Sortir de l’euro : le premier pas vers une politique sociale

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Loin d’être une dangereuse dérive fasciste, sortir de l’euro constitue le premier pas obligatoire pour toute politique sociale ambitieuse.

L’euro, un échec économique, social et politique

Une seule monnaie pour dix-neuf pays différents : l’équation impossible

Au-delà des règles économiques édictées dans les traités européens, le principe même de la monnaie unique fait que la politique monétaire est la même pour tous les pays européens, laquelle est menée par la Banque centrale européenne (BCE) et soustraite à la souveraineté populaire des Etats. De même, une monnaie unique empêche toute dévaluation monétaire entre pays membres de la zone.

La zone euro, en empêchant de dévaluer, dégrade la compétitivité des pays du Sud.

Ces principes ne sont pas sans poser de problèmes. En effet, la BCE mène une politique monétaire unique pour un pays qui n’existe pas : « le pays moyen de la zone euro ». Or, certains ont une inflation proche de 2% (les prix augmentent), d’autres sont en déflation (les prix baissent) : les besoins en termes de politique monétaire ne sont donc pas les mêmes. Autre problème de la monnaie unique : l’impossibilité de dévaluer. En réaction à la récession, certains pays devraient dévaluer leur monnaie, de manière à rendre leurs produits moins chers et plus compétitifs par rapport à d’autres. Or, la monnaie unique empêche tout mouvement de dévaluation monétaire à l’intérieur de la zone. Elle empêche par exemple de régler les déséquilibres entre la France et l’Allemagne. La seule solution restante pour gagner en compétitivité prix : la déflation salariale. Ainsi, les Etats membres de la zone euro se sont lancés tour à tour dans une course au moins-disant : baisser les cotisations sociales (et donc les prestations correspondantes), geler ou baisser les salaires. Tout cela dans le but de piquer des parts de marché au voisin. Drôle d’amitié entre les peuples prônée par l’UE…

La zone euro, un carcan néolibéral

Pour enfoncer un peu plus le clou, l’Union européenne, sous l’influence de l’ordolibéralisme allemand, s’est dotée de traités européens qui visent à baliser les politiques économiques à mener au sein de la zone euro. Pour résumer assez rapidement, les règles européennes exigent que les pays membres de la zone euro aient un déficit public de 3% du PIB et une dette publique de 60%, et en cas de dépassement, qu’ils mènent des politiques économiques allant dans ce sens.

Pourtant, les politiques d’austérité menées depuis les années 2010 dans la zone euro n’ont jamais été efficaces. En période de crise, les politiques économiques doivent jouer un rôle contra-cyclique, c’est-à-dire compenser les effets de la récession en soutenant la demande globale (consommation, investissements privés et publics). La zone euro a fait exactement l’inverse. Ainsi la Grèce a vu sa dette publique s’alourdir, son chômage augmenter, son PIB reculer… Et lorsque le gouvernement Syriza, pourtant loin d’être révolutionnaire dans ses revendications, a demandé un peu de bon sens en souhaitant atténuer l’austérité budgétaire, les responsables européens lui ont renvoyé en pleine face la nécessité de respecter les règles : « il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens» a déclaré Jean-Claude Juncker.

L’euro est donc loin d’être une réussite économique, sociale ou politique, bien au contraire : la monnaie européenne a aggravé les effets de la crise économique et financière de 2007-2009, tout en ôtant la possibilité politique de faire autre chose que ce que les règles européennes prescrivent. Les deux instruments de politique économique que sont la politique budgétaire et la politique monétaire sont désormais, pour une grande part, hors de contrôle des gouvernements nationaux. La première est largement contrôlée par les traités européens, et la seconde est aux mains d’une BCE indépendante de tout contrôle démocratique.

L’impasse de l’alternative de « l’euro social et progressiste »

Face à cet échec de la zone euro, certains souhaitent un autre euro, plus progressiste et social. Pour ses partisans, le problème n’est pas l’euro en lui-même, mais les politiques menées. Une majorité européenne de gauche devrait donc être capable de changer l’orientation néolibérale des politiques économiques, autrement dit, changer la zone euro de l’intérieur.

Un tel souhait semble cependant difficile à réaliser. Premier obstacle : l’architecture institutionnelle de l’UE. Avoir une majorité progressiste au Parlement européen ne suffirait pas à freiner la marche forcée néolibérale de la zone euro. Comme l’explique Antoine Schwartz, « le pouvoir de décision appartient au premier chef aux gouvernements, et la révision des traités requiert leur vote à l’unanimité — une procédure qui s’applique par exemple à l’harmonisation fiscale » (Le Monde Diplomatique, Juin 2011). Il faudrait donc que les peuples européens élisent au même moment des dirigeants de gauche. C’est suspendre la refonte de la zone euro à beaucoup d’incertitudes.

Balances commerciales de la zone euro.

Mais le plus grand obstacle se situe avant tout du côté de l’Allemagne. La création de la monnaie unique a obligé l’Allemagne à se défaire de son Deutschmark. En échange de l’union monétaire, l’Allemagne a obtenu que l’euro soit à l’image de sa propre conception de la monnaie, ce qui a conduit à une transposition de l’architecture institutionnelle allemande sur l’ensemble des pays de la zone euro. Cela a abouti entre autres à la règle des 3% de déficit public, à l’objectif prioritaire de la BCE de maintenir l’inflation en-dessous mais proche de 2%, et au non-financement des titres de dette publique par la BCE. La question que pose alors judicieusement Frédéric Lordon est : peut-on imaginer que l’Allemagne se plie à la loi de la majorité européenne s’il était décidé que la BCE devait dépendre du Parlement, que le plafonnement du déficit public était supprimé, que les Etats pouvaient voir leur dette financée par création monétaire de la BCE ? La réponse serait négative. Le rapport à la monnaie qu’entretient l’Allemagne est tout à fait particulier, et rien ne dit qu’elle serait prête à l’abandonner au nom de l’Europe.

Enfin, dernier point qui mérite d’être abordé : la comparaison avec les Etats-Unis comme entité fédérale. Les partisans des « Etats-Unis d’Europe » souhaitent que la zone euro se dote de véritables transferts budgétaires entre Etats membres, comme cela existe outre-Atlantique. Or, l’Allemagne étant la première puissance économique de la zone euro, c’est à elle que reviendrait la majeure partie du financement de tels transferts. Des économistes ont calculé que cela coûterait entre 240 et 280 milliards d’euros à l’Allemagne, soit environ 8 points de PIB. Politiquement, une telle décision semble impossible à prendre pour les responsables allemands.

Transformer le carcan néolibéral qu’est l’euro de l’intérieur semble donc voué à l’échec. Les intérêts des Etats membres, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, sont bien trop divergents, et il n’existe pas de sentiment d’appartenance à une communauté politique européenne qui soit assez fort pour que l’Allemagne renonce à ses principes monétaires.

 Sortir de l’euro : vrais avantages et faux inconvénients

Si le projet de la monnaie unique s’avère être un échec et qu’il est impossible qu’il prenne un tournant progressiste, la solution restante et encore trop timidement prise en compte à gauche est la sortie de la zone euro. Bien souvent, une partie de la gauche hurle au scandale quand une telle proposition est mise sur la table. Pourtant, un examen à froid de cette possibilité s’avère être une solution de gauche tout à fait pertinente face à la crise économique, sociale et environnementale.

Faux inconvénient n°1 : « La sortie de l’euro conduirait à une explosion de la dette, qui serait intenable pour la France ».

97% de la dette publique française est souscrite en contrat de droit français, ce qui signifie qu’en sortant de l’euro, 97% de la dette sera re-libellée en francs. La dette en euros serait convertie en francs au taux de 1 pour 1. Seuls 3% de la dette publique seraient soumis au taux de change adopté entre l’euro et le franc.

Concernant les dettes des entreprises, les PME et les ETI se sont endettées avec des contrats de droit français, donc de leur côté aussi aucune explosion de dette n’est à craindre. Pour ce qui est des grands groupes, si une partie plus importante de leurs dettes (environ 40%) sont contractées en droit étranger et subiraient alors le coût de la dévaluation monétaire, une partie de leur chiffre d’affaire se fait également en monnaie étrangère : les grands groupes n’y perdraient pas tant que ça, certains seraient même légèrement gagnants.

Faux inconvénient n°2 : « La sortie de la zone euro mènerait au nationalisme et donc à la guerre »

Un tel raisonnement omet de dire qu’à l’heure actuelle, la zone euro est loin de faire l’amitié entre les peuples : concurrence entre salariés européens, dumping fiscal, chantage sur la dette…Mais surtout, un tel raisonnement est le fait d’un économisme qui fait fi des autres types de relations entre les peuples européens. Les programmes comme Erasmus, les Rencontres européennes de littérature, les projets industriels comme Ariane et Airbus ou les jumelages de villes sont autant d’échanges entre nations européennes qui contribuent plus à « l’amitié entre les peuples » que la monnaie unique. Par ailleurs, d’autres pays dans le monde ne partagent pas une monnaie commune, sans que la guerre ne soit généralisée…

Sortir de l’euro pour retrouver de l’autonomie politique et économique

On l’a vu, l’instauration de la monnaie unique a privé les gouvernements de tout un arsenal d’instruments économiques. Ainsi, la dévaluation monétaire, les politiques de relance keynésienne, et le financement de la dette publique par création monétaire de la Banque centrale redeviendront des instruments disponibles pour les Etats.

Un autre des résultats de l’euro a été de faire tomber toute barrière aux mouvements de capitaux, de biens et services. En sortant de l’euro, il redevient possible d’instaurer un contrôle des capitaux aux frontières pour mettre au pas la finance, et de mettre en place une politique protectionniste en faveur du progrès social et écologique. Autant de mesures qui sont interdites au sein de la zone euro aujourd’hui.

En conclusion, sortir de la zone euro ne suffit pas en soi pour faire face aux défis sociaux et environnementaux. Il s’agit d’une première décision nécessaire pour avoir la possibilité de redéfinir une politique de progrès social ambitieuse. La zone euro est un carcan réglementaire qui empêche tout Etat membre de dévier des politiques néolibérales. En sortir, c’est se donner les moyens de mener une vraie politique sociale : mise au pas de la finance et du capital, politique écologiste ambitieuse et investissements publics massifs.

Pour aller plus loin :

“Sortir de l’euro ?” Frédéric Lordon, Le Monde Diplomatique, Août 2013 : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/08/LORDON/49561

“Plan A, plan B ? Plan C ! Frédéric Lordon, La Pompe à Phynanc”e, Octobre 2015 : http://blog.mondediplo.net/2015-10-01-Plan-A-plan-B-Plan-C

“La gauche française bute sur l’Europe”, Antoine Schwartz, Le Monde Diplomatique, Juin 2011 : http://www.monde-diplomatique.fr/2011/06/SCHWARTZ/20652

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