Maires de France : le moral en écharpe

Hôtel de ville de Sainte-Savine (Aube). © Wikimedia Commons

Les maires de France se réunissent cette semaine sous le mot d’ordre : « Communes attaquées, République menacée ». Le symbole de femmes et d’hommes qui, dans leur mairie, se sentent assiégés. Le paradoxe est le suivant : les élus en lesquels les français en le plus confiance sont aussi les plus exposés. Alors que les contraintes légales et technocratiques se multiplient, que les attaques envers les élus augmentent et que les budgets sont de plus en plus serrés, les élus de proximité sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge et démissionner. Pour y répondre, des mesures d’amélioration de la condition de l’élu sont attendues. Il s’agit désormais de lutter contre la désaffection d’ici les prochaines élections en 2026.

Qu’est ce qui pousse Annie Feuillas, maire d’Aulan – commune de 10 habitants dans la Drôme -, à se rendre dans sa mairie et à représenter sa commune ? Derrière cette image folklorique de la France des 36.000 communes, les maires incarnent la vitalité démocratique de notre pays. À l’heure où le système politique accumulent la défiance, entre les scandales et le procès en déconnexion, l’échelon communal, le plus proche de citoyen, représente un total de 350.000 élus bénévoles dans les communes. Ce maillage est aussi la garantie d’une véritable proximité et d’une connaissance fine des habitants et de leurs besoins. Cet effet s’est particulièrement manifesté lors de la crise Covid, durant laquelle les élus ont démontré leur capacité à intervenir auprès de leurs administrés. À ce titre, le « bloc communal » représente aussi celui de la débrouille pour satisfaire les demandes des habitants malgré les pesanteurs administratives.

Par souci d’efficacité, et sous prétexte de s’attaquer aux « mille-feuille » territorial, notre pays subit une instabilité chronique de la répartition des compétences.

Pourtant, la crise couve dans les mairies, petites ou grandes. Le phénomène est connu : alors que nous ne sommes encore qu’à mi-mandat, les démissions d’élus sont déjà en hausse de 30% par rapport à la précédente mandature (2014-2020). D’autres indicateurs témoignent eux aussi de cette crise. Tout d’abord, bien qu’ils restent les élus les plus populaires, les maires voient aussi leur côte de popularité s’éroder progressivement. Ensuite, le nombre de candidat aux élections municipales en 2020 est en baisse : -2,5%, pour cette élection d’habitude convoitée. Un dernier indicateur laisse entendre que les prochaines élections, prévue en 2026, s’annoncent difficiles. La proportion de maires qui ont effectué plus d’un mandat, passé de 50 % à 60 %. Or l’usure des fonctions est un facteur caractéristique de renoncement à la fonction. Enfin dernier indice, la disparition massive de communes englouties par ces difficultés : depuis 2017, 2619 communes se sont engagées dans un processus de fusion, soit environ une tous les deux ou trois jours.

Une fonction de plus en plus technocratique

Derrière ce panorama apparaît une large transformation de la fonction. Le maire n’exerce plus comme il y a encore 30 ou 40 ans, que ce soit en ville ou dans les champs. Tout d’abord, le fonctionnement des mairies s’est professionnalisé. Ceci implique un travail administratif sans cesse croissant, de la gestion RH à la gestion financière. À ce titre, la création des centres de gestions, puis des agences techniques s’avèrent un modèle dans l’accompagnement des mairies sans perte d’autonomie. Ensuite, le rattachement des communes à divers échelons administratifs (voire tableau), les réunions avec les organismes d’État (préfecture, ADEME, Agence Nationale de Cohésion des Territoires…), ou encore l’apparition de lieux de concertations thématiques (conseils territoriaux de santé, plans alimentaires de territoire…) multiplie les interlocuteurs et les réunions. Ceci contribue à éloigner l’élu de sa commune, sans nécessairement amener à plus d’efficacité dans la prise de décisions.

Tableau réalisé par l’auteur

À ce jeu, la mise en place des Établissements publics de coopération intercommunales (EPCI), parachevée par la loi du 16 décembre 2010, a constitué une étape fondamentale dans cette transformation. Cette réforme, tout en transformant le quotidien et le pouvoir des villes, apparaît comme inaboutie. Certes, ces instances ont permis de mutualiser les moyens dans certains domaines et donc de préserver une qualité technique indispensable. Sans la mise en commun de ces moyens, il aurait sans doute été difficile d’organiser la gestion d’appels d’offre ou l’entretien de la voirie dans chaque commune.

Dans le même temps, il s’agit aussi de strates dotées de compétences propres et de fonctionnements démocratiques – avec des scrutins indirects entre élus – qui ne favorise pas toujours la lisibilité des décisions. Si bien que, les conseils communautaires, composés pourtant des maires et élus municipaux, donnent souvent à ceux-ci le sentiment d’une perte de maîtrise sur leurs communes respectives. Cet entre-deux a depuis été largement mis en question. Sans paradoxalement qu’une issue n’apparaisse clairement, le simple retour en arrière paraissait désormais impossible.

https://www.intercommunalites.fr/actualite/lintercommunalite-en-2022-une-affiche-grand-format/#gallery-id-35271
Carte des intercommunalités et de leurs compétences. Source : Intercommunalités de France

Ceci traduit un mal chronique français. Par souci d’efficacité, et sous prétexte de s’attaquer aux « mille-feuille » territorial, notre pays subit une instabilité chronique de la répartition des compétences. Sans revenir sur l’historique complet, les lois NOTRE (2015) ou 3DS (2022) ont encore alimenté ces transferts. Le sujet n’est pas neutre et a été, hélas, largement éclipsé par les discussions, quelques fois anecdotiques, du redécoupage territorial. En plus de créer de la confusion sur les missions de chaque échelon, ces transferts imposent des périodes de transition compliquées pour les élus et les agents communaux. Par ailleurs, en éloignant les centres de décision, ce partage des compétences a pu se traduire par des situations critiques, visibles par exemple en matière de transports scolaires, désormais massivement assuré par les Régions. À ce titre, la récente évocation d’une possible suppression des départements est un signal inquiétant, qui brouille encore la lisibilité pour les citoyens comme les élus.

Enfin, les maires se retrouvent doublement exposés à la compression des moyens publics et des effectifs, tant en temps qu’usager que premier interlocuteur des citoyens. Cette situation se traduit dans l’exercice de leur mandat par un moindre accompagnement, notamment de la part des préfectures, alors que les échéances réglementaires continuent de s’imposer. Cette faiblesse est même désormais pointée par la Cour des Comptes. Ceci donne le sentiment à de nombreux élus d’être soumis à des injonctions sans aide, en dehors des programmes dédiés d’ingénierie, comme « Petites villes de demain ». Dans le même temps, le contrôle de l’action publique, le contrôle de légalité ou encore les règles propres à la prise en compte des conflits d’intérêt, pour légitimes qu’elles soient, laissent souvent les élus se débrouiller tous seuls.

Le quotidien d’élu s’avère de plus en plus absorbé par des tâches de bureau. Agent administratif, avec un rôle social, le maire est également un meneur d’équipe.

Le quotidien d’élu s’avère ainsi de plus en plus absorbé par des tâches de bureau. Agent administratif avec un rôle social, le maire est également un meneur d’équipe. Cette difficulté à appréhender cette dimension explique d’ailleurs en bonne partie les nombreuses difficultés observées, des villages aux grandes villes. Enfin, le passage d’information apparaît de plus en plus comme une dimension centrale de la fonction, tant avec les différents interlocuteurs qu’auprès des citoyens. Conséquence de cette complexité, on observe une « professionnalisation » croissante des maires. Ainsi la part des maires retraités ou appartenant aux cadres et professions intellectuelles, plus maîtres de leur temps, ont fait chacune un bon de 10 points depuis 2008.

Des budgets toujours plus durs à boucler

À cette difficulté s’ajoute la contrainte financière de plus en plus présente. En effet, l’État fait peser une part de son désendettement sur les collectivités, en s’appuyant sur le fait que leur budget ne peut présenter de déficit. Depuis une dizaine d’années, un vaste plan d’austérité s’est ainsi mis en place, d’abord avec la baisse des dotations par François Hollande juste après les élections municipales de 2014, puis leur gel, et désormais avec des hausses plus faibles que celle de l’inflation. Celle-ci est par ailleurs plus forte pour les communes que pour les particuliers, l’Association des maires de France l’estimant à 7,7% en 2023, contre 4% pour les ménages. A la hausse des prix des matériaux s’ajoute celle du point d’indice des fonctionnaires (+ 5% en deux ans), celle de l’énergie (+ 66% cette année) et désormais la hausse des taux d’intérêts sur les emprunts. Sans compter les dépenses d’aide d’urgence déployées par de nombreux élus pour aider leurs concitoyens face à la crise sociale.

Alors que les dépenses flambent et que les dotations sont insuffisantes, le levier fiscal est de plus en plus difficile à actionner. D’abord car le potentiel fiscal de nombreuses communes s’avère faible, comme l’illustre par exemple le fait que 62% n’ont aucun commerce. Ensuite pour des raisons politiques, une hausse d’impôt est souvent très mal perçue par les électeurs. Enfin, en raison de la suppression de certaines recettes importantes, comme la taxe d’habitation sur les résidences principales et la Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE). Au total, l’Association des Maires de France chiffre ces pertes à 7 milliards d’euros depuis trois ans. De fait, les communes sont de moins en moins autonomes en matière fiscale et tombent peu à peu sous la tutelle de l’Etat.

Pour faire face, les élus doivent partir à la tâche aux subventions. Une tâche de plus en plus chronophage et technique qui place les autres échelons en position de juge de l’opportunité et de la qualité des projets. La part des subventions dans les recettes permettant d’investir a ainsi cru de 5 points entre 2019 et 2022 traduisant là encore une perte de marge de manœuvre budgétaire. La logique d’appels à projet s’est généralisé présentant deux conséquences fâcheuses. Tout d’abord des calendriers de dépôt toujours plus contraint obligeant les collectivités, même lorsqu’elles disposent de service peu étoffés, à une réactivité forte. Ensuite, elle corsète les possibilités d’investissement à un cadre et un objectif précis, qui est loin de toujours correspondre aux besoins immédiats du territoire.

Réenchanter la fonction d’élu local

Aussi, les élus sont soumis au temps de façon irrémédiable. La hiérarchie entre les urgences, les échéances de mise en conformité, de réponse aux organismes, de demandes de subvention ou des appels à projet font partie du quotidien. Un calendrier subi qui ne permet pas de prendre le temps de la discussion démocratique. Une meilleure visibilité sur les dates, et des délais suffisamment importants offriraient la possibilité d’un processus de décision impliquant les citoyens. À cela s’ajoute la responsabilité pénale de l’élu, protéiforme, qui fait planer une épée de Damoclès au dessus de la tête de chaque édile. Dès lors, le stress et la pression qui pèsent sur les élus est loin d’être anecdotique.

Face à ces difficultés, le maire se retrouve souvent bien seul. Ce volet est malheureusement peu abordé dans les analyses, tant la vie municipale est faite de rencontres et de contacts. Pourtant, le maire se retrouve face à de nombreux arbitrages, dont il est in fine le seul responsable. Il se retrouve également à gérer les relations avec les habitants, le personnel municipal, les différents organismes et l’administration d’État. Une charge émotionnelle forte face à laquelle de nombreux élus ne sont préparés. En outre, la compétition mise en place entre les territoires, notamment pour l’obtention des subventions ou les enjeux de l’intercommunalité, ne permet pas toujours d’échanger librement avec ses collègues proches. Enfin, l’affaiblissement des partis politiques n’offrent plus de cadre de soutien et de formation pour les élus. Ils sont désormais une majorité à être sans étiquette, le principe même ayant été écarté pour les communes de moins de 9.000 habitants.

Pourtant, le rôle du maire apporte de nombreuses satisfactions. La possibilité de transformer concrètement le quotidien, la capacité à entraîner les habitants sur des projets, la faculté à mettre en relation les personnes sur le territoire. Les maires au quotidien retissent des liens entre les habitants, trouvent des solutions aux situations difficiles. En un mot, ils mettent une touche d’humanité dans le monde administratif. Ils se révèlent enfin incontournables, à l’heure du dérèglement climatique, par leur connaissance fine du territoire municipal.

Les propositions liées à la revalorisation des indemnités passent à côté de l’essentiel du problème.

Les propositions officielles pour améliorer les conditions d’exercice du mandat pêchent encore. La proposition de hausse des indemnités des élus apparaît à ce titre inadapté. Au regard des contraintes, cette indemnité, qui n’est pas une rémunération, n’est pas un facteur déterminant dans le fait de se présenter. Si quelques centaines d’euros supplémentaires ne seront pas de trop pour les élus des petites communes, ils ne suffiront pas à résoudre la crise d’attractivité de la fonction. Par ailleurs, ces hausses placent les élus dans une situation d’arbitrage indue, puisque les indemnités de mandat sont financées sur les budgets municipaux, et confortent l’idée d’élus attirés par l’argent.

En revanche, un système de cotisation, sur le modèle du système de chômage, permettrait de compenser les pertes de salaires des actifs élus. Ceci permettrait de faire davantage contribuer les élus retraités, majoritaires à occuper ces fonctions. Enfin, des propositions comme une protection juridique publique, pour les actions relevant de leurs fonctions, ou encore l’ouverture de passerelles en fin de mandat avec la fonction publique territoriale, offriraient davantage de sécurité aux candidats. Autant de propositions évoquées depuis des années pour une potentielle réforme du « statut de l’élu » qui n’a fait que traîner. Alors que les démissions s’amplifient et que les prochaines municipales se profilent, il semble urgent de réenchanter la fonction d’élu local.

« Le pouvoir des maires est bien plus grand qu’ils ne le pensent » Entretien avec Ulysse Blau

Ulysse Blau, jeune ingénieur en bioressources, a sillonné le département du Calvados à vélo pendant trois mois, à la rencontre de 64 maires de communes de toutes tailles. Son objectif : les interroger sur leur exercice en matière de démocratie locale et de transition écologique, sur leurs ressentis, leurs préoccupations et leurs aspirations. Il en a produit une synthèse et nous en parle ici. Retranscrit par Dany Meyniel. Réalisé par Cécile Marchand et Rebecca Wangler.


LVSL – Pourquoi avez-vous choisi le Calvados comme terrain d’étude ?

Ulysse Blau – J’ai choisi le Calvados pour sa grande diversité de communes : au bord de la mer, dans les terres, touristiques et d’autres pas du tout, des communes immenses comme Caen, des toutes petites comme Périgny (58 habitants). C’est cette diversité-là que je recherchais en allant dans le Calvados parce que cela me permettait de la voir dans un seul département et donc de minimiser les distances à parcourir, l’objectif n’étant pas de faire du vélo, mais plutôt de passer du temps avec les gens. Je pensais aussi que c’était un département qui était « plat », mais ça, c’était avant de partir.

LVSL – Votre expérience se concentre sur le regroupement des Intercommunalités et des petites communes rurales qui ont perdu des compétences à la suite de la loi NOTRe comme vous l’expliquez dans votre document. Selon vous, pourquoi ces petites communes restent-elles un échelon intéressant pour la transition écologique ?

U.B – Je n’ai pas choisi d’aller voir des petites communes : j’ai tiré au hasard 64 communes parmi les 536 que compte le Calvados et il se trouve que parmi toutes ces communes, une immense majorité sont toutes petites (en France, 90% des communes ont moins de 3000 habitants). D’ailleurs, j’ai même rajouté les communes de Caen, de Honfleur, et de Deauville parce que je souhaitais également avoir l’avis de métropoles et de stations balnéaires.

Pour répondre à la question de l’échelon intéressant, c’est effectivement la raison pour laquelle je suis allé voir toutes ces communes : lorsque l’on a peu d’habitants et beaucoup d’accès à la terre, il y a un potentiel de transition écologique. Ce terme est assez large, mais ce que j’entends par transition écologique, c’est la gestion des ressources, de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture et l’implication des citoyens. Ainsi, quand on a une petite commune, on a plus facilement accès aux élus parce que le maire est un habitant comme les autres… Moi qui suis parisien, j’ai cette vision du maire de Paris comme d’une personne inaccessible : jamais je ne pourrai la voir pour lui poser des questions. A contrario, dans les communes où j’ai rencontré le maire, celui-ci vit avec les autres habitants, il boit la même eau que tout le monde, il respire le même air, il fait ses courses au même endroit, il met ses enfants dans la même école que tout le monde, il est un habitant comme les autres. Dans ces communes, il est possible d’aller le voir, lui parler, le questionner et d’aller même faire pression sur lui.

LVSL –En revanche, il peut aussi y avoir des freins à la transition dans ces mêmes territoires notamment à cause d’éléments dont vous parlez dans votre étude, comme le manque de moyens ou la perte de compétences des communes qui peuvent peut-être créer un mal-être chez les maires. Est-ce que cela peut les empêcher d’une certaine manière de mettre en œuvre la transition ?

U.B – Des freins, il y en a toujours partout, de tous types, que ce soit dans les grandes ou petites communes. Le manque de moyens est un frein et le fait que beaucoup de compétences soient transférées à l’Intercommunalité l’est aussi. Mais quand je suis allé interviewer ces maires, ces derniers m’expliquaient qu’effectivement, ils avaient de moins en moins de pouvoirs pour acter des projets et que de plus en plus de choses étaient impossibles.

En prenant un peu de recul, j’ai découvert que tout ce qui m’avait été listé comme étant impossible avait été réalisé au moins une fois par un maire. Les maires pensent impossibles des choses que d’autres maires ont réalisées et ça c’est un peu l’essence, l’élément hyper important de cette étude : les maires ont le pouvoir qu’ils se donnent. C’est en fonction des conditions de la situation, de leur sensibilité, de leur personnalité, de plein de choses, mais ce n’est pas lié au pouvoir du maire en tant que tel. Le pouvoir des maires est bien plus grand qu’ils ne pensent et qu’on ne le pense en tant qu’habitants.

LVSL – Est-ce que les maires que vous avez rencontrés sont vraiment conscients de l’ampleur du défi climatique, de l’urgence à laquelle nous faisons face et aussi de la radicalité des mesures qu’il faudrait mettre en place pour y remédier ? Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, permettre d’améliorer leur compréhension de la crise écologique de manière générale ?

U.B. – La première chose que j’ai réalisée c’est que les maires que j’ai rencontrés sont des habitants et donc la question qu’il faudrait se poser est : Quelle est la sensibilité écologique des habitants, la sensibilité écologique des Français, au moins des Calvadosiens ? Concrètement, de ce que j’ai vu, elle est assez faible. Comme j’étais hébergé tous les soirs par des gens que je ne connaissais pas le matin même, que je rencontrais sur la route et qui me proposaient volontairement de m’accueillir chez eux, j’ai pu rencontrer une grande diversité de personnes que ce soit le fonctionnaire, l’ouvrier, l’agriculteur, le cadre, le PDG d’une boîte pharmaceutique, etc. J’ai pu parler avec eux tous, il n’y avait pas de questionnaire et nous discutions comme des amis. De fait, beaucoup de sujets ont été abordés, mais très peu étaient liés à la crise écologique, à l’urgence… Ils parlaient de leurs vies, de leur travail, de leurs problèmes, de leurs histoires, de leurs aventures, c’était fascinant et formidable. En relisant à la fin de mon périple toutes les notes que j’avais prises, je me suis rendu compte que la présence de l’urgence écologique était très peu pointée. Les gens m’ont parlé de ce qu’ils voulaient, de ce qui les préoccupait et ce sujet-là était très peu présent. Il est donc normal que j’aie également peu trouvé ce sujet chez les maires puisqu’ils sont des habitants comme les autres.

LVSL – À la fin de l’étude, vous parlez de la commune de « rêve », est-ce une question que vous avez posée directement aux maires et si oui, qu’ont-ils répondu ?

U.B. – C’était ma question préférée, la dernière et celle qui les a le plus surpris : à quoi ressemble la commune de vos rêves dans un monde où tout est possible ? Les questions précédentes étaient des questions très ancrées, très simples comme : « D’où vient l’eau qui sort du robinet ? », « D’où vient la nourriture ? », « Comment gérez-vous votre énergie ? », etc. Pour la première fois, je leur demandais de se projeter, d’avoir des visions… Mais les maires que j’ai rencontrés ne sont pas des maires visionnaires, ce sont des maires gestionnaires. Leur objectif est que tout se passe pour le mieux dans la commune, qu’il n’y ait pas de problème d’argent, que les bâtiments soient entretenus, que les gens soient heureux et donc, beaucoup ont été surpris par cette question. La réponse qu’ils ont donnée en majorité est que la première image qu’ils voient de la commune soit des gens dans les rues qui discutent, qui sympathisent, qui rient.

En fait, c’était tellement évident que je l’avais presque oublié : la priorité d’un maire est qu’il y ait des gens qui soient heureux et présents dans sa commune. C’était beau parce qu’on revenait à la base, ce que les maires veulent ce ne sont pas des choses folles, ce sont juste des habitants heureux. Le deuxième sujet le plus abordé par les maires lorsque je leur ai demandé cette vision de leur commune idéale était la présence du végétal : pour eux, il est très important qu’il y ait des plantes, des fleurs, des arbres, etc. Le troisième élément était la place de la voiture dans le bourg de la commune : plus de voitures, moins de voitures. Ainsi, c’étaient les trois sujets les plus importants. C’était fascinant parce que j’aurais imaginé qu’ils parlent plus de la présence de services, de commerces, etc. Ils en parlent aussi dans cette commune de rêve, ils y voient des bars, des pharmacies et des médecins, mais le premier souhait, c’était la présence de gens, des gens qui sourient et qui marchent dans la rue. Revenir autant aux fondamentaux, c’est une très belle image.

LVSL – En définitive, qu’il y ait des gens dans la rue qui puissent marcher, rire, parler, c’est un peu une vision qui correspond à celle d’une commune apaisée où les centres-villes seraient revitalisés avec des bars, des endroits où les gens peuvent se retrouver, avec potentiellement moins de place laissée à la voiture et plus de végétalisation. Est-ce que, pour vous, ces réponses à cette question-là peuvent signifier qu’une bonne partie des maires de petites communes, la plupart sans étiquette, sont un peu écologistes à leur insu et même s’ils ne se visualisent pas comme tels, la vision qu’ils ont de leur commune pourrait correspondre à une commune qui, in fine, est plus résiliente face à la crise écologique ?

U.B. – Par rapport à la place de la voiture, il n’était pas question de moins de voitures, mais de la voiture. C’est un élément important à préciser, parce que certains voulaient réfléchir à la place de la voiture sans la supprimer parce qu’elle est aujourd’hui très importante dans la vie de la commune. Est-ce que les maires de France sont des écolos qui s’ignorent ? Pour moi, l’écologie ne veut plus rien dire dans le sens où nous avons tellement utilisé et sur-utilisé ce mot qu’aujourd’hui, de fait, il est vidé de son sens. Le terme de « transition écologique » est en train d’en perdre beaucoup, c’est pour cela que je suis revenu à des questions très concrètes comme la gestion des ressources et l’implication des citoyens.

Je ne pense pas qu’ils soient écologistes. En fait, ils sont juste humanistes. Il se trouve qu’il y a beaucoup de choses en commun entre l’écologie et l’humanisme – en tout cas, c’est ma façon de voir – mais définir les maires comme écologistes, non, car ce qui leur importe, ce n’est pas que le climat ou que la planète aillent mieux, mais que les gens dans leurs communes soient heureux. Pour rendre les gens heureux, il y a des techniques qui sont intéressantes comme de les faire parler, de créer des espaces de discussion, d’avoir des commerces locaux, etc. Ce sont des choses qui peuvent être connectées à la réflexion écologiste, mais il y a plein de mouvements d’extrême droite qui donnent aussi à voir cette sensation-là de l’aspect très rural, des commerces pour nous.

LVSL – Dans moins de deux mois, en mars, vont avoir lieu les élections municipales, les maires qui seront élus devront assurer un mandat sur une période qui va être vraiment décisive en termes de transition écologique et sur la question du climat, est-ce cela va avoir un impact sur les élections en tant que telles ? Est-ce que l’écologie, la transition vont être des sujets importants et décisifs sur les élections ? Est-ce que les électeurs et les gens qui se présentent ont en tête cet enjeu ?

U.B. – Je suis biaisé parce que je le souhaite ardemment, mais oui, je pense que c’est un thème important, on en parle beaucoup. Ce que j’ai voulu faire en parlant de la transition écologique sous l’angle de la gestion des ressources et l’implication des citoyens, c’était de faire comprendre que la transition écologique est partout : quand on demande à un agriculteur de rester en vie et de produire des fruits et légumes pour la commune, quand on réfléchit à la production locale d’énergie ou qu’on réduit notre consommation, on participe sans le savoir à la transition écologique. Donc, les candidats parlent d’écologie, c’est une partie de leur programme, il y a le social, une écologie où on va faire du recyclage et des éléments que l’on attribue habituellement à l’écologie, etc. L’objectif de cette étude n’est pas qu’on aborde l’écologie, mais plutôt la gestion des ressources. L’important est que tous les habitants d’un village se posent les questions de comment sont gérées l’énergie, l’eau, la nourriture, ce que veulent les gens, les élus, ce qu’il est possible de mettre en place.

Si on cale cela sous le terme de transition écologique, d’écologie, d’humanisme, d’extrême droite, d’extrême gauche ou de ce que vous voulez, tant mieux ou tant pis, mais ce qui compte, c’est que les faits soient là et que l’on travaille sur des sujets concrets. Avec les maires, quand on abordait ces sujets-là en off, ils pensaient que l’écologie allait être un élément important de la campagne, je pense aussi que ça va l’être et les candidats vont devoir s’engager dans les communes où il y a au moins deux listes. Il y a des communes où il n’y a qu’une seule liste qui est même parfois difficile à monter parce qu’il y a un nombre de personnes obligatoires et qu’il faut trouver ces personnes qui vont s’investir et donner de leur temps pendant six ans gratuitement, les conseillers municipaux ne sont pas rémunérés et les maires sont juste défrayés.

L’objectif de cette étude est de participer au fait de mettre sur la table le sujet de la gestion des ressources et de l’implication des habitants de telle sorte qu’on ne puisse pas éviter ce sujet, que le candidat soit forcément obligé d’utiliser ce mot à un moment ou un autre dans sa campagne pour que ce soit un sujet inévitable.

LVSL – Quelle place ont, selon vous, les listes citoyennes dans les élections à venir ? Compte tenu de ce que vous avez vu, est-ce une pratique cantonnée aux grandes villes ?

U.B. – J’ai un problème avec la formule « listes citoyennes » parce qu’elle sous-entend que les autres ne le sont pas. « Listes participatives » c’est éventuellement plus approprié, mais je n’ai pas rencontré de listes participatives, car je n’ai parlé qu’aux maires et il semble normal qu’ils ne m’aient pas parlé de la liste d’opposition qui allait se présenter. De plus, ce n’était pas non plus le temps des élections quand je les ai rencontrés de mi-avril à mi-juillet 2019 et donc à ce moment-là, c’était encore calme. J’ai pu rencontrer des gens qui faisaient partie de listes, mais est-ce que c’étaient des listes participatives, des listes normales qui parlaient d’écologie ? Il est très difficile de qualifier une liste en tant que telle. L’association « La belle démocratie » travaille justement sur une sorte de label pour savoir si une liste est participative ou pas. Mais, en réalité, les listes sont constituées d’habitants qui se rassemblent. Bien sûr, dans chaque commune, il y a plein de listes, et il est difficile de savoir si elles sont participatives ou pas. De l’image mentale que je m’en fais, a priori, j’aurais envie de dire que c’est quelque chose de cantonné aux grandes villes, les petites communes n’ayant le plus souvent qu’une liste ou deux.

Municipales : le Pacte pour la Transition prépare-t-il l’union des gauches écologistes ?

Quoiqu’on en pense du localisme et a fortiori dans le climat de décomposition politique actuel, les élections municipales à Paris ont toujours un parfum de national. Mais alors que la bataille fait rage dans la capitale, les principales listes écologistes et de gauche viennent de s’engager peu ou prou sur un texte d’engagements communs, le Pacte pour la Transition, ses trois principes et 32 mesures définis nationalement et portés localement par un collectif d’habitants et d’associations. Ce moment parisien est-il le signal d’un glissement politique ?


Les élections municipales à Paris ont toujours un parfum de national. Bien entendu, cette majorité comme toutes les autres affirmera qu’il s’agit d’un scrutin local qui ne vient pas sanctionner une politique nationale et/ou que de toute façon, la majorité en place est toujours sanctionnée aux élections locales, ce qui n’est effectivement pas loin d’être vrai : l’effondrement du Parti Socialiste entre 2012 et 2017 à toutes les échelles et élections territoriales en est l’exemple le plus spectaculaire et significatif. Pour autant, les oppositions n’auront pas totalement tort de clamer que la politique nationale est effectivement dans le viseur : selon un sondage Odoxa-CGI diffusé mardi 28 janvier, 30% des Français souhaiteraient sanctionner l’exécutif macronien à l’occasion des élections municipales.

Le scrutin de la capitale est d’autant plus national que Paris a été l’un des principaux bastions d’Emmanuel Macron durant les élections présidentielles. Il y avait récolté près de 35% des suffrages au premier tour : une défaite y serait doublement amère. Paris reflète également l’état instable des oppositions, et de la gauche et des écologistes en particulier, qui continuent leurs chevauchées solitaires. Pour encore longtemps ? Les principales listes écologistes et de gauche viennent de s’engager peu ou prou sur un texte d’engagements communs, le Pacte pour la Transition. Ses 3 principes et 32 mesures ont été conçus à l’échelle nationale, et portés localement par un collectif d’habitants et d’associations. Ce moment de convergence parisienne est-il le signal faible d’un glissement politique de plus grande ampleur ?

(source : https://www.pacte-transition.org/#pacte)
Les soixante ONG porteuses du Pacte pour la Transition.

Qu’est-ce que le Pacte pour la Transition ?

L’histoire commence fin 2019 lorsque le Collectif pour une Transition Citoyenne (CTC), composé d’une soixantaine d’ONG, lançait le Pacte pour la Transition, applicable dans les communes.. Le principe d’application est simple : des collectifs locaux et apartisans vont à la rencontre des listes candidates et leur demandent, quelle que soit leur couleur politique, de s’engager sur au moins 10 de ces 32 mesures. La démarche fait penser au principe de la Charte de Nicolas Hulot aux élections présidentielles de 2007, en plus participatif : c’est du côté du Pays basque qu’il faut aller chercher pour en comprendre la préhistoire. C’est en effet sur la terre natale du désormais bien connu mouvement citoyen de mobilisation contre le dérèglement climatique, Alternatiba, que dès 2014 des habitants appelaient leurs futurs élus à s’engager sur des mesures écologiques.

La démarche fait penser au principe de la Charte de Nicolas Hulot aux élections présidentielles de 2007, en plus participatif

On retrouve Alternatiba, qui a bien grandi depuis, au coeur du CTC qui porte aujourd’hui la démarche du Pacte pour la Transition sur l’ensemble du territoire. Et c’est de manière très révélatrice que la conférence de Presse du 4 mars 2020 qui réunissait le collectif parisien du Pacte et un certain nombre de listes candidates a également été l’occasion de tirer un premier bilan national : des collectifs citoyens se sont déclarés sur près de 2400 communes et ont annoncé officiellement la signature d’environ 300 pactes locaux pour la transition.

Car l’idée sous-jacente est bien de faire de la transition écologique, sociale et démocratique, un horizon politique commun et structurant tant pour les partis que pour l’électorat. Ainsi, lorsque quatre listes parisiennes affichent chacune leur engagement sur au moins 29 des 32 mesures, sur la même scène et lors d’une conférence de presse commune, on peut s’interroger : le Pacte serait-il l’ingrédient tant attendu d’une convergence politique des luttes ?

(source : http://www.enbata.info/articles/municipales-2014-lheure-du-bilan/
Photo officielle des maires du Pays Basque français engagés lors des élections 2014 dans le Pacte porté alors par Alternatiba.

A Paris, quel impact pour le Pacte ?

La première chose que l’on remarque, ce sont bien entendu les absents. C’est avec beaucoup de sobriété que Stéphanie Boniface, membre du collectif de citoyens parisiens porteurs du Pacte, explique que les listes de Serge Federbush (Rassemblement National) et de Marcel Campion “n’ont pas donné suite”, de même pour Rachida Dati (Les Républicains) qui a plus ancré sa campagne sur la sécurité et le déploiement d’une police municipale armée que sur ses ambitions écologiques.

Au sujet d’Agnès Buzyn (La République en Marche), la porte-parole se veut plus précise, annonçant que la candidate de la majorité présidentielle a indiqué son intérêt pour le Pacte, mais qu’à quelques jours du scrutin, ses propositions programmatiques sont encore loin de satisfaire les ambitions des 32 mesures. Le fait est révélateur de la difficile installation de la désormais ex-ministre de la Santé, grippée dans les sondages à la troisième position malgré son éloignement du dossier “coronavirus” : l’opération désespérée de sauvetage de son bastion parisien par le gouvernement semble d’autant plus tourner au désastre qu’il y a investi (ou sacrifié) l’un de ses rares éléments réputés fiables. Elle n’a en tous cas pas convaincu davantage que son prédécesseur sur la question de la transition.

Présentation listes
Les différentes listes signataires du Pacte pour la Transition introduites par Stéphanie Boniface (à droite), membre du collectif parisien du Pacte. De gauche à droite : Isabelle Saporta, Danielle Simonnet, Vikash Dhorasoo, Antoinette Gulh, Célia Blauel.

Si le député européen Yannick Jadot (Europe Ecologie Les Verts) affirme régulièrement que l’écologie n’est ni de droite, ni de gauche, force est de constater que la droite parisienne s’est donc, par échec ou conviction, inscrite très clairement en dehors du Pacte. A l’inverse, la question de la transition a laissé paraître un vivier important d’idées communes entre les listes candidates plus à gauche menées par Anne Hidalgo (Paris en Commun – Parti Socialiste), David Belliard  (L’écologie pour Paris – EELV), Danielle Simonnet et Vikash Dhorasoo (Décidons Paris – France Insoumise), mais aussi Cédric Villani.

Le Pacte se veut révélateur d’une certaine communauté d’idées

Si les Insoumis et les Écologistes ont signé les 32 mesures proposées (avec des niveaux d’ambition variables, comme le propose le Pacte) contrairement aux listes conduites par la maire sortante et le député mutin de la majorité qui en ont signé 29, le Pacte se veut révélateur d’une certaine communauté d’idées. Une convergence qui était déjà apparue lors d’un débat qui avait pris place le 25 février à la Base où les représentants des listes avaient donné l’impression d’avoir sur ces sujets de politique locale bien moins de divergences que de convergences, certes avec des nuances importantes dans la méthode et les ambitions, mais tout de même : qualité de l’alimentation dans les cantines, lutte contre le dérèglement climatique, amélioration des mobilités, rénovation thermique des bâtiments, ou encore, gestion plus ambitieuse des déchets sont apparues comme des objectifs communs, y compris du côté d’Isabelle Saporta qui représentait Cédric Villani. Alors, l’heure est-elle au grand rassemblement de l’écologie politique ?

La gauche parisienne et l’enjeu de la recomposition : mission impossible ou impasse politique ?

La question du rassemblement se pose d’autant plus que ce 4 mars 2020, le jour même de la présentation officielle du Pacte parisien et de ses signataires, François Ruffin déclarait au micro de France Info désirer une candidature unique à gauche pour les élections présidentielles de 2022 : “Il faudra éviter les logiques partidaires et suicidaires, si chacun y va dans son couloir, on est cuits.” Pour autant, alors même que les listes candidates concernées dans la capitale affirmaient un horizon politique commun à travers le Pacte pour la Transition, cette vitrine nationale parisienne offrait une image très peu unitaire ce 4 mars, les représentants profitant de l’événement pour affirmer leurs différences et divergences.

Premier indice de la désunion et principale cible des échanges lors de la conférence de presse, la liste d’Anne Hidalgo a essuyé les tirs les plus nourris. La plus virulente dans cet exercice a été Isabelle Saporta qui a attaqué la politique de la majorité socialiste, représentée par Célia Blauel, tant pour sa politique “debétonisation” que pour ses “conflits et frictions” avec le Conseil Régional dirigé par Valérie Pécresse, et les conséquences sur le manque de cohérence dans les politiques de transport et mobilités. Danielle Simonnet n’a pas non plus épargné la maire de Paris, critiquant la cherté des loyers pour les revenus les plus modestes et ses implications écologiques du fait de l’accroissement de la distance domicile-travail. Des critiques reprises en partie par Antoinette Gulh (L’écologie pour Paris – EELV), faisant apparaître une étonnante confluence de points de vue entre insoumis, écologistes et villanistes.

Jusqu’à ce que Danielle Simonnet réponde aux appels du pied d’Isabelle Saporta en affirmant clairement que les Insoumis ne “s’allieront jamais à des macronistes”. Propos appuyés par Vikash Dhorasoo qui a rappelé le soutien du député Cédric Villani au CETA, à la réforme des retraites ou encore à la loi Asile Immigration, l’ancien meneur de jeu des Bleus désormais candidat à la mairie du 18e arrondissement affirmant l’attachement de sa liste à “une écologie radicale et populaire”. Ce rejet des Villanistes par les Insoumis a fini d’enterrer le projet de grande coalition climat rêvée par David Belliard, ambition déjà fragilisée du fait de la participation des écologistes à la politique des précédentes mandatures.

Ainsi, quand Danielle Simonnet déclare préférer une “Ville écologique aux Jeux Olympiques”, elle ne fait pas qu’affirmer la spécificité de sa candidature à Paris par rapport aux autres listes : les propos de la candidate insoumise révèle que pour elle et son camp politique, la transition se situe en claire opposition à l’économie de marché et les grands projets qui l’incarnent, rendant improbable le scénario d’une convergence au second tour des élections municipales. Or à en croire les pronostics de François Ruffin pour la Présidentielle, c’est bien avant le premier tour que les forces politiques en faveur de la transition devront converger si elles espèrent pouvoir arriver au pouvoir. C’est peut-être en cela que transparaissent les limites actuelles d’un Pacte pour la Transition qui ne parvient toujours pas à réconcilier les gauches historiques.

La démarche de l’avenir, et l’avenir de la démarche

Mais n’est-ce pas trop en attendre d’un projet si neuf ? Certes le péril écologique est grandissant et rend plus urgente que jamais la convergence politique invoquée par François Ruffin : sans réaction politique forte au dérèglement climatique, le territoire français sera devenu littéralement invivable avant 2100. (source : https://www.pacte-transition.org/#welcome)

Carte représentant la répartition des communes signataires du Pacte sur l’ensemble du territoire métropolitain.La démarche du CTC est d’autant plus intéressante qu’elle conjugue plusieurs dimensions : l’alliance des expériences et savoir-faire d’associations non-marchandes et d’acteurs de l’économie sociale et solidaire marchande pour accompagner les territoires et collectivités en désir de transition ; l’affirmation progressive d’un imaginaire nouveau et commun, notamment à travers le développement de la Fête des Possibles (la prochaine édition aura lieu fin septembre 2020) ; le développement d’un municipalisme dans lequel la démocratie représentative est enrichie d’outils de démocratie directe. En l’espace de quelques mois, ce sont plus de 6500 citoyens et citoyennes dans près de 2500 communes qui sont engagés dans la démarche du Pacte et l’avenir de ce dernier dépendra, comme pour beaucoup de mouvements sociaux et écologiques actuels, de l’élargissement de son socle populaire et territorial.

Ce sont aujourd’hui plus de 6500 citoyens et citoyennes dans près de 2500 communes qui sont engagés dans la démarche du Pacte

Si le Pacte pour la Transition n’a pas rebattu les cartes des élections municipales à Paris, il aura réussi son entrée dans le jeu politique en un moment et un lieu déterminant de l’espace politique, notamment à gauche. Peut-être aidera-t-il dans les prochaines années et d’ici les élections présidentielles à répondre à la question suivante : l’impératif d’une transition écologique, sociale et démocratique dans le réel débouchera-t-il d’ici 2022 à une convergence politique autour d’un programme (ou pacte) commun porté par une candidature commune ? Inversement on pourra se demander quelles sont les barrières qui empêchent aujourd’hui l’avènement de cette union sacrée qui a manqué à la gauche en 2017.

« Les communes n’ont pas suffisamment de moyens humains pour développer des politiques énergétiques efficaces » – Entretien avec Géraud Guibert

Géraud Guibert, entretien LVSL, Paris – Photo © Clément Tissot

Géraud Guibert, conseiller maître à la Cour des comptes, a notamment été directeur de cabinet de la ministre de l’Écologie à partir de 2012 et est actuellement le président de La Fabrique Écologique, un think tank pluraliste et transpartisan dédié à la transition écologique et partenaire de LVSL à l’occasion du séminaire « Construire une écologie populaire » à la Sorbonne, le 23 novembre 2019. Dans cet entretien, nous revenons sur une de leurs dernières notes, consacrée au rôle des communes dans la réduction des émissions de carbone. L’occasion de constater les faiblesses de l’accompagnement des acteurs locaux, à quelques semaines des élections municipales. Entretien retranscrit par Dany Meyniel, réalisé par Pierre Gilbert.


LVSL – Vous avez récemment présidé un groupe de travail de La Fabrique Écologique ayant rédigé une note intitulée Les communes, les intercommunalités et l’action climatique : comment accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Vous tirez plusieurs constats, notamment que les outils de mesure de gaz à effet de serre sont souvent inefficaces et mal utilisés à l’échelle locale. Pourriez-vous revenir sur ce constat et sur ce que vous voulez dire par là ?

Géraud Guibert – Pourquoi ce travail, de La Fabrique Écologique, sur les collectivités locales et le climat ? Les différents pays, la France en particulier, sont en retard par rapport aux objectifs des Accords de Paris, eux-mêmes insuffisants pour stabiliser le climat à l’horizon 2050. Ce retard concerne d’abord l’État, mais il est légitime de se demander si les différents acteurs de la société comme les entreprises, les collectivités locales voire les citoyens sont dans la même situation. Notre conviction est que le sujet du climat concerne tout le monde et qu’il est important que chacun, dans son domaine, suive la bonne trajectoire.

Les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus grand dans les négociations climatiques, y compris aux États-Unis par exemple, où malgré Donald Trump, toute une série d’entre elles agissent vigoureusement pour le climat. Dans notre pays, 70% des investissements pour la transition écologique et énergétique doivent être mis en œuvre par les collectivités locales, principalement les communes et les intercommunalités. Il est donc important de savoir précisément où elles en sont, en particulier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

L’enquête menée montre malheureusement qu’elles utilisent très peu les outils de mesure et de suivi à leur disposition, que ce soit pour les émissions de gaz à effet de serre ou, tout simplement, leur consommation énergétique. Du coup, les citoyens n’ont pas une vision précise des résultats globaux de l’action climatique de leurs élus et du chemin restant à parcourir. Or, pour que chacun agisse vraiment, il est important qu’ils aient confiance dans l’action menée, et donc une visibilité sur elle. Tous les outils existent pour mesurer les gaz à effet de serre, mais peu de communes (voire aucune) ne mesure tous les ans celles de leurs services municipaux (c’est-à-dire de leurs patrimoines, bâtiments ou activités directes, par exemple les véhicules qu’ils utilisent). Peu dispose d’un dispositif de suivi permettant de mesurer la cohérence entre le chemin parcouru et la trajectoire souhaitable de réduction dans les années qui viennent.

Il y a deux catégorie d’émissions de gaz à effet de serre pouvant être mesurées, celles des services municipaux (cf. supra) et celles du territoire. Ces dernières comprennent les émissions de l’ensemble des acteurs publics ou privés y étant implantés. Il y a ainsi une confusion générale entre ces deux notions. Chacune a son importance, mais c’est de la première que les collectivités ont une responsabilité directe.

LVSL – Si on prend l’exemple d’une usine implantée sur le territoire d’une commune, les émissions de gaz à effet de serre que produit l’usine sont comptabilisées au niveau du territoire mais la commune n’a pas d’impact dessus.

G.G  C’est tout à fait juste. Mesurer les émissions territoriales de gaz à effet de serre est plus compliqué et l’interprétation des résultats est nécessairement ambigüe : il suffit qu’une nouvelle usine vienne sur le territoire et vous augmentez fortement vos émissions, ce qui est évidemment un peu paradoxal et entraîne une vraie difficulté pour faire comprendre cet outil. En tous cas, il est très important d’avoir dans ces domaines des messages clairs et fiables, en particulier vis-à-vis des citoyens.

Géraud Guibert, entretien LVSL, Paris – photo © Clément Tissot

LVSL – Si les élus ne font pas ces expertises-là, pourquoi ? N’y a-t-il pas assez d’experts disponibles ? Les collectivités territoriales supérieures types régions, départements ne détachent pas des gens pour calculer ces émissions, ce qui évidemment a un coût ?

G.G – En fait, les raisons sont multiples. De nombreux élus continuent à considérer que ce n’est pas un sujet dont ils ont à traiter, et il faut espérer que ce type de réaction disparaîtra après les prochaines élections municipales.

Un certain nombre de communes manque en outre de moyens humains pour mener ces expertises dans de bonnes conditions. Ce n’est pourtant pas très compliqué, mais l’assistance proposée dans ce domaine par d’autres collectivités ou établissements mériterait d’être développée.

Les élus préfèrent enfin, le plus souvent, communiquer sur leurs projets, par exemple en matière de rénovation thermique ou d’énergies renouvelables, plutôt que d’afficher un suivi précis moins maîtrisable de leurs émissions. Celui-ci pourrait avoir l’inconvénient pour eux de montrer que leurs projets ne sont pas à l’échelle suffisante ou que cela ne permet pas d’avancer suffisamment vite.

Il peut donc y avoir le sentiment, chez un certain nombre d’élus, qu’après tout afficher ce type de résultats n’est pas forcément nécessaire et qu’il est plus intéressant de faire connaître l’ensemble des initiatives prises. Par exemple, il y a dans les grandes collectivités une obligation de produire tous les ans un rapport développement durable qui oblige à faire le point sur la politique dans ce domaine. Dans la quasi-totalité de ces rapports, il y a une énumération de toutes les actions sur les espaces verts, les transports etc. mais sans vision synthétique des émissions de gaz à effet de serre directes que la collectivité génère. C’est un manque évident qui mériterait d’être corrigé.

LVSL – On va s’attarder un peu sur l’exemple de la commune de Langouët en Bretagne qui est une des premières à avoir systématiquement associé la rénovation du bâtiment et les énergies renouvelables. Comment faire pour que l’expérience de cette commune fasse tache d’huile ?

G.G – Un des mots clés est la transversalité. Deux logiques séparées ont tendance à coexister dans les collectivités sur l’énergie dans les bâtiments, d’un côté des logements à rénover et à mieux isoler, de l’autre le développement des énergies renouvelables. La plupart du temps, il y a très peu de jonctions entre les deux. De fait, le développement des réseaux de chaleur et par exemple de la géothermie reste très mesuré. C’est aussi le cas pour le solaire, où ce qui se fait par exemple sur les bâtiments publics est encore très marginal. Certes, cela coûte encore un peu plus cher qu’une source d’énergie classique mais les prix ont beaucoup baissé y compris pour les installations sur les toits.

D’où l’idée – qui correspond exactement à ce qui se fait à Langouët –  que pour des rénovations de bâtiments publics, qui ont des toits souvent assez grands, ou de logements sociaux, une étude soit systématiquement faite sur la possibilité, par exemple, de panneaux solaires pour le solaire thermique ou photovoltaïque. La mise à l’étude systématique de telles opérations combinées ne veut pas dire que ce sera possible à chaque fois. Il y a des bâtiments où ce serait techniquement trop compliqué du fait d’une structure trop faible. Mais au moins on se pose à chaque fois la question.

LVSL – Vous avez évoqué le peu de marge de manœuvre énergétique que l’on a dans les métropoles et qui se résume aux panneaux solaires sur les toits et les réseaux de chaleur mais comment expliquez-vous qu’en Allemagne, les villes vont beaucoup plus vite pour installer ces panneaux ? Qu’est-ce-qui bloque en France ?

G.G – Une des explications est la relation dans notre pays des agglomérations avec les territoires limitrophes et les communes voisines. En Allemagne, les citoyens sont très largement à l’initiative des projets d’énergie renouvelable. Celles-ci se développent aussi car il existe des mécanismes de solidarité territoriale plus puissants. Un parc éolien à dix kilomètres d’une ville, avantageux pour elle parce qu’il l’approvisionne, générera des contreparties pour les gens du territoire, permettant qu’ils soient justement rémunérés y compris si le nouvel équipement génère quelques nuisances ou difficultés. Ce type de mécanismes n’existe pas suffisamment dans les métropoles françaises, qui ont souvent peu de terrains disponibles. Par rapport à l’Allemagne, l’intervention citoyenne n’est pas assez accompagnée.

Géraud Guibert, entretien LVSL, Paris – Photo © Clément Tissot

LVSL – Évidemment le modèle coopératif allemand, pour ce qui est de la décentralisation des énergies, fonctionne et les citoyens investissent dans des machines qui leur rapportent, pourquoi en France avons-nous tant de mal à le faire ? Est-ce parce qu’EDF est complètement centralisée et qu’elle a intérêt à ce que les mégawatts passent par elle ?

G.G –Le système énergétique français, décentralisé en droit, chacun pouvant en pratique faire à peu près ce qu’il veut, reste en fait très centralisé dans les flux financiers et humains, comme l’ont montré plusieurs notes de la Fabrique Écologique. La quasi-totalité des flux liés au système énergétique vont à l’État ou à des grandes entreprises et finalement très peu, en tous cas moins qu’ailleurs, aux territoires et aux citoyens.

Aujourd’hui les moyens humains et les compétences, très importants pour développer des actions concrètes, sont dans les grandes entreprises et dans une moindre mesure l’État. Ce sont les entreprises qui, dans des intercommunalités, ont les moyens de faire des choses intéressantes. Beaucoup d’intercommunalités, sans parler des communes, n’ont pas suffisamment de moyens humains pour développer des politiques énergétiques efficaces. Imaginez, vous êtes un élu (il y a des élus très courageux qui y arrivent, nous en citons dans la note) et vous ne savez pas vraiment à qui vous adresser pour avoir simplement les compétences techniques pour faire des opérations ou organiser des choses. C’est un frein considérable pour avancer par exemple dans ces politiques d’énergie renouvelable.

LVSL – Selon vous, quelles sont les villes les plus intéressantes en France sur cette voie de la transition, celles qui peuvent inspirer ? Avez-vous des éléments qui pourraient être intéressants, notamment au niveau de la gouvernance ?

G.G – Nous n’avons surtout pas voulu faire un palmarès des villes dans cette période de préparation des municipales. Il est très intéressant de voir qu’il y a différentes pratiques et expériences intéressantes. Plusieurs agglomérations françaises ont des mécanismes intéressants mais imparfaits de gouvernance, par exemple Grenoble, Lyon, Toulouse, ou encore Paris. Plusieurs métropoles sont en revanche nettement en retard.

Notre objectif n’est pas de donner des bons ou mauvais points, il est de faire prendre conscience de la nécessité d’une cohérence de la démarche. Il est très positif que beaucoup d’élus ou aspirants-élus veulent faire de l’action climatique une priorité et votent l’urgence climatique. Nous leur disons : pour montrer que votre engagement est sincère (et il n’y a aucune raison de croire qu’il ne le soit pas), faites en sorte d’avoir les outils adaptés pour avancer sur ce sujet.

LVSL – Pour vous, les municipales 2020 sont-elles le dernier grand moment, la dernière grande bataille climatique ? Si on loupe le coche en 2020, est-ce qu’il sera trop tard pour les territoires ?

G.G – C’est en effet une échéance majeure. On le voit bien, tout le démontre, les scientifiques y compris, le temps s’accélère et les problèmes s’aggravent. S’il n’y a pas de prise de conscience générale et d’actions très fortes à tous les niveaux, nous serons vite dans une impasse. Il y a déjà des choses faites mais reconnaissons qu’aujourd’hui, dans la plupart des collectivités locales, le rythme et l’ampleur des actions ne sont pas suffisants pour être en ligne des Accords de Paris. L’exigence, c’est que tout le monde s’y mette… Bien entendu, chacun a une responsabilité différente, l’État en a plus que les collectivités locales, qui elles-mêmes en ont plus que les citoyens, parce qu’elles ont plus de moyens, mais chacun, à son niveau, doit participer.

LVSL – Cette note a évidemment une portée opérationnelle pour inspirer les potentiels candidats et même ceux qui sont déjà en place, comment la transmettez-vous à ces différents acteurs ?

G.G – L’objectif de la Fabrique Écologique, je le rappelle, ce n’est pas seulement de réfléchir mais de faire passer toute une série d’idées dans le concret. Nous organisons des ateliers éco-écologiques, de co-construction de cette note, dans différents territoires comme Paris, Dijon, Bordeaux. Ce sera ensuite suivi de la publication définitive de la note. Nous avons d’ailleurs énormément de retour de citoyens et de collectivités locales tout à fait intéressés.

La publication définitive interviendra juste après les municipales à un moment où les nouveaux élus réfléchiront et s’interrogeront sur la manière de mettre en œuvre concrètement les priorités de leur programme. Nous avons prévu également des initiatives, un colloque etc., une série d’opérations dans les médias pour en en parler. L’objectif est bien que chacun prenne en compte ces propositions et que les citoyens, nous y croyons très fortement, demandent à leurs élus de s’y impliquer fortement.