Politique monétaire : dépasser le fantasme de la neutralité

Dans leur dernier ouvrage, La dette, une solution face à la crise planétaire ? (Éditions de l’Aube – Fondation Jean-Jaurès), Michael Vincent et Dorian Simon reviennent sur certains grands mécanismes économiques (création monétaire, régulation bancaire, collatéralisation des dettes…) afin de comprendre les marges de manoeuvres dont disposent les États pour réorienter leurs politiques budgétaires. À l’inverse des ritournelles néolibérales, prêtes à refermer la parenthèse du « quoiqu’il en coûte » au nom de la rigueur, les auteurs démontrent combien les dettes publiques sont les rouages indispensables des marchés financiers, en quête d’actifs sûrs. De quoi relativiser les chiffres qui pleuvent par milliards dans les déclarations ministérielles et transformer les dépenses conjoncturelles en dépenses structurelles. C’est à ce prix que pourra se préparer un avenir écologique. Extraits.

Pourquoi prétendre à une politique monétaire neutre alors que les marchés ne le sont pas : ils consacrent la logique extractive, de domination, de compétition et de recherche du profit à court terme au détriment de la prospérité. Ce sont ces marchés qui soutiennent les hydrocarbures, faisant fi des limites du vivant et des ressources, faisant fi des inégalités, faisant fi des régimes politiques et des motivations, ou de l’usage de ces profits. La guerre lancée par Poutine début 2022 nous en offre une illustration macabre. 

(…) Puisque la monnaie est un moyen, pas une fin, puisque c’est un outil, de plus en plus utilisé pour tenter de sortir des crises avec plus ou moins de succès par ailleurs, pourquoi ne pas orienter la politique monétaire, voire la monnaie elle-même, vers l’une des plus grosses crises qui nous menacent : la crise climatique ? La stabilité financière, ou celle des prix, l’économie en général ne sont que peu de chose face au défi climatique et aux risques imbriqués, qui vont évidemment peser lourdement. Surtout, si la monnaie peut faire beaucoup pour financer la transition écologique afin d’anticiper ces crises, elle ne pourra pas grand-chose pour jouer les pompiers lorsque la trajectoire climatique aura atteint le point irréversible du non-retour. Et si la monnaie doit réellement être « neutre », nous proposons qu’elle s’attelle à atteindre avant tout la neutralité carbone.

« Et si la monnaie doit réellement être « neutre », nous proposons qu’elle s’attelle à atteindre avant tout la neutralité carbone. »

La démocratisation de la politique monétaire est aussi une piste pertinente. Que diraient les citoyens s’ils étaient consultés? C’est notamment l’objectif d’une initiative menée par les ONGs en 2021 sous le nom de la Banque citoyenne européenne, une sorte de convention citoyenne de la politique monétaire organisée en phases de dialogues et d’ateliers avec des experts de tous bords, dont des institutionnels, puis de consultations et d’élaboration de propositions pour la monnaie. Sans détailler ici toutes les propositions auxquelles nous renvoyons à la sagacité du lecteur curieux d’en savoir plus, il est intéressant d’observer que les propositions émises par les citoyens ont toutes en commun les deux fils rouges suivants : la non-neutralité de la monnaie, qui est un outil qu’il faut mettre au profit d’une fin démocratiquement décidée ; et l’urgence climatique, alimentée par le business as usual, qui nécessite de financer la transition, en orientant les flux financiers ou en ajoutant au mandat de la BCE un principe de non-nuisance, par exemple par l’instauration d’une interdiction de financer toute activité polluante ou écocide. 

Une nouvelle donne monétaire ? 

Est-ce que la nouvelle donne monétaire est transitoire ou bien permanente ? La question se pose puisque la FED a déjà commencé ce que l’on appelle le « tapering », c’est-à-dire la fermeture du robinet du rachat de dettes. La BCE également, qui, si elle respecte ses annonces à l’heure où nous rédigeons ce livre, devrait stopper les rachats à l’heure où vous le lirez. Des signes montrent que la fenêtre d’opportunités pourrait se refermer face à l’inflation. C’est vrai, les taux montent et la France emprunte à des taux un peu moins farfelus que les taux négatifs, mais des taux pas inintéressants pour autant. Et comme souvent en finance, il faut regarder les choses de manière relative : le taux réel, c’est-à-dire la différence entre les taux d’emprunt et l’inflation, est par la force des choses très compétitif, encore plus que lorsque l’inflation était basse ! Cette normalisation des taux n’est pas forcément négative : elle va aussi dégonfler un peu la bulle des marchés puisqu’il existe une dualité entre le prix des actifs et le marché du travail, et forcer le capital à s’investir plutôt qu’à se placer est indispensable pour améliorer les conditions des travailleurs. 

Cela ne doit pas empêcher de regarder le problème inflationniste pour ce qu’il est : il est avant tout dû aux pressions géopolitiques et énergétiques. La montée des prix est expliquée en majeure partie par le coût de l’énergie carbonée. Autant de raisons de penser économie circulaire et locale, et transition énergétique, pour la contenir comme il se doit. Pour se prémunir de la montée des prix, il faut enclencher une transition écologique et de justice sociale, avec en tête une politique énergétique ambitieuse et renouvelable ainsi qu’un investissement massif dans la recherche et l’innovation, et ce avant que ces coûts primaires ne s’étendent durablement cela a déjà démarré à l’alimentation, aux biens et aux services, tous tributaires de la montée des prix de l’énergie et des tensions géopolitiques. 

Si la remontée des taux se matérialise au point de ne plus être tenable, il faudra enfin regarder en face les effets des dépenses de rattrapage des dernières années, et du côté de celles et ceux qui en ont profité. Les chiffres de l’augmentation des patrimoines des plus riches, des records de dividendes, des salaires des grands patrons et des bénéfices du CAC 40 donnent de bons indices, et appellent à la mise en place d’une justice fiscale. Dans le cas contraire, le coût de cette dette reviendrait, une fois encore, à permettre aux plus riches et aux plus puissants de s’enrichir, tout en socialisant les pertes. À l’aune également du défi climatique et de la corrélation directe entre niveau de revenu et empreinte carbone, il n’est pas seulement question de justice fiscale et sociale, mais aussi de justice climatique. 

« Pour se prémunir de la montée des prix, il faut enclencher une transition écologique et de justice sociale, avec en tête une politique énergétique ambitieuse. »

Il reste encore aujourd’hui une opportunité importante aux États de la zone euro notamment, et pour la France en particulier, pour emprunter et anticiper l’avenir. Le besoin structurel de safe assets [ndlr : « actifs sûrs », parmi lesquels figurent les titres de dette publique]pour le marché reste bien réel. Cette opportunité a déjà été partiellement exploitée pour financer la politique du « quoi qu’il en coûte », mais elle ne doit pas nous empêcher de penser à la qualité des dépenses sous-jacentes. Si elle a permis de compenser les pertes liées à la conjoncture sanitaire, ou les hausses de prix du pétrole, elle n’a en rien aidé à préparer l’avenir face aux défis, notamment climatiques et sociaux, au risque de les amplifier plus tard puisqu’en se plaçant en porte-à-faux avec les limites planétaires et climatiques. Il faut dépasser la réaction et entrer dans l’anticipation, pour ne pas gâcher cette opportunité budgétaire unique. 

Définanciariser la monnaie

Il est enfin nécessaire de repenser la monnaie pour sortir de ce cercle risqué, sinon vicieux, de manière structurelle, et aussi pour pouvoir mieux réglementer le shadow banking et l’intermédiation pour définanciariser la monnaie. Il est évident que, si nous ne le faisons pas, la finance, comme la nature, ayant horreur du vide, l’industrie regardera d’elle-même les alternatives au safe asset pour l’intermédiation via la blockchain, risquant alors de priver les États des marges qu’ils ont aujourd’hui. Mais un tel démantèlement ne se fera pas en un jour, il n’y a d’ailleurs malheureusement que peu d’appétit apparent pour sortir de ce statu quo néolibéral ; mais s’il doit s’enclencher c’est bien dans cet ordre-là. Si nous ne sommes pas fondamentalement contre l’idée d’une annulation partielle de la dette, ou contre l’idée d’une monnaie libre de dette, nous alertons en revanche sur les risques de ces « options » tant que la monnaie reste autant financiarisée, et tant que la tuyauterie de la finance, de l’intermédiation, du shadow banking, de l’eurodollar, de la collatéralisation, fonctionnera ainsi. En effet, dans le système actuel, ces options vont conduire à chahuter la stabilité financière, et nous savons très bien qu’aux mêmes maux seront opposées les mêmes solutions : c’est-à-dire le « quoi qu’il en coûte » du pompier, qui va une fois encore nous enfermer dans la spirale que nous ne connaissons que trop bien depuis plusieurs décennies : des crises qui augmentent en fréquence et en intensité, et des dépenses de rattrapages plutôt que structurelles, qui font le lit de la prochaine. 

Nous encourageons donc plutôt les gouvernements à profiter au maximum des marges de manœuvre budgétaires offertes par la conjonction de la suspension des règles budgétaires et de la dette attractive, pour pouvoir ensuite enclencher cette définanciarisation, cette nécessaire relocalisation de nos économies, de la prise en compte des limites planétaires, y compris dans la monnaie. Reconnaître que la neutralité de la monnaie n’existe pas, puisque la politique monétaire a été utilisée à escient pour maintenir les marchés et le statu quo. À l’occasion de la pandémie, beaucoup, certains même avant, se sont demandés si leur métier avait du sens. Si leurs entreprises créent des solutions pour répondre à des problèmes, ou si elles créent des solutions parce qu’il y a des entreprises à faire tourner ? Pour la monnaie, c’est la même chose : il faut y remettre du sens. 

« Une refondation de notre système monétaire ne passera que par une refondation de notre modèle de société. »

La pénurie de safe assets n’est que le symptôme d’une défaillance globale des institutions. Notre crise est une crise de confiance. La confiance en la monnaie n’est que le côté pile de la confiance envers la politique. Une refondation de notre système monétaire ne passera que par une refondation de notre modèle de société. Mais après tout, peut-être que la solution est à l’intérieur du problème. La financiarisation de la monnaie est peut-être l’opportunité de démocratiser la création monétaire, autrefois monopole des États, puis des banques, maintenant accessible à des non-banks. La tâche qui nous incombe est de repenser notre architecture monétaire, afin de financer les activités non rentables, mais socialement utiles et responsables face aux limites de la Terre et du vivant. Sortir à terme du « tout finance » car il y a des investissements indispensables pour notre survie et une trajectoire climatique soutenable qui ne seront jamais « rentables » au sens de l’Ancien Monde. La plomberie financière actuelle nous en offre la possibilité, il ne nous reste qu’à en redéfinir les contours en fonction des contraintes de notre époque. 

Écologie néolibérale : l’individu responsable de tout et maître de rien

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La taxe sur les carburants repose sur une logique néolibérale du changement : celle de taxer le citoyen-consommateur en tant qu’il est défini comme roi et responsable. Cependant, ce dont le citoyen est responsable dépend-il réellement de lui ? Cette question ne trouve de réponse que par le rappel d’une rhétorique fondée sur la responsabilité et la culpabilité individuelle. Au cœur de ceci : le concept de dette écologique.


Dette et responsabilité

Maurizio Lazzareto, dans La Fabrique de l’homme endetté : essai sur la condition néolibérale (Amsterdam, 2011), s’intéresse à la notion de dette dans la société moderne. Celle-ci a produit, ces dernières décennies, un individu-type qu’est l’Homme endetté.

Une partie de sa démonstration consiste à montrer en quoi la dette est devenue un instrument pour rendre le citoyen prévisible et docile. Par exemple, elle est un critère de jugement neuf pour mesurer sa moralité et celle des autres.

Une éthique politico-économique se développe : est morale toute personne qui gère bien ses économies et son remboursement. Celui qui se gère peut se rassurer et sentir sa supériorité : il est un individu responsable. Dès lors, dans le modèle « start-up » et auto-entrepreneurial, les agents demandent de plus en plus de responsabilité. Celle-ci fonde leur moralité et, partant, leur liberté.

Responsabilité et individu-écolo

Si Lazzareto s’intéresse à la dette économique, nous pouvons étendre ce modèle à celui de la dette écologique. Ici, l’individu est non seulement responsable de lui-même (au sens moral) mais également responsable de la catastrophe écologique (au sens de culpabilité). Il doit se réformer et réformer ses habitudes. De l’Homme endetté découle alors un individu-écologique.

Celui-ci utilise les bonnes ampoules et poubelles ; il économise l’eau, l’électricité et le chauffage ; il restreint son régime alimentaire etc. Cet individu-modèle produit un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne respectent pas la planète ou n’ont pas les moyens de le faire. Il acquiert ainsi une moralité. Il rembourse sa dette écologique.

La politique dite « écologique » qui va de pair avec ce raisonnement consiste donc bien à taxer l’individu et à le responsabiliser par de grands discours. Tout changement passe par le tout-puissant citoyen-consommateur.

Ses deux armes pour absoudre sa dette sont alors le pouvoir du vote et le pouvoir d’achat. Cependant, le premier n’est pas toujours respecté (le référendum de 2005, par exemple) et le second n’est qu’une illusion de pouvoir. En effet, d’une part le marché automobile vert est encore trop cher ou inexpérimenté. D’autre part, l’énorme majorité des États et ensembles régionaux ne respectent pas les accords dits « écologiques ». De même, ils utilisent les bénéfices des taxes environnementales pour autre chose que la transition énergétique (seuls 19% de la taxe carbone reviennent à la transition).

Nous relevons le cynisme d’une rhétorique dans laquelle l’individu est dit « responsable » de ce qui ne dépend pas de lui. Responsable de tout ; maître de rien.

Évidemment, il ne s’agit ni de vider l’individu de toute responsabilité ni d’abandonner ces gestes du quotidien. Plutôt, nous soulignons l’incapacité de l’individu-citoyen à influer à grande échelle.

Pour reprendre Cornelius Castoriadis, dans Une Société à la dérive – ouvrage où il appelle à un retournement de l’imaginaire contemporain pris dans le progrès technoscientifique et dans la consommation : « Un individu seul, ou une organisation, ne peut, au mieux, que préparer, critiquer, inciter, esquisser des orientations possibles. »

Repenser le collectif : de la politique écologique à l’écologie politique

Une solution serait de sortir de la culpabilisation individuelle, de la croyance dans l’individu-roi, fruit de toute une rhétorique devenue une habitude commune. D’ailleurs, ne sont-ce pas des mouvements globaux et non des actions à l’échelle individuelle qui ont institué notre économie de marché, des grandes découvertes à l’ordo-libéralisme en passant par le capitalisme classique ?

Cependant, il ne faut pas s’aveugler et louer toute initiative collective : celles-ci reposent parfois sur la même logique d’addition d’individualités.

Prenons le cas tant loué des fermes urbaines à Detroit. La plupart de celles que nous avons pu visiter ne consistent que dans une classe moyenne supérieure non-originaire de la ville qui a racheté à prix d’or des quartiers abandonnés sans se préoccuper de la pauvreté alentour. Ici, cette communauté a pris sa responsabilité individuelle et s’absout de sa dette sans ancrer son action dans une réflexion collective.

De même, si la ZAD proposait une nouvelle forme d’organisation possible, son entêtement anti-institutionnel ne faisait que l’enfermer dans un solipsisme. Elle vidait l’écologie de sa politique. Or, si la politique écologique repose sur l’insertion de thématiques écologiques dans une structure politique ancienne, l’écologie politique consiste à penser et à propager un relais institutionnel neuf. Ce n’est pas un isolationnisme contemplatif.

La moralité par la dette concerne donc également des groupes d’individus fiers de leur initiative, enfermés dans leur autosatisfaction.

Cependant, à Detroit, d’autres fermes -en minorité-, dynamisent un quartier abandonné pour ensuite en faire bénéficier les afro-américains et autres défavorisés. Il y a une réinvention du lien social par l’écologie et la culture (avec des manifestations musicales ou cinématographiques). Ce n’est ni l’écologie comme excroissance d’une structure sociale présente, ni l’écologie d’un individualisme collectif.

Ainsi, il ne faut pas confondre un geste collectif avec une addition d’actions individuelles. Nous avons perdu de vue que le changement nécessaire passe par une révision globale de notre imaginaire et du collectif tel qu’il se vit et se définit.

Le collectif n’est pas une homogénéité ou une addition d’individus hétérogènes. Il repose sur le partage des responsabilités.

Il revisite ainsi le rôle des acteurs qui ne sont plus en concurrence – économique et morale mais en coopération – économique et culturelle. Il rappelle que « l’Homme est ancré dans autre chose que lui », sans pour autant disparaître sous cette chose (Castoriadis, La Force révolutionnaire de l’écologie, 2012).

 

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Ce 2 août, nous entrons en dette écologique

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Les nouvelles sont de plus en plus affolantes sur le front de l’environnement.  Ce mercredi 2 août, nous entrons en dette écologique. Cela signifie que nous avons consommé tout ce que la planète était capable de produire en une année. A partir, d’aujourd’hui nous vivons à crédit. Les scientifiques nous annoncent qu’il nous reste 5% de chances de maintenir le réchauffement climatique sous le seuil fatidique des deux degrés. Et pendant ce temps là, le Conseil Constitutionnel valide le CETA et le gouvernement coupe leurs aides aux producteurs bio. 

Global Footprint Network nous annonce que nous entrons en dette écologique. A partir d’aujourd’hui, pour continuer à vivre, nous allons prendre à l’écosystème plus que ce qu’il n’est capable de reconstituer. En se basant sur 15 000 données de l’ONU, cet institut de recherche international nous apprend que l’exploitation humaine des ressources est supérieure à la capacité de la planète de reconstituer ses réserves. Cette année, nous consommerons les ressources naturelles qui pourraient être produites par 1,7 planètes en 1 an.

Depuis 40 ans, cette surconsommation des ressources naturelles évolue à un rythme exponentiel. En 1961, nous n’avions besoin que de trois quarts des ressources produites par la Terre en un an. C’est en 1970, que pour la première fois, nous avons consommé plus que ce que la planète est capable de reconstituer. Depuis, la date approche d’années en années : le 5 novembre en 1985, le 1er octobre en 1998, le 20 août en 2009. Et donc le 2 août cette année. Si nous ne mettons pas immédiatement un coup d’arrêt à cette course folle à la consommation, en 2030, nous avalerons l’équivalent de ce que peuvent produire deux planètes en une année. Et encore, de nombreuses critiques avancent que cet indicateur ne tient pas suffisamment compte de la destruction de la biodiversité, de l’épuisement des sous-sols ou de la consommation d’eau.

Évidemment, tous les être humains ne sont pas responsables de la même manière de cette énorme empreinte écologique que nous laissons. Si la civilisation humaine adoptait le mode ds vie américain – comme on nous invite régulièrement à le faire du reste – nous aurions besoin de 5 planètes. Le mode de vie Chinois requiert, lui, 2,1 planètes. Le mode de vie Indien nous demanderait seulement un peu plus d’une demie planète. Ce comptage est un peu absurde tant il est vrai que cette fête ne durera pas longtemps (et que les 10% les plus riches sont nettement plus responsables que les ménages pauvres de l’empreinte écologique) mais il nous permet de souligner ce fait : l’empreinte écologique des pays développés est cinq fois supérieure à celle des pays pauvres. Aurélien Boutaud, consultant et coauteur de L’Empreinte écologique (La Découverte, 2009) ajoute que « Si on regarde les seules émissions de gaz à effet de serre, par exemple, on peut avoir l’impression que les pays riches les ont réduites. En réalité, ils en ont délocalisé une partie vers les pays pauvres. L’empreinte carbone de la France est ainsi d’environ 40 % supérieure à ses rejets carbonés. »

Comment inverser la tendance ? Les solutions sont connues : il faut limiter les émissions de gaz à effet de serre qui représentent 60 % de l’empreinte écologique mondiale. Réduire les rejets carbonés de 50 % permettrait de reporter le jour du dépassement de près de trois mois. Pour réussir à maintenir la hausse des températures au-dessous de 2 °C – objectif inscrit dans l’accord de Paris –, l’humanité devra s’affranchir des énergies fossiles avant 2050. « L’enjeu est d’atteindre un pic des émissions d’ici à 2020″ complète Pierre Cannet, le responsable du programme climat et énergie au Fonds mondial pour la nature (WWF) France.

Autre action nécessaire : limiter l’empreinte alimentaire. « Pour cela, il est indispensable de stopper la déforestation, de diminuer notre consommation de produits dérivés des animaux, de lutter contre le gaspillage alimentaire et d’opter pour des modes de production plus durables, comme le bio, l’agroécologie ou la permaculture », avance Arnaud Gauffier, responsable de l’agriculture et de l’alimentation au WWF. S’il on veut rembourser la dette écologique, la seule qui compte pour notre survie, il faut donc nous libérer de l’obscurantisme consumériste, de l’agriculture intensive et réduire notre consommation de protéines carnées.

Il nous reste une infime chance maintenir le changement climatique sous les 2 degrés

Si l’urgence est telle, c’est que nous disposons de très peu de temps pour agir. Une étude parue ce lundi dans la revue Nature Climate Change nous fait savoir qu’il y a 5 % de chances pour que l’on atteigne l’objectif de la COP 21 soit le maintien de la hausse des températures sous les deux degrés. C’est le seuil qui permet de limiter autant que faire se peut une catastrophe climatique qui est désormais irréversible alors que l’ONU nous annonce 250 millions de réfugiés climatiques en 2050. Les chances d’atteindre l’objectif de 1,5 °C, également contenu dans le texte ne sont que d’1 %.

Pour en arriver à ce résultat, les auteurs de l’étude ont utilisé des projections de croissance de la population pour estimer les émissions de carbone. Ils prévoient donc une « augmentation de la température est probablement de 2 °C à 4,9 °C, avec une valeur médiane de 3,2 °C » ! Et encore, leurs calculs intègrent des efforts pour réduire la consommation d’énergies fossiles.

Il faut dire que nos dirigeants ne font pas grand chose pour endiguer le phénomène. Déjà, contrairement à l’accord en lui-même, les contributions volontaires des Etats donnent un réchauffement global à 3 degrés. Par ailleurs, l’accord est très flou : il prévoit un pic d’émissions de GES “dès que possible” et ne spécifie même pas la date butoir à laquelle la civilisation humaine doit s’interdire toute énergie fossile. Or, pour atteindre leurs objectifs de 2 degrés, les nations devraient en finir avec les énergies fossiles en 2050.

Le Global Footprint Network note quelques signaux encourageants cependant : l’empreinte écologique par habitant des Etats-Unis a diminué de près de 20 % entre 2005 et 2013. La Chine, plus gros pollueur mondial, affiche des objectifs très ambitieux. Tout cela est quand même bien maigre pour prévenir la catastrophe.

Pendant ce temps là, le gouvernement coupe les aides aux paysans bio et le Conseil Constitutionnel valide le CETA

Autre bon signe pour la planète : le développement du secteur bio en France. Alors que l’ensemble de l’agriculture conventionnelle est engluée dans la crise, le bio se porte à merveille. Les surfaces en agriculture biologique ont augmenté de 17 % en 2016. 21 fermes bio se créent chaque jour. D’ailleurs, la consommation de produits bio a explosé : + 22% en un an !

Mais visiblement, cela déplait au gouvernement. C’est ce qu’explique la Fédération Nationale des agriculteurs bio : « L’enveloppe versée par Bruxelles au titre de la politique agricole commune (PAC) pour soutenir ce mouvement [le développement du bio ndlr] est déjà épuisée, et nous ne sommes qu’à mi-parcours de la programmation 2015-2020. La solution serait de prendre à l’agriculture conventionnelle pour donner à l’agriculture biologique. La France reçoit chaque année 7,5 milliards d’euros au titre du 1er pilier de la PAC – aides directes pour soutenir le revenu des exploitants – et 1,5 milliard au titre du 2e pilier qui finance les zones à handicaps naturels, les mesures environnementales et climatiques et les aides au bio. Or, la réglementation européenne permet aux États membres de transférer jusqu’à 15 % du budget alloué du pilier 1 vers le pilier 2. Le gouvernement peut donc très bien décider, demain, d’augmenter la part de transfert, actuellement de 3 %.” Résultat : le ministre de l’agriculture a décidé de transférer 4,2 % du 1er pilier vers le 2nd pilier pour financer les mesures agro-environnementales et climatique, les indemnités compensatoires des handicaps naturels et les aides au bio.” Or, Le Monde nous apprend que, pour l’année prochaine : selon le ministère, cette enveloppe supplémentaire sera entièrement consacrée au surcoût du financement de l’ICHN.” Le gouvernement coupe donc purement  et simplement les aides pour le bio.

 Autre décision prise pour saper le bio : le maintien du « paiement redistributif » à 10 %. Cette mesure prévoit de majorer l’aide versée aux 52 premiers hectares. C’est un soutien aux petites exploitations alors que du fait du mécanisme de paiement à la production, les gros producteurs céréaliers bénéficient de la majeure partie des aides de la PAC. La majoration était prévue pour passer de 5 % de l’enveloppe globale en 2015 à 20 % en 2019. Il suffit que la FNSEA et les producteurs de blé éructent pour que le gouvernement lèse encore un fois les petites et moyennes exploitations.

Autre annonce irresponsable : la validation du CETA par le Conseil Constitutionnel. Ce traité qui va s’appliquer provisoirement avant même que le Parlement ait pu en débattre, va faire exploser les échanges avec le Canada : on prévoit une hausse de 23%. Les émissions liées au transport vont augmenter de la même manière notamment de méthane et d’oxyde d’azote. C’est en pure contradiction avec les engagements de réduction des gaz à effets de serre de 40% d’ici 2030 pris lors de la COP 21. Au passage, l’accord de Paris n’est pas cité une seule fois dans le texte du CETA. Ce traité facilitera aussi l’importation de sables bitumineux canadiens dont l’extraction produit une fois et demie davantage de gaz à effet de serre que les pétroles conventionnels.

Sur le terrain de l’agriculture, c’est une folie : les marchés européens seront envahis de viande produite dans des fermes pouvant concentrer jusqu’à 30 000 bêtes issues d’animaux nourris  à 90% de maïs OGM et soumis à des antibiotiques activateurs de croissance. Sur les 4 500 Indication Géographiques Protégées (IGP), seules 173 IGP sont reconnues.

Trump peut bien s’agiter et Macron jouer au sauveur, les deux ne font rien pour prévenir la catastrophe climatique qui vient.

Crédits photo : ©aitoff. Licence : CC0 Creative Commons.