Vincent Bolloré, empereur des médias au pays de la complaisance

Bolloré commission
Vincent Bolloré © Creative commons

Face aux sénateurs de la commission d’enquête sur la concentration des médias, mercredi 19 janvier, Vincent Bolloré n’avait plus qu’à se féliciter de sa victoire. Il faut dire que ses hôtes ont été particulièrement bienveillants. Présidée par Laurent Lafon, membre du groupe Union centriste, cette commission sénatoriale s’était donnée pour but d’enquêter sur le phénomène de concentration des médias en France et d’en « évaluer l’impact […] sur la démocratie ». L’actionnaire majoritaire du groupe Bolloré, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 24 milliards d’euros en 2020, s’est donc prêté au jeu de l’interrogatoire. Une véritable promenade de santé pour le chef d’entreprise qui, pendant deux heures, a fait les questions et les réponses, dopé par les louanges des uns et l’indulgence complice des autres. Si la figure de Vincent Bolloré est aujourd’hui pointée du doigt par certains médias, c’est parce qu’il est le principal bénéficiaire d’un système capitalistique, encouragé par les décisions politiques de ces dernières décennies. Son autorité désormais acquise dans l’espace médiatique français est en effet le résultat d’un long processus de laisser-faire, soutenu et entretenu par l’État. Elle illustre les effets d’une complicité devenue aliénante entre élites politiques, économiques et culturelles du pays.

Élève modèle, business model : l’argumentaire gagnant de Bolloré

Sans aucun doute, cette audition publique aura permis à Vincent Bolloré de redorer son image et d’écarter toute forme de méfiance à l’égard de son ambitieux empire médiatique. Sur un ton calme, presque léger, l’homme d’affaires a joué avec brio la carte de l’humilité, se disant presque « flatté » d’avoir été convié à cette commission et décrivant son entreprise comme « un tout petit », face aux géants des GAFAM. Patron dévoué, il s’est dit prêt à jouer les « boucs émissaires », affirmant n’avoir aucun projet idéologique ou politique : « Notre intérêt est purement économique » clame-t-il.

L’auditoire a pu constater, sans cacher son admiration, l’efficacité du business model Bolloré, oubliant presque l’objectif de sa présence.

Élève modèle, il a demandé à diffuser ses propres diapositives, afin d’appuyer son propos. Courbes et diagrammes ont défilé sous les yeux des sénateurs, ainsi convaincus de l’honnêteté de l’homme et de la rigueur de ses arguments. Et, parce que des mots illustrés renforcent la performativité d’un discours, aussi ubuesque soit-il, l’auditoire a pu constater, sans cacher son admiration, l’efficacité du business model Bolloré, oubliant presque l’objectif de sa présence.

Mais plus concrètement, par quels moyens l’interrogé a-t-il réussi à inverser la dynamique de l’entretien, retournant les questions à son avantage et réduisant la minorité réfractaire au silence ? Aux accusations de censure, Monsieur Bolloré répond que son entreprise est si grande – le groupe compte aujourd’hui 80 000 employés – et variée – toutes les chaînes et journaux de Canal +, Prima media, la majorité du groupe Lagardère ainsi qu’une trentaine de maisons d’édition – qu’il serait irréaliste de croire en sa seule force de nuisance. De plus, il balaie toute forme d’activisme politique d’un revers de main, clamant que « [s]on ADN, c’est la liberté ». Ce qui en dit long.

Vincent Bolloré n’a qu’à se référer à son histoire familiale et à celle de cette entreprise qui, depuis 1822, ne cesse de grandir et de « faire rayonner la culture française dans le monde », pour faire vibrer les défenseurs de l’idéal méritocratique. Créateur d’emplois, mécène, ambassadeur de la France et de sa richesse créative à l’étranger, l’homme incarne la réussite de l’entrepreneur qui travaille dur et qui sait saisir les chances disponibles dans son pays pour les lui rendre, en mieux. Un exemple que les apôtres du libéralisme ne peuvent qu’aduler, puisqu’il montre en quoi laisser faire les volontés individuelles peut, par la magie de la cohabitation de citoyens travailleurs et ambitieux, créer les opportunités d’une vie enviable.

Ainsi séduits, aucun des sénateurs n’a semblé dérangé par la confusion, entretenue tout au long de l’audition, entre la pluralité des médias détenus par l’homme d’affaires et le pluralisme de l’information. Or, le nombre de tentacules déployés par la créature Bolloré ne garantit en rien l’autonomie de ceux-ci. Quand bien même l’entrepreneur ne serait guidé que par ses intérêts économiques, comme il le prétend, nul ne peut croire de bonne foi que cela n’implique pas d’enjeux politiques cruciaux : taxation, ou non, des grandes fortunes, gestion de la concurrence entre l’audiovisuel privé et public, soutien aux journalistes indépendants…

Si les liens entre Bolloré et Macron en 2017, et le rôle de ses chaînes de télévision dans l’ascension de Zemmour, aujourd’hui candidat, ont abondamment été démontrés, il est clair qu’aucun aspirant à des responsabilités politiques n’a intérêt à se mettre sérieusement Bolloré à dos.

De l’autre côté, l’omniprésence des médias détenus par Bolloré dans notre quotidien – rappelons qu’il a été pionnier dans les chaînes d’information en continu – et l’influence de ceux-ci sur l’opinion publique ne peut laisser aucun responsable politique indifférent. Si les liens entre Bolloré et Macron en 2017, et le rôle de ses chaînes de télévision dans l’ascension de Zemmour, aujourd’hui candidat, ont été abondamment démontrés, il est clair qu’aucun aspirant à des responsabilités politiques n’a intérêt à se mettre sérieusement Bolloré à dos.

Omerta sur les effets du monopole Bolloré dans l’écosystème médiatique

La plus grosse dissonance de l’audition restera peut-être la prétention de l’homme, assumée et jamais contestée, de défendre à lui seul la « souveraineté culturelle » française. Sur le papier, la démarche de cette commission d’enquête semble louable : dresser un état des lieux des médias en France, entendre ses principaux acteurs et tenter de comprendre les raisons de cette « crise de confiance » entre les citoyens et la profession. En effet, cela fait bien longtemps que les textes régissant la presse française n’ont plus force de loi. Celui de 1986, par exemple, timidement évoqué par David Assouline, rapporteur de la commission d’enquête, prévoyait des « seuils anti-concentration », désormais obsolètes.

Plus tôt, le programme du Conseil national de la Résistance et les ordonnances de 1944 stipulaient que « la presse n’est pas un instrument de profit commercial » (art. 1) et que « la presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs » (art. 3). Sans nul doute, un nouveau texte bâtisseur, qui aurait pour but de redessiner les contours de la presse aujourd’hui, ne se risquerait pas à de telles rêveries. Néanmoins, revenir aux ambitions premières posées par les acteurs de la Libération, n’est pas inutile. Cela souligne le paradoxe béant entre la liberté de la presse, telle que définie il y a moins de quatre-vingts ans, et la situation presque monopolistique de l’empire Bolloré.

L’audition simultanée de quatre propriétaires de journaux indépendants (L’Opinion, Le 1, Mediapart et Les Jours) deux jours plus tard, montre d’ailleurs bien l’importance consacrée aux uns et aux autres dans le débat. Les financements étant l’alpha et l’omega d’un média qui fonctionne et qui dure, le paysage de l’information tend finalement vers la coexistence du groupe Bolloré avec une poignée d’autres titres qui se maintiennent grâce aux soutiens de leurs lecteurs. Une guerre de l’information qui se révèle indéniablement asymétrique.

Une audition révélatrice de la démission du politique

Toutes tentatives de déductions hâtives écartées, reste que l’omerta sur la position prédatrice du groupe Bolloré dans l’écosystème médiatique français, alors même que l’ambition affichée était de comprendre les conséquences de ce phénomène de concentration sur la démocratie, a de quoi laisser dubitatif.

Adhésion, inertie ou impuissance, il n’est pas facile de déterminer la ou les raisons pour lesquelles notre système politique actuel encourage et promeut l’expansion décomplexée de l’entreprise Bolloré. Il ne serait ni rigoureux ni honnête de dire que toutes les personnes présentes à cette commission ont volontairement joué la comédie pour feindre le pluralisme politique et mimer la contradiction. David Assouline, du groupe socialiste, s’est par exemple montré plus pugnace que certains de ses confrères lorsque, deux minutes avant la fin de l’audition, il se fait le porte-voix des journalistes d’Europe 1 qui dénonçaient les atteintes à leur liberté d’informer : « Vous êtes un interventionniste assez direct », assène-t-il. Néanmoins, Vincent Bolloré en sort victorieux, car il a réussi à faire de cette prise de parole, diffusée publiquement, une véritable opération de communication.

Adhésion, inertie ou impuissance, il n’est pas facile de déterminer la ou les raisons pour lesquelles notre système politique actuel encourage et promeut l’expansion décomplexée de l’entreprise Bolloré.

Dans l’espace médiatique, c’est à travers la rencontre entre personnalités politiques, journalistiques et intellectuelles que se développent et s’affrontent différentes visions du monde. Les catégorisations du bien, du mal, les vérités affichées et défendues sont rendues légitimes par l’effet du nombre ; plus elles sont partagées, plus elles paraissent crédibles et indiscutables. La théorie des champs développée par Pierre Bourdieu permet de comprendre comment ces acteurs « travaillent à expliquer et systématiser des principes de qualification, à leur donner une cohérence ». On pourrait croire cette théorie remise en cause par l’influence croissante des réseaux sociaux, rendant plus facile l’accès à l’espace public. En vérité, ce sont ces mêmes personnalités que l’on retrouve abondamment sur Twitter et sur les plateaux télévisés. Derrière la multiplicité des supports d’information et la démocratisation de ceux-ci, notre capacité à convaincre dépend, toujours plus, de la visibilité de nos arguments.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, comme le rappelait un article du Monde diplomatique, des visions et des divisions s’imposent, entre les « nationaux » et les « étrangers », les « travailleurs » et les « chômeurs », les « vaccinés » et les « non vaccinés » là où, autrefois, semblait dominer l’opposition entre les « riches » et les « pauvres ». Les termes du débat, imposés par une minorité de médiatisés, eux-mêmes dépendants – pour le moins, économiquement – d’un seul homme, à l’ensemble des citoyens, posent des enjeux démocratiques.

En illustrant, non pas seulement l’inertie de la classe politique, tout échiquier confondu, mais aussi la dépolitisation de celle-ci – en d’autres termes, sa démission par adhésion ou par abandon – cette audition aura été une illustration supplémentaire du fossé abyssal entre les citoyens et leurs responsables politiques.   

Napoléon contre la République ?

Aymeric Chouquet pour LVSL

Si Napoléon Bonaparte demeure une figure populaire et connue de tous, les institutions fondées pendant le Consulat (1799-1804) restent souvent sibyllines. Nombre de personnalités politiques défendent que Napoléon s’inscrit dans la dynamique révolutionnaire de 1789. Il apparaît pourtant que le consulat « n’est en rien l’héritier des projets et des réalisations révolutionnaires de la période 1789-1795 ». Le Consulat de Bonaparte (La fabrique éditions, 2021), signé par Marc Belissa et Yannick Bosc, livre une description complète de cette séquence historique cruciale pour qui veut comprendre notre rapport à la République. L’ouvrage s’inscrit dans la continuité du Directoire : La République sans la démocratie des mêmes auteurs (La fabrique éditions, 2018).

Qu’elle soit décriée ou célébrée, la figure de Napoléon Bonaparte demeure largement mobilisée dans les débats contemporains. De nombreuses études historiques, souvent hagiographiques, ont tenté de livrer une description détaillée du petit caporal. Invoquer son héritage a tantôt servi à légitimer des régimes – sous la Restauration notamment – tantôt à en critiquer d’autres – en 1870, les républicains critiquaient Bonaparte pour mieux remettre en cause le Second Empire. De même, pendant la IIIème République, certains mobilisaient la figure napoléonienne pour vilipender le régime parlementaire alors en place.

Marc Belissa et Yannick Bosc constatent que le Consulat demeure une période largement personnalisée, réduite à la seule personnalité bonapartiste. Cette séquence – s’étalant du 18 brumaire an VII (1799) au 28 floréal an XII (1804) – ne serait que l’émanation de la volonté d’un « grand homme ». Refusant une telle posture, les auteurs nourrissent leur discours de la littérature scientifique récente. Loin d’un bloc monolithique, la période apparaît traversée de différents conflits politiques. De ces antagonismes sont nées de nombreuses institutions, la Banque de France ou le Conseil d’État notamment, dont l’influence contemporaine demeure souvent sous-estimée. Le Consulat est une période historique charnière qui apparaît cruciale car elle participa directement, selon l’expression des auteurs, à « la fabrique de l’État contemporain et de la société propriétaire ».

L’aboutissement d’un projet collectif

Les littératures marxistes et libérales partagent l’analyse selon laquelle la Révolution française aurait uniquement été l’œuvre de la volonté bourgeoise. Le coup d’État bonapartiste marquerait finalement le retour inéluctable aux principes « originels » de 1789. Les auteurs du Consulat de Bonaparte s’écartent de la vision simpliste présentant Napoléon comme un « Robespierre à Cheval ». Ces derniers refusent de s’engager dans des débats stériles afin de déterminer si Napoléon est bien le continuateur de la Révolution française. Considérant que les événements de 1789 sont traversés de périodes historiques fondamentalement différentes, mieux vaut alors se demander dans quelle phase historique révolutionnaire l’action bonapartiste s’inscrit.

Ainsi, les idées napoléoniennes étaient-elles plus proches de la Révolution qui reconnaissait le droit à la résistance face à l’oppression (déclaration des droits de l’Homme de 1789, article II) que de celle qui supprimait toute référence aux droits naturels (constitutions de l’an III et VIII) ? La vision du petit caporal était-elle compatible avec celle de certains révolutionnaires considérant le droit à la propriété comme subordonné au droit à l’existence ? Marc Belissa et Yannick Bosc, en opposition avec cette vision réductrice de la Révolution française, concluent ainsi que « l’État autoritaire et personnalisé sous le consulat […] n’est en rien l’héritier des projets et des réalisations révolutionnaires de la période 1789-1795 ».

NDLR : Pour en savoir sur plus la Terreur, lire sur LVSL l’article rédigé par Vincent Ortiz : « La Terreur, première révolution sociale ? »

Néanmoins, le projet brumairien s’appuie sur le soutien de nombreux acteurs politiques, à l’image d’Antoine Boulay de la Meurthe ou de Pierre Jean Georges Cabanis. Souhaitant stabiliser la société propriétaire là où le Directoire a failli à cette mission, de larges pans de l’élite supportent ouvertement le coup d’État du 18 brumaire. L’abbé Sieyès, ancien directeur et soutien du projet bonapartiste, a une influence notable sur ce processus. Il souhaite faire advenir son idéal de démocratie représentative, où la nation et non plus le peuple est garant de la souveraineté. Dans la vision de l’abbé, le citoyen a pour unique mission politique d’élire ses représentants, laissant la société gouvernée par des tiers. Le Consulat apparaît ici comme l’aboutissement du projet thermidorien, censé garantir la protection des libertés « modernes » libérales. De même, les « idéologues » ont longtemps partagé les desseins de Napoléon. Les membres de ce groupe d’intellectuels considèrent que la communauté de savants doit s’occuper de la cité. Napoléon était lui-même membre de l’Institut de France, lieu très prisé des idéologues, ce qui peut expliquer ce soutien actif au petit caporal.

Bonaparte n’apparaît alors ici ni comme le fossoyeur de la République, le Directoire ayant déjà sapé bon nombre d’acquis révolutionnaires, ni comme son continuateur. La période s’inscrit plutôt dans un processus long de mise en place et de stabilisation de la société propriétaire. Elle demeure néanmoins un projet original de construction d’un État personnalisé et extrêmement centralisé.

L’avènement de la société propriétaire

Les discussions autour de la mise en place du Code civil battent leur plein en 1801. Beaucoup estiment qu’un tel instrument législatif n’aurait pu voir le jour lorsque l’esprit révolutionnaire, réputé passionnel, agitait encore l’Hexagone. Le Code civil rompt frontalement avec l’idéal émancipateur révolutionnaire. Si des progressions en termes d’abolition des privilèges juridiques, d’égalité de traitement ou de liberté de conscience peuvent être constatées, la consécration du droit à la propriété privée est flagrante. Le Code civil est en cela l’aboutissement d’un processus déjà en cours sous l’Ancien Régime, où des acteurs politique comme Turgot souhaitaient alors consacrer pleinement le droit à la propriété. Toute référence aux droits dits naturels et universels est effacée. L’unique évocation du droit à la subsistance n’est utilisée que pour justifier et légitimer le droit à la propriété. Cet argument fallacieux avait déjà été utilisé en août 1789 pour libéraliser le commerce du grain.

De même, le contrôle des masses de travailleurs apparaît comme une nécessité pour stabiliser le régime. En 1803, le « livret ouvrier » est réintroduit alors qu’il avait été supprimé lors de la Révolution. Ce dernier instaure un contrôle complet du travailleur, le liant juridiquement à son employeur. Alors que la Révolution avait détruit toute tentative de corporatisme, la chambre de commerce est créée en 1802 et permet aux patrons de développer une organisation structurée et organisée. Ce privilège est refusé aux plus démunis puisque la loi Germinal permet de réprimer efficacement toute coalition entre ouvriers. Il est intéressant de noter que l’utilisation de ce « livret ouvrier » continue bien après la période consulaire et n’est supprimé qu’en 1890. L’article 1781 du Code civil établit l’infériorité morale de l’ouvrier sur son patron. Il représente en cela une dérogation au système judiciaire fondé sur la preuve. En cas de litige entre un travailleur et son supérieur, la législation estime que « le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement des acomptes donnés pour l’année courante ».

Pour autant, l’avènement de cette société propriétaire n’a pu se légitimer et se renforcer que par l’instauration d’un État centralisé et efficace ainsi que par la légitimation de symboles autoritaires. 

La centralisation de l’action publique aux mains des experts

Lorsque Bonaparte s’empare du pouvoir, son objectif affiché est de dépolitiser la nation et d’arrêter les différentes factions politiques. En un sens, il est temps d’en finir avec la « métaphysique » des révolutionnaires qui a, selon lui, conduit le pays à l’anarchie. Cet objectif s’accompagne d’une surveillance massive de la population. Différentes institutions sont créées, à l’image de la préfecture de police de Paris ou de la gendarmerie. Ces structures sont toutes mises en compétition pour garantir un maximum d’efficacité. Nombre de néo-Jacobins et de royalistes sont arrêtés, même si le pouvoir demeure plus clément avec les partisans monarchistes. Ce processus de fracturation de la société et de surveillance massive marque le déclin de l’espace publique au profit d’un « esprit public » ; l’opinion des citoyens doit être gouvernée et donc surveillée. Alors qu’il existait à Paris soixante-treize journaux avant le 18 brumaire, leur nombre est rapidement limité à treize. Le pouvoir devient de plus en plus autoritaire, éloignant de ce fait Napoléon des idéologues et de certains de ses partisans de la première heure. Un pouvoir extrême est alors concentré dans les mains du petit caporal.

C’est bien sous le Consulat que notre administration a opéré une forte recentralisation non-démocratique de son action.

L’administration, pour mieux rationaliser ses pratiques et confisquer plus facilement la souveraineté populaire, met en place une centralisation extrême de son action. La Constitution du 6 messidor an I (1793) conférait la majorité du pouvoir d’exécution des lois aux communes. Les représentants du pouvoir central, chargés de construire et d’organiser un maillage territorial efficace au niveau local, étaient directement élus par le peuple. Les procureurs généraux syndics au niveau des départements et les procureurs syndics dans les districts pouvaient ainsi être directement révoqués s’ils ne remplissaient pas correctement ces missions. Le Directoire avait déjà mis à mal cette logique de démocratisation de la politique locale puisque la représentation du pouvoir avait été confiée à des commissaires centraux nommés et non plus à des fonctionnaires élus. L’institution préfectorale, héritière des commissaires centraux, est créée par la loi du 8 pluviôse an VIII (17 février 1800) « concernant la division du territoire de la République et l’administration ». Le préfet se retrouve seul chef de l’administration locale et se substitue à toute politique démocratique. Les maires des communes de moins de 5 000 habitants sont directement désignés par le préfet, sinon par le 1er consul. Tous les échelons de l’administration publique, du département aux arrondissements communaux en passant par les communes, sont sous sa commande directe comme indirecte. Une ligne de transmission se crée entre les ministres, les préfets, les sous-préfets et les maires.

Certains craignent alors que les préfets conservent de trop nombreux pouvoirs. Toute contestation au niveau local est traitée au sein d’un bureau du contentieux où siège le préfet. Or, « administrer est le fait d’un seul […] juger est le fait de plusieurs ». Charles Ganihl propose ainsi d’associer à chaque préfets deux assistants : « le préfet sans surveillant fera revivre le despotisme du régime intendanciel […] Ce mode eût réunit les avantages d’une administration collective sans être exposé à ses inconvénients ». Ces réprobations sont balayées par Bonaparte qui se débarrasse des brumairiens critiques lors du renouvellement du tribunat en 1802.

Il ne faut pas oublier que les révolutionnaires jacobins avaient l’ambition de créer une représentation efficace du pouvoir exécutif au niveau local, nombre des préfets de la première génération étant issus des rangs révolutionnaires. Pourtant, c’est bien sous le consulat que notre administration a opéré une forte recentralisation non démocratique de son action, bien loin du projet initial des Jacobins.

« La souveraineté de la nation réside dans les communes »

Saint-Just, 1793.

La préparation des lois est également confisquée au peuple. Le conseil d’État, regroupant les « experts » nommés par le premier consul, prépare et rédige les textes législatifs. L’idée selon laquelle les mieux lotis seraient les plus à même de s’occuper des affaires de la nation triomphe. Les plus riches ne gouvernent pas l’État mais en deviennent les administrateurs. François-Antoine de Boissy d’Anglas note ainsi que « nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois : or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve ».

Si l’abbé Sieyès soutenait en 1795 la mise en place du cens, il estime désormais nécessaire de créer des « listes de confiance ». Par ce système, tout homme de plus de 21 ans peut élire une liste des mandataires possibles au sein desquelles le pouvoir choisit les membres des assemblées. Le citoyen ne possède ainsi qu’un droit de présentation. Comme le résume Cabanis, « tout se fait donc au nom du peuple et pour le peuple ; rien ne se fait directement par lui : il est la source sacrée de tous les pouvoirs, mais il n’en exerce aucun ». Ce dernier estime que « en un mot, il est libre mais il est calme ». De même, Sieyès avait présenté en 1795 un projet de création d’un « jury constitutionnaire », organe chargé de protéger la constitution. Le texte suprême de l’an VIII crée un « collège des conservateurs », aux membres cooptés à vie, chargé de cette même mission. Il est en cela l’ancêtre de notre Conseil constitutionnel. Comme l’estiment Marc Belissa et Yannick Bosc, « se trouvent ainsi transférée à des experts la fonction du contrôle de l’effectivité du pacte social qui était l’attribut de la citoyenneté ».

La justice, quant à elle, se hiérarchise et se rapproche du pouvoir. Alors que, sous la Révolution, les juges étaient élus par le peuple, il ne subsiste plus que le juge de paix à l’échelle des cantons qui doive sa place aux décisions populaires. Des tribunaux spéciaux voient le jour, notamment dans le sud, afin de réprimer tout acte séditieux. Alors que cette démarche était totalement interdite pendant les épisodes révolutionnaires, certains tribunaux ne comportent aucun jury populaire. Le seul lieu d’opposition au pouvoir, le Tribunat, ne possède qu’un pouvoir d’action réduit et est souvent moqué par les partisans de Bonaparte. Lorsque l’institution manifeste son opposition aux projets du Code civil et d’un traité avec la Russie, comprenant le terme de « sujets » pour désigner les Français, elle est immédiatement réformée. Le 1er avril 1802, le Tribunat est divisé en trois sections distinctes et les délibérations sont désormais secrètes. Stendhal, nommé auditeur du Conseil d’État en 1810 estime que « la première affaire était d’abaisser le citoyen, et surtout de l’empêcher de délibérer, habitude abominable que les Français avaient contractée dans les temps du jacobinisme ».

Une société fondée sur l’honneur, la famille et l’Église

Dès 1796, le général corse veille à véhiculer une image flatteuse. Glorifiant ses succès tout en dissimulant ses défaites, la figure napoléonienne s’impose dans l’espace public. Cette héroïsation du personnage lui est ensuite bien utile pour fonder la légitimité du coup d’État brumairien. Pourtant, comme le remarquent les auteurs, « il était insuffisant pour fonder le nouveau régime dans la durée ». En effet, « il lui fallut recourir à bien d’autres formes de légitimité dans un “bricolage” permanent ». Pendant la période post-brumaire, un empilement de symboles est mobilisé pour légitimer le changement de régime. Sont vantées ses qualités militaires comme civiques, célébrant son « génie » législateur et sa capacité à gouverner la nation. Ainsi, « le pouvoir était désormais incarné dans un seul homme dont la figure était, selon la tradition panégyrique, un condensé de toutes les vertus ».

Le régime a tout d’abord recours aux symboles républicains. Le 19 brumaire, les trois consuls prêtent serment au nom de la « souveraineté du peuple ». De même, l’État se légitime par un recours aux valeurs militaires. Si jusqu’à 1803, la loyauté du corps militaire envers Napoléon n’est pas acquise, « une grande partie des militaires se rallia au grand chef qui, une fois les opposants éliminés, choya les officiers obéissants ». Très vite, le recours à la « chose publique » et aux symboles militaires ne suffit plus et le pouvoir fait appel à des symboles forts, à l’image de l’ancien président américain George Washington. Napoléon se doit alors de correspondre à la représentation d’un « grand homme ». Comme le père fondateur des États-Unis, Bonaparte veut véhiculer une image de sage au-dessus des factions et des partis. De véritables apologies sont ainsi rédigées à la gloire du général, à l’image du Parallèle entre César, Cromwell, Monk et Bonaparte, rédigé par Fontanes en 1800.

Le régime s’appuie également sur une multitude d’institutions. Le mariage permet au mari d’exercer un contrôle sur le foyer, notamment sur sa femme. La famille est perçue comme une institution permettant de stabiliser la société. Les Montagnards avaient conféré aux enfants naturels – nés hors mariages – les mêmes droits que les enfants « légitimes » tandis qu’une loi de 1792 permettait un divorce plus facile. Ces dispositions sont rapidement écartées et écornées, symbolisant le retour central et fondamental de l’institution familiale. De même, le régime s’appuie sur la religion catholique qui devient « religion de la grande majorité des Français […] professée par les Consuls ». Le Concordat, ratifié en 1801, permet le rapprochement entre Napoléon, le clergé français et Rome. De nombreux groupes politiques, à l’image des républicains ou des idéologues, sont vent en poupe contre ce projet qui donne « un coup d’arrêt au processus de laïcisation de la société issu de la Révolution ».

Que dit Napoléon de notre rapport à la République ?

Si Le Consulat de Bonaparte ne dresse pas une liste exhaustive des parallèles existant entre notre époque contemporaine et la période napoléonienne, force est de constater que ces derniers sont légion. Comme le notent les auteurs, « la rationalité administrative se substitue à la politique […] et forme le projet consulaire conçu comme une machine de guerre contre les “désordres “, “l’anarchie” et “les passions” engendrées par les assemblées de la Révolution ». Beaucoup de ces traits persistent aujourd’hui. Sous couvert d’efficacité, un régime technocratique et « post-politique » privilégiant un recours massif aux « experts » se substitue à la souveraineté populaire. L’héritage républicain a servi un temps à légitimer le régime bonapartiste qui prétendait exercer son pouvoir au nom de la « souveraineté populaire », mais cette période ne fut que de courte durée et cette prétention s’est rapidement mue en trahison. Si la vertu fondait l’assise du régime républicain pendant la Révolution, c’est désormais l’honneur qui est mis sur un piédestal. En 1802 est ainsi créée la légion d’honneur qui ne récompense plus les qualités républicaines, mais décerne des mérites selon la volonté du seul exécutif.

Si l’adhésion au régime républicain ne fait plus l’objet de débats comme cela pouvait encore être le cas à l’aube du XXe siècle, ce qu’il signifie en tant que projet politique n’a jamais cessé d’être un terrain de luttes. Chaque groupe défend sa conception de la République, certaines étant diamétralement opposées aux intentions des révolutionnaires de 1789-1795. Le projet républicain tel qu’il avait été pensé initialement n’a jamais été achevé, mais les événements révolutionnaires de 1789 ont toujours été présents dans les mémoires communes, notamment en 1848 et pendant la Commune, en tant que combat à perpétuer. Aujourd’hui encore, comprendre les différentes conceptions de la République défendues par les familles politiques reste une clef de lecture essentielle pour appréhender les clivages qui traversent notre société.

Le Consulat de Bonaparte. La Fabrique de l’État et la société propriétaire (1799-1804)

Marc Belissa et Yannick Bosc

La Fabrique éditions, 2021, https://lafabrique.fr/le-consulat-de-bonaparte/

Rhétorique identitaire et souveraineté au XXe siècle

La notion d’identité est devenue omniprésente. Beaucoup y trouvent un substitut commode à la souveraineté. Un substitut parfaitement soluble dans le projet européen : qu’il s’agisse des rengaines civilisationnelles (une civilisation européenne à défendre) ou des régionalismes antinationaux. Mais le substitut identitaire semble aussi soluble dans le projet national lui-même. Il est nécessaire, pour le comprendre, de replonger dans l’histoire du XXe siècle.

Jacques Benoist-Méchin, ancien collaborationniste, s’est beaucoup intéressé au Moyen-Orient. Intérêt qui le pousse à écrire deux ouvrages biographiques en prison : l’un sur Mustapha Kemal et l’autre sur Ibn Saoud. Il s’agit de Mustapha Kemal, la mort d’un Empire[1] et d’Ibn Séoud, la naissance d’un royaume[2]. La thèse du premier est somme toute assez répandue et admise : une volonté de renoncer aux ambitions impériales ottomanes pour construire un véritable territoire turc (bien que certains nationalistes turcs fussent aussi des nostalgiques de l’Empire ottoman). Un patriotisme turc bâti sur la mort de l’Empire ottoman. Le général de Gaulle, qui avait une certaine admiration pour Benoist-Méchin (il fit réimprimer son Histoire de l’armée allemande malgré l’opprobre de la Collaboration), aurait lu ce livre. Après son retour au pouvoir en 1958, un certain nombre de missions dans le monde arabe auraient été confiées à Benoist-Méchin. Parmi ceux qui ont affirmé l’intérêt du général pour les travaux de Benoist-Méchin, citons le journaliste Gilbert Comte.

La décolonisation gaulliste contiendrait donc des éléments kémalistes : une construction nationale qui passe par une sorte de délestage. Il s’agit de se débarrasser du poids des anciennes colonies, tout comme la Turquie s’est débarrassée de celui des anciens territoires ottomans. Il est possible de citer le général de Gaulle lui-même et ses Mémoires d’espoir : l’idée d’un retour aux affaires en 1958 avec la ferme intention de délivrer la France de son empire. Le général l’exprimait dans ces termes : « En reprenant la direction de la France, j’étais résolu à la dégager des astreintes désormais sans contrepartie que lui imposait son Empire […] Bref, quelque mélancolie que l’on pût en ressentir, le maintien de notre domination sur des pays qui n’y consentaient plus devenait une gageure où, pour ne rien gagner, nous avions tout à perdre. »[3]

On peut parler ici d’un principe territorial qui coïncide avec un principe identitaire. Si l’État territorial s’est construit contre les considérations identitaires à l’époque moderne (contre les principes civilisationnels et religieux –avec un catholicisme aux prétentions universelles–) et s’il préfère la maîtrise territoriale à l’invocation identitaire, le recours à la nation est lui-même en partie identitaire. Et c’est pour cette raison que la sortie de l’empire (comme dans le cas français) ne coïncide pas seulement avec une réorganisation de la maîtrise territoriale (une question de souveraineté), mais aussi avec une redéfinition –« définition » pouvant être pris au sens photographique aussi– du caractère d’une population (une question d’identité).

L’historien américain Todd Shepard[4], qui s’est beaucoup intéressé à la question franco-algérienne, utilise le verbe « blanchir ». La nation française aurait été blanchie par la décolonisation. La Ve République n’est pas qu’une affaire de nouvelles institutions, mais aussi d’une nouvelle population, d’une nouvelle identité : une France spectaculairement plus européenne émerge. Une France « libérée » du poids de son empire colonial, une France au nouveau visage. Pour reprendre une opposition déjà opérée par Jean Gottmann[5], le territoire platonicien (refuge) prend le dessus sur le territoire aristotélicien (plateforme d’expansion). Seulement, et c’est toute l’ironie de l’histoire, si la décolonisation a européanisé la population française avec le détachement de l’Algérie, une importante immigration s’est chargée d’empêcher le « blanchiment » évoqué par Shepard.

Les liens qu’entretiennent les notions de souveraineté et d’identité sont ambivalents. Il ne faudrait pas les associer ou les dissocier trop hâtivement. La souveraineté est une notion éminemment territoriale. Malgré son héritage religieux, analysé par Jacques Derrida qui rappelle que « pour Hobbes, le Léviathan imite l’art naturel de Dieu »[6], c’est une notion qui invite à la maîtrise profane plutôt qu’à la référence identitaire. Le territoire exige une présence dans un espace circonscrit et une action. L’identité est une référence. L’édit de Nantes d’Henri IV en 1598 (édit de tolérance) est déjà le signe d’une première territorialisation (ici une pacification) face à la référence religieuse (et aux conflits religieux).

Jean Baudrillard distingue très bien les deux notions dans un précieux livre de 1999 : « On rêve d’être soi-même quand on n’a rien de mieux à faire. On rêve de soi et de la reconnaissance de soi quand on a perdu toute singularité. Aujourd’hui, nous ne nous battons plus pour la souveraineté ou pour la gloire, nous nous battons pour l’identité. La souveraineté était une maîtrise, l’identité n’est qu’une référence. La souveraineté était aventureuse, l’identité est liée à la sécurité […] L’identité est cette obsession d’appropriation de l’être libéré, mais libéré sous vide, et qui ne sait plus ce qu’il est. »[7] Baudrillard, théoricien de la mort du réel, souligne ici une évolution importante : l’action, le contrôle et la maîtrise deviennent obsession de soi. Pour bien comprendre le rapport de force entre ces deux notions (et l’évolution de l’une à l’autre), intéressons-nous aux exemples québécois et algérien.

Avant la « Révolution tranquille » et l’émergence d’un souverainisme québécois dans les années 1960 et 1970, on parlait de « Canadiens français » (qui allaient, avec la demande de souveraineté, devenir des Québécois). Le substantif (« Canadiens ») désignait le territoire et l’adjectif (« français ») l’identité. Autrement dit, une identité française dans un Canada souverain. Petit à petit, le Québec a émergé à travers une revendication proprement territoriale : le combat pour un Québec souverain. Contrairement au Canadien français, le Québécois ne se définissait plus par son identité, par un adjectif, mais par une volonté de contrôle sur son territoire. D’y voir sa langue et son travail respectés. Pour le dire encore autrement, c’était une affaire de domination sur un territoire (l’indépendantisme québécois ressemblait beaucoup aux luttes anticoloniales) bien plus qu’une affaire d’identité.

Il est intéressant d’observer une évolution semblable en Algérie. La décolonisation, ce processus de « blanchiment » et d’européanisation de la France, a transformé des « Français musulmans » en Algériens. Là encore, on passe d’une identité (« musulmans » dans un territoire français) à une souveraineté (Algériens dans un territoire indépendant). D’une référence à un contrôle territorial. Ce processus est d’ailleurs aussi valable pour les Palestiniens qui connaissent, en même temps que les Québécois et les Algériens (dans les années 1960), un même réveil (cette fois encouragé par la défaite des armées arabes lors de la guerre de 1967) : la notion de « peuple palestinien » prend le dessus sur le panarabisme.

Nous avons là des combats pour la souveraineté. Et nous assistons aujourd’hui, comme l’écrivait Baudrillard en 1999, à un processus inverse. L’identité est devenue un paradigme incontournable. Dans le cas québécois, les débats identitaires jouent le rôle d’ersatz (un ersatz de souveraineté) : ils tournent notamment autour de la question de la laïcité et de la place de l’islam. En Algérie, où l’indépendance a pourtant bien été réalisée, les crispations identitaires ont largement pris le dessus sur l’exercice réel de la souveraineté : un islam omniprésent.

[1] Jacques Benoist-Méchin, Mustapha Kemal, la mort d’un Empire, Paris, Albin Michel, 1954.

[2] Jacques Benoist-Méchin, Ibn Séoud, la naissance d’un royaume, Paris, Albin Michel, 1955.

[3] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Tome 1, Paris, Plon, 1970, p. 41.

[4] Todd Shepard, 1962 : Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Paris, Payot, 2008.

[5] Jean Gottmann, The Significance of Territory,  Charlottesville, The University Press of Virginia, 1973.

[6] Jacques Derrida, Séminaire. La bête et le souverain : volume 1 [2001-2002], Paris, Galilée, 2008, p. 78.

[7] Jean Baudrillard, L’Échange impossible, Paris, Galilée, 1999, p. 72.