Présentation – Qu’est-ce que la critique de l’économie politique ?

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À de nombreuses reprises, Marx a caractérisé son projet théorique par l’expression « critique de l’économie politique ». Et contrairement à ce que l’on peut lire et/ou entendre ici et là, un tel projet semble conserver toute son actualité. Les concepts centraux de l’« économie politique » en question continuent en effet non seulement de servir de base aux théories économiques contemporaines mais influent également de manière plus profonde sur notre perception du monde social et politique en constituant une grille de lecture inconsciente, rabâchée implicitement par les médias capitalistes dominants jusqu’à prendre parfois chez nous la forme d’un réflexe intellectuel profondément ancré.

Cela est bien entendu lié à des facteurs matériels très concrets, au premier rang desquels notre dépendance accrue envers le marché capitaliste pour ce qui est de notre vie quotidienne, de notre travail à nos loisirs. Et lorsque le moindre échange devient soumis à la loi du marché, difficile de ne pas considérer cette loi – avec toutes les notions qu’elle véhicule : égoïsme, compétitivité, concurrence, rentabilité etc. – comme une dimension objective nécessaire de notre monde. Difficile, pour reprendre les termes de Marx, de ne pas verser dans le « fétichisme », de la marchandise, de l’argent et du capital, qui nous met face à un monde social doté des ses lois autonomes sur lesquelles nous n’aurions absolument aucune prise. Il faudrait alors nous contenter, sur la base des lois du monde tel qu’il est, de tirer individuellement son épingle du jeu.

L’une des grandes forces de la critique marxiste est de montrer de manière éclatante le lien qui existe entre les concepts fondamentaux de la science économique, l’acceptation de la prétendue réalité économique comme un fait intangible, et la réduction de la vie sociale à une série d’interactions interindividuelles dont toute idée de collectif est bannie. Et c’est ce qui constitue, selon Marx, le carcan idéologique de notre impuissance, qui nous assigne exclusivement deux rôles, endossés tour à tour, celui de l’entrepreneur et du consommateur. Dans les deux cas, toute relation à l’autre ne peut être pensée que sur le mode de la rivalité et de la compétition. Autant dire qu’il devient difficile, sur cette base, de faire vivre un imaginaire collectif et militant, dont le principe de base contredit les axiomes de l’idéologie économiste contemporaine en s’énonçant ainsi : les lois du monde sont modifiables à condition que des collectifs militants s’en chargent.

L’énoncé de telles généralités ne suffit bien entendu pas à rompre avec des habitudes de pensées ancrées en nous. C’est pourquoi cette rubrique se propose d’analyser des exemples de politique économique contemporaine pour en dégager d’une part la cohérence d’ensemble, celle du projet capitaliste, et la confronter d’autre part à la possibilité d’une autre cohérence, d’une autre politique, celle du projet marxiste entendu en un sens très large. Nous faisons ainsi le pari d’une possible démystification des évidences de l’économie capitaliste et de son monde, à la fois en tâchant de démonter les mécanismes de production de ces évidences et en manifestant la possibilité d’une autre grille de lecture et donc d’un autre monde.

Une dernière chose. Chaque article s’ouvrira sur la reproduction d’un bref extrait d’un « classique » du marxisme. Qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions. Il ne s’agit pas de sanctuariser la parole des anciens mais simplement de lutter également contre l’amnésie organisée qui voit disparaître peu à peu des enseignements et plus généralement de la culture contemporaine des pans entiers de l’histoire du mouvement progressiste. D’autre part, écrivant pour la plupart à des époques ou dans des contextes où les lois du monde capitaliste n’avaient pas acquis l’apparence de naturalité qu’elles ont pour nous, les théoriciens en question s’avèrent bien utiles pour jeter un regard nouveau, paradoxalement, sur le sens des politiques économiques contemporaines.

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