjeux, il importe de revenir sur la spécificité de la relation entre les deux Corées et sur leurs déterminants géopolitiques et historiques complexes. 


Comment expliquer cette difficulté à comprendre les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ? Le primat donné en Asie de l’Est à la Chine et au Japon peut constituer un élément d’explication – la péninsule coréenne étant peu ou prou considérée comme un hybride sino-japonais. La médiatisation des aspects les plus folkloriques de la dictature nord-coréenne, vendeuse auprès des opinions publiques, explique également pourquoi l’histoire des Corées est fréquemment caricaturée et simplifiée. Pour en comprendre la spécificité, il convient de remonter à la déchirure originelle entre les deux Corées, sous la Guerre froide.

Sous la guerre de Corée, Pyongyang a été rasée à 80 %, et Séoul à 65 %. Malgré la faible place que lui accorde la mémoire collective en Occident, cette guerre constitue l’un des conflits les plus meurtriers qu’ait connu le XXème siècle.

La Corée sacrifiée sur l’autel des enjeux de Guerre froide

Une offensive du Nord, le 25 juin 1953, fit basculer l’entière péninsule coréenne dans une guerre qui allait durer près de trois ans. Une guerre sans vainqueur ni traité de paix, consacrant le divorce des Coréens. Pour ces derniers, cet événement comporte un air de déjà-vu, comme si l’histoire aimait à se répéter. Naguère les Mongols, puis les Japonais, et enfin les Soviétiques et les Américains sous la Guerre froide : l’influence étrangère structure l’histoire des deux pays, jadis unis.

La guerre de Corée, qui laisse derrière elle des millions de morts, rejaillit inlassablement dans les consciences contemporaines. Au Nord, le spectre d’une invasion hante sans relâche les esprits et explique pour partie les réactions paranoïaques et irrationnelles du gouvernement. Au Sud, elle rend difficile, sur le court terme, la construction d’un État-nation moderne et démocratique unifié avec le Nord.

Ce processus débute dès 1910, le 29 août, jour de l’humiliation nationale (gukchi il) avec l’annexion de la Corée par le Japon. Après 1945, les États-Unis sont propulsés suite à la défaite du Japon comme un acteur majeur de la région. David Cumin, dans un article de la revue Hérodote, Retour sur la guerre de Corée, paru en 2011, montre précisément que les dispositions de la conférence de Moscou devaient amener à l’indépendance de la Corée, puis à la construction d’un État démocratique ; il n’en fut rien : le dissensus soviéto-americain bloqua toute procédure allant en ce sens. L’occupation militaire du Sud par les États-Unis et du Nord par les Soviétiques retirait aux Coréens toute forme d’autonomie dans la prise de décision quant à l’organisation politique de leur pays. Quand l’Assemblée générale des Nations unies demande l’organisation d’élections dans toute la Corée, l’URSS refuse l’accès dans sa zone à la Commission temporaire des Nations unies pour la Corée. La République de Corée est finalement proclamée au Sud, avec Syngman Rhee comme chef d’État – anti-communiste radical, pro-américain résolu et partisan d’une réunification des deux Corées par tous les moyens, y compris par la force. De son côté, l’URSS poursuit la mise en place d’un gouvernement provisoire au Nord, et la République démocratique et populaire de Corée est proclamée dans la foulée. À sa tête, Kim il-sung.

Les deux camps, bien avant 1950, se livrent à des arrestations massives, des exécutions arbitraires, des massacres d’opposants politiques. Comme le montre l’officier et historien Ivan Cadeau, dans La guerre de Corée. 1950-1953 publié en 2016, de graves carences d’appréciation de la situation sont de mise, pendant de nombreuses années, chez les chercheurs occidentaux. Les représentations manichéennes des rapports entre la Corée du Nord et la Corée du Sud prévalaient déjà largement, avant même le déclenchement des hostilités.

Kim il-Sung se trouvait à la tête d’un pays plus industriel, plus développé, plus apte à la guerre : Staline, à l’inverse des Américains, ne craignait pas la possibilité d’une guerre, et aida massivement le Nord. Ce qui ne signifie en rien, comme le souligne Ivan Cadeau, que les Américains étaient dupes. La péninsule n’était simplement pas une priorité stratégique de l’état-major américain au début de la Guerre froide. Dans un discours prononcé le 12 janvier 1950 devant le National Press Club, le Secrétaire d’État des États-Unis, Dean Acheson, délimite le périmètre défensif des États-Unis au Pacifique. Il ne cite aucunement la Corée, puisqu’il se borne à énoncer une ligne qui va des Îles Aléoutiennes jusqu’au Japon, puis de ce dernier aux Philippines. La Maison Blanche était sans aucun doute au courant des ambitions de Seegham Ree quant à ses désirs de réunifier la Corée, d’où la volonté américaine de ne pas armer en conséquence les troupes sud-coréennes. Dès 1949, au Nord, la décision de réunifier la Corée par la force est déjà prise et le Sud adopte rapidement la même approche. Bien avant le 25 juin 1950 qui déclenche la Guerre de Corée, de violents engagements ont lieu au 38ème parallèle, des deux côtés.

Dans cette guerre, initialement réticents, les Américains ne furent pas moins impliqués que les Soviétiques, au point qu’Ivan Cadeau la qualifie de « guerre américaine ». Si ce sont les Nations unies qui s’opposent aux forces sino-coréennes, c’est bien la Maison Blanche qui définit les stratégies politiques et militaires du Sud. Les commandants en chef des forces de l’ONU sont tous américains, et n’obéissent finalement qu’au président des États-Unis, ainsi qu’au Comité des chefs d’état major ; il faut rappeler qu’à cette époque, l’Union soviétique était absente du Conseil de sécurité de l’ONU, et la Chine y était représentée par l’État taïwanais, dirigé par Tchang Kaï-Chek. Entre 1950 et 1953, près de 1,8 millions de soldats américains combattent en Corée. Les États-Unis dépensent 50 milliards de dollars pour financer la guerre. Défensive à ses débuts, la guerre devient offensive lorsque l’armée nord-coréenne est repoussée au Nord du 38ème parallèle, et que les troupes sud-coréennes, appuyées par les bombardiers américains, envahissent le Nord et se dirigent vers Pyongyang.

C’est en Corée que les troupes américaines expérimentent l’arme qui entachera plus tard sa réputation au Viêt-Nam : le napalm. Le déversement de 30 000 tonnes de napalm sur la Corée du Nord par l’armée américaine constitue un traumatisme durable, et fait apparaître à nombre de Nord-Coréens la nécessité d’une sanctuarisation de leur territoire. Il est difficile de prendre en considération les relations entre les deux Corées, ainsi que la diplomatie nord-coréenne, sans prendre en compte cette donnée.

L’armistice n’est signé que le 27 juillet 1953, à Panmunjom. The Forgotten War, comme la nomment certains journaux américains, aura laissé derrière elle des millions de morts. Dans son ouvrage sur la Guerre de Corée, Ivan Cadeau dresse un bilan saisissant. Ainsi, les pertes de l’armée américaine sont de l’ordre de 33500, et on compte des centaines de milliers de blessés. La Corée du Sud a perdu un demi-million d’hommes. Enfin, la Corée du Nord enregistre plus de 520 000 tués, et la Chine, plus d’un million et demi de volontaires. Cette guerre est bien évidemment un gouffre économique puisque nombre de villes ont été dévastées. A titre d’exemple, Pyongyang a été rasée à 80 %, Séoul à 65 %. La guerre de Corée, malgré la faible place que lui accorde la mémoire collective en Occident, constitue l’un des conflits les plus meurtriers qu’ait connu le XXème siècle.

Démocratie désenchantée et monarchie nucléarisée

Près de soixante-dix ans plus tard, la situation est méconnaissable. La mutation qu’a connu la Corée du Sud à l’aube des années quatre-vingt l’a poussée dans les nations les plus développées au monde, dynamisée par ses chaebols – les 9 conglomérats industriels, dont Samsung et LG. La Corée du Sud a vu naître en son sein une société civile développée et une vie politique dynamique – que l’on se souvienne du Choi Gate, qui a révélé les conflits d’intérêt au sommet de l’État coréen, et de la réaction de la population, qui a conduit à la destitution de Park en décembre 2017. La vitalité de son économie n’est plus à établir, même si son taux de croissance ne s’élève qu’à 3,1 %, alors qu’il avoisinait les 6% il y a dix ans.

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Les protestations contre Park Geun-hye à Séoul fin novembre 2016. ©Jjw

Le Nord, jadis plus industriel, plus riche, a rejoint le bloc socialiste, avant de perdre dans les années 90 ce qui faisait sa richesse. S’il a longtemps été dopé par ce bloc, Moscou et Pékin ont raidement abandonné la petite monarchie du Nord à la fin de la Guerre froide. Modèle pour les pays du Tiers-Monde dans les années 60 et 70, le pays s’effondre jusqu’à connaître la famine après la chute du mur (1995-1997). Cette famine, qui a causé jusqu’à la mort de deux millions de Nord-Coréens, est tout autant le produit des structures économiques sous-développées de la Corée du Nord que des sanctions imposées à l’initiative de Washington. Nombre de Nord-Coréens l’inscrivent dans la continuité de la Guerre de Corée et des souffrances endurées durant ce conflit par les civils.

 « Doté d’une doctrine claire ( Juche ), la Corée du Nord n’est pas un pays régi par des dirigeants irrationnels. Kim Jong-Un est hanté par l’idée d’une invasion étrangère – en provenance des États-Unis, mais aussi de la Chine – et voit dans le nucléaire le moyen de s’en prémunir »

Aujourd’hui, la Corée du Nord reste en proie à d’immenses difficultés économiques et sociales. La malnutrition continue de toucher une grande partie de la population – environ 40%, selon l’historien et politologue Barthélémy Courmont, qui s’appuie sur les travaux de Camille Laporte. – L’aide au développement en Corée du Nord, sorti en 2012. Kim Jong-un apparaît comme un réformateur, tâchant de moderniser l’économie de son pays : s’appuyant sur la politique du byong jin, il compte développer le nucléaire et l’économie. Dans ce sens, force est de constater que la Corée du Nord de 2019 est loin d’être celle des années 90. Si les campagnes restent sous développées, concentrant la pauvreté, il a fait de Pyongyang une métropole des sciences et de la technologie, véritable laboratoire d’expérimentations économiques et sociales.

Bien sûr, le dirigeant de Corée du Nord n’abandonne pas ce qui constitue l’ADN de sa politique depuis Kim il-Sung : l’autosuffisance économique (charip), l’autonomie militaire (chawi), regroupées dans le chaju : la volonté claire d’une indépendance politique, accompagnée de l’égalité diplomatique et de l’intégrité territoriale. On aurait tort de sous-estimer la cohérence et la rationalité de la doctrine (juche) qui régit les actions politiques du régime nord-coréen. Kim Jong-un, hanté par une histoire qu’il croit faite uniquement d’agressions étrangères, voit dans le nucléaire le seul moyen de sanctuariser son pays et de prémunir sa population d’une invasion. Invasion américaine, bien sûr, mais aussi potentiellement chinoise, bourreau historique de la Corée, et voisin à bien des égards imposant pour la Corée du Nord : l’immensité de son territoire et son statut de puissance mondiale agissent comme de perpétuels avertissements pour les Coréens. Rognant chaque jour sur l’indépendance nord-coréenne, la Chine tente par ailleurs d’influer sur l’identité nord-coréenne ; c’est ce que laisse à penser Maurizio Riotto, professeur de langue et de littérature coréenne à l’université des études de Naples (La péninsule coréenne et son avenir, dans la revue Outre-terre) insistant notamment sur les manœuvres des milieux universitaires chinois qui, depuis les années 90, initient une mobilisation visant à délégitimer le passé de Koguryŏ, ancien royaume se trouvant dans une partie de l’actuelle Corée du Nord. Kim Jong-un se méfie de son voisin ; à cet égard, l’élimination du numéro 2 du régime Kim Jong-nam, proche de la Chine, est un lourd signal envoyé à Xi Jinping.

Dès les années 60, le régime de Corée du Nord tente de mettre la main sur l’arme nucléaire avec l’aide des soviétiques. Cette alliance se matérialise par un traité d’assistance mutuelle, et la livraison d’un premier réacteur nucléaire. S’ensuit une partie de cache-cache, au cours de laquelle la Corée du Nord n’a cherché qu’à gagner du temps. Si en 1985 elle signe le traité de non-prolifération nucléaire, elle refuse par la suite toute inspection. En 1993, après la découverte de plutonium, des pourparlers sont émis ; l’accord du KEDO fixe pour conditions l’abandon du programme nucléaire militaire et la livraison de réacteurs civils. Les années Bush compromettent l’application de ce traité : inscrivant la Corée du Nord dans l’axe du mal, George W. Bush se refuse à toute négociation. Les années 2002 et 2003 marquent un regain de tensions, avec le développement secret de l’enrichissement d’uranium et la reprise du programme nucléaire, ainsi qu’une nouvelle sortie du TNP. Cette menace du développement du nucléaire rend les relations entre les deux Corées conflictuelle, tout comme le gouffre qui sépare la nature des deux régimes. Ce dernier trait constitue d’ailleurs un élément constant de la stratégie de politique intérieure des deux gouvernements, cherchant par tous les moyens à se démarquer l’un de l’autre.

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La ville de Pyongyang. © Uri Tours

Les errements de la diplomatie

Parmi toutes les stratégies utilisées par le gouvernement américain, aucune n’a réellement fonctionné, ni pour faire tomber le régime nord-coréen, ni pour le pousser vers la voie de la dénucléarisation. Les sanctions, panacée devant faire tomber un régime sanguinaire, ont au contraire fourni une justification idéologique au gouvernement. Pire, comme le montre le rapport de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de septembre 2017 intitulé Le régime de sanctions à l’encontre de la Corée du Nord, elles ont contribué à l’apparition d’une famine dans les années 90, à l’origine de deux millions de morts.

Ces mêmes sanctions sont par ailleurs biens souvent contournées par le biais du bureau 39. Ce dernier, véritable colonne vertébrale du régime, agit comme une banque qui permet de financer le programme nucléaire. Il gère plusieurs milliers de sociétés qui opèrent à l’étranger, rapportant à lui seul la moitié du produit intérieur brut de la Corée du Nord. Il y aurait ainsi plus de 150 000 travailleurs à l’étranger, en Mongolie et en Russie. 75% de leur salaire serait confisqué par le régime.

La Corée du Nord adopte donc une stratégie souvent fine, qui lui permet d’arriver à ses fins. Pendant ce temps, les chancelleries du monde entier sont aux abois. Le comportement des présidents américains ne brille souvent pas par sa subtilité, donnant du grain à moudre à la propagande du régime. Bien avant Trump, Clinton avait menacé en juin 1994 la Corée du Nord de destruction, avant de provoquer des soldats nord-coréens dans la zone démilitarisée. Sur la question des relations avec la Corée du Nord, la France est alignée sur les États-Unis. Elle n’a toujours pas reconnu la Corée du Nord – elle est la seule dans l’Union européenne avec l’Estonie – et a voté les sanctions envers le régime des Kim. Dans le même temps, une centaine de pays ont reconnu le Nord, dont la Chine et la Thaïlande, et des délégations nord-coréennes siègent à l’ONU et à l’Unesco.

Des espoirs fragiles

L’histoire est parfois déconcertante et donne lieu à des scènes qui laissent poindre une lueur d’espoir. Les rencontres entre M.Trump, et M.Kim Jong-un, ou entre M.Kim Jong-un et M.Moon en 2018 sont de cet ordre. Le président américain s’affichait alors à Singapour le 12 juin, avec son homologue nord-coréen, avec un brin de sympathie, tandis que ce dernier évoquait la perspective d’une dénucléarisation de la péninsule. Une réussite diplomatique d’une rare ampleur pour le dirigeant nord-coréen, qui rencontrait un président américain pour la première fois de l’histoire du régime.

«  soulever la question du nucléaire pour les américains – lorsqu’on connaît les déterminants géopolitiques qui ont poussé le gouvernement du Nord à rechercher l’arme nucléaire, hanté par le spectre d’une invasion – ne constitue-t-il pas un prétexte, une volonté de ne pas négocier ? »

Enfin, l’opiniâtreté de M.Moon, le président de la Corée du Sud, allait à rebours de l’attitude de Mme Park, insistant sur l’unité du peuple Coréen, leur langue et leur culture commune. Dans une époque marquée par le primat de l’image, l’ancien conseiller des présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun a privilégié une mesure concrète : la possibilité d’une réouverture en 2019 de la liaison ferroviaire entre Pyongyang et Séoul, confirmée par la venue de délégations des deux Corées le mercredi 26 décembre 2018 à Kaesong, et l’ouverture d’un bureau des liaisons, le 14 septembre 2018, permettant de communiquer 24h sur 24 avec le Nord. M. Moon s’est aussi attelé à désamorcer le nationalisme coréen, à l’heure où il fait florès dans toute la région. Moon parvient à rétablir la confiance avec son voisin nord-coréen après des années tourmentées, symbolisées par l’attitude diplomatique du conservateur Lee Myung Bak, au pouvoir en 2008.

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La rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un en juin 2018. ©Dan Scavino Jr

La confédération, à défaut de la réunification ?

Depuis, aucune mesure concrète n’a été prise par le gouvernement des États-Unis ou de Corée du Nord, et leur relation reste marquée de la même acrimonie qui la caractérise depuis les années 50. Un nouveau sommet a eu lieu fin février 2019, au Viêt-Nam, entre les chefs d’États coréens et des États-Unis. Ces derniers y ont renouvelé la demande d’une dénucléarisation vérifiable de la Corée du Nord. Mais soulever la question du nucléaire, dans les circonstances que l’on sait – lorsqu’on connaît l’histoire traumatique de la Corée, les déterminants géopolitiques qui ont poussé le gouvernement du Nord à rechercher l’arme nucléaire, la psychologie des dirigeants, hantés par le spectre d’une invasion – ne constitue-t-il pas un prétexte, une volonté de ne pas négocier ? Une chose est certaine : la menace nord-coréenne permet à la première puissance du monde de rester militairement active en Corée du Sud. À l’heure ou la Chine connaît une expansion sans commune mesure, la Corée du Nord est un alibi qui permet aux États-Unis de justifier leur entreprise de militarisation de la région. Chez les théoriciens néoconservateurs, on se prépare à la guerre : « nous irons à la guerre dans la mer de Chine méridionale d’ici cinq à dix ans. […] Il n’y a aucun doute là-dessus », déclarait Steve Bannon au Guardian en 2016. Une dénucléarisation que le régime nord-coréen, à n’en pas douter, n’acceptera de toutes manières jamais.

Quant à la réunification politique, elle est une chimère qui hante la péninsule, et qui n’a pas fini de faire rêver la vieille génération coréenne – la jeunesse y étant plus indifférente. Les grands – Chine, États-Unis, Russie, Japon – mus par la realpolitik, s’en méfient fortement, eu égard aux précieux intérêts géostratégiques qu’ils protègent dans cette région. Les différences culturelles et linguistiques s’accroissent jour après jour entre les deux Corées, ne facilitant pas l’hypothèse d’une réunification. Et pourtant, une identité proprement coréenne survit, au Nord comme au Sud.

Aujourd’hui plus que jamais, à défaut d’une réunification, l’idée d’une confédération fait son chemin. Déjà évoquée lors du sommet inter-coréen de juin 2000, elle serait une aubaine pour la Corée du Sud qui profiterait d’une main d’œuvre disciplinée et formée, et d’une population souhaitant plus que jamais consommer. Fortune aussi pour le Nord également ? à condition que cette confédération ne soit pas mise en place d’une manière qui donnerait au Sud de profiter de l’asymétrie en termes de développement des deux Corées. La baleine et la crevette, dit le proverbe coréen. Et si les Corées en venaient à donner du grain à moudre à la Chine et aux États-Unis ? Au Nord comme au Sud, on s’agace de la place croissante d’alliés encombrants, comme l’illustrent les vives critiques contre le déploiement du Terminal high altitude area defense (Thaad), le bouclier antimissile américainla présence américaine demeurant très contestée au Sud, depuis le départ. Cela constituerait un renversement spectaculaire de la situation – à condition que les antagonismes extra-péninsulaires l’emportent sur l’antagonisme intra-coréen.

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