Géothermie : intérêt général et capitalistes s’affrontent pour contrôler le nouvel or bleu

Forage géothermique à Orly. © Alain Bachellier

Depuis une décennie, la hausse continue du prix du gaz et du pétrole fait connaître à la filière de la géothermie profonde un regain de dynamisme certain. En Île-de-France, ce sont en effet des dizaines de projets de forages qui voient le jour, dans une région particulièrement propice au développement de la géothermie profonde. Ce nouvel essor n’a rien d’un hasard, et aiguise l’appétit des grands groupes énergétiques privés et publics. Une bataille sans merci entre intérêt général et entreprises capitalistes pour s’accaparer cette ressource d’un nouveau genre est en train de s’ouvrir. Et ce conflit a lieu sous vos pieds. 

C’est un manège qui commence à devenir familier aux yeux de nombreux Franciliens. Du jour au lendemain, un terrain vague, d’un peu moins d’un hectare, devient en quelques jours le lieu d’une activité fourmillante. Le terrain est délimité, des barrières sont installées, une base-vie est établie. Des relevés topographiques sont réalisés, de nombreux camions s’installent et une large dalle en béton est coulée. Toute cette phase préparatoire permet alors d’accueillir un véritable mastodonte technologique : une machine de forage profond. C’est ce bijou technologique qui doit permettre d’accéder au nouvel or bleu de nos sous-sols, plus prisé que le pétrole : une eau à près de 80°C et située à plus de 1000 mètres sous nos pieds. 

Cette eau à haute température a vocation à alimenter en chaleur renouvelable des réseaux de chaleur, pour in fine chauffer des milliers de logements. L’exploitation de la ressource en eau chaude captée dans le sol n’est pas nouvelle. Dès l’Antiquité, de premiers usages de sources d’eau chaude pour chauffer des logements sont attestés, en Chine comme au sein de l’Empire romain. De même, en France, à Chaudes-Aigues, un réseau géothermique, partagé parmi les habitants, a été mis en place dès 1332, desservant une quarantaine de logements. Un système de canalisations partageait la chaleur suivant la taille de la maison. Ce chauffage était gratuit pour les habitants mais ils devaient cependant se charger de l’entretien (détartrage) des conduites. De premiers usages industriels sont attestés aux Etats-Unis au tournant du XIXème et du XXème siècle, notamment pour alimenter le premier hôtel chauffé en géothermie.

Dans les années 1970, le krach pétrolier conduit à une première vague de développement industriel des réseaux de chaleur, avec 60 réseaux de chaleur sur l’ensemble du territoire français. Plusieurs fermeront en raison notamment de la baisse du prix du gaz et du pétrole suite au contre-choc pétrolier. Depuis une décennie, la hausse continue du prix du gaz et du pétrole fait connaître à la filière un regain de dynamisme certain. En Île-de-France, ce sont en effet des dizaines de projets de forages qui voient le jour, dans une région particulièrement propice au développement de la géothermie profonde. Un potentiel qui aiguise l’appétit des grands groupes énergétiques privés et publics. 

La géothermie, un outil-clé de décarbonation de notre chauffage

Revenons rapidement sur le fonctionnement d’un réseau de chaleur. De nombreuses villes en France sont équipées d’un tel réseau qui amène de l’eau chaude pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire par l’intermédiaire de vastes circuits de tuyaux jusqu’au pied des immeubles raccordés. Cette eau peut être chauffée par de nombreux moyens : par la combustion d’énergies fossiles (fioul, gaz, charbon) ou de résidus de biomasse (chaufferies-bois ou biomasse), en brûlant nos déchets ménagers, ce qui fournit par exemple 50% de l’énergie du réseau de chaleur parisien, ou en récupérant de la chaleur fatale (chaleur issue de processus industriels comme des blanchisseries, des data centers, qui serait perdue si non utilisée). 

Mais c’est encore mieux quand l’eau est déjà chaude ou qu’il suffit de la réchauffer légèrement ; c’est le principe de la géothermie profonde. Un réseau de chaleur à base de géothermie profonde exploite la chaleur naturelle du sous-sol à plusieurs kilomètres de profondeur. Des forages permettent de capter de l’eau chaude ou de la vapeur à haute température qui après avoir cédé sa chaleur est réinjectée dans le sous-sol. Ainsi, en Île-de-France, il est possible d’exploiter un aquifère particulier, le Dogger, situé entre 1200 et 1600 m de profondeur, où l’eau est disponible entre 60° et 80°. Si d’autres couches géologiques sont aussi à l’étude, comme le Trias à près de 2 km de profondeur ou le Lusitanien, aux alentours de 800m, c’est bien la couche du Dogger qui fait l’objet d’une exploitation accrue sur un périmètre allant de Cergy à Grigny, de Chelles à Versailles, voire au-delà. Ainsi, la chaleur géothermale permet de fournir une énergie décarbonée, renouvelable et disponible tout le temps, été comme hiver. En outre, son caractère local permet de décorréler son prix de l’évolution mondiale des prix de l’énergie et surtout du gaz.

La hausse continue du prix du gaz et de l’électricité rend les réseaux de chaleur compétitifs et économiquement intéressants pour des opérateurs industriels sur le long terme.

Cet attrait nouveau pour la géothermie s’explique principalement pour deux raisons. D’une part, la hausse continue du prix du gaz et de l’électricité rend les réseaux de chaleur compétitifs et économiquement intéressants pour des opérateurs industriels sur le long terme. Si l’énergie des profondeurs de la terre est en effet gratuite, la récupérer suppose des investissements considérables, rentables seulement au bout de plusieurs décennies. Un « doublet géothermique » connecté au Dogger, c’est-à-dire un puits d’injection et un second pour récupérer l’eau chaude, peut ainsi coûter une quinzaine de millions d’euros.

D’autre part, le recours à la géothermie est fortement encouragé par les pouvoirs publics. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoit, d’ici à 2030, la multiplication par cinq de la quantité de chaleur et de froid renouvelable et de récupération livrée par les réseaux. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoyait de passer de 1,18 TWh de chaleur géothermale en 2017 à 5,2 TWh en 2028 (x4,5). C’est une des énergies vertes qui doit permettre à la France d’atteindre ses objectifs en matière de renouvelables – objectifs pour lesquels elle accuse un retard certain – et de remplacer les chaudières au gaz ou au fioul, principalement en milieu urbain. 

De nombreuses aides financières sont accordées aux porteurs de projets par l’intermédiaire du « Fonds Chaleur » de l’ADEME (820M€ de fonds chaque année, notamment pour le développement de la géothermie) et l’Etat contribue très fortement au « derisking » des projets de géothermie, visant à réduire l’incertitude et le risque portant sur ces investissements, pour inciter les acteurs privés à développer des réseaux… et à réaliser des profits.

Tensions autour du partage de la ressource

Son caractère local, renouvelable et bas-carbone fait en conséquence de la géothermie une énergie de demain, à laquelle on peut prédire un avenir radieux. Toutefois, ses modalités de développement incontrôlées soulèvent de nombreuses interrogations, et l’exemple des projets franciliens est riche d’enseignements. Tout d’abord, la création de réseaux de chaleur est une compétence confiée historiquement par la loi aux communes, qui peuvent ensuite transférer cette compétence à leur intercommunalité ou bien à un groupement de collectivités comme un syndicat d’énergie. Pourtant, les communes et les intercommunalités ne disposent que très rarement des capacités financières, techniques ou encore juridiques pour assurer seules le portage de ce type de projets. A titre indicatif, le développement d’un réseau de chaleur géothermique pour alimenter 5 à 10.000 logements nécessite un investissement initial de l’ordre de 40 à 80 millions d’euros.

Ainsi, dans la très grande majorité des cas, les collectivités sont démarchées par des industriels énergétiques aux capacités financières solides. En Île-de-France, quatre acteurs majeurs se partagent le marché : Engie, Dalkia (filiale d’EDF), Coriance (propriété de la Caisse des dépôts à 49%) et Idex. Ces groupes proposent aux collectivités de s’associer dans le cadre de structures partagées comme des sociétés d’économies mixtes (SEM) ou des sociétés par actions simplifiées dédiées aux EnR (SAS EnR). Quand ils le peuvent, les acteurs privés vont jusqu’à tenter de négocier de fructueuses délégations de service public (DSP). Lorsqu’elles s’associent avec les collectivités, les entreprises privées peuvent être amenées à mener pour le compte des communes de nombreuses études, ainsi qu’à réaliser les lourdes démarches juridiques nécessaires aux forages et à l’exploitation du réseau. 

43 installations de géothermie profonde sont actives en Île-de-France et des dizaines de projets sont à l’étude, entraînant le dépôt de nouvelles demandes de permis exclusif de recherche, susceptibles de multiplier les frictions.

Notons que le sous-sol est la propriété de l’Etat et que de telles opérations dépendent du code minier. Toute opération de recherche dans le sous-sol doit en conséquence faire l’objet d’une autorisation préfectorale ou ministérielle selon l’ampleur du projet. L’Etat, après analyse des dossiers, généralement déposés par des grands groupes pour le compte de collectivités, peut octroyer alors dans un premier temps une autorisation de recherche ou un permis exclusif de recherche pour une durée de 3 à 5 ans renouvelable, qui accorde au demandeur l’exclusivité pour réaliser des forages sur des zones recouvrant plusieurs dizaines de km2. Si la ressource est confirmée, il est alors possible d’adresser une demande d’autorisation d’ouverture de travaux miniers (DAOTM) puis une demande de permis d’exploitation du réseau de chaleur (PEX), ces phases étant généralement soumises à enquête environnementale et enquête publique. 

Jusqu’ici, le nombre restreint de projets engendrait des frictions limitées et chaque collectivité réussissait à consolider un accès propre à une ressource perçue comme abondante. En outre, chaque projet pouvait prétendre à une zone du sous-sol suffisamment large pour pouvoir déployer plusieurs doublets et pomper assez de calories dans les aquifères. Mais le boom du développement de la géothermie change radicalement la donne. L’évolution actuelle du marché du gaz a poussé de nombreuses collectivités à étudier l’opportunité de la géothermie et les grands groupes, flairant les bonnes affaires, entament un lobbying de tous les instants auprès des élus et des cadres territoriaux. Ainsi, à l’heure actuelle, 43 installations de géothermie profonde sont actives en Île-de-France et des dizaines de projets sont à l’étude, entraînant le dépôt de nouvelles demandes de permis exclusif de recherche, susceptibles de multiplier les frictions.

Certains grands groupes sont particulièrement actifs pour déposer ces demandes de recherche qui leur permettent de « sécuriser et de préempter » des zones entières du sous-sol de l’Etat. Ces permis sont demandés sur des zones étendues, recouvrant souvent le sous-sol d’autres collectivités que celles des collectivités dont elles sont mandataires. La phase supplémentaire de consultation des communes touchées ne dure qu’un mois, un délai peu pertinent. Elle est donc trop rarement utilisée par la collectivité territoriale concernée du fait d’un manque de compétences en son sein. Ce qui est observé s’apparente à une logique de prédation sur une ressource d’intérêt commun. La maîtrise du sous-sol d’une ville par le biais d’autorisations administratives peut ensuite contraindre les collectivités concernées à travailler avec l’entreprise ayant préempté – en toute légalité – le sous-sol.

Ce qui est observé s’apparente à une logique de prédation sur une ressource d’intérêt commun.

Pourtant, il est possible de lutter contre cette prédation. Ainsi, à Trappes (Yvelines), la ville a émis un avis défavorable concernant la demande de permis exclusif de recherche déposée par Engie pour le compte de la ville de Bois-d’Arcy, Cette démarche, toujours en cours d’instruction, visait à contraindre Engie, via l’Etat, à modifier substantiellement le périmètre de son projet. En effet, le périmètre de recherche demandé par Engie empiétait sur la moitié du sous-sol de la ville de Trappes, oblitérant fortement la capacité de celle-ci à porter son propre projet de géothermie. De même, plusieurs tensions fortes sont déjà apparues en petite couronne parisienne, obligeant les services de l’Etat à mettre en urgence les collectivités concurrentes autour de la table pour trouver des chemins de médiation. En outre, la ressource, jugée quasiment infinie, ne l’est pourtant pas, et la trop grande proximité de puits de production et de réinjection (où l’en renvoie l’eau froide) diminue la productivité des forages.

Dans ce contexte, l’Etat se caractérise avant tout par la faiblesse de ses moyens de contrôle et son absence de planification sur le partage de la ressource. En Île-de-France, les demandes de permis sont instruites par un service préfectoral (la DRIEAT, direction régionale de l’environnement, de l’aménagement, des transports d’Ile-de-France) composé d’une petite poignée de personnes, dont les moyens n’ont pas été augmentés malgré la hausse exponentielle des dossiers à instruire. En outre, le cadre réglementaire ne donne aux fonctionnaires que des moyens très limités pour assurer le respect de l’intérêt général. Une fois une demande de permis exclusif de recherche accordée, les collectivités souhaitant contester le projet ne disposent que d’un mois pour déposer un contre-dossier, délai tout à fait insuffisant pour bâtir un dossier étayé, sachant que la majorité des collectivités ne disposent pas des compétences d’ingénierie en interne.

Carte du tracé prévisionnel de la campagne géophysique en Île-de-France (BRGM, ADEME, Région Île-de-France)

Figure 3 – Cartographie des installations de géothermie en IDF et zone d’exploration de l’étude en cours par le BRGM. © BRGM

La situation actuelle, caractérisée par le chaos et la concurrence à celui qui déposera son dossier en premier, est donc la conséquence directe d’une absence de planification étatique et intercommunale. Pour l’instant, l’Etat se contente d’instruire les demandes de permis, avec très peu de refus, tout en encourageant les collectivités à étudier les possibilités de géothermie sur leur territoire par le biais des services préfectoraux ou de l’ADEME, invitant parfois explicitement les collectivités à se tourner vers les grands groupes. Les rares démarches stratégiques entreprises par l’Etat visent uniquement à faciliter le développement de projets par ces grands groupes en les « dérisquant ». Ainsi, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et l’ADEME viennent de lancer une vaste étude pour un budget de trois millions d’euros, visant à acquérir une meilleure connaissance de la ressource géothermique dans le Sud-Ouest francilien, pour encourager les acteurs privés à se positionner. De même, la Caisse des dépôts (CDC) pilote un fonds de garantie, géré par la SAF-Environnement, qui permet d’assurer les investisseurs contre le risque d’échec dans les projets, dans une logique de socialisation du risque, alors même que les profits de chaque projet sont majoritairement distribués à des actionnaires privés.

Une grande diversité de modèles de gestion des réseaux de chaleur

Si l’absence de planification et de vision opérationnelle de l’Etat est particulièrement visible pour ce qui concerne la répartition de la ressource en eau chaude et de l’accès aux couches productrices, l’exploitation des réseaux de chaleur est aussi l’objet d’une bataille intense entre les intérêts privés et la puissance publique. Il existe un très grand nombre de modèles juridiques permettant de créer et d’exploiter un réseau de chaleur, allant de la régie à l’externalisation complète par des marchés publics ou des délégations de service public. On observe actuellement une réelle mise en concurrence des modèles, qui se différencient selon de nombreux critères : structure de l’actionnariat, niveau de rétribution des actionnaires, souplesse de gestion au quotidien, répartition du risque ou encore portage de l’investissement. 

En Île-de-France, de nombreux modèles sont mis en œuvre : société d’économie mixte comme la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (2/3 ENGIE, 1/3 Ville de Paris), société par action simplifiée permise par la LTECV à Vélizy-Villacoublay (80% ENGIE, 20% ville), délégation de service public comme à Saint-Denis ou bien société publique locale comme à Grigny, Viry-Châtillon, Fleury-Mérogis et Sainte-Geneviève des Bois au capital 100% public. Si chaque modèle présente ses avantages et ses inconvénients, et permet sur le papier de faire respecter l’intérêt général, on observe en réalité une concurrence entre deux types de modèles, représentés d’un côté par la délégation de service public (DSP) et de l’autre côté par la société publique locale (SPL).

D’une part, le recours à la délégation ou concession de service public s’inscrit dans une longue dynamique d’externalisation de l’action publique, comme le détaillait un rapport de l’association Nos Services Publics (association dont Lucie Castets, candidate NFP pour Matignon, assurait la coordination). Cette logique consiste à confier à des acteurs privés des missions de service public, en l’occurrence l’exploitation d’un réseau de chaleur et la livraison de chaleur à divers bâtiments. Le rapport analysait notamment les nombreux « faux avantages » de la gestion privée. Ceux-ci sont particulièrement observables pour ce qui concerne la création et l’exploitation du chauffage urbain. Tout d’abord, il faut rémunérer les apporteurs de fonds privés, qui empruntent en moyenne à des taux plus élevés que les acteurs publics. Il faut ensuite rémunérer des actionnaires tout au long de l’exploitation du réseau, à des taux pouvant atteindre deux chiffres. Rappelons par exemple que ce taux est monté jusqu’à 24% en ce qui concerne les autoroutes déléguées au secteur privé.

De manière assez classique, on observe généralement une forte asymétrie d’information entre le délégant public et le délégataire privé, qui peut également mener à des surcoûts importants. Ainsi, des logiques de surfacturation de prestations d’entretien (renouvellement de tuyaux, interventions) peuvent venir se répercuter sur le prix de la chaleur pour les usagers. En outre, le faible nombre d’acteurs dans le secteur ne permet pas de faire jouer pleinement la concurrence, créant des situations de monopole de fait, ou tout du moins de cartellisation. Ainsi, la remise en concurrence du réseau de chaleur de la ville de Paris n’a vu que deux acteurs se positionner : Engie et EDF. Enfin, la délégation de service public assure un contrôle public plus réduit des choix stratégiques sur le réseau : pourcentage d’énergie d’origine renouvelable, mise en place de tarifs sociaux, raccordement prioritaire des logements sociaux et des bâtiments publics…

Un retour des puissances publiques locales depuis une décennie 

A contrario, les dernières années ont vu naître un contre-modèle intéressant à plusieurs égards, celui de la société publique locale (SPL), sous l’impulsion notamment du SIPPEREC, une structure intercommunale de la périphérie parisienne. Les SPL sont des structures à capitaux 100% publics qui présentent à ce titre plusieurs avantages : contrôle public des choix stratégiques, fixation des tarifs du réseau de chaleur, maîtrise du développement du réseau de chaleur, possibilité de fixer à des niveaux très bas la rémunération de l’actionnaire, accès à de meilleurs taux de financements… La SPL est en outre une structure de droit privé, engendrant une facilité de gestion plus importante au quotidien, notamment pour ce qui concerne la gestion des ressources humaines, même si cela peut aussi être perçu comme un détournement du statut du fonctionnaire.

L’exemple des villes de Grigny et Viry-Châtillon est à cet égard particulièrement enrichissant. En 2014, elles contractualisent avec le SIPPEREC pour créer la société publique locale SEER (Société d’exploitation des énergies renouvelables), au sein de laquelle le SIPPEREC récupère 51% des parts. En 2017 est mis en service leur premier réseau de chaleur, qui permet dès le départ d’alimenter 10.000 logements, dont notamment l’ensemble de logements sociaux de la Grande Borne. Un des éléments déclencheurs du projet était notamment le niveau exorbitant de charges liées au chauffage payé par les habitants du quartier. Sa direction revendique un tarif du chauffage permis par la SPL jusqu’à 30% inférieur par rapport à ce que proposait initialement Engie. 

Si les grands groupes et leurs sous-traitants peuvent évidemment candidater aux différents marchés publics lancés ensuite par la SPL (forage, renouvellement du réseau, entretien de la chaufferie) dans le cadre de la commande publique, chaque projet de réseau de chaleur porté par une structure publique représente des dizaines voire des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires potentiel qui leur échappent. Depuis, le SIPPEREC est entré au capital de plusieurs nouvelles SPL, que ce soit avec la ville de Malakoff (2021), Pantin, Les Lilas, Pré-Saint-Gervais (2022) ou encore Fontenay-aux-Roses, Bourg-la-Reine et Sceaux (2024), et de nouveaux projets sont à l’étude. 

Pourtant, là encore, l’État se démarque par son absence, traitant avec un même égard des projets 100% publics et des projets portés par des initiatives privées, avec des niveaux de soutien similaires. Les SPL doivent trouver des fonds sur le marché bancaire privé pour financer leurs projets et bénéficient des mêmes dispositifs de subventions que les autres structures. En outre, les projets doivent ensuite cotiser à un fonds de garantie, au sein duquel les acteurs privés disposent d’autant de voix que l’ADEME dans l’attribution ou non de la garantie. Jusqu’ici, le développement de projets 100% publics est principalement le fait de volontés politiques locales comme c’est le cas à Grigny, dirigé par le communiste Philippe Rio.

Penser la planification de la géothermie profonde

Le développement de la géothermie profonde doit réussir un tournant crucial. L’énergie géothermale a toutes les caractéristiques de l’énergie de demain : renouvelable et locale, elle constitue pour de nombreuses villes une solution de remplacement du gaz à un prix stable et maîtrisé. Mais elle possède aussi toutes les caractéristiques d’une ressource dont l’exploitation doit être planifiée par la puissance publique. La ressource géothermale reste limitée, géographiquement contrainte et source de concurrence entre collectivités, elle doit faire l’objet d’investissements en capitaux importants et repose sur des projets de long terme, très étroitement dépendants des autorisations publiques et de la volonté des élus locaux. En conséquence, il paraît nécessaire de réfléchir à ce que pourrait être une réelle planification publique du développement de cette ressource énergétique.

La méthode pourrait être similaire à celle mise en œuvre pour le développement de l’éolien en mer, où l’Etat intervient de manière assez forte. Dans toutes les régions propices à la géothermie, l’Etat piloterait et prendrait à sa charge de premières études générales, sous l’égide du BRGM, pour analyser le potentiel géothermique de chaque territoire. A ce titre, la grande étude GeoScan lancée sur l’Ouest francilien est pertinente mais aurait probablement gagné à être réalisée plus tôt. Une plateforme open source de partage de l’ensemble des études réalisées pourrait alors être mise à disposition. Une fois la ressource caractérisée, un processus démocratique, par exemple dans le cadre d’une COP régionale puis départementale, doit permettre la répartition de la ressource entre intercommunalités ou groupes de collectivités, avec notamment un pré-positionnement des puits de forages permettant d’éviter les conflits et donc de découper le sous-sol par zones. Une fois les zones identifiées, la main serait alors laissée aux collectivités pour porter les projets, pour assurer l’acceptabilité locale ainsi que le caractère localement adapté du projet porté (choix des bâtiments raccordés et des énergies d’appoint comme la biomasse).

L’Etat mettrait alors à disposition des collectivités une réelle capacité d’ingénierie à plein temps pour préfigurer chaque projet, avec des experts développeurs qui bénéficieraient des retours d’expérience des autres projets régionaux (à l’image de ce que propose le SIPPEREC), plutôt que d’obliger les collectivités à se reposer sur l’expertise privée. Enfin, l’Etat renforcerait ses services instructeurs et pourrait piloter lui-même les différentes études environnementales et enquêtes publiques nécessaires pour accélérer les projets et proposer des projets clés en main aux collectivités. 

L’Etat pourrait tout à fait encourager des structures 100% publiques, associant par exemple les collectivités locales et un opérateur énergétique public unique, par exemple EDF via sa filiale Dalkia.

Deux options seraient alors concevables. Pour la première, on laisserait aux collectivités le choix du mode de gestion, à l’image de ce qui se fait actuellement. Ce système permet notamment d’avoir plusieurs acteurs, qui se livrent notamment une bataille technologique pour développer de nouvelles techniques de forage et augmenter la productivité des puits. Dans cette perspective, l’Etat pourrait toutefois renforcer son taux de soutien pour les structures publiques en termes de subventions, d’accès aux prêts ou aux différents dispositifs de garantie. Dans le cadre de la seconde option, un niveau de planification et d’intégration plus complet pourrait être envisagé, en refusant la mise en concurrence des modèles juridiques et en réaffirmant la mainmise de la puissance publique sur le secteur.

L’Etat pourrait tout à fait encourager des structures 100% publiques, associant par exemple les collectivités locales et un opérateur énergétique public unique, par exemple EDF via sa filiale Dalkia. Ce schéma d’organisation permettrait notamment de favoriser une réintégration de la filière industrielle de la géothermie, par exemple avec un rachat des principales foreuses de puits (machines de l’entreprise Arverne) par l’entité publique, un contrôle des industries-clés fabriquant les tuyaux, les chaufferies, les pompes à chaleur. Une telle structuration permettrait aussi de confier à un acteur unique des objectifs de développement de la géothermie, tout en garantissant une maîtrise locale des projets par l’entrée au capital des collectivités. Revenons peut-être à la sagesse médiévale des habitants de Chaudes-Aigues qui avaient compris l’intérêt d’une gestion collective de leur réseau de chaleur, qui leur fournissait du chauffage… gratuit !

Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer

Nucléaire LVSL Le Vent Se Lève
© Édition LHB pour LVSL

« Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF. A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix. 

Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

Une réforme qui n’a que trop tardé

D’abord, il faut rappeler à quel point une réforme des prix de l’électricité était urgente. Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par l’Union Européenne (UE) à la fin des années 90, le système est devenu de plus en plus complexe, EDF s’est retrouvée de plus en plus fragilisée et les prix pour les consommateurs ont explosé, contrairement aux promesses des apôtres du marché. En transformant l’électricité d’un bien public au tarif garanti en un bien de marché échangé sur les places boursières, son prix a été largement corrélé à celui du gaz, correspondant au coût marginal de production, c’est-à-dire au coût pour produire un MWh supplémentaire. Une absurdité alors que nos électrons proviennent largement du nucléaire et des renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

Complexification du système électrique français depuis la libéralisation européenne. © Elucid

Dès la fin 2021, l’envolée des prix du gaz entraîne de fortes hausses des prix de marché de l’électricité, qui se répercutent ensuite sur les consommateurs. Pour la plupart des entreprises et les collectivités, qui ne bénéficient pas du tarif réglementé, l’augmentation a été brutale : +21% en 2022 et +84% en 2023 en moyenne selon l’INSEE., soit un doublement des factures en à peine deux ans ! Et cette moyenne cache de fortes disparités : les exemples d’entreprises ou communes ayant vu leur facture tripler ou quadrupler, voire multipliée par 10, sont légion. Les conséquences de telles hausses sont catastrophiques : faillites, délocalisations, gel des investissements, dégradation des services publics, hausse de l’inflation… Pour les particuliers, la hausse a été moins brutale, mais tout de même historique : après +4% en 2022, le tarif réglementé a connu une hausse de 15% en février 2023 et une autre de 10% en août. Soit presque +30% en deux ans, avant une nouvelle hausse de 10% prévue pour cette année.

Face aux effets dévastateurs de cette envolée des prix, l’Etat a bricolé un « bouclier tarifaire»  pour les particuliers et divers amortisseurs et aides ciblées pour les collectivités et les entreprises. Un empilement de dispositifs considéré comme une « usine à gaz » par un rapport sénatorial et qui aura coûté 50 milliards d’euros entre 2021 et 2023 rien que pour l’électricité. L’Etat français a ainsi préféré payer une part des factures lui-même pour acheter la paix sociale plutôt que de taxer les superprofits des spéculateurs ou de reprendre le contrôle sur l’énergie. Privatisation des profits et socialisation des pertes.

Le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

De manière absurde, alors que les prix étaient au plus haut, EDF a enregistré des pertes historiques en 2022 (18 milliards d’euros). Une situation qui s’explique par des erreurs stratégiques et une faible disponibilité du parc nucléaire, qui l’a obligée à racheter à ses concurrents les volumes vendus dans le cadre de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH). Concession de la France aux fanatiques européens de la concurrence, ce système force EDF à vendre 120 TWh par an, soit environ un tiers de sa production nucléaire, à ses concurrents à un prix trop faible de 42€/MWh. Si la situation de l’énergéticien s’est depuis améliorée, le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

Un « tarif cible » encore très flou

Après un tel échec du marché et alors que le mécanisme de l’ARENH doit prendre fin au 1er janvier 2026, une réforme devenait indispensable. Suite à des mois de négociations, un accord a finalement été trouvé entre l’Etat et EDF pour la période 2026-2040 pour « garantir un niveau de prix autour de 70€ le MWh pour l’électricité nucléaire » selon Bruno Le Maire. Si certains ont jugé la hausse trop forte par rapport aux 42€/MWh de l’ARENH, il convient de relativiser. D’une part, l’ARENH ne concernait qu’une part de la production nucléaire, le reste étant vendu bien plus cher. D’autre part, le tarif de l’ARENH était devenu trop faible par rapport aux coûts de production du nucléaire, estimés autour de 60€/MWh dans les années à venir, et aux besoins d’investissement d’EDF. Une hausse conséquente était donc inéluctable.

Le nouveau tarif paraît donc élevé, mais pas délirant. Mais voilà : ces 70€/MWh ne sont en fait pas un tarif garanti mais un « tarif cible » que se fixe le gouvernement, « en moyenne sur 15 ans et sur l’ensemble des consommateurs ». Cette cible repose sur des prévisions d’évolution des prix de marché absolument impossibles à valider et sur un mécanisme de taxation progressive des prix de vente d’EDF aux fournisseurs, qui démarre à 78 €/MWh. A partir de ce seuil, les gains supplémentaires seront taxés à 50%, puis à 90% au-delà de 110€/MWh. Rien qui permette de garantir un prix de 70 €/MWh aux fournisseurs… et encore moins aux consommateurs puisque la marge des fournisseurs n’est pas encadrée. Si l’Etat promet que les recettes de ces taxes seront ensuite reversées aux consommateurs, le mécanisme envisagé n’est pas encore connu. S’agira-t-il d’un crédit d’impôt ? D’une remise sur les factures suivantes ? Sans doute les cabinets de conseil se penchent-ils déjà sur la question pour concevoir un nouveau système bureaucratique.

Ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes.

En attendant, une chose est sûre : les factures vont continuer à osciller fortement, pénalisant fortement les ménages, les entreprises et les communes, à l’image de la situation actuelle. On est donc loin de la « stabilité » vantée par le gouvernement. Enfin, ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes : si les tarifs français sont plus attractifs que ceux d’autres pays européens – par exemple, ceux d’une Allemagne désormais largement dépendante du gaz américain particulièrement cher – rien ne garantit que ceux-ci ne portent pas plainte auprès de l’UE pour distorsion de concurrence. Quelle nouvelle concession la France fera-t-elle alors aux gourous du marché ?

En revanche, le fait que les fournisseurs et producteurs privés continuent à engranger des superprofits sur le dos des usagers ne semble gêner personne. Imaginons par exemple une nouvelle période de flambée des prix durant laquelle TotalEnergies, Eni, Engie ou d’autres vendent de l’électricité à 100 ou 150€/MWh : si les consommateurs ne percevront pas la différence – le mécanisme de taxation prévoyant une redistribution indépendamment de leur fournisseur – les profits supplémentaires n’iront pas dans les mêmes poches suivant qui les réalisent. Chez EDF, d’éventuels dividendes iront directement dans les caisses de l’Etat, désormais actionnaire à 100%. Chez ses concurrents, ces profits sur un bien public enrichiront des investisseurs privés.

EDF, gagnant de la réforme ?

Pour l’opérateur historique, la réforme ouvre donc une nouvelle ère incertaine. Certes, en apparence, EDF semble plutôt sortir gagnante des négociations. Son PDG Luc Rémont n’a d’ailleurs pas hésité à menacer de démissionner s’il n’obtenait pas un tarif cible suffisant. Une fermeté qui doit moins à son attachement au service public qu’à sa volonté de gouverner EDF comme une multinationale privée, en vendant l’électricité à des prix plus hauts. Or, EDF doit faire face à des défis immenses dans les prochaines décennies : il faut non seulement assurer le prolongement du parc existant, notamment le « grand carénage » des centrales nucléaires vieillissantes, mais également investir pour répondre à une demande amenée à augmenter fortement avec l’électrification de nouveaux usages (procédés industriels et véhicules notamment). Le tout en essayant de rembourser une dette de 65 milliards d’euros, directement causée par les décisions désastreuses prises depuis 20 ans et en essayant de se développer à l’international.

A première vue, le tarif cible de 70€/MWh devrait permettre de remplir ces différents objectifs. D’après la Commission de Régulation de l’Énergie, le coût de production du nucléaire sur la période 2026-2030 devrait être de 60,7€/MWh. La dizaine d’euros supplémentaires ponctionnés sur chaque MWh devrait servir à financer la « politique d’investissement d’EDF, notamment dans le nouveau nucléaire français et à l’export », indique le gouvernement. Selon les calculs d’Alternatives Economiques, cette différence par rapport aux coûts de production permettrait de financer un réacteur EPR tous les deux ans. Que l’on soit pour ou contre la relance du programme nucléaire, cet apport financier supplémentaire pour EDF reste une bonne nouvelle, les énergies renouvelables nécessitant elles aussi de gros investissements.

Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ?

Cependant, l’usage exact de ces milliards par EDF reste entouré d’un grand flou. L’entreprise est en effet le bras armé de la France pour exporter son nucléaire dans le reste du monde. Or, les coûts des centrales atomiques construites à l’étranger ont eu tendance à exploser. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, où EDF construit la centrale d’Hinkley Point C. Un projet dont le coût est passé de 18 milliards de livres au début de sa construction en 2016 à presque 33 milliards de livres aujourd’hui. Des surcoûts que le partenaire chinois d’EDF sur ce projet, China General Nuclear Power Group (CGN), refuse d’assumer. EDF risque donc de devoir assumer seule cette facture extrêmement salée, ainsi que celle de la future centrale de Sizewell C, également en « partenariat » avec CGN. Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ? Si rien n’est encore décidé, le risque existe bel et bien.

La France osera-t-elle s’opposer à l’Union Européenne ?

Enfin, EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne. Étant donné la position ultra-dominante de l’opérateur national, les technocrates bruxellois cherchent depuis longtemps des moyens d’affaiblir ses parts de marché. Le nucléaire intéresse peu le secteur privé : il pose de trop grands enjeux de sécurité et est trop peu rentable. Les concurrents d’EDF espèrent donc surtout mettre la main sur le reste des activités du groupe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques, amortis depuis longtemps et qui garantissent une rente confortable. Si un pays européen venait à se plaindre de la concurrence « déloyale » d’EDF, la Commission européenne pourrait alors ressortir des cartons le « projet Hercule », qui prévoit le démembrement de l’entreprise et la vente de ses activités non-nucléaires. Bien qu’ils disent le contraire, les macronistes ne semblent pas avoir renoncé à ce scénario. En témoignent la réorganisation actuelle du groupe EDF, qui ressemble fortement aux plans prévus par Hercule, et leur opposition intense à la proposition de loi du député Philippe Brun (PS) qui vise, entre autres, à garantir l’incessibilité des actifs d’EDF.

EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne.

Etant donné la docilité habituelle de Paris face aux injonctions européennes, le retour de ce « projet Hercule » est donc une possibilité réelle. La France pourrait pourtant faire d’autres choix et désobéir à Bruxelles pour pouvoir appliquer sa propre politique énergétique. L’exemple de l’Espagne et du Portugal montre que des alternatives existent : en dérogeant temporairement aux règles européennes pour plafonner le prix du gaz utilisé pour la production électrique, les deux pays ibériques ont divisé par deux les factures des consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés. Quand le Parti Communiste Français et la France Insoumise, inspirés par le travail du syndicat Sud Energie, ont proposé que la France revienne à une gestion publique de l’électricité, les macronistes ont agité la peur d’un « Frexit énergétique », estimant que la sortie de la concurrence reviendrait à cesser tout échange énergétique avec les pays voisins. Un mensonge qui témoigne soit de leur mauvaise foi, soit de leur méconnaissance complète du sujet, les échanges d’électricité ne nécessitant ni la privatisation des centrales, ni la mise en concurrence d’EDF avec des fournisseurs nuisibles.

Si cette réforme s’apparente donc à un vaste bricolage pour faire perdurer l’hérésie du marché, l’insistance sur la « stabilité » des prix dans le discours de Bruno Le Maire s’apparente à une reconnaissance implicite du fait que le marché n’est pas la solution. Les consommateurs, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités et organismes publics, souhaitent tous de la visibilité sur leurs factures pour ne pas tomber dans le rouge. De l’autre côté, les investissements menés sur le système électrique, tant pour la production que pour le réseau, ne sont amortis que sur le temps long. Ainsi, tout le monde a intérêt à des tarifs réglementés, fixés sur le long terme. Un objectif qui ne peut être atteint que par un retour à un monopole public et une forte planification. Exactement l’inverse du chaos et de la voracité des marchés.

Note : L’auteur remercie la syndicaliste Anne Debrégeas (Sud Energie) pour ses retours précis et ses analyses sur la réforme en cours.