5. Le climatologue : Jean Jouzel | Les Armes de la Transition

Jean Jouzel est glaciologue-climatologue, pionnier dans l’étude du changement climatique. Il a été vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) lorsque ce dernier a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2007. La liste de ses responsabilités est impressionnante. Il a plus récemment rejoint le Haut Conseil pour le Climat. Jean Jouzel nous éclaire sur le rôle précis d’un climatologue dans le cadre de la transition écologique.


Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différent. Un tel projet est inédit, et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des “armes” de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.

La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo :

LVSL : À quoi sert un climatologue pour la transition écologique, et pourquoi avez-vous choisi cette voie-là plutôt qu’une autre pour apporter votre pierre à cette transition ?

Jean Jouzel : Si je commence par « pourquoi j’ai choisi cette voie-là ? », il y a beaucoup de hasards. Je termine une école d’ingénieur, Chimie-Lyon, et j’avais envie de faire une thèse. Je suis breton, et un des critères de choix pour la thèse, c’était de se rapprocher de la Bretagne. Il y avait des sujets proposés au CEA-Saclay, et j’ai rencontré la personne qui proposait ce sujet. Il y avait une certaine compétition, mais j’ai quand même été pris à Saclay – c’était en octobre 1968, il y a quand même 51 ans – et au départ il n’avait pas vraiment de sujet de thèse vraiment défini, et il m’a proposé un sujet sur la formation de la grêle. J’ai été d’abord extrêmement surpris, mais j’ai accepté tout de suite !

Alors pour vous, pour beaucoup de gens, la grêle, la glace, c’est de l’eau… Mais dans cette eau il y a des isotopes (même atome, mais avec un nombre de protons différent). C’est-à-dire que l’hydrogène a un grand frère, l’hydrogène lourd, de même pour l’oxygène, qui a l’oxygène 18… Dans la nature, les rapports de ces molécules lourdes et molécules légères, la quantité d’eau, disons qu’on appelle couramment deutérium et oxygène 18, varient en fonction de l’histoire de ces masses d’air qui ont apporté ces précipitations, cette vapeur d’eau… Il y avait déjà eu des travaux, et je m’y suis beaucoup intéressé. En gros, plus il fait froid, plus il y a d’isotopes lourds dans les précipitations, et les grêlons se forment dans cette ascendance verticale, et à mesure qu’on monte dans ces cellules convectives, la température est de plus en plus froide, et donc la composition isotopique des différentes couches de grêlons permet de reconstituer des trajectoires.

Ça, c’était ma thèse, et pendant cette thèse, Claude Lorius, qui était déjà glaciologue, qui avait d’ailleurs fait sa thèse sur les isotopes dans les neiges polaires, n’avait pas de laboratoire. Il venait faire faire ses analyses dans notre laboratoire, et dès le début 1969 il ramène des échantillons de Terre Adélie. On est rapidement devenus très amis, puisqu’on jouait tous les deux au foot, et à la fin de ma thèse sur la formation de la grêle, je me suis intéressé aux carottes glaciaires. C’est la même philosophie, plus il fait froid, moins il y a d’isotopes lourds dans la neige, et ça permet de reconstituer les températures de l’atmosphère en Antarctique, au Groenland, au moment où la neige s’est formée, et donc, de remonter dans le temps. On a là des archives climatiques qui ont ensuite été au cœur de ma carrière scientifique.

Donc, c’est vrai que le choix de carrière que j’ai fait tient au départ à mon envie très claire de faire de la recherche, de faire une thèse, mais le sujet s’est proposé à moi plutôt que je ne me le suis proposé moi-même. Je me suis toujours intéressé à la glace depuis les grêlons puis les neiges et les glaces polaires, et ma carrière s’est un peu organisée autour de ces enregistrements climatiques : on est actuellement remonté jusqu’à 800 000 ans en Antarctique, 100 000 ans au Groenland, ce qui est intéressant si l’on veut reconstruire les climats passés. L’intérêt, dans cette reconstruction, c’est d’apporter des informations qui sont pertinentes vis-à-vis de l’évolution future du climat.

J’ai eu la chance de participer à deux découvertes qui sont dans cet esprit : en 1987, on publie les premiers résultats sur un forage avec les Soviétiques, qui montrent que dans le passé il y a eu un lien entre gaz à effet de serre et climat. En période glaciaire, il y a moins d’effet de serre qu’en période chaude. Ça a joué un rôle dans la prise de conscience du rôle des gaz à effet de serre. Avant ces résultats, quand on parlait de l’effet de serre, on parlait soit d’une approche théorique de l’effet de serre, ou bien on nous parlait à juste titre de Vénus ou de Mars qui ont des températures différentes de celles de la Terre, parce que l’effet de serre y est différent. Mais c’était quelque chose d’extrêmement visuel que de montrer cette relation, sur notre planète, entre effet de serre et climat dans le passé. Donc c’est un premier point qui montre que – bien sûr, on était déjà au début de l’augmentation de  l’effet de serre – l’intérêt des climats passés.

J’ai aussi travaillé au Groenland, ou nous avons découvert l’existence de variations climatiques extrêmement rapides. C’est-à-dire qu’au Groenland, en une ou quelques décennies, il peut y avoir des réchauffements de l’ordre de 10-15°C. Donc, variation rapide du climat… Quand j’ai commencé en 70, on ne pensait pas qu’il pourrait y avoir de variation rapide du climat, et effectivement, ça amène la communauté à s’interroger sur la possibilité de variation climatique rapide, la stabilité du climat dans un contexte de réchauffement climatique.

Il n’y a pas que les glaces polaires, je me suis intéressé aussi aux autres archives climatiques, à leurs connexions, à la modélisation des climats passés… C’est cela qui m’a conduit à m’intéresser au climat du futur. Après les années 80, je me suis impliqué dans le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), et j’ai contribué au 2ème et 3ème rapport. À partir de 1994, j’étais chargé de rédiger la partie dédiée au climat du passé, et à partir du 4ème rapport, de 2002 à 2015, je me suis impliqué au niveau de l’organisation elle-même du GIEC, de son bureau, comme vice-président du groupe scientifique.

Il faut bien voir que, d’un côté on peut reconstituer les climats passés, de l’autre, on n’a quand même pas dans les climats du passé un analogue de ce vers quoi nous allons. Il y a eu des climats plus chauds qu’aujourd’hui, bien évidemment, pour des raisons tout à fait naturelles, mais ce n’étaient jamais vraiment pour les mêmes raisons.

Donc, si on veut regarder vers le futur, la seule façon de le faire c’est d’utiliser des modèles climatiques. Bien sûr, on peut les valider, sur des conditions différentes comme celles du passé, mais l’approche quasi obligatoire c’est la modélisation, donc je m’y suis intéressé.

En France, il y a deux modèles, l’Institut Pierre Simon Laplace et Météo France, qui ont développé ce type de modèles. Il y en a une vingtaine, une trentaine peut-être dans le monde maintenant.

J’ai été aussi pendant 8 ans directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace et je me suis beaucoup impliqué dans cette modélisation future du climat, à tous ces résultats dont on parle, ce risque de réchauffement de 4 à 5°C si rien n’est fait pour l’endiguer…

Donc c’est un peu ça ma carrière, pour résumer : une expertise construite autour des climats passés, mais un intérêt qui va sur l’évolution du climat dans son ensemble, parce qu’il y a une continuité.

LVSL : En quoi consiste votre activité de climatologue ? Comment pourrait-on décrire une de vos journées types ?

Jean Jouzel : Je vais toujours travailler un peu, c’est davantage de l’écriture, mais je vais toujours dans mon laboratoire, je suis Directeur de Recherche émérite au C.E.A.

Une journée type ? C’est ça l’intérêt, je dirais qu’il n’y a pas de journée type ! C’est quoi, être climatologue ? Dans mon cas, la première chose à faire, c’est que des gens aillent chercher des échantillons.

Notre terrain de jeu, c’est l’Antarctique, le Groenland, c’est là où on a vraiment des archives glaciaires qui remontent loin dans le temps, et ce sont de gros projets assez coûteux. Il y a d’abord une équipe de foreurs qui développe des outils pour faire ces forages (par exemple, il y a une telle équipe à Grenoble), ensuite il y a des campagnes d’été (décembre-janvier en Antarctique et plutôt juin-juillet au Groenland), et beaucoup d’activité sur le terrain.

Moi, je n’étais pas directement foreur, mais les chercheurs vont sur le terrain, préparent les échantillons, les découpent, les identifient… Il y a un travail sur terrain, j’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai dû aller quatre fois au Groenland, une seule fois en Antarctique. J’ai été longtemps Directeur de l’Institut Polaire, et c’était surtout pour visiter la base elle-même. Donc il y a un travail sur le terrain.

Ensuite, on ramène ces échantillons, et il y a beaucoup d’analyses en laboratoire. On a eu la spectrométrie de masse, maintenant il y a aussi des lasers qui permettent de mesurer ces compositions isotopiques. Il y a beaucoup de travail au laboratoire, il y a des milliers d’échantillons à analyser. On ne le fait pas tout seul, évidemment, c’est un travail d’équipe, mais je me suis beaucoup intéressé pendant 20 ou 30 ans à l’analyse elle-même.

Et une fois que vous avez un résultat, il faut essayer de les comprendre, essayer de les expliquer, de les présenter de façon attractive au sein d’articles. Un de mes principaux apports, c’est l’écriture (je n’étais pas très bon au labo, je passais beaucoup de temps à écrire…). Ensuite il faut les présenter. On a aussi, je crois, le devoir de dire ce qu’on fait, aussi bien dans les décisions politiques. Cette partie-là m’a aussi beaucoup intéressé ; collectivement nous sommes rapidement sortis de notre tour d’ivoire. Les médias se sont intéressés à nos travaux, pratiquement à partir de ce forage de Vostok en 1987, et ensuite il y a énormément d’intérêt pour les variations climatiques rapides et l’évolution future du climat.

Mais les contacts avec les sphères politiques ont aussi tenu une grande place dans ma carrière. C’est surtout à partir du début des années 2000 avec Jacques Chirac. Depuis, j’ai rencontré sur ces sujets tous nos présidents, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, donc j’étais partie prenante dans le Grenelle de l’Environnement. J’ai été co-président, avec Nicolas Stern, du volet « Climat – Énergie », ensuite j’ai été beaucoup impliqué dans la réflexion qui a précédé la mise sur pied de la loi sur la transition énergétique, la loi pour la croissance verte ; et encore depuis, avec François Hollande et depuis avec Emmanuel Macron, il y a aussi des réunions. Il y a bien sûr un volet de communication. Actuellement une plus grande partie de mon temps qui est consacrée à la communication, mais j’aime toujours aller au laboratoire, un peu moins souvent. Et puis, ce qui me prend du temps : je suis membre du Conseil Economique Social et Environnemental, et c’est aussi une organisation sur laquelle le témoignage de ces aspects gouvernementaux (je suis dans la section Environnement) est aussi important.

On a fait récemment, par exemple, un avis sur la justice climatique, ce problème qui est au cœur des conséquences du réchauffement climatique, c’est-à-dire le risque d’accroissement des inégalités. On est au cœur de ce problème y compris dans les pays développés.

LVSL : Quel est votre but ?

Jean Jouzel : Je ne suis pas écologiste de naissance. J’ai vécu toute ma jeunesse jusqu’à une vingtaine d’années dans la ferme de mes parents, donc je peux dire que je connais bien la nature et le monde agricole. Ça n’avait fait pas de moi un écologiste, mais c’est vrai que je m’y suis ouvert.

Dans les années 70, on ne parlait pas beaucoup du réchauffement climatique. Ce n’est que progressivement que l’étude des climats passés est devenue importante pour la compréhension du climat et pour essayer de mieux cerner son évolution future, dans les années 1980.

En 70, c’était plutôt le contraire, puisqu’en gros, chaque période chaude au cours de la deuxième partie du quaternaire, donc depuis 800 000 ans à peu près, en tout cas sur les 400 000 dernières années, il y a une alternance de périodes chaudes et froides. On a tous appris ça à l’école, les périodes glaciaires, les périodes chaudes, les périodes interglaciaires et puis ce constat que les périodes froides durent à peu près 100 000 ans ou un peu moins, et les périodes chaudes ne durent que 10 000 ans. En gros, comme la nôtre dure depuis 10 000 ans, la question posée dans les années 70 c’est « est-ce qu’on ne va pas aller rapidement vers une nouvelle période glaciaire ? ».

On a compris maintenant pourquoi ce n’est pas le cas… La Terre tourne autour du soleil sur une orbite un peu elliptique qui se modifie, et qui à certaines périodes est pratiquement circulaire.

Quand cette orbite est circulaire, il y a peu de variations d’insolation, en fonction de la latitude, du lieu où vous êtes, et en gros, ce n’est pas propice à une entrée en glaciation. Si on veut regarder ce qui se passe actuellement avec une orbite circulaire, il faut aller voir ce qui s’est passé il y a 400 000 ans et là, c’est clair : la période chaude a duré 20 à 30 000 ans. On a de la chance, d’ailleurs, que notre civilisation se soit développée dans une période chaude qui, de façon interglaciaire, de façon naturelle, durera ou durerait (le réchauffement climatique risque encore d’empêcher le passage à la prochaine ère glaciaire, si on le faisait intelligemment). En tout cas, on est dans une période qui, naturellement, serait une période chaude pendant 15 000 années supplémentaires.

Et donc, cette idée qui prévalait dans les années 70 d’un prochain passage à l’ère glaciaire était fausse. Le véritable problème c’est notre activité sur le climat. L’effet de serre lui-même a été découvert au 19ème, et l’augmentation de l’effet de serre a été envisagée dès le début du 20ème siècle par Arrhenius en particulier, qui prévoyait d’ailleurs un réchauffement de quelques degrés à la fin du 20ème siècle, mais il faut bien dire que ce problème n’est revenu sur le devant de la scène que grâce au développement de modèles climatiques, les modélisateurs ayant montré de façon très claire dans les années 70-80, à une époque où j’étais déjà chercheur, que les quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère pourraient être doublées d’ici 2050. Malheureusement, nous sommes toujours sur ces trajectoires, avec des réchauffements dont on pensait qu’ils seraient de 2 à 5°C à l’époque de la stabilisation.

On en est malheureusement toujours là, et d’ailleurs, dans le premier rapport du GIEC, tout est dit en 1990 : un réchauffement de 3°C est envisagé pour le milieu du 21ème siècle et des élévations du niveau de la mer à la fin du 21ème siècle de 60 cm à 1 mètre. Et effectivement, ça a été bien compris à l’époque, puisque la Convention Climat s’est mise en place rapidement, mais depuis ça s’est un peu dégradé en ce sens que, ni le Protocole de Kyoto ni la Conférence de Copenhague n’ont rempli complètement leur office, et malheureusement il y a un risque non négligeable actuellement que ce soit également le cas pour l’Accord de

Paris.

Je ne me suis pas fixé pour objectif – ça me semblait tellement naturel – de communiquer, et je ne suis pas le seul, Claude Lorius, c’était pareil… On avait vraiment le sentiment que ça fait partie de notre travail de communiquer nos résultats non pas simplement dans les revues scientifiques, mais aussi dans les médias, vers le grand public, vers les décideurs politiques… C’est il y a une trentaine d’années que les médias nous ont effectivement contactés… Un de mes souvenirs, c’est à la sortie du papier « Vostok » en 1987, le New York Times m’appelle et Walter Sullivan, qui était à l’époque et qui est resté un très grand journaliste américain, me contacte en disant « je veux vous voir ! », donc pour un jeune chercheur c’était quand même assez surprenant ! C’est vrai que cette nécessité de dire les choses a, peut-être pas pris le pas sur la recherche elle-même, mais a pris progressivement une part de plus en plus importante dans mes activités.

On a même dépassé ce stade, puisqu’actuellement une de mes activités c’est de m’impliquer dans la mise sur pied du Pacte Finance/Climat avec Pierre Larrouturou. Donc c’est aussi un peu aller au-delà de la communication, essayer de faire des propositions pour avancer dans la lutte contre le réchauffement climatique, donc j’ai essayé de couvrir toute cette palette depuis le travail de recherche de laboratoire, de terrain, jusqu’à la communication et, si possible, des propositions concrètes.

LVSL : Pourriez-vous nous livrer trois certitudes que vous avez construites au fil de vos travaux ?

Jean Jouzel : Des certitudes que notre communauté scientifique a construites, et auxquelles j’adhère, sont très claires.

Premièrement, par nos activités, nous avons modifié la composition de l’atmosphère en gaz à effet de serre : les quantités de gaz carbonique ont augmenté de plus de 40%, plus que doublé pour le méthane, + 20% pour le protoxyde d’azote; avec une conséquence très claire : cette augmentation d’effet de serre augmente la quantité d’énergie disponible pour chauffer l’atmosphère, les glaces, l’océan, et les surfaces continentales. Et d’ailleurs de cette chaleur additionnelle, va dans l’océan. C’est une première certitude, ce sont nos activités qui ont modifié la composition de l’atmosphère.

La deuxième certitude, c’est que le réchauffement est sans équivoque. C’est une certitude qui s’est construite à travers les rapports du GIEC, et pas simplement sur le fait que les températures dans l’atmosphère augmentent. De fait, les quatre dernières années ont été les plus chaudes qu’on ait connues en France depuis 150 ans. C’est 2018 qui a été l’année la plus chaude.

Mais cette certitude se construit aussi sur d’autres indications. Par exemple, l’élévation du niveau de la mer est l’élément le plus clair du réchauffement climatique, puisqu’une fois qu’on a dit que l’essentiel de la chaleur supplémentaire liée à l’augmentation de l’effet de serre va dans l’océan à 93%, il faut regarder ce qui s’y passe, et c’est très clair. L’élévation du niveau de la mer, à peu près 3 mm chaque année, est un tiers lié au réchauffement de l’océan qui entraine sa dilatation, le reste pour l’essentiel à la fonte des glaces ; les glaciers tempérés, mais depuis une vingtaine d’années le Groenland et l’Antarctique sont un indicateur très clair. On peut aussi, si on n’aime pas trop les chiffres, regarder autour de soi… À l’échelle d’une génération, les dates de vendanges se sont avancées de 3 semaines, les glaciers qui reculent dans les alpes…

La troisième certitude, c’est que le réchauffement climatique va se poursuivre, parce que l’effet de serre dans l’atmosphère n’a pas joué tout son rôle, et même si on arrêtait complètement les émissions ou quasi complètement, on aurait du mal à éviter un réchauffement de l’ordre de 1,5°C.

Là où il y a une question, tout à fait légitime, qui nous a beaucoup occupés, et pour laquelle, semble-t-il, on a des réponses maintenant, c’est une fois qu’on a dit « l’effet de serre augmente, le climat se réchauffe », ce n’est pas du tout simple d’établir une relation de cause à effet. Et effectivement, cette question a été au cœur des différents rapports du GIEC Elle nous est posée de façon récurrente, on se la pose d’ailleurs, parce que le GIEC se pose les questions qu’il veut bien se poser… « Est-ce que les activités humaines sont à l’origine du réchauffement climatique, une fois qu’on a admis la réalité du réchauffement climatique ? »

En fait, la réponse s’est modifiée, a évolué. Dans le premier rapport du GIEC, on ne sait pas… Dans le deuxième rapport du GIEC En 95,  la réponse c’est « peut-être »… Et ça a joué un rôle très important, en fait, dans le Protocole de Kyoto. C’est très prudent, mais c’est suffisant. Des gens comme Al Gore utilisent ce résultat et je crois que sans ce rapport du GIEC, sans ce lien qui commence à s’établir entre activité humaine et réchauffement, le Protocole de Kyoto n’aurait pas été mis en place. Ensuite, de « peut-être », on passe à « probablement, plus de 2 chances sur 3 » dans le troisième rapport, « très probablement, plus de 9 chances sur 10 » dans le quatrième, et le cinquième rapport nous dit de façon très claire que le réchauffement climatique des 50 dernières années (depuis les années 50, en gros) est lié déjà aux activités humaines. En fait, que les causes naturelles du réchauffement climatique, que l’ensemble de l’activité solaire, l’activité volcanique, ne peuvent expliquer au mieux qu’un dixième de degré d’un réchauffement qu’on estime à peu près à 8 dixièmes de degrés depuis les années 50.

LVSL : Quelle traduction concrète pourriez-vous faire de ces conclusions ? En termes de politique publique, par exemple ?

Jean Jouzel : On nous l’a des fois reproché, mais la mission du GIEC n’est pas de faire des recommandations aux décideurs politiques. Notre mission, en tant que communauté, c’est de faire un diagnostic de l’ensemble de ce qui est lié à l’évolution de notre climat, que ce soient les causes, les conséquences, les solutions à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique, l’adaptation. On fait simplement un diagnostic, et un diagnostic critique, en ce sens qu’il ne s’agit pas simplement de faire une synthèse, comme des scientifiques se positionnent par rapport à différentes hypothèses.

Mais l’idée n’est pas de dire aux décideurs politiques, qui se retrouvent lors des Conférences des Parties, ce qu’ils doivent faire, mais vraiment de leur donner des éléments pour qu’ils puissent prendre leurs décisions. On en a beaucoup discuté au sein du GIEC, certains nous disent « vous devriez aller plus loin, faire des recommandations ». Non !

Et ça a bien fonctionné, puisque les décideurs politiques sont quand même assez intelligents pour comprendre les messages. Quand on dit que si on ne fait rien pour lutter contre le réchauffement climatique, on va vers 4-5°C à la fin du siècle, avec des conséquences extrêmement importantes, quelle que soit la direction dans laquelle on regarde, les gens comprennent. Et d’ailleurs, c’est traduit dans cette Convention Climat, qui, à partir de Copenhague, a mentionné la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 2°C, voire 1,5°C, et c’est inscrit de façon plus formelle encore dans l’Accord de Paris.

Quand on regarde l’Accord de Paris, il s’appuie complètement sur le cinquième rapport du GIEC, donc on a rempli notre mission. Je pense qu’on a donné aux décideurs politiques les éléments pour qu’ils puissent prendre leurs décisions. Là où le bât blesse, c’est qu’une fois la décision prise, elle ne se concrétise pas dans les mesures et dans la réalité de la politique. Mais c’est clair qu’à partir de cela, nous avons contribué collectivement, et je l’ai fait peut-être plus au niveau français, évidemment, à la mise en place de politiques publiques en France. J’ai participé au premier Débat sur l’Energie, en 2005, dans lequel est inscrit l’objectif de division par 4 de nos émissions, ensuite j’ai participé à la préparation de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, au Grenelle de l’Environnement dans lequel ça a été réaffirmé. Effectivement, parmi les scientifiques, j’ai été un de ceux qui ont apporté leur témoignage, et les politiques publiques en France se sont largement appuyées sur les travaux de la communauté scientifique.

Dans mon cas, je suis allé un peu plus loin. Je suis au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), j’ai été co-rapporteur d’un premier avis, avec Catherine Tissot-Colle sur la loi de transition énergétique, et j’ai aussi été dans la loi T.C.E.V. J’ai été co-rapporteur, là aussi, de l’avis sur la loi sur la transition énergétique, et donc travaillé sur les concepts d’injustice climatique, sur le risque d’accroissement des inégalités… donc je suis allé un peu plus loin grâce au C.E.S.E. qu’un simple témoignage de scientifique. Je suis au CESE, car j’ai été désigné comme personnalité qualifiée suite à mon implication dans le Grenelle de l’Environnement. Il y a une certaine continuité. Au niveau du C.E.S.E, je me suis impliqué dans 5 avis qui ont tous une dimension climatique. Ça a été aussi un endroit où j’ai pu témoigner, au-delà de mes travaux de recherche. C’est un peu entre l’expertise et la décision politique.

LVSL : Quelle devrait être la place de votre discipline dans l’élaboration de la planification écologique ? À quel niveau votre discipline devrait-elle intervenir par rapport à la décision ? Avez-vous déjà pensé à une structure qui pourrait faciliter ?

Jean Jouzel : Oui… Alors, au niveau de la décision, je pense qu’il faut bien prendre la dimension… Jusqu’ici on a parlé de climat, mais on est dans un contexte très important de changement. Je dirais que c’est la transition écologique au sens large. On va parler de transition énergétique, la Loi sur la Transition Energétique, qui est directement une loi dont la première motivation est la préservation du climat, la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Mais on est dans un contexte beaucoup plus large, où il y a beaucoup de problèmes environnementaux aussi importants, comme la perte de biodiversité, comme la pollution, comme l’accès en eau, comme tous les problèmes de santé d’environnement… Et un des points que les gens prennent, c’est que ces problèmes ne sont pas indépendants les uns des autres. Par exemple, un réchauffement climatique rapide, de façon claire, exacerbe les autres problèmes environnementaux, qui n’ont pas besoin de ça.

Je donne souvent l’exemple de la perte de biodiversité, si rien n’était fait pour lutter contre le réchauffement climatique, la vitesse de déplacement des zones climatiques à la fin du siècle qui est de l’ordre de 5 à 10 km par an serait supérieure à la capacité de déplacement de la moitié des espèces, faune ou flore. Ça montre bien ce lien, si on ne stabilise pas le climat, la biodiversité en souffrira. Elle souffre des activités humaines, de beaucoup d’autres façons, et c’est de même pour la pollution. La pollution estivale, les villes polluées, un événement de pollution estivale quand il y a des périodes caniculaires, il est très difficile d’y faire face, avec ce qui se décline sur des problèmes de santé et d’environnement.

De même pour les ressources en eau, ne serait-ce que pour le pourtour méditerranéen… Un des problèmes du réchauffement climatique, au-delà des températures, c’est qu’il a le mauvais goût, dirais-je, d’accroître les précipitations là où il y en a déjà bien assez, par exemple dans le nord de l’Europe, l’hiver, et de les diminuer là où, en gros, on n’en a déjà pas trop, sur le pourtour méditerranéen.

Donc, on voit bien que tout ça est lié. C’est vrai qu’au-delà du climat, je pense qu’il faut s’intéresser à l’ensemble de cette transition écologique, on m’a pris en compte dans les textes, mais c’est un peu ça, ma démarche, actuellement. Et donc, dans tous ces domaines, il y a des décisions à prendre.

Alors ! Est-ce qu’il y a des organismes ? Moi, je me suis impliqué bien sûr aussi, du côté « recherche ». Tout ce dont je vous ai parlé a plutôt à voir avec le Ministère de l’Écologie, donc j’ai côtoyé tous les ministres de l’Écologie depuis, je pense, Michel Barnier… Je me suis aussi beaucoup impliqué dans la recherche. J’ai été, par exemple, 5 ans Président du Haut-Conseil de la Science et de la Technologie, qui ne s’intéressait pas au climat, mais à l’ensemble de la recherche en France. On voit bien que ces organismes consultatifs n’ont pas beaucoup de poids en France, malheureusement, donc en fait, les décisions sont plutôt prises au niveau des cabinets ministériels.

Ceci étant, je crois à la nécessité de telles organisations. Par exemple, je place des espoirs dans le Haut-Conseil pour le Climat, qui a été récemment mis en place, donc mon collègue Pierre Larrouturou en fait partie, des scientifiques comme Valérie Masson-Delmotte, avec qui j’ai travaillé, je connais bien sûr tous les gens qui y sont, et j’espère que ce Haut-Conseil aura réellement un impact, parce que c’est réellement souhaitable que les politiques publiques s’appuient sur de l’expertise, ce qui n’est pas toujours le cas.

LVSL : Si un candidat à la Présidentielle vous donnait carte blanche pour élaborer son programme en matière d’écologie, que pourriez-vous lui suggérer, dans le cadre de votre spécialité ?

Jean Jouzel : Évidemment, je placerais la lutte contre le réchauffement climatique au cœur de l’activité, on a fait un pas supplémentaire dans cette direction, c’est ce qu’on aimerait, avec Pierre Larrouturou. On s’est mobilisés, à travers deux livres, « Pour éviter le chaos climatique et financier », et puis avec Anne Hessel « Finances, Climat, réveillez-vous ! ». Ces deux ouvrages sont, en gros, des ouvrages de lancement de cette idée de pacte finance/climat. En gros, l’idée qu’on y défend, et nous ne sommes pas les seuls, c’est que si l’on veut prendre la mesure du réchauffement climatique, il faut investir de façon massive, et que ces investissements demandent une vraie prise en compte de ces problèmes. On propose de façon claire la création d’une banque européenne pour le climat. L’estimation de la Cour européenne des comptes est qu’il faudrait mille milliards € chaque année ou un peu plus pour lutter contre le réchauffement climatique européen.

Nous sommes profondément européens, et donc pour répondre à votre question, ce que nous aimerions, c’est que certains candidats – et d’ailleurs on a déjà le soutien de 210 députés, je crois – sans forcément reprendre notre Pacte, reprennent cette idée de mettre au cœur d’un projet européen la lutte contre le réchauffement climatique, et d’ailleurs, une Europe de l’énergie et du climat. Ce Pacte européen pour le Climat est de notre avis synonyme de dynamisme économique, de création d’emploi (on parle de 6 millions d’emplois au niveau de l’Europe). La seule façon, pour qu’ils puissent être pris au sérieux, c’est que des candidats aux élections européennes et ensuite des candidats aux élections de différents pays, des décideurs politiques, le reprennent à leur compte. Alors peut-être sous une forme différente, mais, ce dont je suis persuadé, c’est que, pour lutter de façon efficace contre le réchauffement climatique, on va parler de mobilité, de domestique (ce qu’on fait chez soi en termes de chauffage, d’utilisation d’appareils électro-ménagers et électroniques, ou de systèmes énergétiques, d’agriculture, d’alimentation) que tout cela soit vraiment repris dans des programmes, cette nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et, plus généralement, je le redis, de préserver notre environnement avec ses autres dimensions.

Notre espoir, donc, c’est vraiment que ça soit repris, pas forcément sous la forme du Pacte, mais au moins que tout le monde soit conscient que, si on continue sur le rythme sur lequel nous sommes au niveau européen, les objectifs de l’Europe – ceux de la France sont à peu près similaires – de neutralité carbone à l’horizon 2050, en divisant par 4 ou 5 leurs émissions ne peuvent pas être atteintes sans un changement complet de politique.

Et finalement, il y a eu beaucoup de création de monnaie. La planche à billets a tourné pour sauver l’économie, on a créé plus de mille milliards € chaque année depuis 2008, et encore plus récemment, pour relancer l’économie… On pense qu’il serait temps que cette création monétaire soit vraiment destinée à des choses précises comme la lutte contre le réchauffement climatique, qui doit, et c’est un de nos soucis, être juste… Je suis intimement convaincu, au niveau français, de la nécessité d’une fiscalité écologique, mais on voit bien que cette fiscalité écologique est difficile à mettre en place, alors qu’on en sait les deux conditions nécessaires :

  • Qu’il y ait un regard vers les couches les plus pauvres de la population, les moins aisées, de façon à ce qu’elles n’en souffrent pas, en tout cas pas exagérément ; que ça leur permette de prendre conscience aussi de la réalité du problème ;
  • Que cette fiscalité écologique, on en connaisse la destination.

Les pays qui ont réussi à mettre en place une fiscalité écologique sont les pays dont ces deux conditions ont été au cœur de la politique fiscale, ce qui n’est pas le cas en France, malheureusement, ça a été l’échec !

C’est très clair, et ces aspects-là m’intéressent aussi beaucoup. Il faut absolument une fiscalité écologique, mais qui soit juste, et qui soit vraiment efficace. Et l’efficacité passe aussi par une clarification des objectifs de l’utilisation de cette fiscalité.

LVSL : Êtes-vous en lien avec des spécialistes d’autres disciplines ? Et si oui, comment travaillez-vous ensemble, concrètement ?

Jean Jouzel : Oui ! Et je vais citer un exemple. Un de nos derniers articles, c’est un article avec Eloi Laurent, qui est sociologue et qui s’intéresse aux inégalités. Cet article porte sur la nécessité de mettre en avant de nouveaux indicateurs. C’est un travail que j’ai fait avec un économiste, un sociologue plutôt qu’un économiste, c’est un travail récent. Autre exemple, au niveau du C.E.S.E., il y a toutes les sensibilités, donc quand on rédige un des avis du C.E.S.E., il faut aussi savoir tenir compte d’un aspect consensuel, de gens qui viennent de différents horizons.

Dans l’évolution du climat, il n’y a aucune discipline qui puisse vraiment se dire que ce n’est pas son problème. Donc, je côtoie aussi bien des philosophes comme Dominique Bourg, qui s’intéresse au réchauffement climatique, des sociologues, mais aussi des historiens du climat, des spécialistes de l’agriculture, des gens qui sont plus orientés vers la technologie, ou même des juristes… J’ai parrainé l’organisation de Marie Toussaint, Présidente de « Notre affaire à tous », qui est une des quatre organisations signataires de l’appel « l’Affaire du siècle ». J’ai travaillé sur la justice climatique avec une juriste, Agnès Michelot, demain je vais au dixième anniversaire d’OXFAM, j’irai donc témoigner avec des gens d’horizons complètement différents. C’est souvent aussi dans les entreprises, il y a beaucoup d’intérêt des entreprises, dans le secteur financier…

Je fais aussi, de plus en plus, de conférences et d’interactions avec le secteur agricole, parce que j’aime beaucoup. C’est anecdotique, mais il y a deux mois, à sa demande, j’ai rencontré Christiane Lambert, Présidente de la FNSEA. Il y a une vraie prise de conscience dans le monde agricole de la nécessité de prendre en compte ce problème climatique… Ce sont des leaders syndicalistes…

J’ai aussi beaucoup de contacts avec les politiques, bien sûr, je suis assez proche de Nicolas Hulot, mais quand François de Rugy a pris le Ministère, il m’a aussi invité à le rencontrer. De même, j’ai rencontré ensuite Emmanuelle Wargon à son invitation, Brune Poirson également, on a discuté de projets sur le forum Météo/Climat.

Je suis aussi très investi dans l’associatif, là aussi on côtoie des gens d’horizons différents. Je suis président de Météo et Climat, qui est la société savante dans nos disciplines. Je suis aussi très impliqué et très intéressé par un mouvement qui s’appelle « Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique » : l’idée c’est qu’on discute beaucoup de responsabilité scientifique, d’éthique scientifique, et ces aspects m’intéressent également, et donc on aura ici un Directoire, lundi prochain on sera une quinzaine de personnes à se réunir ici, avec à la fois des médecins, des philosophes, mais aussi des spécialistes de l’informatique, de l’intelligence artificielle… Tout ça pour discuter de l’éthique scientifique.

J’aime bien le contact avec les gens, j’ai beaucoup aimé m’investir dans le Haut-Conseil de la Science et de la Technologie, là aussi j’ai côtoyé des gens de toutes les disciplines. Je pense que ça fait partie de notre travail. Ça laisse un peu moins de temps pour écrire des articles, mais une de mes fiertés, c’est que beaucoup de jeunes ont pris le relais, il y a Vincent Delmotte, et d’autres aussi qui sont dans nos équipes, comme dans son cas, extrêmement visibles. Ces jeunes sont extrêmement brillants, impliqués, et c’est vrai que j’ai participé au développement de l’Institut Pierre Simon-Laplace, c’est quand même un grand institut, et ça fait aussi partie de mes fiertés.

Ma carrière de chercheur est un peu derrière moi, même si je continue de travailler un peu, mais je suis très fier que beaucoup de jeunes s’intéressent à ces disciplines, parce qu’on en a bien besoin…

LVSL : Êtes-vous plutôt optimiste quant à la faculté de l’humanité à relever le défi climatique ?

Jean Jouzel : J’ai été optimiste, plus que je ne le suis aujourd’hui, après la Conférence de Paris. Si on peut parler d’un succès, ce n’est pas dans ses objectifs eux-mêmes, car ils sont bien en deçà de ce qu’il faudrait faire pour limiter le réchauffement climatique à 2°C. En l’état, on va plutôt vers 3°C : il faudrait multiplier par 3 les engagements, par 5 pour rester sous 1,5°C. Ce n’est pas tellement par ses objectifs, mais par son universalité. Tous les pays ont signé l’Accord de Paris, pratiquement tous les pays l’ont ratifié – le seul grand pays qui ne l’a pas ratifié, pour le moment, c’est la Russie – mais malheureusement, le retrait annoncé des États-Unis, le retrait envisagé du Brésil, et du coup, d’autres pays qui traînent les pieds comme l’Australie (et on ne voit pas la Russie ratifier l’Accord de Paris si les États-Unis en sortaient…). Je suis beaucoup moins optimiste.

Ceci étant, je reste non pas confiant, mais convaincu qu’il faut faire le maximum pour limiter le réchauffement climatique, c’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons lancé cette idée d’un Pacte Finance-Climat pour l’Europe. Mais il faut bien reconnaître la difficulté quasi insurmontable de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Diviser par deux nos émissions entre 2020 et 2030, alors que beaucoup des investissements d’aujourd’hui (on peut parler de développement de l’aviation, du transport maritime, de construction de nouvelles centrales qui sont, dans certaines régions, à charbon, ou bien en tout cas, à combustible fossile), ne rend pas optimiste…

Pour réussir, il faudrait que chaque investissement, que tous les pays, tous les secteurs d’activité, chaque citoyen regarde dans la même direction, et on voit bien que ce n’est pas le cas, donc je suis beaucoup moins optimiste que je ne l’étais. Nous sommes, malheureusement, dans la situation qui était celle après le Protocole de Kyoto, qui était à peu près bien dimensionné à l’époque, puisque les États-Unis n’ont pas ratifié. Avec la non-ratification par George Bush du Protocole de Kyoto, on a perdu 8 ans. Je ne sais pas si on perdra 4 ou 8 ans dans le cas de Trump, mais c’est clair que la politique a pris le pas sur la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, et ça, ça ne me rend pas complètement optimiste.

Mais je pense qu’il faut toujours agir, il faut faire le maximum, et je pense, je le redis, que l’Europe peut jouer un rôle important, et prendre le leadership dans cette lutte contre le réchauffement climatique. Et je dis souvent que le pays, le bloc de pays, qui prendrait le leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique sera aussi le leader au niveau planétaire dans quelques décennies. Pour moi c’est très clair, parce que c’est synonyme de développement économique. Ce n’est pas le contraire.

Retrouvez l’ensemble des épisodes de Les Armes de la Transition dans le dossier suivant (écrit) :

Et sur YouTube (vidéo) :

 

De la COP1 à la COP24 : une histoire d’avancées et de renoncements

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors de la COP24 de Katowice (2018), photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

Katowice  accueille  la  24ème édition de la Conference Of the Parties, ou COP24. Historiquement, certaines COP ont plus particulièrement marqué les esprits, comme la COP3 qui a vu naître le protocole de Kyoto en 1997, ou plus récemment la COP21 avec la mise en place de l’accord de Paris sur le climat. Mais alors, qu’en est-il des autres COP, comment sont nées ces conférences annuelles internationales et que peut on retenir de ces évolutions?


Des premières inquiétudes environnementales à la naissance de la COP

Les premières inquiétudes collectives en matière d’environnement se cristallisent en 1972, avec l’organisation par l’ONU du premier Sommet de la Terre à Stockholm. Alors que partout ailleurs en Europe, les thématiques écologiques n’en sont qu’à leur balbutiement, la Suède s’est déjà largement investie dans la voie du développement durable. Les discussions s’engagent sans réelle action concrète.

Ce n’est qu’au troisième Sommet de la Terre à Rio en 1992 que les consciences s’éveillent. 182 États sont présents pour débatte de l’avenir de la planète, c’est un record. La déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement, qui souligne entre autre la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, est signée. Les pays présents s’accordent sur une définition officielle du développement durable et sur la mise en place de nouveaux accords multilatéraux. À travers la signature de la convention, les États s’engagent à se rassembler chaque année en compagnie d’acteurs non gouvernementaux (citoyens, ONG, entreprises…) pour poursuivre les débats et engager collectivement de nouvelles politiques communes en matière de développement durable. Ainsi naît la COP.

Trois ans plus tard, en 1995, la première COP voit le jour à Berlin. Des objectifs chiffrés en matière d’émissions de gaz à effet de serre sont assignés à chaque pays, sans véritable cadre contraignant. Parallèlement, le GIEC (Groupe d’Expert Intergouvernementale sur l’Evolution du Climat) publie son deuxième rapport d’évaluation et souligne que  « des preuves suggèrent une influence détectable de l’activité humaine sur le climat planétaire ». Ce rapport se retrouve par la suite au cœur des négociations, et amorce la mise en place du protocole de Kyoto.

Le protocole de Kyoto, un premier grand pas, une réussite à demi-teinte

Ce n’est qu’en 1997 à Kyoto que la COP connaît un tournant. Pour la première fois, un protocole contraignant encadre les émissions de CO2 et s’appuie sur des données chiffrées. Les pays signataires s’engagent à réduire d’au moins 5,2% les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire d’ici à 2020, avec la naissance de « permis d’émissions » qui donne lieu à un véritable marché. Le principe de « responsabilités communes mais différenciées » opère une différenciation entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés de façon à en adapter les objectifs. Le protocole de Kyoto n’entre en vigueur qu’en 2002, suite à la 55ème signature et l’assurance que l’ensemble des pays représentent au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre. Il est officiellement ratifié en 2005, lors de la COP11 de Montréal. Opposés à la présence d’un cadre contraignant, les États-Unis, alors émetteurs de 20% des émissions, refusent l’accord et proposent une alternative baptisée “Asia-Pacific Partnership for Clean development and Climate” regroupant l’Australie, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, qui vise à mettre en place des politiques de réduction des émissions sans contraintes juridiques.

Entre 1998 et 2012, les COP de l’après- Kyoto tendent d’une part à négocier et à mettre en place les directives engagées à Kyoto, dont les systèmes d’observation, et d’autre part, à partir de 2005,  à organiser la relance du protocole en 2012. Le Canada, la Russie et le Japon refusent de signer ce deuxième engagement, dénonçant l’absence des États-Unis et de la Chine, les deux principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre. L’Europe signe l’accord de manière symbolique, les pays signataires ne représentent plus que 15% des émissions à l’échelle mondiale. Pour le premier accord à visée contraignante, il s’agit donc d’un progrès à demi-teinte.

La COP15, avec l’accord de Copenhague, s’accorde sur une limitation du réchauffement climatique à 2 degrés. Les États-Unis sont parallèlement toujours sur la réserve. En 2011 à l’occasion de la COP17, les accords de Durban se donnent pour objectif l’adoption d’un nouvel accord universel en 2015, l’accord de Paris. Des groupes de travail sont mis en place.

L’accord de Paris, un moment historique

De 2012 à 2015, les COP s’organisent autour de la mise en application des directives de Kyoto et la préparation de l’accord de 2015.

En 2015, la COP21 regroupe 195 pays, tous signataires de l’accord, y compris les États-Unis de Barack Obama qui rejoignent la communauté internationale. Il est considéré comme un moment «historique » en matière de politique environnementale puisqu’il est le premier accord universel sur le climat, et le texte le plus largement signé dans l’histoire de l’humanité. Seuls la Syrie, en pleine guerre civile, et le Nicaragua, qui estime l’accord insuffisant, restent à l’écart. L’accord entre en vigueur en novembre 2016, mais un an plus tard, alors que la Syrie appose sa signature, les États-Unis sous Donald Trump se retirent, refusant les contraintes imposées par cet engagement.

La volonté de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés, voire de le limiter à 1,5 degrés d’ici à 2100, est entérinée. Les pays sont sommés de publier sur le site des Nations-Unis leurs objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). La France s’est ainsi engagée à réduire de 40% ses émissions d’ici à 2030. Sont aussi évoqués l’abandon progressif des énergies fossiles et la neutralité carbone.

Et après ?

Si l’accord de Paris a défini les grands principes de la nouvelle gouvernance internationale en matière de climat, les COP22 et 23 étaient chargées d’en discuter les définitions et les modalités d’application. La COP24 de Katowice s’inscrit dans cette lignée, et doit aboutir à une mise en place opérationnelle des engagements et à une définition précise des financements relatifs au climat, incluant l’assistance internationale aux victimes des changements climatiques. Surtout, l’enjeu est de s’accorder sur la mise en place de mesures contraignantes, laissées en désuétude depuis le protocole de Kyoto. Deux ans et demi après l’accord de Paris, aucun pays ne s’est encore aligné sur les objectifs fixés. Les progrès à faire sont encore considérables, et au vu des résultats, l’efficacité de ces conférences internationales est de plus en plus remise en question.

Aperçu des 24 COP, de 1995 à 2018

Année    COP      Ville, Pays
1995      COP1     Berlin , Allemagne
1996      COP2     Genève, Suisse
1997      COP3     Kyoto, Japon
1998      COP4     Buenos Aire, Argentine
1999      COP5     Bonn     Allemagne
2000      COP6     La Hague, Pays-Bas
2001      COP6     Bonn, Allemagne
2001      COP7     Marrakech, Maroc
2002      COP8     New Delhi, Inde
2003      COP9     Milan    Italie
2004      COP10  Buenos Aires, Argentine
2005      COP11  Montréal, Canada
2006      COP12  Nairobi, Kenya
2007      COP13  Bali, Indonésie
2008      COP14  Poznań, Pologne
2009      COP15  Copenhague, Danemark
2010      COP16  Cancún, Mexique
2011      COP17  Durban, Afrique du Sud
2012      COP18  Doha, Qatar
2013      COP19  Varsovie, Pologne
2014      COP20  Lima, Pérou
2015      COP21  Paris, France
2016      COP22  Marrakech, Maroc
2017       COP23  Bonn, Allemagne
2018       COP24  Katowice, Pologne

 

 

COP24 : enfin de vraies décisions pour le climat ?

Katowice, COP24, Photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

Du 3 au 14 décembre aura lieu la Conférence de Katowice de 2018 sur les changements climatiques, en Pologne. Cette conférence est cruciale pour la poursuite des négociations climatiques et pour l’engagement de tous les États dans la transition écologique et énergétique. De réelles décisions pour le climat sauront-elles enfin être prises cette année ?


Le changement climatique est une réalité incontestable aujourd’hui. La température moyenne globale a déjà augmenté de +1°C depuis l’ère pré-industrielle, et les conséquences du dérèglement global se font déjà ressentir partout dans le monde [1] : augmentation du niveau de la mer, sécheresses, incendies, coulées de boue, affaissements des sols … Les effets sont déjà là et impactent les activités humaines [2]. L’Accord de Paris de 2015 avait réussi à faire signer à tous les États – à l’unanimité tout de même ! – un engagement pour une limitation globale à +2°C par rapport à l’ère-préindustrielle et même, au mieux, à +1.5°C. Soit un texte historique, le premier signé par l’ensemble des États de la planète et donc universel. Un véritable succès … mais “à confirmer”, comme le soulignait justement le Monde en décembre 2015.[3] Il faut dire que ces inquiétudes étaient fondées : car les contributions volontaires des États signataires mises bout à bout nous conduisent en réalité à une augmentation de +3,2°C, bien loin des +2°C ! De plus, en 2017, Trump, fraîchement élu, a fait retirer les États-Unis de l’accord, alors qu’ils sont parmi les plus gros producteurs de Gaz à Effet de Serre (GES) dans le monde … De quoi doucher le joyeux optimisme post-COP21.

En effet, l’écart abyssal entre les efforts à faire pour rester à +1,5°C d’augmentation et les politiques mises en place actuellement ne peut que sauter aux yeux. Il faudrait que mondialement, nos émissions soient neutres d’ici à 2100, de manière à rester en-dessous de +2°C [4]. Mais à l’heure actuelle, nos émissions continuent d’augmenter : en 2017, les émissions de CO2 mondiales sont reparties à la hausse. [5] Et comme il s’agit d’un problème mondial, la réponse doit venir en grande partie de la communauté internationale. C’est pourquoi les négociations internationales cristallisent nombre d’enjeux politiques autour de la question climatique.

Quels sont les enjeux principaux ?

La COP24 est une COP à forts enjeux politiques, mais ceux-ci sont masqués par les questions techniques. Difficile de s’y retrouver dans la novlangue des négociations internationales : “rulebook”, “global stocktake” … Les articles de presse ou académiques ne manquent pas, mais très peu sont réellement accessibles. Or, l’enjeu est tellement important qu’il mériterait d’être plus transparent.

Deux premiers enjeux peuvent d’emblée être soulignés :

En premier lieu, il faut traduire les grands principes arrêtés à Paris en un ensemble de règles de droit international : il s’agit de l’écriture du “rulebook”. La communauté internationale s’était laissée jusqu’à la COP24, qui commencera la semaine prochaine, pour en décider. Or on est loin du compte : les négociations sont particulièrement ardues depuis 2015, à tel point qu’une session de négociations supplémentaire a été organisée à Bangkok en septembre 2018 [6] afin de préparer la COP24. Rappelons que pour avancer, il faut l’unanimité de toutes les Parties signataires – autrement dit, tous les États de la planète doivent tomber d’accord sur un texte.

Prenons un exemple de négociation difficile parmi d’autres : le degré de flexibilité des États sur la transparence de ses actions. En effet, lors de la COP21 avait été acté le fait de  pouvoir suivre, de manière transparente et régulière, les efforts de chaque pays pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre.  Tel que stipulé par l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), “un cadre de transparence solide est le pendant d’engagements non-contraignants librement déterminés par chaque État : chacun décide de son niveau d’efforts à condition que l’on puisse collectivement suivre leur mise en œuvre” [7]. Mais, en 2015, certains pays en voie de développement ayant peur d’être montrés du doigt, l’article 13 de l’accord de Paris a donc ménagé une entorse à ce principe en prononçant la “flexibilité” pour les pays “en développement” et “qui en ont besoin, compte tenu de leurs capacités”.

Cela s’inscrit directement dans l’héritage de la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, le texte fondateur des négociations climatiques), qui reconnaît la responsabilité commune … mais différenciée. [8]

Derrière cette question technique se cache donc une réelle problématique politique : quels sont les États qui peuvent prétendre à entrer dans cette définition ? De quoi parle-t-on exactement ? Et pour combien de temps ces pays peuvent-ils déroger à leurs obligation de transparence ? Sachant que la Chine, premier pollueur mondial, se dit encore “en voie de développement”, la question fait grincer des dents … et fera l’objet d’un point de discorde majeur lors de cette COP24.

“Le sommet de Copenhague de 2009 est généralement perçu comme un échec, cependant il a eu le mérite de fixer l’objectif d’aide par les pays développés pour les pays en voie de développement à 100 milliards de dollars par an.

Prenons un autre exemple, encore plus épineux : les financements climat. Le sommet de Copenhague de 2009 est généralement perçu comme un échec, cependant il a eu le mérite de fixer l’objectif d’aide par les pays développés pour les pays en voie de développement à 100 milliards de dollars par an. Pour ces derniers, cette aide est indispensable afin de mettre en œuvre des politiques d’atténuation (réduire les émissions de GES) et d’adaptation (anticiper les risques du changement climatique et s’y adapter). Ils voudront donc s’assurer que ces flux financiers vont se poursuivre et augmenter. Or pour l’instant, selon un rapport d’Oxfam de 2018 [9] “on estime que le montant total déclaré par les bailleurs pour les financements climat publics sur la période 2015–2016 s’élève à 48 milliards de dollars par an. Toutefois, ces chiffres ne peuvent pas être pris à leur valeur nominale : Oxfam estime que l’assistance nette spécifique au climat pourrait avoisiner seulement 16 à 21 milliards de dollars“, contre les 100 annoncés. Pourquoi ? Parce que les États recyclent des anciens programmes pour le développement et y ajoutent une partie “climat” afin de ne pas avoir à débourser de l’argent en plus, ce qui est autorisé par l’OCDE… Par ailleurs, une des grandes questions de cette COP sera celle de la caractérisation de ces flux financiers : doivent-ils être uniquement publics ? Peuvent-ils être privés et publics ? On s’aperçoit dès lors que la question politique revêt également une dimension technique. Comme les pays développés veulent le moins possible financer les pays en voie de développement, chacun fait sa petite comptabilité de son côté en y ajoutant pêle-mêle fonds privés, aides publiques et/ou dons d’associations. Une réalité que dénoncent les pays en voie de développement, pour qui le financement devrait être uniquement public, prévisible et transparent ! Cette question mériterait donc d’être enfin tranchée lors de cette COP.

Le deuxième enjeu figure dans le bilan de “l’action collective” du dialogue de Talanoa. Ce “dialogue” est une idée annoncée à la COP23 par le 1er ministre fidjien, qui visait à créer un dialogue inclusif, participatif et plus informel (bien que cela soit en réalité plutôt difficile) afin de faciliter les prises de décisions et les contributions pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Il partait d’un constat, déjà évoqué précédemment : toutes les contributions nationales, mises bout à bout, ne sont pas assez ambitieuses pour respecter l’Accord de Paris. Le dialogue de Talanoa visait à construire un climat de confiance de manière à impliquer activement tous les États : c’est un mode de discussion traditionnel fidjien visant à résoudre les tensions, sur la base de l’empathie. Sur ce point, il semble que le dialogue ait été plutôt réussi [10] : il a inclus la société civile, les pays ont pu partager leurs contributions aux autres … Faire parler d’empathie aux États est déjà un exploit, mais cette empathie peut-elle se traduire par des engagements réels de leur part, et d’ici à combien de temps ? Ce sera la surprise de cette COP24.

De bons signaux politiques pré-COP ?

Des surprises, il y en aura ; d’autant plus que l’atmosphère politique internationale avant cette COP est incertaine. Que peut-on attendre de cette COP ? Sera-elle l’occasion d’annoncer des objectifs nationaux ambitieux ? Le dialogue de Talanoa portera-t-il ses fruits ?

La dynamique semble globalement positive, le dialogue de Talanoa ayant renforcé les liens entre Etats. De plus, en octobre 2018, le GIEC (Groupement International d’Experts sur le Climat) a publié un nouveau rapport [11] sur les risques d’un réchauffement global à +1.5°C par rapport à l’ère pré-industrielle et les moyens à mettre en œuvre pour le limiter à cette seule augmentation. Ce rapport, qui a fait grand bruit lors de sa parution, explique pourquoi il est nécessaire, voire même vital, de contenir le réchauffement global dans ce maximum de +1,5°C : en effet, au-delà de cette limite, le risque de dépasser des “points de rupture” et de provoquer l’emballement climatique sont beaucoup plus grands : relâchement du méthane contenu dans la toundra, fonte totale de la banquise d’ici 2030… Des scénarios catastrophes parfois difficiles à entendre, même pour celles et ceux travaillant dans le domaine.

Selon le rapport spécial du GIEC, pour rester sous la barre des 2°C, il faudrait une transformation en profondeur de nos politiques publiques en matière d’énergie et de climat. Il serait nécessaire de diminuer drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, donc de demander d’importants changements structurels aux secteurs les plus émetteurs, notamment l’agriculture et les transports. Ces décisions ne peuvent attendre car le dioxyde de carbone, par rapport aux autres GES, reste dans l’atmosphère pendant longtemps : même si nous devions arrêter aujourd’hui toutes nos émissions, la température continuerait  néanmoins d’augmenter jusqu’en 2050. Ce qui signifie que ces décisions, des décisions hautement politiques, sont à prendre d’urgence, et ne peuvent être remises à demain.

De plus, la parution en octobre du rapport 1.5° du GIEC donne valeur de légitimité à l’urgence de la situation. L’apport de connaissances scientifiques, pour la préparation d’une COP, est une étape incontournable. Lors de la COP21, la parution du 5ème rapport en 2013-2014 avait permis d’appuyer les arguments pour un véritable accord. Au contraire, lors du Sommet de Copenhague en 2009, le GIEC avait été discrédité à cause d’erreurs dans ses parutions et de l’opacité de son fonctionnement. La COP24 est donc avant tout un rendez-vous à ne pas manquer pour les négociations internationales. Et donne bon espoir pour la suite.

Néanmoins, existent aussi des raisons de tempérer cet espoir. Tout d’abord, la conférence sera présidé par la Pologne, pays loin d’être parfait en matière de réduction des émissions de GES. C’est ce pays qui doit diriger les négociations, alors même qu’il est loin de faire de l’ambition climatique la priorité de cette COP. Bien au contraire : le gouvernement polonais plaide pour une réduction de la contribution européenne [12] (proposition malencontreusement oubliée dans son clip de propagande pro-climat [13]). Dans un communiqué publié le lundi 19 novembre 2018 [14], le ministre de l’Énergie polonais Krzysztof Tchórzewski défendait le modèle énergétique de son pays basé à 79% sur le charbon, et s’opposait farouchement au rehaussement de l’ambition de l’Union européenne car cela aurait, selon lui, de mauvaises conséquences sur l’économie polonaise.  Dans l’Union européenne, cette position est réitérée : les polonais (avec les allemands) ont bloqué les discussions au Conseil (pour un objectif à -40% en 2030) malgré les propositions de la Commission (-45%) et du Parlement (-55%).

Deuxièmement, aucun leadership politique international ne se dégage pendant cette pré-COP. C’est même plutôt le contraire. La communauté internationale, déjà sous le choc  du départ des États-Unis en 2017 (mais qui ne pourra pas advenir avant 2020), doit maintenant affronter l’élection de Bolsonaro à la tête du Brésil et ses positions pro-industrie. Cela fait craindre un retour en arrière pour ce pays, d’autant plus que le nouveau Président a fraîchement nommé un climatosceptique [15] en tant que Ministre des Affaires Étrangères. Son élection ouvre également la voie à la destruction de la forêt amazonienne, considérée comme le “poumon vert de la planète” [16]… mais qui regorge aussi de ressources, notamment minières, que Bolsonaro voudrait exploiter. [17] De très mauvaises nouvelles pour les communautés indigènes vivant sur place, pour la biodiversité, et pour le climat. Enfin,alors même que la COP25 devait se dérouler au Brésil, Bolsonaro a annoncé le mercredi 28 novembre 2018 qu’il renonçait à l’organiser. Tout ceci rajoute un mauvais signal au paysage politique international pour le climat.

Quels sont les scénarios envisageables ?

Premier scénario : un rulebook ambitieux est adopté et les contributions nationales des États sont renforcées

Ce premier scénario serait le meilleur. Comme l’avait affirmé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en septembre 2018, le monde n’a pas plus que deux ans pour agir contre le changement climatique climatique, sauf à devoir affronter des “conséquences désastreuses”. [18] Alors, que pourrait-il se passer à la COP24 pour aller dans ce sens  et agir au plus vite ?

“Si nous ne changeons pas d’orientation d’ici 2020, nous risquons […] des conséquences désastreuses pour les humains et les systèmes naturels qui nous soutiennent” (Antonio Gutteres, 10 septembre 2018)

Imaginons. Même si les négociations sont ardues depuis quelques temps, la COP aboutit avec une réelle décision et non une “déclaration” comme au Sommet de Copenhague. Premièrement, la question de la flexibilité de la  transparence est enfin réglée, et on définit quels sont les États qui peuvent ne pas rendre compte de leurs efforts : les pays en voie de développement qui émettent peu de gaz à effet de serre car ils ne sont pas encore assez développés, comme certains pays d’Afrique ou comme certaines îles du Pacifique (Kiribati, Vanuatu …). En revanche, La Chine et les pays d’Asie du Sud-Est doivent rendre compte de leurs efforts : ils sont obligés d’être bon élèves. L’Union européenne s’engage à la neutralité carbone d’ici 2050, et donne l’exemple pour la communauté internationale, en premier lieu les États-Unis.

Deuxièmement, le Dialogue de Talanoa a porté ses fruits, et tout le monde a fini par acter la nécessité de prendre des mesures d’urgence. En conséquence, les ambitions des contributions nationales sont rehaussées. Autrement dit, des pas gigantesques sont faits pour que l’humanité puisse être sauvée, les dirigeants du monde entier ont compris l’urgence, ils sont prêts à mettre de côté un peu de leur souveraineté pour répondre tous ensemble au changement climatique. Trump et Bolsonaro reconnaissent qu’ils se sont trompés. Les pays en voie de développement réussissent à avoir les 100 milliards d’argent public par an de la part des pays développés pour l’atténuation et l’adaptation, de manière contrôlée et prévisible.

Cela semble impossible ? C’est probablement le cas. Mais pourtant, le droit international a déjà donné des réponses à une situation climatique – n’oublions pas le Protocole de Montréal, en 1985, qui a interdit l’utilisation des substances appauvrissant la couche d’ozone. Et cela a fonctionné : aujourd’hui, le trou dans la couche d’ozone est en train de se refermer ! Alors pourquoi pas pour le climat ?

Deuxième scénario : on s’accorde sur un rulebook qui met plus ou moins tout le monde d’accord et le bilan collectif du Dialogue de Talanoa n’aboutit à rien – sauf à du vent

Deuxième scénario : tout le monde a bien compris l’urgence de la situation, notamment grâce au rapport du GIEC, et un rulebook est adopté. Le fait d’en adopter un est déjà un succès en soi. Au moins, les règles de l’Accord de Paris sont enfin fixées et il n’est plus possible de revenir en arrière. Même si certains gros émetteurs de GES peuvent dorénavant profiter de la flexibilité de la transparence (comme l’Inde ou la Chine), la question est au moins tranchée. Une victoire néanmoins en demi-teinte … L’enjeu politique se trouve dans les questions techniques : peut-on parler de succès si le rulebook décide d’accorder des exceptions (pour plus ou moins longtemps) à plusieurs gros pays émetteurs ? D’un point de vue géopolitique et de relations internationales, peut-être. D’un point de vue climatique, nous pouvons en douter.

Le Dialogue de Talanoa n’aboutit à rien de plus que quelques belles photos de dirigeants main dans la main. Pas d’augmentation des ambitions nationales, pas de mesures concrètes mises en place. Il aboutirait à un “bilan collectif” qui se contente de construire la synthèse de ce que les pays et les acteurs non-étatiques font déjà, c’est-à-dire la simple mise en commun des actions menées depuis 2015. Autrement dit, l’humanité est loin d’être sauvée, mais les dirigeants essaient au moins de maintenir l’illusion d’un effort climatique à grande échelle.

Troisième scénario : personne ne se met d’accord sur le rulebook

Pendant la COP, rien ne se passe comme prévu. Les négociations sont tellement difficiles qu’elles aboutissent à une simple déclaration, et aucune décision n’est prise, c’est Copenhague all over again. Les Etats-Unis, le Brésil, la Chine et la Russie ne veulent pas céder une once de terrain, et refusent que leurs contributions puissent être transparentes. Non seulement le dialogue de Talanoa n’a rien donné, mais aucune règle de mise en œuvre de l’Accord de Paris n’est adoptée. Ce serait le pire scénario et on passerait alors complètement à côté de l’objectif voulu.

Politiquement, c’est un désastre. Les dirigeants, en rentrant dans leurs pays, sont obligés d’affronter une opinion publique est de plus en plus mobilisée pour la question climatique. Les mois précédents, les appels des scientifiques et figures publiques se sont succédés dans la presse et les initiatives qui appellent à se mobiliser comme #OnEstPrêt ou #IlEstEncoreTemps [19] sont des exemples de la pression croissante de la société civile sur les dirigeants. Ceux-ci ont cherché à sauver leur image, mais le mal est fait. Cette hypothèse est peu probable en raison des conséquences politiques qu’une telle décision aurait, en particulier dans les démocraties.

Faut-il vraiment espérer quelque chose des négociations climatiques ?

Même en cas d’échec ou de succès en demi-teinte, la COP24 et toutes celles qui suivront après resteront bien sûr des moments phares pour la construction de véritables et ambitieuses politiques climatiques au niveau international. Au-delà des questions de droit international qu’elles posent, elles portent avant tout un poids symbolique très fort : notre capacité à nous mettre d’accord, tous ensemble, au nom de l’humanité pour sauver notre espèce.

Néanmoins, l’opacité des négociations entre pays et l’exclusion de pans entiers de la société s’oppose à cette philosophie. Cela laisse supposer que les élites politiques à l’œuvre seront capables d’affronter la situation… alors que nous pouvons sérieusement en douter. Nous l’avons vu plus haut, les questions techniques sur la flexibilité de la transparence ou sur les flux financiers entre États développés et en voie de développement accaparent les négociations et empêchent au final d’atteindre l’objectif : réduire de manière drastique nos émissions de gaz à effet de serre.

Alors, faut-il espérer quelque chose de cette COP ? Peut-être, selon les sensibilités. Reste que les acteurs non-gouvernementaux sont de plus en plus engagés dans la lutte contre le changement climatique de leur côté aussi, et qu’ils pourraient peut-être agir plus en profondeur et plus efficacement que les États. Le Sommet de Californie (Global Action Summit) en septembre 2018 réunissait tous ces acteurs qui s’engagent pour le changement climatique : entreprises, ONG, collectivités locales et territoriales. Certes, un de ses objectifs premiers était d’abord politique : cibler les électeurs du pays quelques semaines avant les élections de mi-mandat et mettre des bâtons dans les roues à l’administration Trump qui démembre allègrement tous les garde-fous législatifs et administratifs visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais ce sommet visait aussi à se substituer à l’administration fédérale – comme le souligne l’IDDRI [20] : “Le fait de venir signer un accord de coopération entre la Chine et la Californie, qui se présente souvent comme la 5e puissance économique mondiale, n’est pas anodin”. Cela “consacre la volonté de Pékin de continuer à travailler avec les États-Unis tout en contournant Washington.”

On s’évertue à entretenir un modèle économique cause de tous ces désordres climatiques. (…) Nous faisons des petits pas, et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays, mais est-ce que les petits pas suffisent … la réponse, elle est non.” (Nicolas Hulot, France Inter, mardi 28 août 2018)

Toutefois ces grands sommets, où l’on se congratule sur les solutions adoptées, tendent à une certaine cécité sur les causes réelles du dérèglement global plutôt qu’à affronter la réalité en face. Comme le disait si bien Nicolas Hulot lors de sa démission sur France Inter, fin août 2018 : “On s’évertue à entretenir un modèle économique cause de tous ces désordres climatiques. (…) Nous faisons des petits pas, et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays, mais est-ce que les petits pas suffisent … la réponse, elle est non.” Le modèle économique dominant [21] veut nous laisser croire qu’il saura agir face à la situation, alors même que les élites de New York et de la Silicon Valley se préparent à l’apocalypse [22] : ils achètent des îles, des boîtes de conserve ou des munitions. Les difficultés socio-économiques et techniques auxquelles notre monde doit dorénavant faire face pour enrayer la crise climatique et environnementale sont si fortes qu’elles ne sont pas représentables de manière globale. C’est pourquoi il faut toujours garder un œil critique vis-à-vis des solutions simplistes, notamment si elles proviennent de sociétés pour lesquelles la recherche du profit est la raison première d’exister.


[1] La France s’est dotée en 2001 d’un Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique, qui a entre autres comme mission de suivre les impacts du réchauffement climatique en France et dans le monde. Pour plus d’informations, voir le site de l’Onerc : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/observatoire-national-sur-effets-du-rechauffement-climatique-onerc#e2

[2] En France, l’un des secteurs économiques qui sera le plus impacté est celui du tourisme (hivernal et estival) alors même que la destination France est au premier rang mondial en 2016 (avec 82,6 millions de touristes internationaux). Le tourisme hivernal en particulier doit déjà composer avec des hivers moins neigeux.

[3] Simon Roger, “COP21 : un succès à confirmer”, Le Monde, 23/12/2015. https://www.lemonde.fr/planete/article/2015/12/25/cop21-un-succes-a-confirmer_4838061_3244.html

[4] L’une des meilleures basées de données pour les chiffres sur le climat est la synthèse faite par le Commissariat Général au Développement Durable : Chiffres clés du climat : France, Europe et Monde, édition 2018. Voir la version en ligne : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Datalab/2017/datalab-27-CC-climat-nov2017-b.pdf

[5] Simon Roger, “Les émissions mondiales de CO2 repartent à la hausse”, Le Monde, 13/11/2017. https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/apres-un-plateau-de-trois-ans-les-emissions-mondiales-de-co2-repartent-a-la-hausse_5214002_3244.html

[6] Lola Vallejo, “Négociations climatiques de Bangkok : l’urgence de définir les règles de mise en œuvre de l’accord de Paris”, IDDRI, 10/09/2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/negociations-climatiques-de-bangkok-lurgence-de-definir

[7] David Levaï, Lola Vallejo, “Mise en œuvre de l’accord de Paris : les enjeux de la session de négociation à Bonn”, IDDRI, 30/09/2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/mise-en-oeuvre-de-laccord-de-paris-les-enjeux-de-la

[8] Article 3.1 de la CCNUCC : “Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes.” Le principe de responsabilité commune mais différenciée est donc fondateur des négociations climatiques, mais permet toutes les interprétations possibles.

[9] Oxfam, “2018 : les vrais chiffres des financements climat. Où en est-on de l’engagement de 100 milliards de dollars ?”, 2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/dialogue-de-talanoa-lancement-positif-mais-issuehttps://d1tn3vj7xz9fdh.cloudfront.net/s3fs-public/file_attachments/bp-climate-finance-shadow-report-030518-fr.pdf

[10] Lola Vallejo, David Levaï, “Dialogue de Talanoa : lancement positif mais issue incertaine”, 10/05/2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/dialogue-de-talanoa-lancement-positif-mais-issue

[11] Le rapport est disponible en entier sur le site du GIEC : http://www.ipcc.ch/report/sr15/

[12] Lola Vallejo, David Levaï, “Quels enjeux pour la COP24 ?”, IDDRI, 20/11/2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/quels-enjeux-pour-la-cop24

[13] “#ChangingTogether – COP24 in Katowice”. https://www.youtube.com/watch?time_continue=30&v=KBNP6bKXWeY

[14] “Polish government split over coal ahead of UN climate summit”, Climate Change News, 21/11/2018. http://www.climatechangenews.com/2018/11/21/polish-government-split-coal-ahead-un-climate-summit/

[15] Ernesto Araùjo, “Sequestrar e pervreter”, Metapoltica 17. https://www.metapoliticabrasil.com/blog/sequestrar-e-perverter?fbclid=IwAR2yJ9k5BJzaHGjjYrVwRdTNyX53DHT1Ng6e4MtnV-sA1xvD-MloWv84hMU

[16] “L’Amazonie, “poumon vert” le plus efficace des forêts mondiales”, Le Monde, 17/03/2009.https://www.lemonde.fr/planete/infographie/2009/03/17/l-amazonie-poumon-vert-le-plus-efficace-des-forets-mondiales_1169182_3244.html

[17] Rachel Knaebel, “L’Amazonie, convoitée par l’agrobusiness et l’industrie minière, en danger imminent avec l’élection de Bolsonaro”, Bastamag, 30/10/2018. https://www.bastamag.net/Amazonie-Bresil-Bolsonaro-agrobusiness-amerindiens-ecologie-deforetsation

[18] “Il nous reste deux ans pour agir contre le changement climatique, avertit l’ONU”, Sciences et Avenir, 11/09/2018. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/il-nous-reste-deux-ans-pour-agir-contre-le-changement-climatique-avertit-l-onu_127387

[19] A retrouver sur leurs sites : http://ilestencoretemps.fr  onestpret.fr

[20] David Levaï, “Les acteurs non-étatiques au chevet de l’action climatique”, IDDRI, 20/09/2018. https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/les-acteurs-non-etatiques-au-chevet-de-laction-climatique

[21] Pierre Gilbert, “Démission de Hulot : la faillite de l’écologie libérale”, Le Vent se Lève, 28/08/2018. https://lvsl.fr/demission-de-hulot-la-faillite-de-lecologie-neoliberale

[22] Emeline Amétis, “Les milliardaires de la Silicon Valley se préparent à la fin de notre civilisation”, Slate, 31/01/2017. http://www.slate.fr/story/135356/riches-fin-du-monde

Climat : la société civile n’est malheureusement pas la solution

Les appels à sauver le climat se multiplient ces derniers jours, à grand renfort de personnalités et de grands médias. Le succès des Marches pour le Climat du 8 septembre est inédit. Alors qu’un sondage, réalisé après le départ de Nicolas Hulot, témoigne encore une fois de l’importance grandissante de la question climatique en France (76% des Français interrogés veulent que l’écologie soit une priorité du gouvernement), on observe néanmoins un fait : pas d’évolution notoire en termes de politique climatique, relativement à l’urgence d’agir. Ce constat évident amène pourtant beaucoup des acteurs historiques de l’écologie à persister dans une erreur. Celle de dire que la solution à l’inaction politique réside dans la seule « société civile». Si cette dernière peut jouer un rôle en matière d’écologie, c’est surtout lorsque ses actions préparent la prise du pouvoir. En effet, seul l’État peut opérer une transition écologique profonde et surtout rapide.


 

Les Marches sur le climat du samedi 8 septembre ont rassemblé beaucoup plus de monde que sur les actions similaires précédentes, soit plus de 100 000 personnes partout en France[1]. Les nombreux « appels à sauver la planète »[2] parus ces derniers jours ont certainement contribué à cet élan. Mais c’est surtout la démission de Nicolas Hulot qui semble avoir été le catalyseur principal de l’émergence de l’alerte climatique sur la place publique (via une multiplication des sujets liés à l’écologie dans les médias et sur les réseaux sociaux). Au sortir d’un été particulièrement chaud et sec pour l’Europe occidentale, rendant la question du climat concrète, la fenêtre est idéale pour une large sensibilisation de l’opinion publique sur le sujet.

L’hégémonie culturelle que commence à acquérir l’écologie reste néanmoins canalisée médiatiquement par ceux qui s’en réclament depuis toujours. Tel un totem, les médias font la part belle à Europe Écologie Les Verts. Cette exposition médiatique produit des effets dans les sondages relatifs aux intentions de vote pour les élections européennes : EELV est à 7% dans les sondages. L’inertie des habitudes du monde médiatique empêche néanmoins de donner plus d’espace aux écologistes radicaux, qui ont compris que néolibéralisme et écologie sont des opposés.

Or traditionnellement, le discours porté par les Verts est lié à celui porté par les grandes ONG écologistes, et globalement sur le même champ lexical que les « appels à sauver la planète».

Ce discours consiste généralement en deux moments : un appel à nos dirigeants à faire plus, puis un appel à la société civile « qui peut d’ores et déjà agir », à l’échelle individuelle. Si cette axiologie semble être à la hauteur du fameux adage « penser global, agir local », il n’en est rien, et cette posture représente un danger politique vis-à-vis du climat.

 

« Nos dirigeants doivent faire plus » : naïveté parfois feinte, perte de temps réel

Premièrement un appel à nos dirigeants pour qu’ils fassent plus. Ce premier axe représente un progrès dans l’identification du politique comme levier d’action principal, là où, il y a quelques années, l’ensemble du discours était centré sur l’individu.

Cependant, cette posture démontre une naïveté, sincère ou ironique, quant à la réalité de la nature du pouvoir. Pour beaucoup, le pouvoir (dans le sens de « l’État ») est une somme d’individus animés par des volontés personnelles qu’il est possible de faire évoluer par la conviction. La réalité des rapports de classes qui commande l’action politique est généralement niée. Ce fait tient pour partie de la méconnaissance de la théorie marxiste, et du rejet (souvent compréhensible) de la gauche qui s’en réclame ostensiblement (mais qui n’a pas forcement renouveler son logiciel en fonction de l’urgence écologique). Dès lors, quand bien même de plus en plus d’écologistes remettent en cause directement le système capitaliste[3], la reconnaissance d’une conflictualité naturelle entre tenant du système et ses détracteurs reste difficile.

Cette naïveté est presque organique des classes moyennes éduquées, qui sont celles qui se radicalisent le plus vite sur le sujet et animent généralement les structures de l’écologie politique. La peur du non-consensus, du clivage, de la conflictualité, empêche de pousser la cohérence écologique jusqu’au bout. Cette cohérence voudrait pourtant que les ONG et autres tenants de l’écologie prennent des positions politiques claires.

De fait, le constat que l’écologie et le libéralisme ne sont pas compatibles devrait appeler à une confrontation directe avec tout gouvernement libéral. Les organisations qui se revendiquent de l’écologie devraient par exemple s’opposer frontalement au gouvernement d’Emmanuel Macron. Compte tenu de l’urgence à opérer la transition, le fait de laisser finir son mandat à un gouvernement LREM doit poser question. Or, les ONG ont cette liberté de discours que n’ont pas les opposants politiques. Ces derniers, dans la tradition républicaine française basée sur le suffrage universel, ne peuvent pas se prononcer directement pour une insurrection. Les organismes privés oui.

 

 L’individualisme et le “société-civilisme” satisfont les consciences, mais pas le climat

 

Ensuite, nous notons souvent un appel à la société civile « qui peut d’ores et déjà agir », à l’échelle individuelle, dans le discours des tenants de l’écologie. C’est un discours à la fois hypocrite, car les actions que peuvent conduire des individus à leur échelle, ou à l’échelle d’une collectivité territoriale, ne pourra jamais produire une bifurcation écologique à la hauteur de l’urgence. « Et en même temps », c’est un discours nécessaire pour préparer la transition, expérimenter et faire évoluer des consciences vers le politique. Le problème réside surtout dans le fait de s’en contenter, car en plus d’être hypocrite, un discours centré sur l’individu-militant est fondamentalement inégalitaire.

Lorsqu’une ONG ou une formation politique porte ce genre de discours, elle provoque de fait un sentiment d’exclusion chez toute une partie de la population, et surtout les plus précaires. Les classes populaires sont ainsi mises en face de leur incapacité à œuvrer pour la collectivité. Ils ne peuvent en effet pas « militer en consommant », puisque les produits vertueux sont généralement chers. Il est de plus difficile de « conduire des actions » lorsqu’on vit au jour le jour, en proie aux pressions sociales et à la peur du lendemain.

Ce discours est donc un facteur d’éloignement des plus modestes à la res publica, la chose commune, à l’heure où tout le monde se sent néanmoins concerné[4]. D’ailleurs, les classes populaires souffrent souvent davantage des canicules estivales et des poisons de l’agro-industrie. Un discours basé sur l’action individuelle est donc aussi un discours d’exclusion de fait. Il participe, en réaction, à la construction d’un discours qui consiste à dénoncer l’écologie comme un combat « bobo ». Et dire qu’ « un pauvre n’a qu’à vivre sobrement » pour faire sa part dénoterait, d’une part d’un profond mépris de classe, de l’autre, d’un grand besoin de cours de rattrapage en sociologie. L’individu est en effet déterminé par son milieu social.

Le discours de l’écologie individualiste est d’ailleurs tout à fait compatible avec le récit libéral du self-made-man (car une personne pourrait, au même titre qu’un businessman self-made, obtenir par ses actions une influence sur le climat) et du business angel (individu puissant qui décide de protéger les plus faibles, dans un rapport de domination symbolique conservé).

Enfin, le discours société-civiliste est basé sur un postulat biaisé : la conscience écologique ne peut qu’avancer et finira par faire masse dans la société. Outre le fait que cette conscience n’avance pas si vite dans les classes supérieures, il y a un double mouvement dans la société française (et globalement en Occident) qu’il ne faut pas sous-estimer : les classes moyennes éduquées se radicalisent sur la question, et « en même temps », la précarité grandissante provoquée par les réformes libérales éloigne les classes populaires de l’écologie d’action. Le rouleau compresseur libéral atomise la société plus vite que l’écologie l’unifie devant l’urgence.

De l’hégémonie culturelle de l’écologie vers l’hégémonie culturelle d’un modèle de société compatible avec l’écologie. Sortir d’un rapport esthétique à l’action climatique.

 

Ce discours en deux axes est le même depuis des années chez les ONG. Le risque politique est réel : les société-civilistes canalisent les jeunes et les classes moyennes éduquées dans l’inaction par rapport à la politique. Ou du moins, par rapport à la seule forme de politique qui permet de prendre le pouvoir, celle avec un petit « p ». Il se produit d’ailleurs généralement un cercle vicieux : les classes moyennes éduquées s’attachent aux formes d’action individualiste et en deviennent organiquement défenseuses. Ces formes d’action sont de fait souvent un moyen de construire un rapport esthétique à soi et à la société, loin de la conflictualité peu sexy de la real-politique.

Si l’écologie est en passe de devenir une thématique hégémonique en France, elle se heurte à un plafond de verre social à cause du discours tenu par beaucoup des porte-voix de l’écologie. Les classes populaires ne s’emparent pas de cette thématique. La conquête de l’hégémonie culturelle en la matière est donc encore loin. Elle passera d’une part par une systématisation de la critique du libéralisme par les écologistes, et par un élargissement du discours à la critique de l’ensemble des méfaits de ce libéralisme. C’est par cette voix que l’écologie peut devenir populaire, mais c’est également la seule qui peut la faire devenir réalité.

En effet, l’urgence écologique nous impose une prise du pouvoir rapide, et donc la mobilisation électorale de l’ensemble des victimes du libéralisme, à savoir le peuple dans sa globalité (puisque nous partageons tous un écosystème commun). Le peuple entier doit pouvoir s’identifier au combat pour la planète, car ce combat participe également à définir le peuple.

Les grandes organisations de l’écologie ont d’ailleurs presque toutes intégrées la nécessité du lien avec le social. Les ONG écologistes, lorsqu’elles ne portent pas directement des revendications sociales, organisent des évènements ou des actions avec des ONG sociales. Le problème, c’est que cette intégration se fait sur un rapport humanitaire au social. Plus rarement pour des revendications politiques qui imposent la solidarité comme la sécurité sociale, les services publics, etc.

Que les ONG se positionnent concrètement en politique serait donc la prochaine étape sur la voie de la cohérence. C’est évidemment un coût important pour ces dernières, puisqu’il s’agit de déranger des habitudes, d’imposer de la conflictualité aux citoyens qui les soutiennent et garantissent leur “business model”, mais c’est le coût de la cohérence. Au même titre que la Charte d’Amiens[5] devrait être abandonnée (car obsolète dans un contexte où le syndicalisme n’a plus les moyens de faire changer la société, alors que le politique le peut), les « syndicalistes de la nature » devraient également descendre dans l’arène de la realpolitik.

Il n’y a que la prise du pouvoir qui compte pour la planète, car seul l’État dispose de la puissance nécessaire à la mise en œuvre d’une transition de l’ensemble de l’appareil productif rapidement (via la nationalisation de tous les secteurs stratégique à cette transition). Cela suppose de se poser les bonnes questions : quelle force de l’échiquier politique est la mieux placée pour appliquer un programme de transition radicale ?

Bref, il faut sortir du dogme du pouvoir citoyen. Des citoyens “qui se bougent” n’obtiennent que des victoires marginales, certes importantes sur le plan symbolique, mais rien de plus.

 

[1] https://actu.orange.fr/societe/environnement/mobilisation-inedite-pour-le-climat-a-travers-la-france-CNT0000016nrf6/photos/manifestants-pour-la-lutte-contre-le-changement-climatique-a-paris-le-8-septembre-2018-2d276242df6b2a5e3c82f0ada6bbc167.html

[2] Appel des 700 scientifiques français (07/09/2018) : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/09/08/climat-700-scientifiques-francais-lancent-un-appel_5351987_823448.html

Appel des 200 célébrités françaises (03/09/2018) :

https://www.nouvelobs.com/planete/20180903.OBS1701/climat-200-personnalites-lancent-un-appel-face-au-plus-grand-defi-de-l-humanite.html

Appel des 15 000 scientifiques (13/11/2017) : https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html

[3] https://lvsl.fr/demission-de-hulot-la-faillite-de-lecologie-neoliberale

[4] http://www.notreterre.org/2018/09/les-francais-veulent-que-l-ecologie-soit-la-priorite-du-gouvernement.html

[5] Charte adoptée en octobre 1906 sanctuarisant l’autonomie des syndicats par rapport aux partis politiques.

Le GIEC et les faux-semblants climatiques du monde libre

©US Embassy France. La photo est dans le domaine public.

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) soufflait ses 30 bougies mardi dernier, à l’Unesco à Paris, avant d’enchaîner toute la semaine pour la 47ème session de négociations. Il s’agissait surtout pour tous les pays participants de convenir du budget alloué à cette grande organisation, alors même que les Etats-Unis menacent de ne plus le financer. L’occasion de revenir sur l’exceptionnelle importance de ce groupe de décideurs et de scientifiques chargé de dresser des scénarios pour le futur de l’humanité. Cette session, comme les précédentes, a été marquée par l’hypocrisie des dirigeants néolibéraux qui communiquent sur l’urgence climatique d’une main, pour accepter des traités de libre-échange désastreux pour le climat de l’autre main. 


Le climat a le vent en poupe, surtout lorsque cela permet aux grands de ce monde de s’affirmer sur la scène internationale. Face aux Etats-Unis récalcitrants, la France a annoncé qu’elle participera jusqu’à la publication du 6ème rapport, en 2022, à hauteur de 1 million d’euros afin d’assurer un futur au GIEC. Une réelle préoccupation de Macron pour le climat ? On peut en douter. Cette décision ne l’empêche pas de soutenir l’accord en négociation avec le MERCOSUR, qui ferait venir en France la viande sud-américaine, la même qui est en partie responsable de la déforestation de l’Amazonie. L’écart entre les paroles et les actes s’agrandit : d’une part, la volonté affichée au monde, avec de beaux discours bien huilés, d’engager la “transition”. D’autre part, l’échec de la France dans sa politique de réduction des émissions. La Stratégie Nationale Bas-Carbone, qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050 et prévoit une diminution par an de 2% des émissions, est sur le papier une superbe initiative – dommage qu’en réalité, les émissions aient augmenté en 2015 et 2016, alors même qu’elles étaient sur une pente descendante depuis la fin des années 90. Cela en dit long sur nos capacités à respecter nos promesses pour la prochaine décennie.

Ne rien faire serait pourtant catastrophique. Et ce n’est même pas comme si le GIEC ne nous avait pas prévenus. Pour autant, le GIEC n’est pas un organisme de recherche et ne produit pas d’expertise scientifique. Les scientifiques y prenant part ont pour mission d’évaluer l’expertise dans le monde et de produire une synthèse de ces connaissances. Il s’agit donc plus exactement d’identifier le consensus existant au sein de la communauté scientifique. Ce travail de longue haleine permet d’identifier les points d’accord – ce qui rend leur expertise irréprochable.

Le GIEC a tendance, pour que leur travail soit reconnu, à sous-estimer les effets du changement climatique. Alors qu’ils sonnaient l’alerte il y a bien quelques années déjà, toutes leurs prévisions se sont révélées en-deçà de la réalité d’aujourd’hui. Néanmoins, c’est grâce au GIEC qu’on peut affirmer dorénavant que le changement climatique est bien dû à l’action de l’être humain, et n’est pas qu’une question de variation climatique naturelle. La question du dioxyde de carbone a commencé à intéresser les scientifiques dès 1970. Parallèlement d’autres travaux étaient menés comme le fameux Rapport Meadows (1970), qui ne traitait pas de climat mais voyait déjà les limites à la croissance, dus à la rareté des ressources et la croissance démographique exponentielle dans le monde.  En 1979, le rapport de Jule Charney sur le réchauffement climatique est paru  – il annonçait qu’un doublement de dioxyde de carbone dans l’atmosphère entraînerait un réchauffement planétaire entre 1,5°C et 4,5°C. Au début, cet horizon semblait lointain, bien qu’aujourd’hui cela soit une hypothèse tout à fait probable pour les quarante prochaines années. Tous les diagnostics convergent sur un point : si rien n’est fait, c’est l’effondrement de notre civilisation telle qu’elle s’est développée depuis l’ère industrielle qui surviendra.

L’incertitude climatique responsable de l’immobilisme politique

Très vite, la réaction de l’ONU aux travaux des scientifiques ne s’est pas faite attendre. Néanmoins, la question se corse réellement lorsqu’on sort des promesses pour aller aux faits. Jusqu’en 2015, tous les pays étaient d’accord pour dire qu’il y avait un souci mais personne n’avait la même idée sur la solution à apporter. Pendant ce temps, les gaz à effet de serre (GES) s’accumulaient de plus en plus dans l’atmosphère, de sorte que même si l’on venait à diminuer drastiquement nos émissions aujourd’hui, la température continuerait d’augmenter jusqu’en 2050. Et le travail scientifique prend du temps, du temps que les décideurs n’ont pas face à l’urgence climatique. Cela pose un problème crucial : la prise de décisions dans l’incertitude. Comment décider de prendre des mesures extraordinaires aujourd’hui alors même que l’on ne sait pas dire exactement quelles seront les conséquences – positives ou négatives – du changement climatique ?

Les scénarios du GIEC sont là pour aider à palier cette incertitude. Ils permettent de supposer des scénarios d’évolution du climat, même s’ils ne représentent pas la vérité absolue. On sort ainsi de la science expérimentale comme observation de phénomènes pour aller vers une science prédictive, qui intègre aussi bien des scénarios d’évolution de la température en fonction du taux de GES dans l’atmosphère – ce qui est déjà une prouesse – que les évolutions économiques et politiques prochaines, dont la mise en place, ou non, de politiques de baisse des émissions de GES au niveau mondial. Le pire scénario, le RCP 8.5, qui n’est autre que le maintien de la courbe d’augmentation des émissions de GES actuelle, prévoit une augmentation de l’ordre de +5°C voire +6°C d’ici 2100. Ce scénario représente un monde apocalyptique, où la majorité des personnes sur Terre pourraient mourir de faim et de soif. L’on ne sait même pas si l’on sera capables de s’adapter à un monde aussi chaud, que l’on soit dans un pays développé ou non.

En réalité, malgré ces scénarios, cette incertitude climatique est responsable de l’immobilisme du monde politique. Elle permet de dire « l’on ne sait pas exactement », dans un monde où le maintien du statu quo arrange en réalité tout le monde. D’où l’importance que les travaux du GIEC soient incontestables : s’ils ont une base solide, même si cela prend du temps, ils permettent de réduire l’incertitude et ôtent ainsi les arguments à ses détracteurs ainsi qu’à tous ceux qui ne veulent pas que ça change. C’est ce qui a permis l’accord de Paris en 2015, qui était une vraie réussite politique : tous les pays du monde se sont mis d’accord pour limiter l’augmentation de la température à +2°C, grâce notamment au 5ème rapport du GIEC, paru en 2014. Mais l’accord de Paris sera-t-il réellement appliqué ? Beaucoup des pays signataires n’ont tout simplement pas l’administration et l’expertise pour réduire leurs émissions ; d’autres ont signé tout en proposant des évolutions des émissions de GES dans leur pays bien en-deçà de ce qu’ils avaient promis. La France même, qui se veut un modèle de réduction des émissions, n’est pas parvenue à remplir ses promesses.

La réduction des émissions impossible sans changement de paradigme

En effet, le bon ton général est d’affirmer qu’une baisse réduite et concertée des émissions de GES aidera à « sauver la planète », tout en prônant aussi le renforcement de l’économie libérale. L’incohérence de la mondialisation avec la question climatique se fait tous les jours grandissante. D’une part, l’on veut « renforcer les liens avec le monde » ; de l’autre, réduire les émissions de GES, tout en se basant uniquement sur le progrès technique qui est certes nécessaire mais ne sera jamais la solution miracle – sinon, il y a bien longtemps qu’on aurait évité la situation actuelle. Le progrès technique amène d’une part de réelles avancées, mais d’autre part des complications qui vont de pair avec l’invention ainsi créée. C’est ce qu’on appelle « le paradoxe du progrès » ; techniquement, notre civilisation est plus avancée qu’elle n’a jamais été, pourtant elle fait face à une multitude de périls issus de cette même technologie. Internet en est un exemple phare. “Dématérialiser” les rapports humains ? Bien sûr. Ce n’était pas sans compter qu’Internet utilise énormément d’énergie. L’empreinte carbone annuelle d’Internet est l’équivalent de l’ensemble des vols d’avions civils dans le monde : 609 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Plus notre technologie avance, plus elle a besoin de s’alimenter en énergie, plus on émet de GES. Le risque climatique n’est plus une probabilité, on est sûrs qu’ils adviendra. Appeler au ô Saint Progrès Technique pour venir nous sauver face à l’enjeu climatique est complètement anachronique – c’était encore entendable dans les années 90 – mais aujourd’hui les effets se font déjà sentir, et la machine s’est déjà emballée.

Il est vrai que la question climatique semble représenter un enjeu pour Emmanuel Macron, et pour les néolibéraux dans le monde en général. Pour autant, il n’hésite pas à soutenir les traités de libre-échange comme celui en préparation avec le MERCOSUR, ou comme celui déjà acté avec le Canada. Le climat est aujourd’hui davantage une question de realpolitik à l’internationale que de “transition écologique”. Comme le dit Bruno Latour, la question climatique est devenue la question politique par excellence, celle de la guerre et de la paix, et Emmanuel Macron s’en sert car elle lui donne du rayonnement au niveau international. Le climat, aujourd’hui, ce sont les migrations, la bataille mondiale pour l’industrie et la science. La campagne de communication « Make Our Planet Great Again », apparemment innocente, allait tout à fait dans ce sens, tout comme l’organisation du « One Planet Summit » ou encore l’augmentation du budget pour le GIEC. Ainsi, Macron se montre comme le dominant d’un monde globalisé, alors même que les Etats-Unis sont en retrait et apparaissent anachroniques, sur le terrain de la question climatique.

Cette position du Président Macron, apparemment pro-climat, ne doit pas nous faire oublier les incohérences du néolibéralisme avec les enjeux écologiques, dans un monde où l’utilisation de ressources finies pour une croissance infinie n’est pas tenable sur le long-terme. La question climatique doit être politisée si l’on veut des résultats urgents, elle doit devenir transversale et représenter le principal enjeu dans toute décision. Le travail que fait le GIEC, lorsqu’il prône l’interdisciplinarité pour faire la synthèse des rapports et construire les scénarios, devrait aussi être fait aux niveaux national et international, afin que la question climatique s’insère dans tous les champs : agriculture, défense, énergie et bien sûr économie. Cela rejoint finalement toutes les grandes questions que l’on se pose aujourd’hui – la privatisation des services publics dont celui, très actuel, du rail ; la privatisation des barrages ; prêcher le libre-échange mondial alors même qu’il faudrait relocaliser les productions – et surtout, croire que donner les mains libres à la finance, la même qui a provoqué la crise des subprimes nous aidera à atténuer les émissions par le biais de la finance verte. Il faut repenser les biens communs pour qu’ils appartiennent plutôt à tous qu’à personne pour éviter la course à la rentabilité qui détériore les services publics et qui ne peut donner une réponse à la crise écologique.

Parce que l’on est bien en crise. Tous les ans, notre dette écologique s’accroît. Sonner l’alerte, comme ce que fait le GIEC, est certes indispensable, mais il faut aller plus loin, pour imaginer un monde socialement et écologiquement soutenable par rapport à aujourd’hui. Nous baser sur le travail des scientifiques pour changer la donne, à un niveau à la fois individuel, mais surtout global.

Plan Climat : Ce que Hulot fait, Macron le défait

©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

#MakeFranceGreatAgain. Emmanuel Macron a lancé un vaste plan de communication suite à la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris. Habile façon de verdir son image. Mais à l’image de l’invitation incohérente de Trump au 14 juillet, après l’avoir raillé copieusement, pour l’environnement c’est “faites ce que je dis, pas ce je fais”. Une semaine seulement après sa capitulation face à l’Europe sur les perturbateurs endocriniens, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire vient de rendre public un Plan Climat – Horizon 2040. Ce Plan Climat « n’est pas une fin en soi », mais une « colonne vertébrale à laquelle on pourra ajouter des vertèbres ». Et il va falloir en ajouter plus d’une ! En clair, rien ne va (ou presque).

De belles intentions pour le climat

Ce plan climat annonce un cap pour la France de neutralité carbone à l’horizon 2050 et d’une action européenne pour engager d’autres pays autour de cet objectif. Viser la neutralité carbone est plus ambitieux que la volonté de simplement diviser par quatre les émissions de Gaz à Effet de Serre. L’objectif annoncé est de « trouver un équilibre entre les émissions de GES de l’homme et la capacité des écosystèmes à les absorber ». Vaste programme, mais qui ne précise rien de sa mise en œuvre concrète. D’autant qu’il ne s’agira pas, sur ce principe, de remettre en question nos modes de consommation et de production, mais bien d’investir encore plus dans le système libéral de “compensation carbone”.

Dans cette droite ligne s’inscrit l’idée d’aligner le prix du diesel sur celui de l’essence. Nicolas Hulot vise à terme l’interdiction de la vente des voitures diesel et essence d’ici à 2040. Et entre temps on continue à polluer, c’est bien cela ? Interdire leur « vente » n’empêchera pas l’utilisation des 38 millions de véhicules qui fonctionnent pour une durée indéterminée qui ira bien au-delà de 2040. Et quelle quantité astronomique de métaux et terres rares pour renouveler le parc automobile faudra-t-il ? La solution n’est elle pas “moins de voitures” tout simplement ?

Les effets du changement climatique sont bien réels et l’urgence est vitale. Si l’on souhaite réellement freiner la crise écologique, c’est à l’ère exigeante du post-pétrole et du post-nucléaire qu’il faut passer de manière urgente et radicale. Le Plan Climat détaillé par N. Hulot ne fait pourtant aucunement mention concrète de la fermeture des centrales nucléaires. Il a a posteriori précisé ce lundi 10 juillet qu’il allait étudier la situation de 17 réacteurs. Est-ce que Monsieur Le Ministre a été mis au courant ? Et d’ajouter qu’il s’agit de “planifier” la transition, à juste titre, quand la France Insoumise faisait se dresser les barricades anti-soviétiques par ce terme il y a quelques mois à peine.

Le plan de développement des énergies renouvelables sera quant à lui présenté d’ici un an. Sont annoncées la fermeture des centrales à charbon, et  la sortie des hydrocarbures promises par Emmanuel Macron. Un projet de loi sera présenté à l’automne pour interdire les nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures, y compris les gaz et pétrole de schiste, ainsi que le non-renouvellement des concessions d’exploitation existantes. Les gisements d’énergies fossiles exploités aujourd’hui étant amenés à se tarir, « mécaniquement, en 2040, il en sera terminé » de la production d’hydrocarbures en France. Nous irons donc chercher les hydrocarbures ailleurs. Révolution écologique au-revoir.

Ce que l’on peut appeler simple feuille de route, prévoit également de travailler sur la thématique logement. Le gouvernement projette la rénovation d’ici à 2025 des 8 millions de passoires énergétiques. Le ministre a confirmé un financement de 4 milliards d’euros pour ce chantier. Les audits énergétiques obligatoires et payants dans le cadre du programme « Habiter mieux » pour les ménages modestes seront rendus gratuits.  Bon point décerné pour la décision de mise en place d’un « contrat de transition énergétique » pour les salariés des secteurs fragilisés par les politiques de la transition écologique. Mais reste à surveiller la qualité de cet accompagnement… Encore une fois, il s’agit, plutôt que de faire de belles promesses, de prendre le mal à la racine. Pas la peine de prétendre lutter contre la précarité énergétique et les effets de la transition énergétique sur l’emploi, si c’est pour démanteler en silence le code du travail.

Qui cachent une série de renoncements et d’échecs

Ce plan climat est un peu l’arbre qui cache la forêt… des renoncements. Une conférence de presse en grande pompe pourrait nous donner l’impression que ce gouvernement est écologiste. Mais il faut bien se garder de penser que ces belles promesses seront toutes réalisées. L’interdiction des nouvelles exploitations d’hydrocarbures et du non-renouvellement des permis en vigueur serait un grand pas. Mais cela signifie qu’il n’est pas question de remettre en cause les permis en cause. Ne nous fâchons pas avec les entreprises ! Pas touche donc aux 54 permis de recherche actifs et aux 130 demandes de permis de recherche (chiffres au 1er juillet 2015). Et depuis cette date, le Ministère de l’Intérieur ne communique d’ailleurs plus les chiffres…. Les intentions de réforme du code minier ont jusque ici échoué. Ainsi, pour l’heure, il est impossible de refuser des demandes de titres miniers en cas de conséquence grave pour l’environnement. Pire, l’actuel Président de la République a répété durant la campagne son intention de développer des mines responsables grâce à la refonte de ce code minier. Quoi de plus mensonger et absurde que des “mines responsables” ? De manière générale, la charte de l’environnement met sur le même plan l’intérêt environnemental et l’intérêt économique (notamment la question de l’emploi). On vous laisser deviner qui l’emporte le plus souvent.

Autre limite de l’action ministérielle, et qui a de quoi nous faire redescendre sur terre : les perturbateurs endocriniens.  Il y a quelques jours, le gouvernement avait accepté la définition au rabais des perturbateurs endocriniens imposée par la Commission Européenne compromise avec les lobbies industriels. Jusque-là, la France avait résisté en votant contre les 5 précédentes propositions de la Commission. Il a suffit d’un changement de pouvoir pour que les lobbies de l’industrie chimique aient raison des illusions naïves de Nicolas Hulot. Et de l’intérêt hypocrite du gouvernement actuel pour ces thématiques. A partir de maintenant, il faudrait redoubler d’effort pour prouver le niveau de risque de ces perturbateurs endocriniens, les exigences ayant été rehaussées. Ce qui, inévitablement, retardera, voir empêchera l’interdiction de nombreux produits contenant des perturbateurs endocriniens.

Énième recul malgré une promesse de campagne, la taxe sur les transactions financières européennes, promise par Emmanuel Macron. Le plan climat énoncé par N. Hulot fait l’impasse sur la solidarité climatique alors qu’elle est la clé de voûte de la lutte contre le réchauffement climatique. Selon la plateforme MakeFranceGreenAgain, une telle taxe pourrait rapporter 22 milliards d’euros chaque année. Ces financements considérables peuvent aider les pays les plus vulnérables à mener la bataille contre les changements climatiques. C’est donc un aspect incontournable pour maintenir la dynamique de l’accord de Paris à l’échelle internationale. Pourtant, lors du Conseil européen qui s’est tenu les 22 et 23 juin, M. Macron a opéré un nouveau revirement en remettant en question sa volonté de conclure cette taxe cet été, à cause du Brexit. Les lobbies financiers continuent de s’opposer à la taxation des transactions financières. Cette mesure est pourtant soutenue par une large partie de l’opinion publique. Au vu de son parcours, comment ne pas imaginer qu’Emmanuel Macron se fasse souffler les réponses à l’oreille par le monde obscur de la finance ?

Où sont les mesures concrètes ?

De nombreuses intentions restent vagues. Nicolas Hulot va convoquer courant juillet 2017 les “Etats-généraux de l’Agriculture et de l’alimentation”. Cinq axes seront discutés, entre autres les pratiques de consommation alimentaire et la réduction des quantités d’engrais. Mais aussi un plan d’action pour la protection des sols, la lutte contre leur artificialisation (bétonisation) et la souveraineté alimentaire. Nicolas Hulot prévoit également des « Assises de la mobilité » pour plancher sur l’enjeu majeur des transports. Il annonce par ailleurs un gel des grands projets tant que la loi Mobilité qui découlera des ces Assises ne sera pas adoptée. Cela ne signifie pas pour autant d’engagement immédiat sur l’arrêt des infrastructures routières et aéroportuaires nocives. D’autant que la Loi sur les cars Macron constitue un antécédent grave en matière de pollution et de non-sens écologique. Qui croire ? Le ministre de la transition écologique, a été interrogé sur le projet de méga-centre commercial et de loisirs Europacity. Ce projet prévoit la bétonisation de 300 hectares de terres agricoles très fertiles sur le triangle de Gonesse (Val-d’Oise). Nicolas Hulot à répondu que « cette gourmandise à artificialiser nos sols est incompatible avec nos objectifs. Nous devons garder en tête un objectif de zéro artificialisation nette des sols et cesser d’avoir la folie des grandeurs ». Discutons, discutons. L’on verra bien dans quelle mesure les lobbies de l’industrie agro-alimentaire et du BTP acquiesceront. Et qui de Nicolas Hulot ou bien d’Emmanuel Macron aura le dernier mot.

En clair, où sont les mesures concrètes face à l’urgence climatique ? Attac pointe le silence du texte sur les traités internationaux de libre-échange (Ceta, Tafta, Jefta), soutenus par Emmanuel Macron et son gouvernement. Ces traités vont pourtant à l’encontre de considérations écologiques, et sont les symboles même de la globalisation sauvage du monde. Souffler le chaud et le froid. Donner à croire qu’un semblant de démocratie réside en son sein en développant des argumentaires et des faits qui s’opposent. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Voilà bien des incohérences. Alors, ce gouvernement est-il réellement écologiste ? Sans doute, mais à la mode Macron : en même temps néolibéral « progressiste » et écologiste défenseur de la planète. Comment cela est-il possible ? Vous avez 4 heures.

Crédit photo : ©patrick janicek; Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

 

Trump, une aubaine pour les hypocrites environnementaux

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© US Embassy France. Licence : l’image est dans le domaine public.

L’indécence environnementale du président américain a été unanimement condamnée. Mais les donneurs de leçons sont pourtant loin d’être exemplaires  en la matière.

La décision du président américain Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris a été reçue comme par beaucoup comme un nouvel exemple du mépris total de la Maison Blanche actuelle pour l’environnement. Pourtant, après ses déclarations climatosceptiques durant la campagne, la nomination de Rex Tillerson, ex-PDG d’Exxon-Mobil, la plus grosse multinationale pétrolière mondiale, comme chef de la diplomatie et les déclarations d’amour de Trump à l’industrie du charbon, sa récente décision n’est finalement que l’officialisation d’une ligne politique déjà claire depuis des mois. En justifiant sa décision par le coût pour le contribuable américain de la participation au fonds de 100 milliards à l’attention des pays en développement, Trump joue sur les peurs du “petit peuple” américain, notamment dans la “Rust Belt”, pour mieux faire oublier les multiples affaires et les nombreux renoncements à ses promesses.

Cette annonce surmédiatisée a fait réagir au quart de tour les grands de ce monde, jouant les vierges effarouchées devant une fausse surprise. Le président français Macron, le Premier Ministre canadien Trudeau, le président de la commission européenne Juncker, l’ancien maire de New York Michael Bloomberg, les PDG de la Silicon Valley y sont allés de leurs petits commentaires. Évidemment, leur confiance dans le respect réel de l’accord de Paris était limitée, mais ils ne pouvaient pas manquer d’afficher leur appui à cet accord historique… d’autant que leurs choix politiques en la matière sont loin d’être excellents.

Ainsi, personne n’a rappelé l’absence de l’écologie comme thème de débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, pas plus que la volonté de rouvrir des mines de ce dernier. M. Trudeau, déjà haut classé dans les rangs des greenwashers, est lui en pleine bataille contre le gouvernement de Colombie Britannique pour faire passer un méga-pipeline. L’UE, jamais en retard dans le domaine du dumping, l’est beaucoup plus quand il s’agit de réformer le marché des permis d’émissions de carbone ou de sanctionner les fraudes liées au “Dieselgate”. M. Bloomberg, patron de presse milliardaire et ancien maire de New York, a certes mené un certain nombre d’efforts durant ses 3 mandats, mais sa politique de gentrification exacerbée a accentué l’exil forcé des working poors en dehors du centre de la métropole, conduisant à l’augmentation de trajets pendulaires engorgeant les axes de circulation et augmentant la pollution. Preuve que l’écologie est indissociable des questions socio-économiques dans le long-terme. Enfin, en ce qui concerne les multinationales, leur rôle est évidemment essentiel et le recours accru aux énergies renouvelables par les géants du web est positif, mais leur évasion fiscale colossale grève les etats et les collectivités des ressources nécessaires pour mener bien des projets.

Une fois encore, les meilleurs élèves en matière d’environnement sont ceux que l’on entend le moins. L’Equateur a produit 85% de son électricité par des énergies renouvelables en 2016 et compte atteindre 90% cette année. Le Costa Rica est même monté à 98% l’an dernier, tandis que ses forces armées se limitent à 70 hommes. L’occasion de rappeler que les maigres économies dégagées par le retrait des accords de Paris par Trump ne suffiront pas à financer les 54 milliards de dollars supplémentaires dévolus à l’armée américaine dans le budget de l’année prochaine…

Pour sa part, Nicolas Hulot aura quant à lui fort à faire face à la politique tout sauf écologique d’Emmanuel Macron, d’autant plus que la France régresse à de nombreux niveaux: le solaire photovoltaïque progresse de moins en moins, la filière éolienne a été bradée à l’Espagne et aux Etats-Unis sous le mandat Hollande et la réduction de la part du nucléaire prévue est quasi irréalisable. Sans oublier les retards de paiement des aides à la conversion à l’agriculture biologique, la multiplication des grands projets inutiles et tant d’autres dossiers.

De manière malheureusement peu surprenante, le système médiatique a, dans sa grande majorité, avalisé cette distribution des rôles simpliste et mensongère entre “méchants” et “gentils” du changement climatique, alors même que son rôle serait de déconstruire les postures et de décerner les hommages aux méritants. À l’heure du règne du marketing, la décision de Trump, homme gras de 71 ans incarnant à merveille les caricatures les plus répandues sur “l’américain moyen”, est une occasion en or pour tous les irresponsables environnementaux de mener une grande opération de greenwashing en affirmant haut et fort leur attachement à un accord qu’ils ne respecteront pas non plus. Non seulement cette décision ne devrait pas contribuer significativement à relancer l’emploi dans les bassins de charbon des Appalaches, mais elle risque surtout d’accroître le retard déjà important des Etats-Unis dans la transition écologique. Plus que tout, il serait temps de ne plus en profiter pour jouer le jeu des hypocrites environnementaux.

 

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Climat : Trump s’en lave les mains

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©Michael Vadon. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.

Trump dit au monde d’aller se faire voir. Pluie de condamnations internationales. La poignée de main de Macron n’aura pas suffi à le convaincre. Il avait pourtant serré si fort ! Sa décision de dénoncer l’Accord de Paris est en cohérence avec ses promesses de campagne. Pour autant, est-il l’unique coupable ?

    Des paramètres environnementaux catastrophiques

On n’aura de cesse de répéter que les signaux environnementaux sont alarmants. A tel point que les scientifiques en sont dépassés. La presse a déjà mentionné la fonte vitesse éclair des glaces des pôles et ses corollaires : montée du niveau de la mer, modification des températures océaniques et fonte du pergélisol qui libère des gaz (méthane notamment) qui risquent d’accélérer le réchauffement global. La température des villes pourrait d’ailleurs augmenter de 8 degrés, et les premiers symptômes sont déjà remarquables. Le week-end de l’Ascension, la France a vécu ses jours de mai les plus chauds depuis 70 ans. Et comme dans un écosystème tout est lié, le corail s’en trouve aujourd’hui au plus mal. Il semblerait que son « plan de sauvetage » soit tout bonnement inenvisageable. La Grande barrière australienne de corail a vécu sa plus grande période de blanchissement. 30% des coraux de surface sont déjà à l’agonie. Le corail, habitat et nourriture de base des poissons ; poissons eux-mêmes nourriture des hommes. Plus de corail, plus de poissons. Plus de poissons … Rien d’une bagatelle. L’accord de Paris, signé par 194 autres pays en décembre 2015, vise à contenir la hausse de la température moyenne mondiale en deçà de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Le retrait des Etats-Unis de cet accord va-t-il réellement aggraver ce qui est déjà catastrophique ?

Un protectionnisme à l’américaine

Cet accord aurait selon Trump « moins trait au climat qu’aux intérêts financiers défavorables aux USA. » Le président des Etats-Unis a dénoncé des conditions d’accords qui placeraient son pays en position de faiblesse économique et de « désavantage concurrentiel » vis-à-vis des autres Etats. Son discours a été une longue litanie des injustices qu’il prétend subir. Premièrement, d’après lui, cet accord obligerait les Etats-Unis à se détourner de l’exploitation d’un certain nombre de ressources naturelles ; ressources qu’il considère comme propriété nationale. Les scientifiques ont en effet estimé que pour stopper radicalement les effets du changement climatique, il faudrait laisser dans le sol 80% des ressources fossiles de la planète. Mais c’est bien connu, le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois dans le but de rendre l’industrie américaine non compétitive. Deuxième point, le refus d’un déploiement d’une aide financière et technologique massive aux pays en développement par les pays principalement responsables du changement climatique par leurs activités. Belle solidarité que de tirer à boulets rouges sur le système de « Fond vert » d’aide à la lutte contre le réchauffement climatique.

“Le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les chinois dans le but de rendre l’industrie américaine non compétitive.”

Le principe fondamental de l’Accord de Paris est celui de la « responsabilité différenciée ». Et c’est bien tout ce qui gêne Donald Trump. Citant la Chine et l’Inde comme principaux concurrents, Trump a déploré la baisse inévitable de la production dans des secteurs clés de l’économie américaine (ciment, fer, acier, charbon, gaz naturel) en cas d’application des accords de Paris. En effet, les principaux pays pollueurs s’étaient engagés à limiter leurs émissions de GES selon des barèmes différents, fonction de leur développement historique, et de la structure de leurs économies. Et cela ne passe pas pour Monsieur le Président. Son objectif ? Le retour de la croissance américaine, des emplois pour tous les citoyens. Cet accord auquel il renonce représente selon lui de nombreux risques, en termes de coût pour l’économie nationale, de qualité de vie et de pertes d’emplois. De pannes d’électricité même ! Ces considérations apocalyptiques lui ont été soufflées par un think thank climato-sceptique bien connu, le National Economic Research Associates (NERA), sponsorisé par des lobbies conservateurs (American Council for Capital Formation et la US Chamber of Commerce) dont l’objectif est de balayer toute régulation environnementale. Un tel discours arriéré frôle la démagogie en occultant la transition énergétique et sa création d’emplois. En effet, si certains secteurs risquent de péricliter, la conversion de l’économie dans des secteurs soutenables tels que les énergies renouvelables n’est-elle pas possible ? Il ne tient qu’aux gouvernements de former ses travailleurs et d’investir dans des secteurs de transition.

Ce protectionnisme nationaliste tissé de mensonges n’est pas une surprise, il est en cohérence avec son programme. Mais sa décision est une insulte aux populations précaires qui ont subi et continuent de subir de plein fouet les effets des politiques de compétitivité et de concurrence internationale. Trump pense défendre l’Amérique défavorisée, celle de Pittsburgh,  qui fut longtemps un haut lieu de la sidérurgie mondiale et des chemins de fer, frappée de plein fouet par la désindustrialisation. Mais ils ne sont pas tant à blâmer que ceux que Trump protège réellement par sa décision politique, à savoir les multinationales qui sous couvert du retour à l’âge d’or du plein-emploi prennent à la gorge les habitants. L’industrie des gaz de schiste et ses arnaques en sont la preuve. Dans cette même région pauvre de l’Amérique, d’après Bastamag, 70% des propriétaires qui ont cédé les droits sur leur sous-sol à l’industrie du gaz de schiste se trouvent lésés.[1] Ainsi, nombreux sont les habitants qui soupçonnent les firmes pétrolières de la région de sous-déclarer les quantités de gaz et de pétrole qu’ils tirent du sol afin de baisser les redevances qui leurs sont dues (royalties). Véritable business que ces droits de forages, et cataclysme écologique, sur le dos des mêmes travailleurs que Trump prétend défendre.

Trump VS le reste du monde

L’annonce de la sortie des accords de Paris par Trump est reçue par la scène internationale comme une décision grave. Elle fait l’objet de condamnations multiples. Tout d’abord au sein de son propre pays. Ainsi, un certain nombre de grands patrons américains dont Tesla se sont dit inquiets. Le risque de ce retour au charbon est évidemment la perte de leadership que pourraient subir les Etats-Unis face à l’Europe et à la Chine en matière d’innovation énergétique. Selon un sondage réalisé par Yale, seulement 28 % des électeurs de Trump souhaitaient la sortie de cet accord.[2] Les Américains prennent-ils leur distance vis-à-vis du programme de leur Président ? De nombreuses personnalités américaines se sont indignées, parmi lesquelles Michael Moore, le réalisateur engagé contre le changement climatique, qui a tweeté un furieux : “USA to Earth : Fuck you”. 

Attac pointe par ailleurs les faiblesses intrinsèques de l’accord qui ne contient aucun aspect contraignant ni sanction. Avant même de contrevenir à l’accord, les Etats-Unis s’y soustraient sans efforts. Chaque Etat peut d’ailleurs y déroger à l’envi. Porte ouverte à l’impunité éternelle des écocides ? En plus d’être considéré par beaucoup d’écologistes comme comportant des objectifs climatiques et des moyens d’y parvenir insuffisants, l’accord de Paris ne donne aucun pouvoir aux institutions, aux Etats, ou encore aux citoyens de poursuivre les Etats qui ne le respecterait pas. Quand le FMI et l’OMC peuvent imposer des conditions économiques mortifères à des pays qui ne respectent pas leurs règles du jeu, un homme seul peut balayer des mois de négociations environnementales d’un revers de main. Si Trump risque de fait de mettre les Etats-Unis au ban de la diplomatie internationale, force est de constater qu’il est toujours plus facile de taper sur un individu isolé qui refuse d’emboîter le pas d’une dynamique collective, quand bien même mauvaise soit-elle. Cette sortie de piste est un déni de réalité climatique, mais également un déni de l’humanité et de son sort collectif. Pour autant, le petit jeu de l’indignité internationale sonne faux. En effet, les Etats signataires reconnaissent eux-mêmes l’insuffisance des dispositions de l’accord. Par ailleurs, il ne rentrera pas en application avant 2020 et les premiers réajustements sont prévus pour 2023. Et surtout, les conditions de sortie définitive de l’accord par les Etats-Unis restent floues.

            Droit dans le mur, avec ou sans les Etats-Unis

Si les déclarations sont navrantes, faire de Trump un bouc-émissaire ne ferait que nous détourner de la responsabilité du système économique tout entier auquel nous prenons part. Faut-il rappeler que le G7, réunissant les pays économiques les plus importants, n’a pas cru bon de discuter du climat ? Le Président de la Russie, responsable à elle seule de 8% de l’émission des GES, a été reçue en grande pompe à Versailles par Emmanuel Macron. Pourtant, les discussions se sont focalisées sur le terrorisme, cause jugée primordiale par notre président. Quid du changement climatique comme facteur aggravant du terrorisme ? S’il n’en est pas la raison exclusive, cela revient à souffler sur un brasier. A titre d’exemple, à cause du réchauffement climatique, le Lac Tchad a considérablement perdu de sa superficie. Les ressources en poissons, indispensables à la survie et à l’économie des populations locales s’amenuisent. Autant de malheureux jetés sur les routes à la recherche d’une vie meilleure. Autant d’individus désœuvrés qui peuvent rejoindre les rangs de Boko Haram, qui terrorise la région ; du moins constituer un terreau fertile à des déstabilisations sociales. Plutôt que de traiter les conséquences, ne devrait-on pas prévenir les causes ?

L’Europe regrette une « grave erreur » de la part de Trump et lui oppose déjà une fin de non-recevoir. L’accord de Paris ne sera pas renégociable. Mais que Trump ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. Cet accord, au-delà du Fond vert de solidarité internationale, n’a jamais entendu infléchir le modèle économique à l’œuvre, basé sur un modèle productiviste, et entier responsable des dégâts irréversibles en cours. Quelle différence au fond entre un président américain qui entend conserver les emplois à l’échelle nationale dans l’industrie, et une Europe qui utilise l’écologie comme nouveau tremplin de croissance économique ? Pour se justifier, Trump a ainsi affirmé que les américains « seront écologiques mais ne mettrons pas en danger la croissance du pays. » L’Union Européenne parle elle de croissance verte, avec pour fer de lance les traités de libre-échange avec les USA (TAFTA) et le Canada (CETA), autre grand champion de l’exploitation des ressources fossiles. Soyons clair, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un capitalisme qui n’a de vert que le nom, avec l’écologie comme prolongement d’une guerre économique sans merci.

Macron, ou le leadership des faux-semblants

Au fond, le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris n’est qu’une goutte d’eau si le système lui-même n’est pas remis en question. Beaucoup de monde pour dénoncer Trump, mais qui pour mettre en avant le Nicaragua, qui a refusé de signer car jugeant l’accord trop peu ambitieux ? Par ailleurs, si l’Etat ne s’engage pas, plusieurs villes américaines ont déjà annoncé qu’elles mettraient en place une alliance pour le climat. Les gouverneurs démocrates des Etats de New York, de Californie et de Washington ont ainsi annoncé qu’ils s’engagent à “atteindre l’objectif américain de réduction de 26 à 28 % des émissions de gaz à effet de serre. » De nombreuses villes s’étaient déjà engagées à un objectif de 100 % d’énergies renouvelables. La Nouvelle Orléans, Los Angeles, New York ou encore Atlanta entendent poursuivre dans ce sens.

Le vrai sens critique à conserver doit se porter sur les positionnements emplis de faux-semblants de dirigeants européens qui vont sauter sur l’occasion pour verdir leurs intentions. En premier lieu, Emmanuel Macron qui dans un discours ému et empreint de solennité a souhaité conquérir le leadership abandonné par Donald Trump. Il a dénoncé une « faute pour l’avenir de notre planète », plagiant au passage une belle citation de l’ancien secrétaire général des Nations Unies : « Il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B ». Effectivement, il n’y a pas de planète B. C’est bien pour cela que nombreux sont ceux qui s’insurgent et luttent contre tous les symptômes, à commencer par les projets démesurés, inutiles et nocifs au nom du plein-emploi et de la croissance. Qu’Emmanuel Macron parade sur la scène internationale, soit. Mais qu’il n’oublie pas que son propre programme entend pérenniser le nucléaire et le diesel. Qu’il souhaite renouer avec la croissance en utilisant l’environnement comme tremplin à l’image de son soutien aux accords CETA et TAFTA. Et que dire des Cars Macron ? Non, le dogme Croissance-Productivité-Compétitivité n’est pas compatible avec une lutte contre les grandes perturbations environnementales. Il en est la cause. A trop vouloir produire, extraire, exploiter tant et tant de ressources, à trop louer les mérites d’une compétition commerciale internationale, notre propre existence est menacée. Make our planet great again. En nous inquiétant d’abord de la politique environnementale française à venir, menée par un Nicolas Hulot plein d’entrain mais cerné par un premier ministre ex-AREVA et une ministre du Travail ex-Business France.


[1] L’Amérique défavorisée, proie de l’industrie des gaz de schiste, de ses pollutions et de ses escroqueries, Bastamag, 13 janvier 2016

[2] Donald Trump quitte l’accord de Paris, la résistance s’organise, Reporterre, 2 juin 2017

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R.I.P. – L’écologie, grand perdant du débat d’entre-deux-tours

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Le grand débat d’entre deux tours aura au moins eu le mérite de clarifier les choses pour les écolos qui pensaient trouver en la personne d’Emmanuel Macron une bouée de sauvetage, un kit de survie minimal face aux crises environnementales et face à la pseudo-écologie rétrograde du Front National. Pas un mot, pas une proposition, pas un geste pour les électeurs de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ; un seul mot d’ordre, tacitement accepté par les deux protagonistes : l’écologie, ça commence à bien faire.

Certes, on ne peut pas parler de tout en deux heures et demie; mais ce n’est pas un prétexte pour ne parler de rien la plupart de temps, et que Le Pen ait voulu en découdre bien salement n’empêchait pas son technocrate d’adversaire d’essayer de parler un peu du fond, plutôt que de se faire courtoisement piétiner. Certes, bien d’autres thèmes essentiels (culture, enseignement supérieur et recherche, défense, logement…) sont purement et simplement passés à la trappe. Mais était-ce si difficile d’essayer d’en placer une sur la transition énergétique, le nucléaire, les pesticides, le modèle alimentaire, la bio, les filières courtes ? Macron, faisant preuve d’un rare sens du ridicule, ne pouvait s’empêcher de qualifier chaque sujet de “priorité”. L’écologie n’en est visiblement pas une.

Il a longuement été question de l’Europe. De transposition de normes, d’Europe “qui protège”. Contre des migrants, des terroristes, ça on avait compris. Et contre le glyphosate ? Contre les perturbateurs endocriniens, dont un éditorialiste avait dénoncé, quelques jours avant le premier tour, le fait qu’ils avaient “perturbé” le débat électoral (mais quel humour !) ? Et de cette Europe qui empêche les États de contraindre les géants de l’agroalimentaire à adopter l’étiquetage nutritionnel, dont l’une des vertus serait de mettre au pilori les seigneurs de l’huile de palme ? De cette Europe qui fait obstacle à toute forme de protectionnisme écologique ? De cette Europe-là, bien sûr, il n’a pas été question.

Un point de détail de la vie des Français, comme dirait l’autre (agirpourlenvironnement.org)

Il a été question d’emploi. Le Grand Marcheur, d’ordinaire si prompt à nous régaler de promesses d’emploi liés au numérique, s’est abstenu d’évoquer les emplois liés à la transition énergétique, à la rénovation thermique des logements (il est vrai que les “passoires énergétiques” sont rarement habitées par des banquiers d’affaires…), au développement de l’agro-écologie, de la permaculture, des recycleries. Pas un mot non plus sur les récentes crises agricoles : il va donc falloir s’attendre à des mesures-sparadraps d’urgence, pour accompagner la fuite en avant d’un modèle productiviste, aux ravages économiques, sociaux et environnementaux sans nombre.

Il a bien sûr été question de migrations. Mais pas des migrations climatiques, alors qu’elles concernent 250 millions d’hommes, de femmes et d’enfants d’ici 2050 (selon l’ONU), et déjà plus de 83 millions entre 2011 et 2014. Des “déplacés” qui n’ont pas encore de statut unifié au niveau du droit international. À croire que le changement d’échelle est tellement important qu’il en devient aveuglant.

Bilan des migrations climatiques en 2012 (d’après le rapport “Global Estimates 2012”, de l’International Displacement Monitoring Centre et du Norwegian Refugee Council)

Il a été question d’école, de savoirs fondamentaux, de lecture et d’écriture, mais pas du rôle clé qu’elle peut jouer dans la prévention et la sensibilisation au gaspillage, à l’éco-responsabilité en matière d’alimentation, de manière à la fois ludique et exigeante. Il a été question de santé : pas des milliers de victimes des particules fines, mais plutôt de montures de lunettes (sujet, il est vrai, autrement plus important !). Il a été question d’espérance de vie : pas de l’espérance de vie en bonne santé, qui baisse depuis deux ans, notamment en raison de l’explosion des maladies chroniques, de la hausse des cancers infantiles, fortement corrélés à des facteurs environnementaux. Il a été question d’atlantisme. Pas des négociations avec Trump à propos du massacre environnemental délirant dont il est l’auteur cynique, des mesures à prendre pour l’empêcher de traîner dans la boue, avec sa glorieuse “nouvelle révolution énergétique”, les engagements (même superficiels) pris au moment de la COP21, en matière de réduction des émissions de GES, de protection des espaces marins, compte-tenu de l’effet que peuvent avoir sur les pays émergents des mesures courageuses prises par les acteurs historiques du dérèglement climatique.

Sale temps pour les écologistes, donc. Alors même que le dernier scénario néga-Watt, ou le rapport “Pour une agriculture innovante à impacts positifs” de Fermes d’avenir confirment l’urgence et la crédibilité d’une vraie transition, pas d’un bricolage en carton-pâte. Le message est clair : la start-up Macron et la PME Le Pen n’ont pas, dans leur feuille de route, de stratégie à l’échelle de la civilisation humaine. D’autres devront assumer cette tâche.