Qui aurait bien pu parier qu’une insurrection contre la hausse des prix de l’essence mènerait à la remise en cause des institutions de la Vème République ? Le mouvement des gilets jaunes renouvelle le champ de la contestation sociale, prenant de court bon nombre d’éditorialistes et de politiciens. L’appel à un Référendum d’initiative citoyenne est ainsi devenu l’un des leitmotivs du mouvement et un sujet très apprécié du débat public. Tantôt présenté comme dangereux, tantôt vu comme la mesure salvatrice d’une sortie de crise, il déchaîne les déclarations et les imaginations. Pourtant, l’essentiel du débat sur le RIC pourrait se jouer non pas sur son principe mais sur ses modalités.
Pour quiconque arpente les rues et les ronds points à l’écoute des slogans et des discussions des gilets jaunes, il est presque impossible d’échapper à l’enthousiasme que soulève le Référendum d’initiative citoyenne. La capacité d’une telle idée à pénétrer les couches les plus hétéroclites de la société impressionne [1]. L’ampleur de sa diffusion ne saurait toutefois la laisser longtemps sans contradicteurs. Car comme toutes les procédures institutionnelles, le RIC présente des risques qui sont pour l’instant difficiles à évaluer du fait du caractère inédit du dispositif. On s’inquiète ici ou là du retour de la peine de mort, d’une révision du mariage pour tous, d’une multiplication des niches fiscales etc. Sans tomber dans un scepticisme qui céderait à la paranoïa, et en gardant en tête que la plupart de ces risques existent de la même façon lors des élections que nous pratiquons de longue date, il n’est pas inutile de les détailler, ne serait-ce que pour réfléchir à leurs éventuelles solutions.
Bien sûr, rien ne permet de présumer l’irresponsabilité ou l’égarement idéologique du peuple français. Mais un pouvoir constituant qui souhaiterait inscrire le RIC dans les textes constitutionnels, ne pouvant connaître de l’avenir, doit tout envisager, le pire comme le meilleurs, et serait de toute façon bien obligé d’y fixer des conditions. Car il n’existe pas à ce jour de démocratie « à l’état pur »[2]. Même le référendum en est une approximation. D’un point de vue démocratique, le RIC, au même titre que n’importe quelle institution, n’en serait qu’une voie de médiation, un outil de réalisation nécessairement imparfait mais également perfectible.
Le RIC en quelques mots
Qu’est-ce que le RIC ? C’est une procédure institutionnelle qui permettrait à une fraction du corps électoral de déclencher la tenue d’un référendum sur une question donnée. Dans sa version la plus extensive soutenue par certains gilets jaunes, le RIC est l’instrument d’une souveraineté populaire sans concession qui se résume en quatre prérogatives fondamentales : un pouvoir constituant, à savoir le droit de réviser ou réécrire la constitution ; un pouvoir abrogatoire, permettant d’abroger une loi ; un pouvoir législatif, pour créer une loi ; et enfin un pouvoir révocatoire, afin de révoquer un élu.
Dans sa version la plus extensive, soutenue par de nombreux gilets jaunes, le RIC est l’instrument d’une souveraineté populaire sans concession.
La possibilité d’organiser un référendum sur initiative citoyenne existe déjà dans plusieurs pays, notamment la Suisse, que l’on cite abondamment. Toutefois, aucun pays ne combine la possibilité de ces quatre pouvoirs[3]. Souvent assimilé à l’idée d’une démocratie directe et à une conception populaire de la souveraineté démocratique, le RIC a quelques antécédents dans la tradition politique française, notamment la révocation des élus sous la Révolution.
En l’état, la constitution française prévoit la possibilité d’organiser un référendum à l’initiative du Parlement, soutenu par un corps de citoyens. Cependant, les conditions relativement inaccessibles du Référendum d’initiative partagée (RIP) et son périmètre encore équivoque l’ont pour l’instant maintenu hors de portée de la vie politique française[4]. La voie la plus logique d’adoption du RIC serait donc une révision constitutionnelle de l’article 11 qui transformerait le RIP en RIC.
Le RIC en question
Tant au sein de ses détracteurs que de ses défenseurs[5], l’éventualité du RIC génère une myriade de défis procéduriers plus ou moins complexes mais pose également des questions sur la survie même de notre ordre institutionnel et juridique. Ainsi, la mise en place du RIC dans sa version la plus extensive comprenant les quatre pouvoirs s’avère délicate sur trois points : les libertés fondamentales, la gestion du budget de l’état et la stabilité du pouvoir.
En matière de libertés fondamentales
La démocratie française s’est constituée autour de l’avènement historique de l’individualisme. Il existe ainsi une association tacite entre le droit du citoyen à décider de la vie de la cité et sa protection contre l’arbitraire d’un pouvoir ou d’une foule, au point qu’on amalgame fréquemment libéralisme politique – droits de l’Homme, État de droit – et démocratie. En pratique, le régime des libertés fondamentales contribue à atténuer les faiblesses du principe majoritaire qui fonde la démocratie moderne : comment éviter l’oppression d’une minorité par la majorité ? La protection des droits et libertés de chaque individu rend le jeu démocratique d’autant plus acceptable qu’il nuance la tendance contemporaine à confondre la majorité avec la totalité du peuple. Il apparaît évidemment impensable que les garanties de nos libertés fondamentales restent éternellement hors de portée du suffrage universel, ne serait-ce que pour créer de nouveaux droits, par exemple. Celles-ci ont d’ailleurs déjà été soumises au vote des Français par le passé, quoi que de manière incomplète. On peut craindre cependant que le simple principe de majorité absolue, qui réunit 50% des suffrages, ne puisse suffire à légitimer une révision de nos libertés. Et c’est assez logiquement qu’on refusera à une majorité la décision des limites de la puissance majoritaire. La capacité d’intervention du RIC dans le domaine des droits fondamentaux suppose dès lors de réunir une masse de suffrage qui puisse représenter une volonté qualifiée de « supra majoritaire ». Une majorité « qualifiée » donc, dont la représentativité minimum requise s’appréciera en fonction des suffrages exprimés mais aussi de la participation électorale. Le juste agencement entre ces deux exigences, d’un côté un quorum en nombre de votes (c’est-à-dire la proportion des suffrages exprimés) et d’un quorum en nombre de votant (partition électorale), reste largement sujet à débat. L’enjeu pour cette majorité spéciale est de se distinguer clairement des majorités ordinairement requises pour un référendum de l’article 11 (plus de 50% de suffrages, aucun seuil minimum de participation). Dans la mesure où les actuels droit fondamentaux régissent en théorie notre ordre juridique (en particulier la procédure pénale), un tel dispositif garantirait également l’impossibilité de voter une loi qui leur soit contraire par un référendum à majorité simple.
En matière fiscale et budgétaire
La thématique fiscale est un point particulièrement sensible, qui pose des questions complexes et paradoxales. L’existence même d’un système fiscal suppose en effet un consentement obtenu généralement de manière plus ou moins coercitive et l’on imagine assez mal le corps électoral, même le plus attaché à la chose publique, se contraindre spontanément aux charges et aux impôts qui financent pourtant jusqu’à la possibilité même de l’action politique. Que se passerait-il si chacun avait la possibilité de demander la réduction de ses impôts ? En même temps, la place cruciale accordée à la justice fiscale dans la contestation actuelle du pouvoir et son rôle fondateur dans l’histoire de la démocratie plaide en faveur d’un contrôle du citoyen sur la combinaison des impôts et l’utilisation de l’argent public qui prendrait a minima la forme d’un droit de regard, et de façon plus extensive la possibilité d’intervenir dans le processus budgétaire. Cette contradiction peut toutefois être nuancée par la dimension majoritaire du référendum. Les contribuables qui souhaiteraient par exemple modifier le taux d’imposition de leur tranche ou le commerçant qui voudrait réduire la TVA à laquelle est soumise ses produits, auraient beaucoup de mal à être suivis par une majorité de Français aux intérêt économiques divergents et aux situations fiscales différentes. Le risque se concentrerait donc plutôt sur le scénario d’une décision collective de baisser simultanément les impôts de tout le monde, ce qui ne manquerait pas de poser quelques problèmes de finances publiques.
La place cruciale accordée à la justice fiscale dans la contestation actuelle du pouvoir et son rôle fondateur dans l’histoire de la démocratie plaide en faveur d’un contrôle du citoyen sur la combinaison des impôts et l’utilisation de l’argent public.
Requérir une majorité absolue ou qualifiée pour valider une mesure de ce type n’y changerait pas grand chose. La solution réside peut-être dans un encadrement du RIC dans le domaine fiscal par des principes qui permettraient de le rendre constructif. On pourrait imaginer par exemple un principe d’équilibre ou de réciprocité qui oblige toute intervention dans le budget national à proposer une symétrie entre les recettes et les dépenses amendées. Par exemple, un impôt ne pourrait être supprimé qu’à condition d’en détailler le financement, puis en envisageant son remplacement ou en lui substituant un autre impôt équivalent, soit par l’emprunt public, soit en indiquant explicitement quelle dépense publique sera amputée du manque à gagner. Parallèlement, on pourrait limiter le RIC à une capacité d’intervention fiscale ponctuelle ce qui favoriserait sans doute la hiérarchisation des revendications et donnerait la priorité au traitement des dispositifs fiscaux les plus unanimement perçus comme injustes. Le budget étant discuté tous les ans au Parlement, les Français auraient ainsi la possibilité d’intervenir chaque année sur une ou deux mesures fiscales emblématiques, complétant et contrôlant ainsi le travail parlementaire qui garderait toute son importance.
En matière de stabilité et de continuité du pouvoir
Il s’agit du reproche le plus répandu à l’encontre du RIC : si l’on pouvait révoquer un élu tous les deux jours, il deviendrait impossible de gouverner le pays et l’on retomberait dans ce climat d’agitation et de paralysie qui caractérisait notamment la IVème République. Néanmoins, il s’agit d’une mesure qui peut facilement être encadrée, en empêchant le renouvellement trop hâtif des élus, grâce à l’accord d’une période probatoire par exemple. Durant la première partie de son mandat, l’élu disposerait ainsi d’un temps pour déployer les grandes orientations de sa politique, que le citoyen pourrait ensuite juger en connaissance de cause. Toutefois, au terme de cette période d’essai, comment faire face à l’éventualité d’un désaveu ? La révocation d’un élu implique en effet l’organisation d’une nouvelle élection et avec celle-ci, une nécessaire période de campagne. Faut-il alors considérer que la campagne du référendum de révocation constitue en fait le début d’une campagne de potentielle élection ? Ou faut-il prévoir au contraire un délai important entre une révocation et une nouvelle élection ? D’autre part, il faut déterminer les conséquences qu’aurait le scrutin pour l’élu concerné : après une révocation, peut-il se présenter tout de même à la nouvelle élection ? S’il est maintenu au pouvoir par les urnes, bénéficie-t-il d’une nouvelle période probatoire ? On pourrait craindre que la multiplication des campagnes offre d’autant plus d’occasions aux candidats d’exercer une démagogie de circonstance. C’est oublier un peu vite que les postures et les contorsions de la communication politique sont loin de se limiter aux périodes d’élections. L’exercice du pouvoir est devenu aujourd’hui une sorte de campagne permanente de conquête de l’opinion. Dans ces conditions, qu’une telle situation débouche sur des scrutins plutôt que sur une compilation de sondages politiquement stériles pour le plus grand nombre paraît finalement assez positif. Mais la question de la stabilité du pouvoir ne se pose pas seulement pour la révocation d’élus. Elle interroge également les sujets diplomatiques. La possibilité de ratifier ou de dénoncer un traité international engage la capacité d’action diplomatique de l’État, puisqu’il peut rendre incertain la pérennité de ses engagements internationaux. Même en considérant que tous les traités internationaux qui ont un impact significatif sur l’État et le fonctionnement de la société française (accords de libres échanges, traités fondateurs de l’UE, alliances militaires, conventions pénales internationales etc.) devraient être ratifiés préalablement par référendum, reste la question de la durée de la validité des accords signés. La nécessité d’un débat sur l’équilibre à trouver entre stabilité diplomatique et contrôle démocratique des traités s’impose.
Les conditions d’application du RIC
De manière plus générale, il apparaît de ces différents cas pratiques qu’un certains
nombre de paramètres se dégagent avec lesquels le futur constituant devra sans doute
composer pour l’intégration du RIC à notre ordre constitutionnel.
D’abord, la qualité du débat public. Comme l’affirment certains constitutionnalistes le
premier facteur de qualité des décisions, c’est la qualité des campagnes et du
débat public qui les animent [8]. Ce qui dépend de la durée des campagnes (pour lesquelles l’article 11 ne pose aucune condition) mais aussi de leur organisation médiatique (temps de parole, débats entre représentants) et institutionnelle (création d’assemblées citoyennes locales, organisation de débats au niveau communal …) A ce titre, sans doute peut tirer quelques enseignements de la campagne du référendum de 2005 qui avait généré une participation électorale assez élevée (69% du corps électoral).
Ensuite, la fréquence des scrutins. Qu’il faudra déterminer pour chaque disposition : durée des périodes probatoires pour les élus, pour les lois, annualité du travail budgétaire, la période de validité des traités, la fréquence des révisions constitutionnelles …
La question de la masse citoyenne doit déterminer combien de citoyens participeront à chaque étape du processus. Quel est le seuil de déclenchement du RIC, combien faut-il de pétitionnaires ? On parle parfois de 1% du corps électoral (soit environ 450 000 citoyen), ou de 700 000, voire d’un million ou deux millions de personnes… Doit-on d’autre part exiger un taux de participation minimum pour attester de la validité du référendum ? C’est par exemple le cas en Italie pour la dimension abrogatoire, où 50% de participation est requise.
À l’évidence, le RIC fera d’une manière ou d’une autre concurrence à la représentation nationale […]. Comme toutes les situations de concurrence celle-ci peut s’avérer constructive ou au contraire mortifère, en fonction de la dynamique qui va se créer entre les acteurs.
De plus, la réflexion sur les modes de scrutins alternatifs se développe de manière significative ces dernières années. En plus du scrutin binaire existent ainsi plusieurs configurations alternatives : scrutin préférentiel (classement par ordre de priorité des propositions), scrutin par notation (chaque proposition est notée pour elle même), etc. À noter toutefois que la familiarisation des citoyens avec ces nouveaux types de votation nécessiterait sans doute plusieurs occasions de pratique, d’où peut-être l’intérêt de les expérimenter d’abord localement. La proposition référendaire pourrait aussi être soumise à certains principes régulateurs, comme l’intelligibilité de la question et du projet de loi, le principe de financement en matière budgétaire ou l’obligation d’un plan détaillé de mise en œuvre de la mesure proposée.
L’articulation avec les autres pouvoirs est aussi un point central du débat. À l’évidence, le RIC fera d’une manière ou d’une autre concurrence à la représentation nationale, que ce soit celle du président ou des parlementaires, qui seront contraints de partager ces prérogatives avec l’expression populaire. Comme toutes les situations de concurrence celle-ci peut s’avérer constructive ou au contraire mortifère, en fonction de la dynamique qui va se créer entre les acteurs. Sauf à se passer complètement de la représentation politique, ce qui dans un pays de 67 millions d’habitants ne semble pas à l’ordre du jour, il apparaît inévitable de préciser le rôle et le périmètre de ces deux types de pouvoir et, dans la mesure du possible, de les optimiser. L’idée d’une implication du Parlement, qui aurait la possibilité, voire l’obligation, d’examiner le futur sujet du RIC en séance, semble à ce titre une piste intéressante [9]. Que faire toutefois, lorsque le texte amendé est jugé dénaturé et est rejeté par le suffrage universel, faut-il recommencer tout le processus ? Par ailleurs, si la démocratie locale ou participative ne peut à elle seule résoudre la crise de nos institutions (la plupart des revendications des Gilets Jaunes – hausse SMIC, baisse des taxes, ISF, CICE, retraites, indemnités des élus – relèvent du pouvoir national, et plus précisément de Bercy), elle peut indéniablement jouer un rôle fondamental dans l’organisation du débat public et l’élaboration des textes proposés au RIC.
Le contrôle de la sincérité et de la publicité du scrutin, de l’indépendance et de la fiabilité des outils numériques ou matériels utilisés est décisif.
D’autre part, il parait indispensable de vérifier la compatibilité de la mesure proposée avec l’ensemble des dispositions constitutionnelles, avant d’enclencher le processus d’une campagne nationale sur le sujet. Ce qui suscite un problème particulier d’articulation avec l’organisme chargé de garantir la validité de la procédure. On imagine que l’on n’échappera pas à une réforme profonde du Conseil Constitutionnel, dont la partialité politique est de plus en plus problématique [10] si l’on fait le choix logique de lui confier cette tâche. Le contrôle de la sincérité et de la publicité du scrutin, de l’indépendance et de la fiabilité des outils numériques ou matériels utilisés est en effet décisif.
Enfin, bien que le dispositif institutionnel comporte une part irréductible de technicité, son utilisation devra être la plus simple possible pour les pétitionnaires comme pour les votants. Cela suppose un nombre raisonnable de formalités, mais également une certaine continuité institutionnelle et un symbolisme dans les chiffres, comme un seuil de déclenchement à 1% du corps électoral ou 1 millions de citoyens par exemple, une participation électorale de 50%, une majorité qualifiée aux 3/5, comme c’est le cas pour le Parlement au sujet de la révision constitutionnelle actuelle [11].
Le RIC sauvera-t-il la Vème République ?
Ironie de l’histoire politique, ce référendum qui fait aujourd’hui trembler tant de partisans du régime présidentiel a justement été popularisé par la Vème République ! Avant 1958, le référendum était vu comme une institution césariste par les républicains, relativement méfiants à son égard. La tendance à personnaliser fortement les enjeux du scrutin autour de la figure présidentielle s’explique d’ailleurs par ce passif plébiscitaire de l’outil référendaire. Rien ne permet toutefois d’affirmer qu’il en sera de même avec le RIC : la personnalisation du scrutin est fortement liée au monopole de l’initiative du référendum. On peut ainsi supposer que plus l’initiative est répandue, plus le risque de personnalisation est dilué. En revanche, la pratique du référendum, instituée par la Vème République, gardera sans doute certaines de ses caractéristiques, celle d’une dimension solennelle et relativement ponctuelle, associée à une très forte autorité politique.
Seul pouvoir ostentatoirement irresponsable au cours de son mandat, la présidence se verrait ainsi « rationalisée » comme l’a été en son temps l’Assemblée Nationale de la IVe République.
Plus intéressant encore : le RIC offre la possibilité inédite de franchir un degré de plus dans le processus de rationalisation de notre régime républicain, et d’encadrer un exécutif qui s’émancipe toujours plus du principe d’équilibre des pouvoirs. Car l’intérêt du RIC ne réside pas seulement dans sa part de démocratie directe, mais également dans sa faculté de contrôle de la représentation. De la même manière que la prérogative présidentielle de dissolution de l’Assemblée Nationale fait planer sur celle-ci la menace d’un retour aux urnes anticipé, le RIC aurait le même effet sur tous les élus et en particulier sur le président de la République. Seul pouvoir ostentatoirement irresponsable [12] au cours de son mandat, la présidence se verrait ainsi « rationalisée » comme l’a été en son temps l’Assemblée nationale de la IVème République, c’est à dire encadrée par des outils visant à discipliner l’exercice de sa fonction.
Le RIC se révèle donc être une option institutionnelle prometteuse dans la mesure où ses modalités le rendraient à la fois relativement exceptionnel tout en restant raisonnablement praticable. L’enjeu est ici – comme bien souvent dans notre histoire constitutionnelle – de trouver un compromis satisfaisant entre une stabilité minimum du pouvoir, pour que les décisions aient le temps et l’espace de déployer leurs effets, et un usage maximum du principe démocratique, afin que la souveraineté du peuple se matérialise le plus souvent possible. Pour cela il s’agit de trouver le point d’équilibre entre l’accessibilité du dispositif, qui lui donnera sa légitimité, et ses formalités, qui garantiront la pérennité des mesures prises. Cette ligne de crête se trouve quelque part dans l’agencement subtil de ces différents paramètres, que nous avons ici tenté de lister et dont la combinaison définitive nous apparaîtra vraisemblablement qu’après quelques années de pratiques.
L’hypothèse du RIC exige donc un débat riche et vigoureux sur ses modalités qui durera vraisemblablement encore un certain temps. Mais la force et la consistance que prend l’idée dans le corps social nous laisse tout de même quelques chances de voir un jour les Français retrouver le chemin des urnes pour un référendum… sur le RIC.
[1] Entre 60% et 80% des Français, selon un sondage Harris Interactive : https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/02/le-ric-seduit-la-grande-majorite-des-francais_a_23631681/
[2] La démocratie chimiquement pure n’existe pas dans l’Histoire. Elle est toujours médiatisée par des institutions partiellement confiscatoires. Tout se joue dans leur légitimité. Un texte intéressant sur la question : https://usbeketrica.com/article/la-democratie-en-tant-que-systeme-n-existe-pas-c-est-un-principe-vers-lequel-on-tend
[3] Ainsi le système suisse ne permet pas la révocation, les systèmes italien ou californien excluent les traités internationaux et les mesures budgétaires. https://www.franceculture.fr/politique/referendum-dinitiative-citoyenne-quels-modeles-etrangers-inspirent-les-gilets-jaunes
[4] Pour le déclenchement du Référendum d’initiative partagée, il faut selon l’article 11 alinéa 3 de notre constitution, réunir un cinquième des membres du Parlement soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Soit environ 92 députés et sénateurs et 4 millions et demi d’électeurs. Le dispositif concerne par ailleurs les projets de lois sur des « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » mais mentionne également l’organisation des pouvoirs publics qui relèverait a priori plutôt de la révision constitutionnelle (article 89). D’autre part s’il n’est pas possible d’intervenir sur les traités internationaux eux-mêmes, il est possible de mettre en cause une disposition légale qui tendrait « à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
[5] Comme par exemple sur la plate forme en ligne Parlement et Citoyens : https://parlement-et-citoyens.fr/project/referendum-dinitiative-citoyenne/consultation/consultation-48
[8] Entre autres Julien Talpin : https://www.liberation.fr/debats/2018/12/20/un-ric-sous-conditions_1698963, ou encore Laurence Maurel : https://theconversation.com/referendums-assemblees-citoyennes-des-propositions-a-ne-pas-sous-estimer-108927
[9] Une idée relativement répandue https://www.lemonde.fr/politique/video/2018/12/20/le-referendum-d-initiative-citoyenne-est-il-une-bonne-idee_5400515_823448.html
[10] L’intégralité de ses membres est nommée par des élus (président de la République, président de l’Assemblée, président du Sénat), ce qui ne manque pas de poser des questions sur son indépendance politique : http://cred.u-paris2.fr/sites/default/files/cours_et_publications/Cahiers%20Justice%20-%20CC%20.pdf
[11] Mentionné à l’article 89-3 de la constitution.
[12] Techniquement, on parle « d’irresponsabilité politique » du président : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/fonctionnement/president-republique/role/pourquoi-parle-t-on-irresponsabilite-politique-du-president-republique.html