Taxation de l’héritage : le retour d’un clivage de classes

© Bastien Mazouyer pour LVSL

Suite à plusieurs rapports d’économistes et à des propositions politiques venues de la gauche, le débat sur la taxation de l’héritage a été propulsé sur le devant de la scène à l’occasion des présidentielles. Tous les principaux candidats ont pris position sur la question et un véritable clivage de classes apparaît nettement. D’un côté, les partis libéraux – LREM en tête – utilisent la méconnaissance des Français sur la question pour le présenter comme un impôt confiscatoire. De l’autre côté, leurs adversaires avancent des propositions pour diminuer les inégalités de patrimoine en taxant les plus grosses successions, tout en améliorant la situation de l’immense majorité des Français.

Le sujet de la taxation de l’héritage s’est imposé comme l’un des thèmes de cette campagne présidentielle 2022, à tel point que tous les principaux candidats ont désormais émis des propositions, y compris le candidat-Président Macron. Cela peut paraître étonnant tant les sujets économiques peinent à trouver leur place dans cette campagne davantage tournée vers les questions régaliennes et identitaires. Et au sein même de ces sujets économiques, la fiscalité, à tort considérée comme un sujet technique, fait rarement l’objet de débats, qui concernent alors généralement l’impôt sur le revenu ou l’ISF, mais, bien plus rarement la fiscalité sur l’héritage.

Et pour cause. Tous les sondages le montrent : cet impôt est honni par les Français. L’enquête Crédoc « Conditions de vie et aspirations des Français » conduite à l’été 2017 montre ainsi que 87 % des Français déclarent que « l’impôt sur l’héritage devrait diminuer, car il faut permettre aux parents de transmettre le plus de patrimoine possible à leurs enfants ». Rares sont donc les candidats à vouloir s’aventurer sur ce terrain risqué pour s’opposer à cette écrasante majorité. La droite a toujours proposé de baisser cette fiscalité, certes, mais n’a jamais rencontré de véritable opposition, la gauche n’osant pas souvent défendre la position inverse.

Alors fin du débat ? Pas tout à fait, car, comme le montrent également les enquêtes, si cet impôt est si impopulaire, c’est aussi parce qu’il est fortement méconnu ! Ainsi, l’immense majorité des Français ne connaît véritablement ni son mode de fonctionnement, ni son barème. Ne pas savoir « à quelle sauce on va être mangé » inquiète donc légitimement les citoyens. Il n’y a pourtant pas vraiment de quoi…

85 % des transmissions en ligne directe sont exonérées

Dans un entretien à LVSL, l’économiste Nicolas Frémeaux rappelait ainsi qu’ « environ 85-90 % des transmissions en ligne directe, entre parents et enfants, sont exonérées ». En effet, dans le système actuel, chaque parent peut ainsi donner à chaque enfant 100 000 euros tous les 15 ans en toute franchise d’impôt, et le même abattement s’applique au moment du décès. Cet abattement exonère de fait une grande majorité des Français de cet impôt, l’héritage médian s’élevant à 70 000 euros.

Dans le système actuel, chaque parent peut donner à chaque enfant 100 000 euros tous les 15 ans en toute franchise d’impôt.

De plus, un grand nombre d’abattements peuvent se cumuler entre eux, mais aussi s’additionner dans le temps puisque tous sont « remis à zéro » tous les 15 ans. En plus de l’abattement de 100 000 euros pour chaque parent, il existe un abattement de 31 865 euros de chaque grand-parent à chaque petit-enfant. Et d’autres abattements viennent encore s’y rajouter en fonction du type de biens. Ainsi, 31 865 euros peuvent s’ajouter à cela s’il s’agit de « dons familiaux de sommes d’argent » pour chaque parent et grand-parent.

Ainsi, en commençant à lui donner dès sa naissance (ce qui arrive dans les familles riches anticipant leurs transmissions), un individu peut avoir reçu à 45 ans 1,3 million d’euros en toute franchise d’impôt. Si on ajoute à cela l’abattement sur les « dons familiaux de sommes d’argent » (uniquement valables pour les majeurs), on frôle même les 1,7 million d’euros reçus de la part de ses parents et grands-parents à 45 ans sans aucune imposition. Cela permet donc à un individu de faire partie des 1 % les plus riches, sans avoir travaillé ni payé le moindre euro d’impôt ! On comprend mieux pourquoi l’impôt sur les donations et les successions a un rendement si faible en France : ses recettes sont de 17 milliards d’euros, ce qui représente seulement 0,7 % du PIB alors que les transmissions patrimoniales représentent chaque année 15 % du PIB !

Les régimes dérogatoires ne profitent qu’aux plus riches

Mais la fête n’est pas finie. La résidence principale pourra aussi bénéficier de 20 % d’abattement sous certaines conditions (relativement restrictives). Dans les autres cas, le démembrement de propriété pourra être effectué : ce mécanisme permet de transmettre à ses héritiers un bien immobilier tout en continuant à l’habiter. Le bien immobilier est alors sous-évalué, en moyenne de 30 %, du fait de cette occupation par les donataires. Le Conseil d’analyse économique (CAE), un service rattaché à Matignon mais réunissant des universitaires indépendants, évalue le coût de ce mécanisme entre 2 et 3 milliards d’euros. Pour l’immobilier, rajoutons enfin l’effacement des plus-values latentes : ainsi, la plus-value, parfois colossale, réalisée sur un appartement parisien sera « effacée » lors de la transmission, alors que ce surplus de revenu devrait logiquement être d’autant plus taxé qu’il est obtenu sans grand effort…

Le cumul des abattements et des régimes dérogatoires permet de réduire à portion congrue la fiscalité des transmissions.

Il faut ajouter à cela des régimes dérogatoires : celui de l’assurance-vie, complexe, mais qui permet de réduire drastiquement, voire d’annuler complètement, l’impôt sur les transmissions de contrats d’assurance-vie, même lorsque ces derniers sont très fournis (coût de 4 à 5 milliards en ne comptabilisant que les contrats supérieurs à 152 500 euros selon le CAE). Mais aussi le Pacte Dutreil pour les transmissions d’entreprises. Partant d’une justification louable – pouvoir transmettre l’outil de travail d’une génération à une autre sans être obligé de le revendre à la découpe – celui-ci constitue toutefois « probablement le dispositif fiscal dont les effets sont les plus concentrés dans le haut de la distribution des héritages » selon le CAE. Par étonnant, puisque les biens professionnels représentent moins de 10 % du patrimoine total jusqu’au seuil des 0,1 % les plus fortunés, 30 % au seuil des 0,01 % et plus de 60 % pour les 0,001 % les plus fortunés (soit 380 foyers fiscaux). Ainsi, plus on est riche, plus l’on bénéficie de cette niche au coût estimé entre 2 et 3 milliards d’euros. Elle permet par exemple de transmettre une entreprise à 100 millions d’euros en ne payant que 5,3 % d’impôt dessus ! D’autant plus que du point de vue de l’efficacité économique, les héritiers ne sont que rarement les meilleurs dirigeants pour l’entreprise transmise

Nul n’est censé ignorer la loi… fiscale !

Ainsi, le cumul des abattements et des régimes dérogatoires permet de réduire à portion congrue la fiscalité des transmissions. Mais cela complexifie grandement le système fiscal, ce qui a un effet doublement négatif.

D’une part, du fait de cette complexité, les Français connaissent très mal la réalité de cet impôt. D’après une étude de France Stratégie, la majorité des personnes interrogées pense que le taux moyen de l’impôt sur l’héritage payé est supérieur à 10 % et plus d’un tiers (36 %) l’estiment supérieur à 20 %. Seuls 9 % des répondants estiment qu’il est inférieur à 5 %, ce qui correspond pourtant à la réalité : le taux payé est en moyenne de seulement 5 %, et même de 3 % si l’on compte uniquement les héritages en ligne directe. Si la plupart des citoyens surestiment largement le taux d’imposition de l’héritage, il peut leur paraître juste de vouloir le baisser.

Si la plupart des citoyens surestiment largement le taux d’imposition de l’héritage, il peut leur paraître juste de vouloir le baisser.

D’autre part, la complexité fiscale bénéficie toujours à ceux qui connaissent le mieux le système, ou plutôt à ceux qui ont les moyens de payer des experts pour les conseiller. Ainsi, les comptables de nos compatriotes les plus aisés n’auront aucun mal à jongler avec les différentes niches fiscales afin de leur assurer un impôt minimal. À l’inverse, une personne n’ayant pas anticipé son héritage, pourra payer 18 000 € d’impôts sur une petite maison à 200 000 euros que lui léguerait son père, une somme pas toujours évidente à débourser sans économies préalables. De même, beaucoup de Français ont en tête des exemples de transmission en ligne indirecte, mais à une personne proche (par exemple à son filleul) qui ont été très injustement taxées : on devra ainsi payer par exemple plus de 5 000 euros d’impôts pour recevoir une voiture dont la valeur est estimée à 10 000 euros… De tels exemples ne peuvent que conforter les français dans leur sentiment d’injustice vis-à-vis de cet impôt.

Il ne faut pas non plus négliger l’affect entourant cet impôt : les milieux conservateurs, dans une stratégie de diabolisation de cet impôt, le surnomment « l’impôt sur la mort », expression importée des républicains américains. Cela peut trouver un écho chez certains de nos concitoyens pour qui le paiement de cet impôt et les démarches administratives l’accompagnant surviennent à un moment compliqué de leur vie. Ce questionnement dépasse ainsi le monde des économistes et on retrouve étonnamment cette volonté de transmettre le fruit de son travail à ses descendants jusque dans la pop culture, comme le montre par exemple ces paroles du rappeur belge Damso « Mes meilleurs amis sont mes appartements, j’meurs, ils s’ront là pour mon fils ». Il serait donc abusif de réduire le ressentiment des citoyens à l’égard de cet impôt à sa seule méconnaissance, même si cela a bien sûr un effet non négligeable.

À l’inverse, la quasi-totalité des économistes, quelles que soient leurs écoles de pensées, prônent une refonte en profondeur de cet impôt, et surtout le durcissement de son barème afin de générer des recettes fiscales supplémentaires. Les rapports de think tanks et d’instituts reconnus se sont ainsi succédés sur le sujet : France Stratégie, Commission Blanchard-Tirole, OCDE, Intérêt général et plus récemment le Conseil d’analyse économique. Des personnalités du monde économique, comme Thomas Piketty, et de la sphère politique, comme Jean-Luc Mélenchon, ont également avancé des propositions de réforme en ce sens. À tel point que le sujet s’est immiscé dans la campagne présidentielle, obligeant tous les candidats à prendre position sur la fiscalité de l’héritage.

A droite, jouer sur les peurs pour réduire l’imposition des riches

Les lignes de fracture autour de cette question sont bien nettes : on observe un véritable clivage gauche-droite. À droite, dans une perspective clairement électoraliste, les candidats veulent profiter du fait que les Français détestent l’impôt sur l’héritage et proposent des mesures d’allègement de la fiscalité des transmissions. Ils entretiennent les peurs fantasmées et alimentent l’imaginaire des électeurs, en le décrivant par exemple comme un « impôt sur la mort » ou en faisant miroiter l’impossibilité de transmettre la maison familiale ou les revenus d’une vie de travail, jouant souvent de la méconnaissance des électeurs : contrairement à ce que veulent faire croire les partis de droite, les patrimoines imposés ne sont que très rarement issus du travail mais bien plus souvent des capitaux immobiliers et financiers des plus riches.

Contrairement à ce que veulent faire croire les partis de droite, les patrimoines imposés ne sont que très rarement issus du travail mais bien plus souvent des capitaux immobiliers et financiers des plus riches.

Ainsi, Valérie Pécresse et Éric Zemmour s’accordent pour augmenter les montants transmissibles sans frais à 200 000 euros, tandis que la candidate LR est d’accord avec Marine Le Pen pour diminuer la fréquence à laquelle l’abattement est réinitialisé : de tous les quinze ans actuellement, elles souhaitent la diminuer à six ans et dix ans respectivement. Le montant transmis sans imposition serait ainsi largement augmenté, mais ne profiterait qu’à ceux qui utilisent le maximum des défiscalisations actuelles, c’est-à-dire uniquement les grosses transmissions. En souhaitant « supprimer les droits de successions pour 95% des Français » alors que 85 % en est déjà exonéré, c’est bien les classes supérieures aisées que Valérie Pécresse veut avantager, à savoir une part non négligeable de son électorat.

De fait, cette suppression des droits sur 95 % des Français profitera surtout aux 5 % les plus riches, qui pourront se débrouiller pour transmettre 200 000 euros à chaque enfant tous les six ans (donc par exemple 1,2 million tous les six ans pour un couple avec trois enfants). Or, les plus riches sont aussi ceux qui connaissent le mieux les règles pour optimiser leurs impôts. Ils n’auront donc aucun mal à anticiper leur transmission en jouant avec ces abattements tous les six ans pour ne jamais payer d’impôt, ni de leur vivant, ni à leur mort. Car bien sûr, aucun candidat à droite ne souhaite modifier le barème supérieur de cette fiscalité, ni les niches existantes qui profitent essentiellement aux plus hauts patrimoines d’après le rapport du CAE précité, entretenant de fait les multiples exonérations dont bénéficient les très hautes transmissions, et exacerbant ainsi les inégalités de patrimoine. Valérie Pécresse, qui est en tête des patrimoines parmi les candidats à l’élection présidentielle, n’aura par exemple aucun mal à transmettre ses 9,3 millions de patrimoine à ses enfants sans payer le moindre euro d’impôt, si son programme venait à s’appliquer.

Emmanuel Macron : des propositions clairement positionnées à droite

Ces positions apparaissent pourtant en contradiction même avec l’idéologie économique libérale portée par les candidats de droite : l’héritage constitue en effet une rente, qui échappe à l’allocation optimale des actifs et empêche les entrepreneurs privés de celle-ci d’utiliser leur talent. La méritocratie se retrouve mise à mal : quel mérite y-a-t-il à hériter d’une immense fortune ? Même les rapports des économistes orthodoxes précités (CAE, Blanchard-Tirole), loin de pouvoir être qualifiés de marxistes, se sont prononcés en faveur d’une plus forte taxation des hautes successions.

Aujourd’hui, le président-candidat a changé son fusil d’épaule, se classant sans contestation possible dans les candidats de droite, puisqu’il propose d’augmenter l’abattement sur les successions en ligne directe.

Emmanuel Macron lui-même l’énonçait en 2016 : « si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer par exemple la taxation sur la succession aux impôts de type ISF. » Aujourd’hui, le président-candidat a changé son fusil d’épaule, se classant sans contestation possible dans les candidats de droite, puisqu’il propose d’augmenter l’abattement sur les successions en ligne directe à 150 000 euros, contre 100 000 euros aujourd’hui. Pour les lignes indirectes, il propose d’unifier l’abattement à 100 000 euros, alors que celui varie entre 1 594 et 15 932 euros actuellement. Cette réforme s’inscrit donc dans la droite ligne de sa politique fiscale en faveur des plus riches depuis cinq ans, mais il le justifie en indiquant qu’il faut pouvoir « transmettre les fruits de son travail » ou encore comme une réforme « pragmatique » et de « bon sens ». Il continue son travail de détournement du sens des mots entrepris depuis cinq ans : cette réforme permettra un peu plus de perpétuer les dynasties familiales qui n’ont rien à voir avec la transmission du fruit d’un quelconque travail et elle n’a rien de « bon sens » puisque les experts du sujet recommandent justement tout l’inverse.

Les propositions à gauche : réduire les inégalités en taxant les hauts héritages

À gauche, les candidats s’entendent sur un principe directeur : taxer davantage les grosses successions afin de réduire les inégalités. Anne Hidalgo, qui reprend le projet de loi de la député Christine Pirès-Beaune, Fabien Roussel et Yannick Jadot disposent de plusieurs leviers pour accomplir cet objectif. Tout d’abord, le barème des taux d’imposition peut être modifié, en augmentant le taux d’imposition de la tranche la plus élevée comme propose Anne Hidalgo (de 45 % actuellement à 60 %) ou en effectuant une refonte du barème : Fabien Roussel souhaite accentuer la progressivité en doublant le nombre de tranches et fondant le montant de l’imposition à la fois sur la valeur des biens transmis mais aussi sur les capacités financières des donataires et héritiers. Ensuite, une partie des niches fiscales serait supprimée pour éviter que les plus riches ne puissent échapper à l’imposition par l’optimisation fiscale, à l’image de ce que proposent, sur le principe, Fabien Roussel ou Yannick Jadot, ainsi que Christine Pirès-Beaune en voulant supprimer les exonérations liées à l’assurance-vie et en calculant le montant taxé sur les successions reçues tout au long de la vie, et non seulement sur une période de quinze ans. Concernant les facilités de transmission des entreprises, via le pacte Dutreil notamment, seul Fabien Roussel semble vouloir les supprimer. Ces mesures pourraient alors permettre de rapporter à l’État entre 7 et 10 milliards d’euros, qui pourraient être utilisés à de nombreuses fins.

Afin de rendre ces mesures plus acceptables auprès des Français, le second volet des propositions des candidats de gauche vise à élargir les donations non taxées, notamment en augmentant le seuil d’abattement, avec toutefois des différences selon les candidats : de 100 000 euros actuellement, il atteindrait 170 000 euros pour Fabien Roussel, 200 000 euros pour Yannick Jadot et 300 000 euros pour Anne Hidalgo. Yannick Jadot propose de plus de pouvoir transmettre avec ce même barème à ses petits-enfants, tandis que la proposition PS défend la suppression de barèmes différents entre ligne directe ou indirecte.

Jean-Luc Mélenchon : une réforme à la hauteur des enjeux

Premier candidat à l’élection présidentielle à s’être positionné sur le sujet, Jean-Luc Mélenchon apporte la proposition la plus construite et la plus ambitieuse, correspondant aux grands principes défendus dans ces colonnes il y a quelques mois et dans la note numéro 11 du laboratoire d’idées Intérêt Général. Le principe de taxer les plus grosses donations s’incarnerait par la mesure emblématique d’un plafond maximum d’héritage de 12 millions d’euros, soit 100 fois le patrimoine médian en France ; mesure qui peut apparaître comme radicale mais qui permet toujours de transmettre d’importantes fortunes, équivalentes à 8 siècles de SMIC. Ensuite, l’Avenir en commun propose d’harmoniser la fiscalité des donations et des héritages en supprimant les remises à zéro des abattements tous les quinze ans existant actuellement. Finalement, l’abattement serait augmenté, à 120 000 euros dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, mais les transmissions seraient ensuite taxées plus progressivement afin de profiter à 99 % de la population ; avec cette réforme, seul 1 % des français verrait son taux augmenter. Mais la fiscalité augmenterait très fortement sur ces 1 %, afin de financer la baisse sur les plus petits patrimoines mais aussi pour augmenter les recettes fiscales générales de cet impôt.

La fiscalité augmenterait très fortement sur les 1 % les plus riches, afin de financer la baisse sur les plus petits patrimoines mais aussi pour augmenter les recettes fiscales générales de cet impôt.

Outre cette baisse d’impôt pour l’immense majorité des Français, le programme du candidat de l’Union Populaire favorise son acceptation par la population en augmentant le choix possible des héritiers, puisqu’il serait possible de transmettre avec le même barème qu’à ses enfants en ligne directe aux bénéficiaires de « l’adoption sociales », forme de contrat d’entraide entre deux personnes. Les sommes récoltées grâce à cette réforme de la fiscalité de l’héritage, autour de 17 milliards d’euros au total, permettraient par exemple de financer la « garantie autonomie » proposée par Jean-Luc Mélenchon pour les jeunes de plus de 18 ans détachés du foyer fiscal de leurs parents, c’est-à-dire une allocation mensuelle d’un peu plus de 1000 euros.

Les enjeux liés à la fiscalité des transmissions, et à ses conséquences sur l’évolution des inégalités de richesse dans notre société, nécessitent ainsi un véritable débat démocratique, reposant sur la confrontation de ces projets antagonistes. En effet, en l’absence de contradicteur, il est facile pour les candidats de jouer sur l’affect des Français et de leur promettre de pouvoir transmettre le « fruit de leur travail », insinuant qu’ils ne pourraient pas le faire avec les autres candidats, ce qui est parfaitement faux. Nous l’avons vu, tous les candidats ont des propositions concrètes sur le sujet et devraient être en mesure de confronter leurs projets devant les Français, afin que ceux-ci, pleinement conscients des modalités et des enjeux, puissent se faire un avis réfléchi et éclairé sur la question.

« We, The Revolution » : l’histoire française est-elle passée à la guillotine ?

La justice décapitée par les factions révolutionnaires ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

En France, on la retrouve partout sur les frontons, dans les discours, les livres d’histoire : mythe fondateur de la République, la Révolution est indéniablement le monument de tous les monuments. Mais est-ce un édifice inébranlable ? C’est tout l’enjeu du fascinant We, The Revolution, jeu vidéo développé par un studio polonais, sorti le 21 mars, et d’ores-et-déjà annoncé comme un succès du jeu indépendant. À travers Alexis Fidèle, juge du tribunal révolutionnaire, le joueur parcourt cette époque fondatrice, de la chute de la monarchie aux temps qui suivent le renversement de Robespierre. Dans une atmosphère dépeinte comme sombre et vénéneuse, on utilise la guillotine comme arme politique pour se hisser parmi les grands : bien plus que les idéaux, ce sont les violences et contradictions qui sont au cœur de ce palpitant récit. Mais à la fin, ne serait-ce pas la Révolution qui se fait guillotiner ?


Et si au moment de commencer votre weekend, vous entendiez une petite voix vous proposer de remplacer vos plans par un voyage dans le temps ? Résisteriez-vous bien plus longtemps s’il s’agissait plus précisément de partir en immersion au cœur de la Révolution française ? Cette promesse tentatrice est celle du jeu vidéo polonais We, The Revolution. Vous ne seriez pas la première personne à tirer les rideaux de votre chambre et, dans la pénombre, laisser votre weekend naissant passer sous la guillotine de cette fresque.

Aussi, risqueriez-vous d’en ressortir hanté par les vociférations de la Terreur et une vision aussi obscure que criminelle de cette période pourtant sacrée. Puissante œuvre d’art, outil d’une propagande sacrilège, ou encore, moment d’apprentissage des politiques manipulatoires… Qu’est-ce que We, The Revolution ?

Image We the Revolution ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

Une sombre épopée dans la peau d’Alexis Fidèle, juge révolutionnaire

Sorti le 21 mars 2019 et déjà fort de son succès auprès d’un certain public de joueurs et des médias spécialisés, We The Revolution est d’ores-et-déjà assuré de marquer le jeu indépendant cette année. Alors que les grands studios de production vidéo-ludiques portent à l’écran toujours plus de sophistication et de complexité graphique, la petite équipe polonaise de Polyslash a fait un tout autre pari : l’atmosphère de leur jeu repose sur une puissance illustrative originale et proche de la bande-dessinée, qui fait se déployer l’histoire à travers la force des couleurs, des personnages et des symboles. Un choix audacieux et fort pertinent pour nous immerger dans la très mythologique période révolutionnaire. C’est que la sensation d’intimité avec la Révolution nous fait très vite plonger dans l’histoire.

Le joueur y incarne le personnage fictif d’Alexis Fidèle, un juge du tribunal révolutionnaire qui siège dans la première moitié des années 1790 : à travers ses yeux mais aussi ses actes, on projette notre conscience dans une époque où se côtoient et s’affrontent Louis XVI, Robespierre, Danton, mais aussi d’autres figures moins célèbres telles que Hébert, Pache, Roland ou encore Fouquier-Tinville. Très rapidement, Alexis Fidèle voit ses proches embarqués par la force des choses, dans l’immense et ici sombre odyssée révolutionnaire. L’atmosphère de profonde instabilité mêlée au poids de la sanglante guillotine pénètrent de manière venimeuse un joueur confronté très vite et en permanence à de lourds dilemmes moraux. Pour les amoureux de la période, l’effet addictif est sans limite.

C’est ainsi que We, The Revolution, utilise la petite histoire pour amener son public à la grande.

Comme dans des films hollywoodiens qui se déroulent sur fond historique, tels que The Patriot ou Gladiator, le personnage principal est un illustre inconnu dont le destin se mêle aux grands qui marquent l’histoire de leur temps, au prix de grandes souffrances pour lui et sa famille. Deux fils, une compagne et un vieux père donnent à Alexis Fidèle une épaisseur très humaine. C’est ainsi que We, The Revolution utilise la petite histoire pour amener son public à la grande. À cette différence près que le jeu ne nous embarque pas uniquement pour une poignée d’heures mais potentiellement quelques dizaines : l’empathie et l’identification produites avec ce personnage forment un puissant canal d’émotions, propice à la transmission d’une certaine vision de la Révolution. Et c’est bien aussi cela dont il s’agit car comme œuvre d’art de masse, ce jeu vidéo est à la fois le produit d’une volonté d’expression et un objet actif dans les champs des consciences, de la culture et donc, de la politique.

Alexis Fidèle et sa guillotine ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

We, the anti-Revolution ?

Vous ne l’avez peut-être pas encore compris, mais We, The Revolution ne transmet pas exactement une vision positive de la Révolution. Il serait d’autant plus mal avisé de l’offrir à Jean-Luc Mélenchon pour son anniversaire, que certains se souviendront peut-être de sa réaction critique à la sortie de Assassin’s Creed Unity en 2014. Dans ce jeu aussi, l’éclat et les idéaux de la Révolution sont très vite écartés au profit d’une atmosphère sombre et cynique : la guillotine, le sang et les viles manipulations sont le refrain de cette geste dont le fil rouge n’est autre que l’escalade vers la violence et la déliquescence de leaders révolutionnaires, bestialisés jusque dans leur représentation graphique.

Quant aux petites gens du peuple, le jeu nous les rend moins sympathiques encore que les gilets jaunes sur BFMTV un samedi après-midi. Là où dans Un Peuple et son roi (2018), le réalisateur Pierre Schoeller avait fait le choix de rapprocher la focale et le public des parcours de vie des sans-culottes, We, The Revolution en donne une image relativement grégaire et déshumanisée. On retrouve la vision offerte par des penseurs comme Gustave Le Bon, auteur de Psychologie des Foules (1895), pour qui les révolutions consistent en un effondrement des freins sociaux du peuple, libérateur des pulsions destructrices de la masse. En contraste, les monarchistes et aristocrates n’occupent dans le jeu qu’une position très secondaire : représentés très souvent sous des traits plus doux et délicats, ils occupent presque immanquablement la position de victimes et de bouc-émissaires sans que leurs rôles et responsabilités ne soient jamais présentés comme des facteurs de radicalisation du processus révolutionnaire.

La foule après une exécution ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

Conscient ou non, ce parti-pris laisse des angles morts importants sur la période. Sur les motivations de la Révolution, le jeu n’évoque que peu ou pas, les libertés et acquis sociaux ou politiques obtenus, de l’abolition des privilèges et de l’égalité des droits, à l’affirmation de libertés religieuses et politiques alors inédites. De même, We,The Revolution ne met presque pas en scène les résistances de la puissante aristocratie française et le poids des coalitions monarchiques européennes envoyant des centaines de milliers de soldats contre la France, éléments qui viendraient donner une explication à la violence des gouvernements révolutionnaires. Les faiblesses de la contextualisation en laissent ainsi une impression caricaturale des révolutionnaires qui apparaissent alors avant tout comme des arrivistes assoiffés de sang et de pouvoir : le joueur lui-même est bien moins affairé à sauver la Révolution qu’à manigancer en s’alliant et/ou trahissant jacobins, girondins, partisans de Danton, Hébert ou encore Robespierre.

Robespierre et Hanriot, sombrement dépeints ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

Comme pour Assassin’s Creed Unity, le jeu vidéo vient percuter la mythologie française en questionnant violemment le sens de cette Révolution qui est le récit fondateur, la Genèse quasi-biblique de notre République, presque comme une religion. Rappelons que le débat a bien entendu longtemps occupé les intellectuels : au siècle dernier, là où des historiens comme Georges Lefebvre et Albert Soboul ont pu affirmer la Révolution (y compris les temps Robespierristes de 1793-1794) comme une lutte populaire ou de classe, d’autres comme François Furet ont dénoncé ses crimes et le despotisme de ses dirigeants. Bien entendu, la polémique est passée du champ académique à la sphère du débat public et We, The Revolution met le joueur devant le dilemme très symbolique d’envoyer (ou pas) le « pauvre » Louis XVI à la guillotine. En 1793, Robespierre disait : « Louis doit mourir pour que la patrie vive ». En juillet 2015, un jeune politicien méconnu du nom d’Emmanuel Macron adressait comme une réponse à travers les âges au leader jacobin : « Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! »

Le jeu vidéo vient percuter la mythologie française en questionnant violemment le sens de cette Révolution qui est le récit fondateur, la Genèse quasi-biblique de notre République.

Si We, The Revolution vient plutôt conforter le deuxième que le premier, et s’attaque fortement au monument révolutionnaire, l’intérêt de ce jeu polonais est peut-être moins de parler de la Révolution française en particulier, que de mettre en lumière les rouages de la bataille pour le pouvoir. À l’instar du Prince (1532) de Machiavel, ne peut-on pas voir dans cette œuvre une leçon de réalisme, fut-elle cynique et amorale, sur la politique en général ?

Ouverture du procès de Louis XVI par Alexis Fidèle ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

Un jeu politique sur le jeu politique

À travers le juge Fidèle, le joueur découvre très rapidement un univers judiciaire entaché par les jeux d’influence, les dettes et les services rendus : le premier prévenu rencontré depuis le pupitre n’est autre que Frédéric Fidèle, le très jeune fils d’Alexis, accusé de violences à l’égard d’un petit voisin. Déjà apparaît la tentation d’épargner sa progéniture, de contenter sa compagne, et d’envoyer des hommes de main pour intimider les plaignants. Bien entendu, tout finit par se savoir dans le Paris révolutionnaire et il faut savoir tour à tour épargner et investir sa réputation comme un capital toujours fluctuant. Aux côtés du célèbre accusateur Fouquier-Tinville qui veille à la condamnation de tout crime et à la bonne tenue des procès, on apprend rapidement à composer.

Il s’agit de soutenir Danton, Hébert et d’autres grandes figures, ou bien de les faire décapiter en orientant leurs procès.

Cette justice sans majuscule se trouve rapidement éloignée de l’idéal pour apparaître comme une forme de pouvoir aussi corruptible que les autres. Nommer des alliés à des postes clefs du système judiciaire ? Vous le ferez. Couvrir et dévoiler les scandales afin de renforcer votre position politique ? Vous le ferez. Déclencher des violences pour pouvoir ensuite les réprimer ? Vous le ferez également, et bien pire encore. Ainsi, lorsque le commandant Hanriot nous demande de l’autoriser à utiliser le feu des armes contre les manifestants, on ne peut s’empêcher de penser aux LBD, au cas d’Alexandre Benalla ou encore aux manipulations effectuées par le parquet pour protéger ce dernier. De la nomination de Rémy Heitz, très proche du pouvoir, comme procureur de la ville de Paris, à la perquisition judiciaire effectuée chez Mediapart, pourtant à la pointe des investigations sur la dite affaire, le fait du prince n’est jamais loin.

Dans We, The Revolution aussi, on reçoit à son pupitre les courriers de puissants personnages nous demandant d’intercéder en leur faveur et outre la magistrature, le jeu offre la possibilité de faire appel à des hommes de main pour arriver à ses fins : à son service, on trouve le brutal Clovis (sorte de Vincent Crase de l’époque révolutionnaire), ainsi que le diplomate, Jacques-Louis David, et Ramel, le conspirateur (dans un style plus proche de Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri). Les relations familiales jouent également un rôle primordial dans les stratégies d’influence, nous rappelant que dans ces sphères, vies privée et publique sont perpétuellement entremêlées : derrière Alexis Fidèle comme chez tout homme ambitieux, on trouve une clique qui s’active et pour qui la fin justifie les moyens.

Alexis Fidèle et Ramel, conspirant contre Robespierre ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

Rapidement le juge cesse ainsi d’être un simple caporal au service des généraux : usant tantôt de la ruse du renard, tantôt de la force du lion, il devient lui-même un homme politique, avec des objectifs, des intérêts à défendre, des alliés et des ennemis. Le joueur peut ainsi décider de soutenir Danton, Hébert et d’autres grandes figures, ou bien de les faire décapiter en orientant leurs procès avec des questions bien tournées. Toutefois, dans les petites comme les grandes affaires, aucun verdict ne tombe sans produire des effets positifs ou négatifs au sein des différentes factions (le peuple, les révolutionnaires et les aristocrates) et l’on ne saurait survivre sans l’art de ménager les uns et les autres. Le jeu offre toujours la possibilité de prendre la parole avant que ne s’abatte la guillotine et d’affirmer ainsi son rôle de tribun et sa réputation auprès du peuple. Cet art oratoire et manipulatoire sert également lors de négociations avec toutes sortes d’interlocuteurs, du garde ronchon qui refuse de fermer les yeux sur un méfait que l’on a commis, à un député, ou au maire de Paris lui-même que l’on cherche à rallier à sa cause.

Clientélisme, corruption, stratégies d’influence et trahisons : c’est notamment ce que les joueurs de We, The Revolution découvrent de la politique locale et nationale à travers un gameplay très proche du célèbre jeu indé Papers, Please ! (2013). Divisé en trois actes, ce jeu nous amène progressivement d’une histoire basée sur des faits réels à son détournement quasi-total au profit d’une fiction très libre : l’histoire d’Alexis Fidèle nous donne à sentir comment une saga familiale conduit tout autant qu’elle subit tragiquement la force des grands événements.

Là où la Révolution a justement consisté à faire chuter les idoles, la fiction offre au joueur l’expérience de ce même pouvoir grisant, et c’est peut-être ce qui rend ce jeu si vénéneux et fascinant

Vous l’aurez compris, qu’on l’aime ou pas, et qu’il le veuille ou non, We, The Revolution contribue à forger les imaginaires sur la politique, la Révolution et l’histoire française. Là où la Révolution a justement consisté à faire chuter les idoles, la fiction offre au joueur l’expérience de ce même pouvoir grisant, et c’est peut-être ce qui rend ce jeu si vénéneux et fascinant : en mettant en scène les pulsions et le passage à l’acte, et en embarquant les joueurs dans cette spirale, il se fait l’iconoclaste d’une période légendaire. Au risque de lui-même passer à la guillotine de la critique historienne et politique.

La justice décapitée par les factions révolutionnaires ©Capture d’écran : We, The Revolution, Polyslash

 

 

Contre le grand débat macronien, la leçon démocratique des gilets jaunes

Paris le 24 novembre 2018 © Matis Brasca

Annoncé le 18 décembre dernier lors d’une allocution du président Macron en réponse au mouvement des gilets jaunes, le grand débat national est donc lancé depuis bientôt un mois. En encadrant l’envie débordante d’expression démocratique mise en avant par les Gilets jaunes, l’exécutif espère ainsi trouver un peu de répit avant l’échéance électorale des européennes. Mais le peu d’enthousiasme pour ce grand débat pourrait vite le détromper, tout comme il constitue une opportunité pour le mouvement de contestation de se solidifier davantage.   


“À l’initiative du Président de la République, le gouvernement engage un grand débat national sur quatre thèmes qui couvrent des grands enjeux de la nation : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’État et des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté.” Par ces mots, qui figurent sur la page d’accueil du site gouvernemental consacré à ce grand débat national, le gouvernement donne suite à l’annonce faite par le président Macron le 18 décembre dernier, en organisant sur l’ensemble du territoire ce qu’il définit comme une “concertation d’ampleur nationale, qui a pour objectif de redonner la parole aux Français sur l’élaboration des politiques publiques qui les concernent”.

Complété par la désormais fameuse lettre présidentielle adressée aux Français et une distribution de “kits d’organisation et de présentation” dans les mairies qui doivent l’accueillir, il semble cependant que ce grand débat ait déjà du plomb dans l’aile. De la polémique autour du coût de son organisation, à la suspicion qu’il ne soit en fait qu’une campagne déguisée de La République en Marche pour les prochaines élections européennes, il est même évident qu’il soit passé à côté de son objectif. Preuve en est : le boycott revendiqué de ce débat par les principales figures du mouvement des gilets jaunes, et le succès de la plateforme alternative appelée “le Vrai débat”.

Comment expliquer dès lors, malgré un travail médiatique construisant l’image d’un débat pacifié comme catharsis face aux violences des dernières manifestations, et celle d’un président prêt à mouiller la chemise plusieurs heures durant face à des assemblées de maires, que l’engouement ne soit pas au rendez-vous (seulement 27% des Français comptent ainsi y participer) ? Sans doute parce que les Français, et parmi eux les Gilets jaunes, n’ont pas la mémoire si courte.

Le “grand débat”, une formule déjà usée

Du débat sur l’aménagement du territoire organisé en 1993 par le gouvernement d’Édouard Balladur au grand débat polémique de 2009 sur l’identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy, sans oublier encore les débats plus confidentiels de la présidence de François Hollande sur les vaccins ou la transition énergétique, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement en proie à la contestation – ou plus simplement jugé en manque de contact avec les Français – annonce l’organisation d’une grande consultation démocratique. Relevant la plupart du temps de l’effet d’annonce, et rarement suivi de changements institutionnels (mis à part la loi Fillon de 2005 dans la foulée d’un grand débat sur l’éducation), le grand débat à l’échelle nationale semble cependant être une idée relativement nouvelle en France. Profondément reliée à l’érosion du cadre politique et démocratique depuis plusieurs décennies, elle se fonde sur ce que le philosophe allemand Habermas appelle une “éthique de la discussion”. Cette éthique entend placer par-dessus tout la recherche du compromis au-delà des intérêts particuliers des participants à la discussion, et dynamiser ainsi une démocratie libérale considérée comme un horizon indépassable (ceci explique au passage le succès des thèses d’Habermas dans le cadre de la construction européenne). Une démocratie, donc, dont le peuple n’est alors plus totalement considéré comme étant le souverain au sein d’un Etat-nation, et que l’on ne reconnaît pas comme une entité rationnelle, mais plutôt comme le public d’une discussion : un public multiple, à la rationalité limitée, et qui doit être encadré notamment par des experts, tout comme il doit encadrer en retour l’action des institutions auxquelles il est attaché.

Derrière la mise en scène de la participation populaire au processus de décision politique à travers une telle discussion, on comprend que ce grand débat cache une conception de la démocratie conçue par les gouvernants et les spécialistes qui les accompagnent, comme un art du contournement et du détournement. Une “démocratie d’élevage” selon le terme de Laurent Mermet, où gouverner n’est plus seulement choisir mais aussi ne pas choisir, selon un calcul avantages/coûts emprunté à l’économie libérale. Cette mise en scène, dont l’autre objectif est de réalimenter la légitimité du pouvoir macronien en rejouant aux quatre coins de la France le récit qui l’avait mené à la victoire en 2017, a au final l’effet inverse au moment où le besoin quasi pathologique du président de la République de faire des petites phrases a tendance à faire tomber les masques.

Un macronisme à bout de souffle et débordé

Devenu le principal promoteur de ce grand débat national dans un cadre taillé pour lui par la Commission nationale du débat public et les éditorialistes des plateaux télévisés, le président Macron prend en fait un risque important. En se mettant sous les projecteurs au contact de cette France qui a voté pour lui, et qui aujourd’hui soutient majoritairement les gilets jaunes, il joue ainsi un jeu d’équilibriste entre la figure de grand dynamiteur de la scène politique (qui l’a mené au pouvoir) et celle du président jupitérien planant au dessus des contingences, comme les institutions le lui permettent. Un “en même temps” dont Emmanuel Macron a fait sa signature et qui lui permet encore de faire mouche auprès de sa base, malgré les sorties régulières et destructrices du point de vue communicationnel auxquelles il se livre dans la presse.

Mais loin de ressusciter l’engouement de la campagne de 2017, cette participation du président au débat à travers la France révèle en fait l’usure d’un pouvoir incapable de se remettre en question, et surtout l’usure d’une langue macroniste qui tourne à vide. Preuve en est, le récent appel désespéré à l’implication de la jeunesse dans le grand débat, après avoir pourtant affirmé il y a quelques mois à cette même jeunesse qu’elle devait avoir un diplôme avant de vouloir exister…

Cette usure dévoile le logiciel cassé, autant idéologiquement – celui du néolibéralisme – que politiquement – celui de la Ve République –  de ce pouvoir macroniste engagé dans une fuite en avant mêlant autoritarisme et complotisme de bas étage, mâtiné d’une langue technocratique réduisant le débat attendu par les Français à un choix superficiel entre différents postes de dépenses publiques, à alimenter ou non.

S’il entérine l’échec du macronisme, le grand débat a cependant pour deuxième effet de révéler l’intelligence politique profonde du mouvement des Gilets jaunes. En effet, ce dernier a bien compris l’opposition en train de se préciser autour de la conception de la démocratie, dont il amorce véritablement un débordement salutaire -comme le montrent les sept propositions ayant émergé en direct sur le plateau de Cyril Hanouna face à une Marlène Schiappa déconfite. Refusant de se laisser piéger par les cahiers de doléances des mairies, le mouvement a donc organisé sa propre plateforme, intitulée “le Vrai débat”. S’appuyant sur les mêmes outils que ceux fournis au gouvernement par la Commission nationale du débat public pour l’organisation du grand débat, le Vrai débat propose une réflexion autour de sept thématiques sur lesquelles tout un chacun peut écrire une proposition détaillée, voter à propos de l’une ou l’autre, ou s’exprimer librement. La plateforme met ainsi en avant une volonté d’interaction et de transparence absente de celle du grand débat gouvernemental, où la participation se fait majoritairement sur des sujets techniciens de fiscalité et dépenses publiques quand la thématique démocratique est celle qui mobilise le plus sur le Vrai débat.

Par le fond et par la forme que prend cette organisation alternative, portée par un mouvement qui depuis ses origines refuse les cadres établis, se dessinent les contours d’une autre rationalité, radicalement démocratique.

L’appel de Commercy, une déclaration démocratique

Une rationalité qui s’est exprimée les 26 et 27 janvier dernier à Commercy dans la Meuse où, répondant à l’appel d’une coordination des Gilets jaunes locaux, plus de 60 délégations venues de toute la France se sont réunies. Qualifié “d’assemblée générale des assemblées générales”, le rassemblement de Commercy a mené deux jours durant des débats intenses, retransmis en direct sur les réseaux sociaux, et notamment sur la question de la légitimité et de l’organisation de cette assemblée qui sont la matière même du politique. Guidés par la conscience d’être au centre de l’attention générale et par le souci d’être à la hauteur des enjeux, les Gilets jaunes de Commercy ont ainsi rédigé l’un des textes clés de ce mouvement.

À la fois cri de révolte et appel à la solidarité, l’appel de Commercy affirme, par les valeurs et les engagements qu’il proclame, un discours en totale opposition à la froideur d’un grand débat national qualifié “d’entourloupe” et de campagne de communication du gouvernement. S’il constitue un texte profondément politique, c’est que la matière de cet appel de Commercy est aussi tissée par les liens sociaux entre ses rédacteurs, liens sociaux qui définissent une autre dimension de la rationalité de ces Gilets jaunes : celle de l’affect, une dimension que Frédéric Lordon propose de voir comme l’étoffe même du politique.

Dans cette dimension, le souci de soi et des siens guide l’action politique des individus qui refusent l’image bestiale et séditieuse qui leur est apposée par l’État (et ses renforts médiatiques), désormais incapable d’ordonner ces affects dans un sens qui lui est favorable. Comme le montre l’importance prise ces dernières semaines par les visages et les corps des victimes de la répression au LBD et à la grenade de désencerclement, l’émulation des affects au sein du mouvement des Gilets jaunes se fait dorénavant dans un sens diamétralement opposé à la puissance de l’État. L’indignation face à une répression dont la brutalité ne cesse d’être soulignée est ainsi devenue semaine après semaine le principal moteur de cette émulation. Un moteur d’une redoutable efficacité dans une société aussi densément médiatisée, et dont les Gilets jaunes parviennent à tirer parti. De plus, la quête d’inclusivité du mouvement à d’autres parties de la société qui ne se sentaient pas concernées par celui-ci, participe elle aussi de cette dynamique profondément démocratique. Indignation et inclusivité dessineraient alors un horizon d’affects puissants et efficients, capable de mettre à bas celui promu par le pouvoir de l’Etat.

On voit donc qu’ayant conquis ses propres espaces, son propre langage, son propre public et ses propres revendications, le “vrai débat” mené par les gilets jaunes a toute possibilité de devenir le débat majoritaire au sein de la société française. Il en émane un besoin d’expression collective pour rompre l’isolement politique et social que n’arrêteront aucune répression ni aucune concertation. Même si des divisions internes – notamment autour de la question du lien avec les organisations syndicales, qui se fait jour à la fin du texte de Commercy – ne sont pas à minimiser, le mouvement est devenu trop grand pour être absorbé par le pouvoir macroniste. Celui-ci, n’ayant plus la légitimité de la parole démocratique et de son organisation, n’aura bientôt plus qu’une seule issue raisonnable : se taire et laisser le peuple parler.

 

 

 

 

 

En finir avec l’éditocratie pour recréer du débat d’idées

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Débat_Commedia_Christophe_Barbier_crop.jpg
Christophe Barbier © Yohanntd

Vous les entendez partout, ils donnent leur avis sur tous les sujets et semblent vivre dans un autre monde que le nôtre. Leur omniprésence les a complètement intégrés dans le décor politico-médiatique. si bien que vous aurez du mal à allumer votre télé ou votre journal sans voir leur nom ou leur visage. A tel point qu’il est parfois difficile de les supporter, mais l’habitude a rendu leur présence acceptable. Et à force de matraquage, ils sont devenus légitimes dans le débat public. Bienvenue dans le merveilleux univers des éditocrates.

Le manque de pluralité dans les idées

Ils répondent au nom de Christophe Barbier, Arnaud Leparmentier, Jean Quatremer ou encore Laurent Joffrin – et la liste est un peu plus longue, mais justement pas tant que ça. Ils sont journalistes, rédac’ chef, pas spécialement experts d’un domaine mais très loquaces. Ils sont à peu près d’accord sur tous les sujets, en tout cas sur le consensus néolibéral. C’est là que commencent les problèmes. Les émissions dans lesquelles ils s’expriment ou les grands titres de la presse qui leur donnent tribune partagent deux traits distinctifs : ils appartiennent aux grands groupes industriels à la Bolloré ou à la Lagardère, et sont adeptes du discours économique dominant, à savoir toujours plus de libéralisme.

Dès lors, la question de la pluralité mérite d’être soulevée : comment avoir un débat public sain quand les moyens d’expression sont confisqués par une minorité de personnalités qui défendent la même position ? Le débat médiatique est central dans l’élaboration des opinions politiques des citoyens, mais s’il est pipé d’avance, les options politiques disponibles sont nécessairement restreintes.

Tenir un contre-discours au consensus néolibéral

Mener la bataille culturelle implique d’aller contrer adéquatement le discours libéral. C’est d’ailleurs une question qui a émergé au sein d’un mouvement comme La France Insoumise, avec la participation de Raquel Garrido au talk-show de Thierry Ardisson. Faut-il refuser de cautionner une telle émission, ou profiter de cet espace pour s’adresser à des citoyens qui n’auraient autrement pas eu l’occasion d’écouter une opinion alternative ? Cette demande d’un contre-discours trouve une réponse avec Internet, à l’image des médias alternatifs et des chaînes Youtube politiques. Mais à l’échelle électorale, ces moyens manquent de la force de frappe des médias de masse qui peuvent vanter matin, midi et soir les bienfaits de la dérégulation. Tout un terrain reste donc à conquérir.

L’émergence de nouvelles voix dans le débat public serait en effet salvatrice pour la vie politique du pays. C’est de philosophes, de politologues, d’historiens, de géographes, bref d’intellectuels dont nous avons besoin pour éclairer les sujets qui font débat au sein de la société, à la condition sine qua non d’exposer des thèses divergentes. D’une part pour sortir des simplifications et des raccourcis à outrance, qui permettent de prendre les citoyens de haut en les considérant incapables de saisir des enjeux complexes. D’autre part, et c’est la conséquence logique de ce premier bénéfice, pour élever le niveau d’exigence que nous avons à l’égard de nos politiques.

Sans doute la médiocrité de notre classe politique survivrait moins longtemps avec une analyse critique permanente dont ne peuvent se targuer les éditocrates complaisants. C’est dans un tel cadre d’honnêteté intellectuelle dépourvu d’un mépris élitiste que la parole populaire pourrait pleinement s’exprimer. Permettre à des citoyens, engagés ou non, d’apporter des éléments au débat public, redonnerait de la matière à la fonction délibérative du débat public.

Il sera difficile de convaincre Bolloré d’offrir une tribune régulière à Bernard Friot sur CNEWS. Certes. En attendant et en parallèle, nous pouvons continuer le travail de déconstruction du discours médiatique, et créer le maximum d’espace d’expression pour tenir un contre-discours de progrès social. Sinon, nous risquons d’assister au lancement de la carrière de MC Christophe Barbier. Personne n’a envie de voir ça.

Crédits :

© Yohanntd (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Débat_Commedia_Christophe_Barbier_crop.jpg)

2ème débat : Où est passée l’Ecologie ?

Capture d’écran

Le chômage, la sécurité, le rapport aux autres. Et l’Ecologie alors ? Les 3 heures de débat ont été l’occasion de mettre sur la table ce qui préoccupe (vraiment) les français. Comprenons : Les chômeurs, les terroristes, les musulmans. Ce sont vos priorités, nos priorités. Puisqu’on vous le dit ! Mais le format, certes complexe à gérer, aurait pu voir émerger une question importante : celle de la crise écologique et de ses solutions. Échec.

Les chômeurs, les terroristes, les musulmans 

            En bref, et comme on s’y attendait, le débat a été polarisé autour de ces 3 catégories. L’occasion une fois de plus de jeter de l’huile sur le feu pour certains, voire de chercher le buzz. Dans les faits, de permettre à l’élite économique, politique et médiatique en place d’employer les vieilles recettes de la division. Quand on a des choses à se reprocher et des intérêts à défendre, le meilleur moyen de détourner l’attention étant de jeter la pierre sur quelqu’un d’autre. Le bon vieux théorème attribué à C. Pasqua : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

            L’occasion pour Marine Le Pen de qualifier la France d’ « université des djihadistes », pour Fillon de réaffirmer son ambition de “vaincre le totalitarisme islamique”, pour Macron de trouver un entre-deux habituel sur tous les sujets, fustigeant la guerre économique à laquelle mènerait le protectionnisme tout en louant une Union Européenne plus « juste » où l’harmonisation fiscale est pourtant impossible. Certains candidats ont bien tenté d’imposer une visée alternative aux priorités fixées par les deux journalistes animatrices du débat. Sortez des sentiers battus et vous vous ferez vite rappeler à l’ordre par Ruth Elkrief. Il ne faudrait quand même pas nommer les candidats en cause quand on parle de moralisation de la vie publique. Et les éditorialistes de BFMTV de s’insurger au matin : « Je trouve que c’est un candidat (Philippe Poutou) qui, par moment, n’a pas le respect qu’il faut pour être candidat à la présidentielle. » (Bruno Jeudy, journaliste à BFMTV).

Vrais ou faux écolos ?

Une majorité de candidats ont intégré des thématiques environnementales dans leur programme. Mais davantage dans un opportunisme marketing que par conscience assumée. Et cela s’est confirmé sur le plateau. Alors que le sujet « Comment protéger les français ? » offrait l’opportunité d’aborder la pollution, le nucléaire, les pesticides, (etc.), une bonne partie d’entre eux est restée focalisée sur le terrorisme. Oubli ou omission révélatrice ?

            Difficile sans pour autant impossible, avec ce format imposé, d’avancer des considérations écologistes. Le mérite revient donc d’autant plus à ceux qui ont essayé de porter haut le cœur de leur programme. Jean-Luc Mélenchon a exprimé la place centrale de l’Ecologie dans L’Avenir en Commun en insistant sur l’opportunité et la nécessité de mettre en œuvre une grande transition écologique pourvoyeuse d’emplois et garantie de paix. Philippe Poutou, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se sont distingués dans cet intérêt commun. Les transports gratuits pour Philippe Poutou, le passage au « mode de production et de consommation écologiste » pour le candidat de la France Insoumise. Chacun disposait de 17 minutes pour exprimer les fondamentaux de son programme, et il est clair que pour d’autres, l’Ecologie est visiblement loin d’être une priorité. Au mieux, une variable d’ajustement.

L’ Ecologie, un truc de bobo ?

74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle[1]. Chez les 18-35 ans,  98% des 55 000 interrogés répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains.[2] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés.

Ainsi, il s’agit de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Les catastrophes en cours et à venir rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Notre système de santé, notre système agricole et notre économie sont en jeu. On estime par exemple à 48 000, le nombre de décès liés à la pollution atmosphérique en France.[3] A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale à laquelle on appartient ou le pays dans lequel on vit. Les pauvres sont et seront bien plus touchés par les catastrophes, la pollution, l’alimentation industrielle, les pesticides, les conflits liés à l’accès aux ressources naturelles… Et la liste est longue.

Embrasser l’écologie c’est donc envisager les luttes sociales sous un nouveau jour. Au contraire, ne pas parler d’écologie revient à ignorer ces conséquences irréversibles de long-terme qui affecteront principalement les plus démunis. Ne pas parler d’Ecologie sert à préserver les intérêts de ceux qui ont tout à gagner à ce que le système ne change pas. C’est taire le besoin impératif de renverser la table. Ou bien penser que la solution réside dans l’accablement de plus pauvre que soit. Voilà de quoi nous aider à choisir un candidat.


[1] Sondage YouGov, septembre 2016.

[2] Enquête de GénérationCobayes, décembre 2016.

[3] Agence Santé Publique France, 2016.

En savoir plus :