Primaire populaire : le culte de l’Union suprême

Manifestation de militants de la primaire populaire devant la mairie de Saint-Etienne le 11 décembre 2021. © Hervé Agnoux

Fondée en mars 2021 par les militants Samuel Grzybowski et Mathilde Imer, la primaire populaire semble être devenue depuis peu le centre de toutes les attentions. Récemment soutenue par Anne Hidalgo et Christiane Taubira, l’initiative vise à désigner un unique candidat de gauche pour la présidentielle de 2022. L’entreprise cristallise à n’en pas douter les espérances de nombreux militants de gauche souhaitant tourner la page de l’éreintant quinquennat Macron. Pour autant, cette démarche est-elle souhaitable ?

Si la primaire populaire a connu récemment une large médiatisation, plusieurs phases se sont déjà succédé afin de constituer la liste finale des dix candidats qui s’affronteront en janvier prochain. Pendant cinq semaines, les organisateurs de la primaire ont rencontré les responsables de différents partis politiques afin de définir le « socle commun ». Le vainqueur de l’initiative devra s’engager à respecter ce lot de dix mesures s’il parvient à l’Elysée en 2022. Est venu ensuite le temps des soutiens. Chaque membre inscrit sur la plateforme a pu parrainer les personnalités politiques qu’il pensait les plus à même de représenter la gauche en 2022. De ces processus ont émergé cinq hommes et cinq femmes qui peuvent aujourd’hui espérer gagner la primaire populaire, dont les votes finaux se tiendront du 27 au 30 janvier 2022. Si certains, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou de Yannick Jadot, ont décidé de ne pas participer à la primaire populaire, il sera néanmoins possible de voter pour eux car ces derniers sont officiellement candidats à l’élection présidentielle. Il semble à première vue douteux de conserver la candidature de personnes ayant refusé de participer à un scrutin. L’Union réclamant de sacrifier quelques principes, les organisateurs de la primaire populaire ont pourtant fait fi de cette réserve.

Une primaire populaire dénuée de légitimité ?

L’initiative recueille actuellement le soutien de près de 300 000 personnes, qui pourront toutes voter à la primaire. Beaucoup s’enthousiasment de ce succès et comparent ce nombre aux 122 670 électeurs ayant participé à la primaire d’Europe Ecologie les Verts (EELV) ou aux 139 742 adhérents Les Républicains (LR) ayant pris part au congrès du parti. S’il est en effet tentant de conférer une plus grande légitimité à la primaire populaire du fait de son nombre élevé de participants, il convient de garder une certaine prudence. En effet, les personnes ayant voté à la primaire écologiste ou au congrès LR n’ont pas eu simplement à donner leurs e-mails et leurs coordonnées. Ces derniers ont dû s’acquitter d’une contribution de 2€ (EELV) ou de cotisations au parti (LR). Difficile donc, de conférer à l’une des initiatives une plus grande légitimité.

Il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire.

De même, il y a cinq ans, la primaire « de la Belle alliance populaire » organisée par le PS et ses alliés avait réuni un peu plus de deux millions de votants, tandis que celle de la droite atteignait les quatre millions. Or, ces chiffres importants n’ont pas empêché ces deux familles politiques de se diviser, comme l’ont rappelé les défections des candidats Bruno Le Maire et Manuel Valls en faveur d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon dispose aujourd’hui du soutien de près de 270 000 personnes ayant elles aussi simplement donné leurs coordonnées et leur adresse mail. Ainsi, il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire. Il y a en effet fort à parier qu’aucun des sept candidats en lice – trois des dix candidats ont renoncé à se présenter – ne recueillera plus de 270 000 votes.

Le mythe de la bataille des egos

Dans une arène politique marquée par une personnification accrue, il est souvent tentant d’attribuer aux egos et aux personnalités prononcées des leaders politiques la responsabilité de l’échec de l’union de la gauche. Untel sera moqué pour son appétence à orchestrer ses colères, taxé de populiste ou de démagogue, tandis qu’un autre sera accusé de ne penser qu’à sa carrière, ou de préserver sa dignité. À partir de ce postulat, il est ensuite assez simple de suivre le fil directeur qui sous-tend l’organisation de la primaire populaire.

Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

La vision simpliste des organisateurs de la primaire populaire suppose une « gauche plurielle » quémandée, réclamée, par le peuple entier. Les responsables de l’organisation rappellent à qui veut l’entendre que 70% des électeurs de gauche souhaitent un candidat unique. Pourtant, cette symbiose inéluctable serait entravée par l’action intéressée d’acteurs politiques aux egos surdimensionnés. C’est là, précisément, que réside la justification de la primaire populaire. Supposée au-dessus des partis politiques, elle a l’ambition de dynamiter ce « mur des egos » mortifère. Faute de quoi, le pays tombera assurément dans les bras de l’extrême droite.

Il est parfois tentant d’installer sa pensée dans le creux d’un rêve éveillé, comme pour se protéger d’une réalité difficile à affronter. Si l’exercice est répété de manière irrégulière, presque exceptionnelle, il peut même être salvateur et servir de source d’espoir quand les temps sont sombres. Pour autant, certains semblent avoir réussi avec brio le numéro d’équilibriste consistant à organiser une primaire tout en restant continuellement dans une réalité parallèle. Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

Il n’existe a priori aucune raison de penser que le résultat de la primaire populaire dirigera vers son vainqueur toutes les voix des électeurs se considérant de gauche. Les citoyens n’étant par principe pas de vulgaires pions. Une attitude salutaire aurait consisté à observer les différences sociologiques qui composent et différencient inévitablement chaque camp politique. Une rapide attention jetée aux sondages d’opinion montre que les électeurs de Mélenchon porteraient en deuxième choix leur vote sur Jadot, tandis que les électeurs de Jadot et d’Hidalgo reporteraient davantage leurs voix sur Macron que sur Mélenchon. Rien ne garantit donc au candidat gagnant de la primaire qu’il puisse bénéficier du report de vote de tous les autres électeurs de gauche. La majorité de ces personnes n’aura d’ailleurs pas participé à la primaire ; très peu se sentiront donc contraints par son résultat.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées.

De manière plus globale, c’est tous les désaccords politiques qui sont gommés. On veut faire croire que la gauche pourrait, moyennant quelques maigres changements de programmes, être unie. Pourtant, des divergences réelles, fondamentales, existent au sein des camps politiques. Personne n’a ainsi semblé s’alarmer du fait que rien, ou presque, ne rassemble les programmes de politiques de Mélenchon ou de Jadot en matière de politique étrangère, que la question européenne est adressée de manière totalement différente en fonction des partis, ou que la question nucléaire marginalise EELV et la France Insoumise (FI) du reste de la gauche.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées. Partant pourtant du postulat que les egos des leaders de gauche entravaient toute union, cette entreprise n’a servi que de tremplin médiatique à des personnalités en perte de vitesse tout en permettant l’émergence de nouveaux candidats.

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L’illusion du consensus

C’est bien là, sur le terrain des idées, que le bât blesse. Le socle commun, brandi comme étendard d’un programme ayant la capacité d’unir tous les fronts, a été défini en seulement cinq semaines, et ne rassemble que dix mesures que chacun peut interpréter à sa guise. Le reste de la campagne a été très pauvre en débats et en propositions politiques concrètes. Si beaucoup se réjouissent de voir Christiane Taubira rejoindre l’aventure de la primaire, très peu se sont intéressés à son projet politique. D’aucuns chantent les louanges d’une femme racisée capable, selon eux, d’accéder à l’Elysée sans s’interroger sur ses prises de positions passées et son programme présent. Qui s’est inquiété, ou tout au moins a émis des réserves, quant aux propositions défendues par Taubira lors de sa candidature à la présidentielle de 2002 ? Son soutien indéfectible à l’Union Européenne, au régime présidentialiste, à la baisse des impôts sur les plus aisés ou à la retraite par capitalisation a-t-il seulement préoccupé les militants ?

La primaire populaire apparaît ainsi comme une énième initiative de la gauche moralisatrice pour arriver au pouvoir, ou du moins pour dynamiser des campagnes en perte de vitesse. Cette gauche ne lisse pas volontairement les divergences radicales qui séparent les candidats, elle ne les voit tout simplement pas. Pour elle, tous les candidats de gauche partagent peu ou prou les mêmes mesures sociétales – au diable les questions sociales et économiques ! – et en conclut que l’Union est une réalité proche, inéluctable. Alors, une certaine gauche appelle et crie à l’Union. Elle ne le fait pas pour défendre un projet, mais avant tout pour ne pas laisser Macron gagner une seconde fois ; pour que l’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir.

Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Pourtant, un camp politique devient un bloc inerte, incapable d’attirer à lui de nouvelles personnes, s’il refuse de s’engager dans des débats prétendument stériles au nom de la protection d’une unité fantasmagorique. Cette gauche est condamnée à ne faire que peu de remous dans l’histoire puisqu’elle n’existe que pour revendiquer être contre un autre camp plutôt que d’être pour un projet. Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.