Du travail domestique au bénévolat : l’exploitation hors de l’entreprise

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Bénévole des Restos du Coeur à Alfortville ©Vincent Jarousseau

« Rémunéré en expérience » est désormais un trait d’esprit répandu parmi les étudiants lorsque leur stage n’ouvre pas droit à la gratification minimale. Alors qu’ils remplissent parfois les missions d’un salarié, les stagiaires devraient se contenter du gain de compétences et de la perspective d’obtenir, plus tard, un emploi correctement rémunéré grâce à l’expérience acquise. Bénévoles, stagiaires, et maintenant allocataires du RSA depuis la mise en place des « contrats d’engagement » en janvier dernier, le travail de milliers de Françaises et de Français est nié comme production de valeur parce qu’effectué « en dehors » du marché du travail et « au nom » de valeurs morales supérieures (le partage, la citoyenneté, la générosité). Dans L’imposture du travail, Maud Simonet s’appuie sur les analyses des féministes matérialistes pour mieux comprendre les ressorts de cette nouvelle forme d’exploitation.

« En dehors » et « au nom de » : tels sont les deux termes clés de ce mécanisme d’extraction de la valeur sur lesquels les analyses féministes du travail domestique ont attiré l’attention et qu’il nous semble crucial de prendre en compte, de mettre davantage au centre de nos analyses sur le travail aujourd’hui.

Pourquoi « en dehors » ? Qu’elles l’inscrivent dans le mode de production capitaliste ou dans un mode de production patriarcal qui lui serait spécifique, les analyses féministes matérialistes invitent toutes à se décentrer du marché du travail salarié et de ses institutions (l’usine, l’entreprise, le contrat de travail…) pour penser l’exploitation du travail domestique. Celle-ci s’opérationnalise en effet dans nos espaces intimes privés, dans « nos cuisines et nos chambres à coucher »[1], dans ces espaces socialement construits comme « hors travail », et même incarnant par excellence son extérieur : la maison, le foyer. Pour Christine Delphy, l’« en-dehors » du travail fonde la spécificité du mode d’exploitation domestique, tout entier construit sur la famille et ses institutions patriarcales à commencer par celle du mariage. L’« en-dehors » du travail est aussi ce qui légitime la dualité productif/non-productif et dissimule le caractère productif du travail reproductif pour les théoriciennes de la reproduction sociale. « C’est justement le fait de faire apparaître la reproduction comme non-valeur qui permet en réalité de faire fonctionner non seulement la production, mais aussi la reproduction elle-même, comme production de valeur » écrit alors la théoricienne italienne Leopoldina Fortunati[2]. C’est ainsi, par cette mise en extériorité et à partir de l’institution de cette frontière entre le travail et la famille, que s’opèrent tout à la fois la mise au travail et la captation de sa valeur.

Ces différents travaux ont donc largement posé les bases pour une analyse de l’exploitation du travail gratuit bien au-delà du foyer et de la sphère domestique, et même du travail reproductif – sauf à prendre ce terme dans une acception large, et pourquoi pas ? Encore une fois, l’enjeu ici n’est pas de dire les bonnes frontières mais à quoi elles servent, et les loisirs, l’engagement et l’éducation sont, à l’image du travail domestique et familial, également construits aujourd’hui par l’ordre capitaliste comme relevant du « hors-travail ». Ils constituent, à ce titre, les territoires possibles d’une extraction de valeur s’appuyant sur le déni de travail (ce n’est pas du travail, c’est… de la passion, de l’engagement, des études) et de la travailleuse (tu n’es pas travailleuse, tu es amatrice passionnée, tu es bénévole engagée, tu es en formation…).

Ainsi, l’enquête que nous avons menée, avec John Krinsky[3], sur l’entretien des parcs de la ville de New York s’intègre assez facilement dans le cadre d’analyse de la théorie de la reproduction, à la fois dans son sens restreint de reproduction de la force de travail mais aussi dans le sens actuel plus large de reproduction de la vie. Elle met en lumière le recours croissant de la municipalité, depuis la crise budgétaire des années 1970, à des bénévoles d’une part et à des allocataires de l’aide sociale de l’autre pour mener à bien sa mission publique : l’entretien des parcs.

Au nom de la citoyenneté, dans le cadre des politiques concomitantes mais disjointes de soutien au bénévolat et de développement du workfare (la mise au travail des allocataires en contrepartie de leurs prestations sociales), certaines femmes, plutôt issues des classes moyennes ou supérieures, ont donc été invitées et d’autres, majoritairement des femmes noires des classes populaires, bien davantage contraintes, à participer, dans des proportions aujourd’hui importantes, à la force de travail qui nettoie les parcs de la ville, et ce sans jamais être reconnues comme des travailleuses.

Ce sont nos valeurs, nos croyances, nos passions, nos affects qui deviennent des ressorts de l’exploitation.

La fourniture locale ou départementale de masques produits par des bénévoles, pendant le confinement, pour équiper la population avant le déconfinement et lui permettre ainsi de reprendre le travail, relève là encore, de façon exemplaire, presque caricaturale, de ce travail de production et de reproduction de la force de travail qui constitue « la base et l’envers du capitalisme ». Que l’appel à 45 000 bénévoles pour le déroulement des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 soit considéré comme relevant ou non d’un travail reproductif, le processus de mise au travail et d’extraction de la valeur, depuis ce « hors-travail » qu’est le sport et « au nom » des valeurs sportives, est semblable à celui décrit dans les deux exemples précédents. Définies par de véritables fiches de poste, les missions diverses de ces bénévoles (accueil, orientation, transport des sportifs et du public par exemple) sont largement encadrées par le comité Paris 2024, dont le budget atteint les 8 milliards d’euros. Certaines de ces missions, en outre, sont placées de façon explicite « sous la supervision des équipes d’Omega », chronométreur officiel des Jeux, qui se voit ainsi bénéficier, dans le cadre de ce partenariat, d’une main-d’œuvre « volontaire », passionnée et non rémunérée… un peu comme ces entreprises qui ont fait produire des masques « solidaires » par des bénévoles pendant le Covid dans un mélange des genres productifs soudain rendu possible par la situation d’« exception »[4].

À côté de l’approche marxiste de l’exploitation salariale, et en complément de celle-ci, cette approche féministe de l’exploitation nous ouvre donc les yeux sur d’autres territoires de l’exploitation (le « hors-travail »), d’autres intermédiaires organisationnels de l’exploitation (les entreprises certes, mais aussi les associations et les collectivités publiques) ainsi que sur une autre définition de ses ressorts. Ce sont nos valeurs, nos croyances, nos passions, nos affects, ce qui fait que nous ne sommes pas juste de la force de travail, des travailleuses-marchandises, mais des personnes engagées, civiques, qui aiment, qui créent, et même parfois qui luttent pour revendiquer leur dignité, qui deviennent des ressorts de l’exploitation. Or ce mécanisme spécifique d’exploitation « au nom de » (la solidarité, la citoyenneté, la passion) est aujourd’hui d’autant plus répandu dans le fonctionnement du marché du travail salarié qu’il s’y articule avec une autre caractéristique de celui-ci, que de nombreux travaux ont mise en lumière ces dernières années : celle d’être de plus en plus régulé par une « économie politique de la promesse ». Qu’il prenne la forme d’un stage, d’un service civique, d’un bénévolat associatif « classique » ou inscrit dans des programmes ciblant les allocataires de l’aide sociale ou les demandeurs d’asile, ce « hope labor » qui fait que l’on travaille aujourd’hui gratuitement ou semi-gratuitement dans l’espoir de décrocher demain le boulot de ses rêves semble s’être généralisé, bien au-delà des industries créatives où il a d’abord été débusqué.

L’économie politique de la promesse et les politiques publiques qui la soutiennent invitent ainsi, toujours et partout, aux conversions, à la valorisation des pratiques et des expériences « hors travail » sur le marché du travail, sans jamais les reconnaître pleinement comme travail. Elle met en permanence nos valeurs au travail en leur déniant dans le même mouvement cette qualité. Et l’État joue dans ce tour de passe-passe un rôle central.

Les lignes qui précèdent sont issues de l’ouvrage de Maud Simonet.

Notes :

[1] Nicole Cox et Silvia Federici, Counter-Planning from the Kitchen, Falling Wall Press, 1975.

[2] Leopoldina Fortunati, L’Arcane de la reproduction. Femmes au foyer, prostituées, ouvriers et capital, Entremonde, 2022, p. 55 [3] John Krinsky et Maud Simonet, Who Cleans the Park? Public work and urban governance in New-York City, The University Press of Chicago, 2017 [4] Fanny Gallot, Giulia Mensitieri, Eve Meuret-Campfort et Maud Simonet, « Aux masques, citoyennes ! Mélange des genres productifs en régime d’« exception » », Salariat, vol. 1, 2022, pp. 209-218.

Manolis Glézos, ce « bel enfant souriant au rêve du monde »

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Manolis Glezos s’exprimant sur la place Omonia à Athènes lors d’un rassemblement électoral du parti Unité populaire ©DTRocks

« Bien sûr, Joliot, tu auras su pour Manolis Glézos
-ah, comment te dire, Joliot,
quand il passait dans les ruelles de Plaka les mains dans les poches,
bel enfant souriant au rêve du monde, du haut de la cordillère du malheur
quand il escaladait les rochers de l’Acropole
serrant dans ses deux jeunes poings
la colère de tous les peuples et leur espoir
quand sous les naseaux écartés des mitraillettes affamées
il brisait de ses deux poings la croix gammée
il brisait de ses deux poings les dents de la mort –
Et voilà que, depuis plusieurs années maintenant,
Joliot, Manolis Glézos
regarde le soleil derrière les barreaux
et toujours, de ses deux mains, entaillées par les menottes
il essuie les yeux en larmes du monde
il essuie le front en sueur de la liberté et la paix.
(….) »

Yannis Ritsos, Lettre à Joliot Curie

À 97 ans, lundi 30 mars 2020, le « bel enfant souriant au rêve du monde » s’en est allé. Infatigable malgré les années et les épreuves, Manolis Glézos, homme politique et écrivain grec, incarne la figure du résistant engagé dans les combats de son époque, pour l’indépendance nationale, la démocratie directe, la liberté et la justice sociale.


Dans cette vie, il y eut le premier acte héroïque. Celui qui fit de lui « le premier résistant européen » selon les mots du général de Gaulle. Le 30 mai 1941, il gravit le rocher de l’Acropole avec son compagnon Apostolos Santas pour en détacher le drapeau nazi et signifier ainsi ouvertement le début de la résistance. Il avait alors 18 ans. Puis, il fut de tous les combats en Grèce : la guerre civile et la résistance à la dictature des colonels. Suivirent des années de prison et d’exil pour avoir résisté et s’être engagé dans le parti communiste, des évasions toujours réalisées avec des camarades ainsi qu’un engagement continu au sein de la gauche grecque. Il fut élu plusieurs fois au Parlement grec, dont deux fois depuis sa cellule de prison, et devint le doyen du Parlement européen en 2014 « pour dire oui à l’Europe mais non à l’austérité ».

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Plaque commémorative de l’enlèvement du drapeau nazi par Manolis Glézos et Apostolos Santas sur l’Acropole d’Athènes, Grèce © Jebulon

Condamné à mort à trois reprises, il en réchappa à chaque fois avec la même fidélité à son engagement, la même éthique envers la vie. L’idéal le faisait tenir, lui donnait la force d’aller plus loin. Tout comme ses lectures et sa curiosité intellectuelle. Pendant ses années de prison, il racontait avoir appris seul le russe ou l’italien. Il lisait pour lutter contre cette dégradation morale. Dans les couloirs du Parlement européen, je me souviens de sa joie lorsqu’il m’évoquait la bibliothèque municipale qu’il avait fondée à la mémoire de son jeune frère Nikos, fusillé par les Nazis. « Un de mes grands rêves était que notre village ait une bibliothèque. Le livre est un élément essentiel de la vie, du progrès, de la culture. Une source infinie de lumière. L’éducation et la culture doivent devenir la propriété de tous ! » Il était très fier de dire qu’elle existait grâce aux dons des citoyens et invitait tout un chacun à la faire vivre. Pour son enterrement, plutôt que des fleurs, sa famille a d’ailleurs demandé à tous ceux qui voulaient honorer sa mémoire d’envoyer un don à cette bibliothèque située dans son village natal, sur l’île de Naxos.

Le sourcil relevé avec malice, il parlait parfois de ses camarades, ceux qui l’ont accompagné pendant un bout de chemin. Ceux avec qui il a réalisé des actes de résistance et dont la vie s’est arrêtée trop tôt, ceux pour qui il a continué de vivre et de lutter. Il n’était pas question de mettre en avant son parcours individuel ; ce qui comptait c’était l’aventure collective. Celle qui améliore le destin partagé.

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Manolis Glézos lors d’un rassemblement place du Dam à Amsterdam le 21 juin 2015 © Guido van Nispen

Manolis Glézos était également poète. Là aussi, il dédiait ses poèmes à des amis, des camarades : Giannis Ritsos, Alekos Panagoulis, Melina Mercouri, Nikiforos Mandilaras et bien d’autres encore. L’un de ses ouvrages, « Dans les Cyclades – L’esthétique de la lumière », est un hommage aux terres cycladiques où il est né. Les îles, la mer, le soleil et la lumière y nourrissent les femmes et les hommes. Le soleil des Cyclades « armure ses fils […] qui font la guerre / à la violence et au mensonge». Le lexique est guerrier, il s’assombrit mais ne cesse de briller, même dans cette obscurité. Le poète passionné retrouve la vie lorsqu’il rencontre à nouveau cette terre qui l’inspire et qui rend modernes des statues si anciennes – je pense à ces célèbres idoles épurées et féminines découvertes dans ces îles.
« J’ai retrouvé Nio » dit l’un de ses poèmes, en référence à l’île de Paros – et l’on croirait que le poète a retrouvé le paradis.

Les jeunes sont-ils vraiment dépolitisés ?

School Strike 4 Climate Demonstrations Zagreb

La France, comme de nombreux pays partout sur la planète, connaît un fort recul de la participation électorale chez les 18-25 ans. Si l’on peut croire que nombreux sont ceux qui s’abstiennent par désintérêt total de la sphère politique, on assiste cependant à une recrudescence des mouvements sociaux impliquant la jeunesse. Alors, faut-il voir dans les positions contradictoires de la jeunesse un réel manque d’intérêt pour la politique ou un simple « ras-le-bol » des institutions et de ses représentants ?


 

Manque de temps, manque d’informations, sentiment d’injustice ou encore de non-importance… De plus en plus de jeunes choisissent l’abstention. En France, lors des dernières élections présidentielles, moins de deux jeunes sur dix ont voté aux deux tours de la présidentielle de 2017. Un phénomène qui se répète dans plusieurs autres pays occidentaux, comme au Canada, où 67 % des jeunes se sont déplacés aux élections fédérales de 2015, contre 84% pour le reste de la population. Autre exemple, l’Angleterre, où seulement 44% des jeunes Britanniques ont pris part au renouvellement du Parlement en 2010. Une situation semblable aux Etats-Unis, notamment en Californie, où les dernières élections n’ont attiré que 8,4% de l’électorat des moins de 25 ans.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette défiance des jeunes vis-à-vis du politique. En premier lieu, les dernières années n’ont été que très peu marquées par des mobilisations de grande ampleur, à l’image de mai 68, de la loi Devaquet, du « plan Juppé », ou encore plus récemment contre du Contrat Première Embauche (CPE) de 2006, mobilisations qui avaient rassemblé chacune plusieurs millions de personnes. Cela a son importance, puisque, comme en témoigne le mouvement des Gilets Jaunes, un soulèvement populaire s’accompagne généralement d’une politisation massive et rapide de la population. Par ailleurs, les défaites successives des dernières grèves et manifestations, constituent une autre explication du non-engagement des jeunes, tant au niveau politique, (que ce soit dans l’opposition ou non), que syndical. Le fort niveau d’implication qu’un tel engagement engendre, pour finalement, n’obtenir que peu de résultats, a de quoi décevoir. Un constat que partage la sociologue Anne Muxel, dans le hors-série du mensuel Sciences Humaines, Où va la France ? : « N’ayant connu que les crises sociales, économiques et aussi politiques taraudant la société française depuis une bonne trentaine d’années, les jeunes sont de fait porteurs d’une défiance globale ».

Ce ressenti trouve également sa source dans le sentiment de manque de représentation et de considération des différents élus, mais également dans un fort sentiment d’invisibilité des politiques publiques dans la vie quotidienne des jeunes. Les dernières mesures du gouvernement, baissant les APL de 5 euros pour les étudiants principalement, accompagnées de petites phrases cyniques telles que « Si à 18 ans (…) vous commencez à pleurer pour 5 euros, qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? », de la députée de la majorité Claire O’Petit, ne fait que renforcer ce sentiment de fracture entre une classe politique déconnectée et une jeunesse de plus en plus en proie à des difficultés économiques et sociales. Ainsi, en 2011, une enquête co-réalisée entre le CSA et de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) révèle que 75% des jeunes pensent « qu’ils ne sont ni entendus, ni reconnus dans la société, et ne se sentent pas respectés par les responsables politiques ».

75% des jeunes pensent « qu’ils ne sont ni entendus, ni reconnus dans la société, et ne se sentent pas respectés par les responsables politiques ».

Malgré tout, certains jeunes ont choisi une voix plus traditionnelle d’expression politique. En France, par exemple, 1/3 des 18-25 ans a voté Mélenchon aux élections présidentielles, porteur d’un vrai espoir pour la jeunesse. De l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis,  Bernie Sanders, qui briguera prochainement la place du représentant des démocrates pour les élections présidentielles de novembre 2020, est soutenu par une grande partie de la jeunesse américaine. Un programme qui suscite de l’espoir dans  la jeunesse, au point de vouloir s’engager dans la politique.  L’exemple le plus significatif est la montée en puissance d’Alexandra Ocasio-Cortez, élue au Congrès en 2018, à seulement 29 ans, ce qui fait d’elle la plus jeune élue du Congrès américain. Ambassadrice du Green New Deal, aux côtés de Bernie Sanders, elle est promise à une belle carrière politique avec ses discours très engagés, comme on a pu le voir récemment contre Marc Zuckerberg.

Néanmoins, là où la jeunesse reste le plus active, c’est dans les mouvements sociaux ou soulèvements populaires partout dans le monde. Preuve en est, de plus en plus de mouvements sociaux mondiaux de ces dernières années sont amorcés par les jeunes eux-mêmes. À commencer par le Printemps arabe, en 2011, débuté par une jeunesse tunisienne en quête de liberté et de démocratie. Grâce aux réseaux sociaux, la génération Y a rapidement révolutionné l’ensemble de la région du Maghreb. Sur fond de revendications économiques, avec une jeunesse sacrifiée qui n’a que très peu accès à l’emploi, les revendications des peuples vont largement dériver vers des demandes plus politiques, à savoir la demande croissante de démocratie et de participation à la vie de la société.

Autres temps, autre pays et autre revendications: le Printemps érable au Québec, en 2012, au cours duquel la jeunesse québécoise se soulève pour un autre enjeu primordial : l’accès à l’éducation pour le plus grand nombre. Un mouvement imité en France en 2018, avec les multiples manifestations contre la réforme de Parcoursup qui a mobilisé aussi bien des lycéens que des étudiants. Autre exemple, le soulèvement populaire à Hong-Kong, où la jeunesse est présente en masse pour faire face à un projet d’extradition des citoyens hongkongais vers la Chine. Plus généralement, que cela soit au Chili, au Liban ou encore en Irak, tous les soulèvements populaires actuels sont basés sur une forte implication de la jeunesse. Mais la mobilisation qui rassemble le plus ces derniers temps reste les différentes manifestations en faveur du climat, avec le mouvement Youth Climate, Greta Thunberg en tête. Lors des deux dernières grèves du climat, le 20 et 29 septembre dernier, 7 millions de jeunes ont manifesté partout à travers le monde. Face aux réactions timides des autorités internationales, les jeunes se saisissent eux-mêmes de la question environnementale, aussi bien pour sensibiliser l’opinion publique sur ce sujet, que pour instaurer un rapport de force avec les politiques et les forcer à se soucier enfin de l’enjeu principal des années à venir.

Qu’ont en commun tous ces mouvements que l’on a vu apparaître ces dernières années ? Les réseaux sociaux et leur utilisation. Le web reste un outil majeur de mobilisation chez les jeunes. Ainsi, de plus en plus de rassemblements se font grâce à une organisation sur la toile, notamment par l’intermédiaire de Facebook qui regorge d’événements politiques et militants en tout genre. Ce phénomène s’est principalement fait ressentir au moment du printemps arabe, où la jeunesse de tout le Maghreb s’est soulevée, notamment en Tunisie, par l’intermédiaire de diffusion d’informations, mais l’organisation n’est pas la seule utilité du web. En effet, à l’heure où la majorité des jeunes sont très actifs sur les réseaux, et avec le recul de l’intérêt pour la télévision, c’est également un moyen pour eux de s’informer, et a fortiori, de se politiser.

À l’avenir, il est évident que l’engagement et la re-politisation des jeunes passeront par une bonne stratégie en matière de communication numérique. Et cela, deux personnalités politiques l’ont bien compris. Bernie Sanders, en tête, lors des primaires de 2016, a adopté un plan directement tourné vers la jeunesse, un électorat qu’il souhaitait séduire, notamment à coup de vidéos Youtube, de memes et de GIFS. Une stratégie qui semble avoir porté ses fruits puisque, lors de la primaire démocrate, ils ont réussi à séduire massivement les jeunes démocrates, qui ont voté à 73% en sa faveur. Une stratégie dont Jean-Luc Mélenchon s’est largement inspiré. Entouré d’une jeune équipe de communication, le candidat s’est lancé dans une conquête de numérique, notamment en étant très présent sur les réseaux sociaux.

Un constat s’impose : la jeunesse, désenchantée par la politique institutionnelle actuelle, ne s’implique plus dans les moyens traditionnels de mobilisation. Néanmoins, elle choisit de s’impliquer autrement, notamment à travers des mouvements populaires ou des manifestations sur le climat. Dans ce contexte de remise en question de la démocratie, phénomène qui se reproduit sur une bonne partie de la planète, il est indéniable que l’engagement des jeunes passera forcément par une refonte totale du système participatif. Et pourquoi pas, par la création d’une démocratie numérique, pour inclure l’ensemble des jeunes, toutes sociétés confondues, au processus démocratique.