Et si on essayait quelque chose ? Retour sur une assemblée porteuse d’espoir

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Crédits : François Ruffin / Capture Twitter

Et si on essayait quelque chose ? Tel était l’enjeu de cette assemblée appelée par François Ruffin et Frédéric Lordon, qui s’annonçait très suivie sur les réseaux sociaux. Elle était motivée par un contexte social très dense. “Est-ce qu’on pourrait tenter que les petits ruisseaux de colères fassent une grosse rivière d’espérance ?” indiquait le descriptif de l’événement. Reportage sur place par Marion Beauvalet.


Trois quarts d’heure avant le début de l’assemblée, la salle était déjà comble. François Ruffin commence par une première intervention dehors pour s’adresser à celles et ceux qui n’ont pas pu entrer dans la Bourse du travail. Pendant ce temps, un orchestre joue à l’intérieur de la salle.

Kieran, intermittent du spectacle explique qu’il est là pour « mettre des mots sur ce qui se passe actuellement ». Karine éducatrice sociale indique quant à elle que « les travailleurs sociaux souffrent des politiques libérales depuis des années ». Elle a suivi les dernières manifestations et regrette « la nécessité d’accueillir plus pour faire plus de chiffre alors que l’accompagnement sera de moins en moins là ».

Pendant plus d’une heure, les témoignages de personnes touchées par les réformes qui les précarisent ou les menacent vont se succéder. Ici, tout le monde aspire à autre chose, quelque-chose qui dépasse la convergence des luttes. Mais quoi ? C’est ce qui va prendre forme au cours de la soirée.

Ce sont deux étudiants qui viennent de Tolbiac qui prennent d’abord la parole. Ils expliquent les enjeux du plan étudiant et déplorent le basculement vers un système anglo-saxon, la fin de la valeur nationale du diplôme. Pour ce qui est de Tolbiac, un blocage illimité jusqu’au retrait du plan étudiant a été voté le mardi 3 avril et le site est plus largement bloqué depuis le 22 mars. S’il n’y a plus ni cours, ni travaux dirigés depuis cette date, les étudiants proposent des ateliers et débats.

“On se bat pour que ceux qui sont précaires gagnent un statut”

C’est ensuite au tour de Bruno, cheminot, de s’exprimer. Il indique ne rien vouloir lâcher car la réforme de la SNCF ouvrira selon lui la voie à d’autres réformes du service public. Il rappelle également que ce dernier n’a pas vocation à être rentable. À cela s’ajoute que la question de la dette relève de la responsabilité de l’État. De plus, l’ouverture à la concurrence se fera sur le même réseau, avec le même matériel. Ne s’agrégera à cela que la question de la rentabilité. « On se bat pour que ceux qui sont précaires gagnent un statut », ponctue François Ruffin.

“Pour qu’un ou une caissière gagne ce que Bernard Arnault gagne en une année, elle devra travailler pendant 1,5 million d’années !”

Pendant les prises de parole suivantes, la question même du sens du travail vient compléter les propos sur la précarisation. La question du travail le dimanche est également soulevée : dans ce système actuellement en construction, quand est-ce que le salarié peut vivre ? Zohra, déléguée syndicale qui travaille chez Carrefour rappelle que l’entreprise supprime 2400 emplois mais verse 356 millions d’euros à ses actionnaires. Pour qu’un ou une caissière gagne ce que Bernard Arnault gagne en une année, elle devra travailler pendant 1,5 million d’années !

Catherine, infirmière, parle quant à elle des « luttes invisibles ». Il s’agit du personnel hospitalier qui est mis en difficulté. L’enjeu de l’uberisation du travail est également soulevé par un chauffeur VTC anti-Uber. Il rappelle qu’aujourd’hui, les chauffeurs travaillent pour 4 euros de l’heure, ce qui n’était pas le cas initialement. C’est l’absence de régulation qui a permis à de plus en plus de personnes d’entrer sur le marché.

Les différents participants ont souligné l’importance de la convergence des luttes. Pour conclure cette première partie, Fréderic Lordon déclare qu’il ne s’agit pas de rejouer Nuit Debout. Le spectre du mouvement, qui avait finalement échoué à faire plier le gouvernement sur la Loi Travail, semble en effet encore hanter ses principaux initiateurs. La veille, dans l’amphithéâtre occupé de Tolbiac, Lordon s’était déjà adressé aux étudiants rassemblés, aux côtés de Bernard Friot, à partir de son expérience de Nuit debout. Partant du principe que le mouvement avait échoué parce qu’il n’avait pas pris conscience de son importance et de ses potentialités, il leur conseillait donc : “Faites croître votre force, en commençant par y croire”.

Mais à la Bourse du Travail, il insiste davantage sur la « classe nuisible », celle des « ravis de la mondialisation ». Il la qualifie également de « classe obscène » en prenant pour exemple le député La République En Marche Bruno Bonnell, qui avait déclaré au micro de RMC, qu’il fallait en finir avec l’obsession pour le pouvoir d’achat. Enfin, il fustige les « démolisseurs » et leur oppose un désir de se rassembler.

“Il faut une inversion du rapport de force, que la peur change de camp”

“La plus grosse question, c’est : qu’est-ce qu’on fait le 5 mai au soir ? Il faut une inversion du rapport de force, que la peur change de camp, que le 5 mai au soir soit le point de départ” reprend François Ruffin.

« Faire déborder la rivière », tel est l’objectif exprimé par François Ruffin. Peu importe le nom : qu’il s’agisse d’un débordement, de la grande fête à Macron, l’essentiel est d’organiser un mouvement d’ampleur. Pour cela, il propose un rassemblement national à Paris le samedi 5 mai. L’objectif est de donner naissance à un mouvement de masse. En un mois, il s’agit de faire monter en puissance le mouvement en se fondant sur différents points d’appui qui sont notamment les mobilisations du mois d’avril et le 1er mai.

En espérant qu’elles n’aboutissent pas à une forme d’entre-soi, “un des ingrédients principaux de l’échec” de Nuit debout selon Patrice Maniglier, qui regrettait que ce mouvement, auquel il avait activement pris part, ait renoncé à toute dimension potentiellement hégémonique. Ne pas s’enfermer dans des idéaux formalistes condamnés d’emblée à un caractère minoritaire. Au contraire, rester connecté à la temporalité du mouvement semble nécessaire, pour ne pas revivre une telle déception. Affaire à suivre.

Crédits photo : Capture Twitter / François Ruffin