Macron ou l’illusion de la radicalité

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©Jeso Carneiro

« Vouliez-vous une révolution sans révolution ? » demandait Robespierre aux conventionnels critiques vis-à-vis de sa radicalité en 1792. La question se pose en des termes exactement similaires aujourd’hui aux millions de Français qui songent à voter pour Emmanuel Macron.

Pourquoi lui ?

Car c’est bien là le nœud du problème : chacun s’accorde à déplorer l’état lamentable du pays, et pourtant, pourtant le chœur des bienheureux s’apprête à porter à l’Elysée un jeune premier encravaté tout juste sevré de Rothschild, tout droit sorti de l’ENA.

Alors pourquoi ? Pourquoi ce jeune homme au sourire hollywoodien et à la voix mielleuse arrive-t-il à créer un tel enthousiasme autour de sa seule personne ? Il est vrai qu’il est charmant, il présente bien quoi ! Mais enfin, cela ne pouvait pas tout expliquer. Certes, il n’a pas de programme, et limite ainsi les risques de créer des désaccords – malin ! Et puis il y a le matraquage médiatique : plus on parle d’un produit quelconque, plus on a envie de l’acheter. Et il est vrai qu’avec 17 000 articles en seulement 2 ans, les médias auront su propulser un total inconnu brusquement nommé ministre de l’économie au rang de superstar hexagonale. En cela, les médias auront vendu le candidat Macron comme ils auraient en temps normal vendu une marque de lessive, en y ajoutant cependant des sondages en cascade qui répètent combien les Français aiment leur jeune ministre de l’économie. 

Et puis il y a le storytelling à propos de son mouvement et le gonflage systématique des chiffres quand il parle de ses 170 000 (!) « marcheurs »… Alors quoi ? Le phénomène Macron comme résultat de tous ces facteurs ? Ce serait oublier autre chose : la peur du changement.

Absorption de la contradiction

A l’instar de ces conventionnels qui voulaient « une révolution sans révolution », l’électeur français est pleinement conscient de la situation du pays, mais s’imagine que tous nos maux seront résolus si l’on passe un coup de peinture sur la devanture. Je m’explique, et m’autorise au passage un petit détour par la théorie.

Nos sociétés industrielles ont généré des oppositions fortes en leur sein. Des partis socialistes, communistes, des syndicats ont émergé, les tensions sociales se sont accrues, la lutte des classes s’est réchauffée. Bref : l’avènement de la modernité a rimé avec le développement de la contradiction dans nos sociétés. Pourtant, à la faveur des « Trente Glorieuses », on a vu s’amorcer un mouvement qu’Herbert Marcuse nomme l’absorption de la contradiction. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien que les forces contestataires qui ont été générées par le capitalisme moderne ont été progressivement intégrées par le système, absorbées par lui, diminuées, recyclées, de sorte à ce qu’elles ne représentent plus une menace pour l’ordre établi. Le meilleur exemple de ce phénomène, c’est le cas des Partis Communistes occidentaux qui, de puissantes forces révolutionnaires, ont été intégrés, transformés en vagues entités réformistes et ringardisés.

Notre constat est le suivant : la contradiction a été absorbée. Et déjà, pourtant, elle tente de se libérer. Entendez-moi bien : s’il est une loi de l’Histoire dont on ne peut douter, c’est celle-ci, la conflictualité est inhérente à toute société humaine. En cela, nos sociétés post-modernes (censées appartenir à une soi-disant « fin de l’histoire ») sont des sociétés malades. Elles ont enchaîné les forces contestataires générées par elles, mais n’ont pas résolu les contradictions qui les ont produites. C’est donc un progrès très précaire que celui-là. Une société qui fonctionne sur le mode de la cocotte-minute, qui criminalise et qui réprime les explosions contestataires de manière systématique et qui accumule ainsi la pression en son sein, n’est pas viable à long terme. 

Ainsi M. Manuel Valls vérifie par exemple toutes les thèses de ce dernier. Pour Marcuse, afin d’absorber la contradiction et de ne permettre l’expression d’aucune dissidence, la classe dominante a façonné des « sociétés de mobilisation totale » : aucune dissidence ne peut être tolérée car ‘il y a urgence’. L’exemple pris par Marcuse dans les années 1960 s’inscrit dans le cadre de la guerre froide : vous ne pouvez pas faire grève ou exiger des droits sociaux ! Nous sommes en guerre avec les communistes ! On a besoin de tout le monde, vous faites le jeu de l’ennemi ! Le coup de génie de Manuel Valls – on peut au moins lui reconnaître ça – a été de parvenir à renouveler le concept. Je veux parler de l’inattendue confusion entre manifestant et terroriste au printemps dernier, l’utilisation de l’état d’urgence pour réprimer la mobilisation contre la Loi Travail, l’interdiction des manifestations au nom du risque terroriste, l’arrestation de militants écologistes pendant la Cop21 et la création de concepts qui feront date comme par exemple le désormais classique « djihadistes verts ». Mais tout cela ne suffit pas à étouffer la contradiction.

Ce début de XXIème siècle se caractérise par une tentative de libération de la contradiction. Le XXIème siècle commençant signe le retour de la contradiction. Le retour des passions politiques, les populismes de droite et de gauche… L’aspiration collective au retour de la conflictualité est là. Le désir de rupture également. Conséquence logique, le paysage politique se polarise (vous savez, la fameuse « montée des extrêmes » bouhouhou). Et dans un tel contexte, qui voit-on pointer son nez ? Emmanuel Macron… Illogique vous pensez ? 

La révolution sans la révolution

Macron n’est pas une volonté d’apaisement. Il est la révolution sans la révolution dont nous parlions. Vous voyez une arnaque ? C’est normal. Appeler son livre Révolution quand on connaît son parcours, il fallait oser. Alors, « révolutionnaire » Macron ? En un certain sens oui ! Comme l’a très justement souligné Gaël Brustier dans un article publié sur le site Slate, le macronisme a toutes les caractéristiques de la révolution passive telle que théorisée par Gramsci. Comprenez : une « révolution par le haut » qui ne met pas en danger les intérêts de la classe dominante et lui permet de s’adapter aux temps nouveaux et de survivre dans une période de décomposition politique. Son programme peut se résumer par la formule utilisée pour qualifier l’unification italienne dans le film Le Guépard : tout changer pour que rien ne change. Mélenchon progresse, Le Pen joue son rôle d’épouvantail, Fillon est trop clivant et risquerait de mettre tout le pays dans la rue, Hamon est tout seul – il n’y a que Macron. On assiste ainsi au spectacle d’un homme porté à bout de bras par un système à bout de souffle. Soutenu par la classe dominante dans sa quasi-intégralité, adoré des médias, soutenu même par l’Elysée. Il faut sauver le soldat Macron car lui seul maintiendra les choses en l’état.

Le nom de Macron rime donc au mieux avec imposture, au pire avec trahison. Macron, c’est l’illusion de la radicalité, l’apparence du changement. Il se pare des atours de la révolution mais appartient tout entier au vieux monde en train de s’affaisser. Face à la montée des populismes, il se déguise en populiste lui aussi, il prétend mettre le peuple « En Marche » (le temps d’une campagne seulement bien sûr), adopte une rhétorique anti-système…

Ce à quoi nous avons ici affaire a un nom, M. Macron n’a pas inauguré à lui seul une nouvelle façon de faire de la politique, il reprend à son compte la notion de catharsis qui nous vient de la Grèce antique. Soyons clairs. Lorsque vous regardez Game of Thrones, vous ne vous mettez à aucun moment en danger, vous vivez votre vie par procuration. Vous vivez des batailles, des aventures, des luttes de pouvoir, sans jamais être acteurs, seulement spectateurs. C’est la fonction cathartique du cinéma : purger les passions.

Dans un XXIème siècle marqué par le retour des passions et la montée des populismes, le ciel, dans sa grande mansuétude, nous envoie M. Macron avec une mission : purger les passions du peuple de France. De là l’imposture d’un homme sans idées, de là le bonapartisme tranquille de « l’homme providentiel » raconté par les médias. Macron est l’expression dernière de la politique avec un « » minuscule, celle qui n’a ni solutions ni ambitions. C’est la tentative dernière de faire bifurquer la contradiction en train de se libérer vers une solution qui ne dérangera personne et ne changera rien. Macron, c’est la révolution sans la révolution, bref, le plus sûr moyen de perdre encore cinq ans et d’éviter tout changement.

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