Prisons françaises : détruire plutôt qu’instruire

Un article du Monde publié le 1er juin relatait qu’un détenu, Michel Cardon, avait été « oublié » en prison par le Parquet de Lille. Entré en 1977, il n’a été libéré « en conditionnelle » que le 1erjuin dernier. Les expertises relèvent « une dégradation importante des fonctions cognitives du détenu ». Ce que nous montre ce fait divers, ce n’est pas tellement l’incompétence de la justice que la mauvaise fonction qu’on lui a assignée et qui fut historiquement légitimée. Il convient de remettre à nouveau la fonction disciplinaire en question : veut-on punir les détenus pour soulager les familles ou veut-on éduquer un individu qui n’a pas su se comporter en société ? Pour l’instant, la prison a toujours préféré la première option.


La destruction du corps du prisonnier

Historiquement [2], commettre un crime en société, c’est insulter directement le roi. En effet, commettre un acte en désaccord avec les lois que le roi a données au pays, c’était être en désaccord avec le roi. Donc la punition qui frappait le prisonnier, par la torture notamment, était une manière symbolique pour le roi de marquer le prisonnier de son pouvoir et de lui rappeler à qui il devait obéir. Enfin, l’enfermement, ce n’est pas seulement la privation de liberté, c’est aussi une façon d’éloigner le prisonnier de la société.

Entre le XVIIIe et le premier XXe siècle, la punition s’est rationalisée en terreur, de façon bien plus efficace, bien plus rapide et économique en moyens. En ce sens, l’invention de la guillotine est une innovation technologique considérable qui économise du temps, de la souffrance, et de l’argent. Viennent ensuite la chaise électrique et l’injection létale, jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981 par la loi Badinter. Quel rôle la prison remplit-elle depuis quarante ans ? Puisqu’on n’élimine plus les prisonniers les plus dangereux, qui ne méritent donc plus de vivre en société, l’univers pénitentiaire aurait-il changé de fonction ?

Le mirage d’une prison éducative

Aujourd’hui, dans les prisons, des cours sont dispensés pour apprendre à lire et à écrire. Il y a notamment un suivi psychologique et médical des détenus, et à leur sortie, des organisations de réinsertion s’occupent d’eux. Serait-on donc passé d’une prison disciplinaire à une prison éducative ?

Si l’on souhaite une prison qui éduque ses détenus, les moyens assignés à cette fonction sont loin d’être efficaces. Le taux d’occupation des prisons françaises est de 119% [3]. Cela signifie qu’on a plus de prisonniers que de places dans nos prisons. Par exemple, 1 648 détenus dorment sur un matelas à même le sol ou dans des lits superposés, alors même que le principe d’encellulement individuel était réaffirmé par la loi pénitentiaire de 2009 [4].

Entendue au sens large comme la recondamnation d’une même personne pour des crimes ou délits qui peuvent être différents, la récidive concerne 61% des individus dans les cinq années qui suivent leur sortie de prison [5]. Ce chiffre énorme montre une prison française qui produit du crime et du délit plus qu’elle ne le réduit. Il y a, de fait, un problème avec la justice française. Les détenus qui n’ont pas fait de prison ferme récidivent eux en moyenne deux fois moins que ceux emprisonnés fermement [6].

La prison française produit des « bons délinquants »

En France, depuis que la torture et la peine de mort sont interdites, la prison s’est assignée une autre fonction que disciplinaire, elle est devenue un moyen pour les plaignants d’obtenir réparation et vengeance. En effet, qu’est-ce que la simple mort à côté d’un enfermement à perpétuité ? Comme nous l’avons vu, elle ne remplit aucune fonction éducatrice, puisque la récidive n’est pas fréquente mais banale.

Ce que la lecture de Foucault nous apprend, c’est que les prisons produisent de « bons délinquants », en ceci qu’ils créent toute une économie de la délinquance : les “bons délinquants” sont multirécidivistes et apolitiques. Ils créent, à leur manière, de la richesse parce qu’ils emploient du personnel pénitentiaire, carcéral, judiciaire… et montrent un exemple à ne pas suivre. Économiquement profitable, cette prison française est également politiquement neutre.

Le cas de Michel Cardon est probablement rare et isolé, mais là n’est pas le sujet. Il ne témoigne non pas de l’incapacité de la justice française qui oublie ses détenus — la plupart du temps, lorsqu’il s’agit d’écrouer, elle écroue très bien. Non, c’est la façon dont la prison française abîme le corps de ses citoyens qui est choquante, alors qu’elle devrait en éduquer l’esprit.

 


[1] Les informations historiques proviennent de Michel Foucault, Surveiller et punir, Tel Gallimard, Paris, 1975

[2] cf. http://www.europe1.fr/societe/la-surpopulation-carcerale-en-cinq-chiffres-2816041

[3] cf. article 716 du Code pénal

[4] 61% des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées à une peine de prison ferme dans les cinq ans, cf. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf, p. 5

[5] Ibid.