Commune de Paris : « Rendre visibles les protagonistes de cette insurrection exemplaire »

Dugudus et Hugo Rouselle Nerini © Le DuQ

Pour les 150 ans de la Commune, nombreux sont les ouvrages qui reviennent sur cet évènement de l’histoire française encore relativement méconnu. Régis Léger, alias Dugudus, affichiste, illustrateur et street artiste engagé ainsi qu’Hugo Rousselle, doctorant en histoire du droit ont souhaité mettre en avant, d’abord dans une exposition, puis dans un livre, les cinquante personnages qui se sont illustrés durant le printemps 1871 à Paris. Nous la Commune ! est né lors d’une promenade sur la Butte Montmartre entre deux périodes de confinement. Ce jour-là, comme au matin du 18 mars 1871, « Le soleil s’était fait communard ». Les rêves de bivouacs poétiques et révolutionnaires étaient au rendez-vous. La décision fut immédiate : représenter cinquante figures pour illustrer la Commune. Nous publions ici quatre des cinquante personnages dessinés par Dugudus et présentés par Hugo Rousselle.

Lorsque Marx envoie Elisabeth Dmitrieff à Paris comme correspondante de l’AIT, pouvait-il se douter que celle qu’il nommait « The russian lady » y jouerait un tel rôle ?

ELISABETH DMITRIEFF : 

1851-1910 ?

Fondatrice le 11 avril 1871 de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés

Journaliste révolutionnaire

Internationaliste

C’est la fougue révolutionnaire qui anime l’âme d’Elisabeth Dmitrieff, passionaria russe qui, à vingt-et-un ans, a déjà parcouru l’Europe. Après son incarcération à Saint-Pétersbourg pour son activisme socialiste, elle rejoint la Suisse en 1868 et y codirige le journal La Cause du peuple. À Londres, en 1870, elle dialogue avec Marx sur la notion de populisme et le fonctionnement des communes rurales russes. Le 25 mars 1871, elle rejoint la Commune. Avec Nathalie Lemel, elle fonde l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Elle assume cette fonction avec fermeté, toujours ceinte d’une écharpe rouge à frange d’or dans laquelle elle loge ses pistolets. Sa beauté envoûte et sa verve foudroie les légions coalisées des tyrans de l’Europe. Pour elle, la Commune n’est qu’une étape vers la révolution mondiale qui doit soustraire « le travail au joug du capital exploiteur ». 

« Ce vertige fratricide qui s’empare de la France, ce combat à mort, c’est l’acte final de l’éternel antagonisme du droit et de la force, du travail et de l’exploitation, du peuple et de ses bourreaux ! », 8 avril 1871.

Elisabeth Dmitrieff

Elle défend le droit au travail, les associations productives, la diminution du temps de travail et des tâches répétitives, « l’anéantissement de toute concurrence entre travailleurs des deux sexes » et leur égalité salariale. Socialisme et féminisme sont donc un seul et même combat. « Le gant est jeté, il faut vaincre ou mourir ! », déclare-t-elle quand le conflit avec Versailles devient inévitable. Lors de la Semaine sanglante1, elle sauve Léo Frankel sur la barricade de la Bastille, mais son destin romanesque ne l’y fait pourtant pas périr. Elle fonde à Genève une section russe de l’Internationale. En 1876, de retour en Russie, elle épouse le chef de la bande de hors-la-loi les Valets de cœur afin de lui éviter une condamnation à mort commuée en un exil en Sibérie. Elisabeth Dmitrieff y finit ses jours à une date inconnue.

Louis-Nathaniel Rossel est le seul officier supérieur militaire de la Commune. Son patriotisme inspirera le général De Gaulle.

LOUIS NATHANIEL ROSSEL :

(1844-1871)

Colonel du génie

Délégué à la guerre

Patriotisme populaire

Louis Nathaniel Rossel est lui-même fils d’un colonel officier de la légion d’honneur. Issu d’une famille bourgeoise protestante et républicaine nîmoise, ses études au collège du Prytanée national militaire La Flèche le mènent à Polytechnique. Cette école parisienne, née sous la Révolution, a une forte tradition libérale que Rossel cultive conjointement à son attrait pour Napoléon. Il développe une fibre sociale en se rapprochant de la Ligue de l’Enseignement fondée en 1866 par Jean Macé, en délivrant des cours aux enfants du peuple. C’est en temps que capitaine du génie qu’il combat à Metz en 1870. Il assiste, désespéré, à la trahison du général Bazaine qui capitule et s’enfuit à Tours pour en référer à Gambetta. Cet entrevue n’ayant aucun effet il se range du côté de ceux qui refusent la paix et décline la légion d’honneur qu’on veut lui remettre.

«  En haine de ceux qui ont livré ma patrie, en haine du vieil ordre social, je suis venu me ranger sous le drapeau des ouvriers de Paris. »

Louis Rossel

Le 19 mars 1871, Rossel rejoint Paris insurgé, il est nommé chef de la 17e légion de la Commune. Il est le contraire d’un courtisan. éloquent, il est froid et direct, les bavardages et divisions de la Commune l’irritent. Il cherche à restaurer une discipline militaire qui se heurte à une organisation approximative des troupes comme en témoigne, le 1er avril, l’échec de la sortie pour reprendre le Rond-point de Courbevoie. Ses qualités militaires imposent le puritain Rossel à l’aventurier général Cluseret en tant que chef d’état-major. Le courant passe mal avec cet ancien des guerres garibaldiennes, irlandaises et américaines. Rossel lui succède comme délégué à la guerre. Une partie de la presse le soutient mais Rossel démissionne avec fracas le 9 mai, arrêté par la Commune des amis le libère. Les Versaillais l’arrête également et Thiers lui propose de s’exiler. Impassible il préfère la mort et est fusillé le 28 novembre 1871.

Vallès l’irrégulier, Vallès le réfractaire, Vallès l’insurgé est sans nul doute le pilier d’un outil majeur en Révolution : la presse.

JULES VALLÈS

1832-1885

Journaliste

Élu du XVe

Proudhonien

Franc-maçon

Jules Vallès est fortement marqué par une enfance difficile qu’il relate dans L’Enfant, premier des trois romans de sa trilogie les Mémoires d’un révolté. Fils d’instituteur, élève brillant devenu bachelier, il monte à la Capitale en 1850 où il fréquente la Sorbonne. Contre le coup d’Etat de 1851, il manifeste place de la Bastille et son père le fait interner de force comme les parents en avaient alors arbitrairement le droit. À peine libéré, il retourne au Quartier latin, se passionne pour les idées de Proudhon et commence sa vie de bohème en enchaînant les postes de pion et en écrivant des articles au ton sarcastique. Sa plume remarquée et appréciée lui permet de devenir journaliste. En 1867, il lance le quotidien La Rue qui documente la vie pittoresque et populaire mais le journal est rapidement interdit. À l’élection au Corps législatif de 1869, il se revendique avocat des pauvres, candidat du travail et député de la misère mais il est finalement défait face au républicain Jules Simon.

« Fils des désespérés, tu seras un homme libre ! », Le Cri du Peuple, 28 mars 1871.

Jules Vallès

Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1871, il conçoit la célèbre Affiche Rouge avec Gustave Tridon, Édouard Vaillant et Émile Leverdays. Au petit matin, il trouve ces mots de conclusion : « Place au peuple ! Place à la Commune ! ». Le 22 janvier, il fonde le quotidien Le Cri du Peuple tiré à cent mille exemplaires lequel, avec Le Père Duchesne, est le journal le plus lu durant la Commune. La vocation de celui-ci est de parler du peuple au peuple, de redonner une histoire aux déshérités tout en propageant le patriotisme, le fédéralisme et l’idée de République sociale. En abolissant les moyens de contrôle de la presse (le cautionnement et le droit de timbre), la Commune en rétablit la liberté. Une liberté qu’elle réduit cependant à mesure que les Versaillais s’approchent de Paris. Pendant la terreur tricolore, Vallès réussit à se cacher puis à gagner Londres. Après l’amnistie, il fait renaître de ses cendres Le Cri du Peuple.

« Pendant le siège et la Commune, les Clubs permettent de faire émerger des orateurs mais surtout des oratrices. »

SOPHIE POIRIER :

1830-1879 : 49 ans

Couturière

Présidente du Comité de vigilance de Montmartre

Patriotisme populaire

Condamnée le 10 avril 1872 par le 26e conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée

Comme Louise Michel, Sophie Doctrinal est originaire de Haute-Marne. Arrivée à Paris en 1868, elle épouse un artisan couvreur du nom de Poirier qui décède en 1870. Pendant le siège, cette couturière ouvre un atelier national de couture employant de soixante-dix à quatre-vingts ouvrières. Ces dernières ne touchaient aucun salaire et s’investissaient ainsi au service de la défense nationale. Le 10 mars 1871, l’atelier est reconverti en ambulance*, mais Sophie Poirier poursuit son activité militante. Elle avait déjà signé le manifeste féministe d’André Léo, Revendication des droits de la femme. Le 4 septembre 1870, sous l’impulsion du maire de Montmartre Georges Clemenceau, le Comité de vigilance du XVIIIearrondissement est fondé rue de Clignancourt. Sophie Poirier en prend la présidence. Ce comité joue un rôle moteur dans la défense des canons le 18 mars. On y retrouve Paul Mincke, Anna Jaclard, Jules Bergeret, Théophile Ferré et Louise Michel. C’est Madame Barrois, l’une de ses membres assesseurs, qui dépose la motion réclamant l’échange du révolutionnaire Blanqui (prisonnier des Versaillais) contre l’archevêque de Paris Monseigneur Darboy.

« Il est temps d’appeler à la démocratie la femme, dont on a fait l’adversaire par une exclusion insensée », Programme du journal de la section La République des Travailleurs, 8 janvier 1871.

Sophie Poirier

Sophie Poirier fonde avec la Républicaine Béatrix Excoffon le club, exclusivement féminin, de la Boule Noire qui siège au 32 rue des Acacias dans le XVIIIe arrondissement. Les clubs adoptent souvent les noms des lieux où ils tiennent réunion (Folies-BergèrePré aux ClercsReine Blanche). D’autres se veulent ouvertement explicites comme en témoigne celui de La Patrie en danger fondé par Blanqui à Belleville. Ils jouent un rôle décisif dans la mesure où ils participent à l’élaboration de programmes politiques et font remonter les problèmes de la vie quotidienne. Les femmes qui sont interdites de vote, et ne peuvent donc être élues, y trouvent le droit à la parole et des tribunes pour leurs idées. 

Notes :

1 – La Semaine sanglante définit le massacre des communards par les Versaillais du 21 au 28 mai 1871.