Libye : les migrants vendus comme esclaves sont aussi une responsabilité européenne

©sammisreachers. Licence : CC0 Creative Commons.

De la chute d’un dictateur à aujourd’hui, la Libye n’est pas seule responsable de ce qui se passe sur son territoire. La vente d’esclaves se déroule au milieu d’un chaos migratoire, face auquel la France et l’Union Européenne ne prennent pas leurs responsabilités ; alors même que la situation actuelle résulte d’une guerre déclenchée pour des histoires de pétrole et d’argent (oui, encore).

 

« Ce sera l’honneur du Conseil de sécurité d’avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la force », déclare Alain Juppé à l’ONU en mars 2011. Alors ministre des Affaires étrangères et européennes du gouvernement Fillon, il engage l’ONU à voter la résolution 1973. Cette résolution met en place une zone d’exclusion aérienne en Libye. Il s’agit, officiellement, de soutenir le mouvement populaire contre Mouammar Kadhafi dans le contexte du Printemps Arabe. Aujourd’hui, ce n’est pas la loi mais bien la force qui règne en ce qui concerne les réfugiés. Le 14 novembre dernier, CNN rapporte que des migrants sont vendus comme esclaves en Libye.

La journaliste américaine traduit ce qu’elle a pu entendre au cours de la vente, les migrants, nigérians notamment, sont appelés « marchandise ».  Des acheteurs dépensent de 400 à 700 dollars pour obtenir un travailleur qu’ils ramènent chez eux, car ils sont désormais leur « propriété ». Face à cette scène, la journaliste ne trouve plus ses mots.

 

Si la cruauté exposée dans la vidéo laisse la journaliste sous le choc, elle ne peut pas laisser la France sans réaction. Les autorités libyennes vont enquêter et si l’Union Européenne et la France ne participent pas dans la vente d’êtres humains (du moins, on l’espère), la Libye ne s’est pas retrouvée là toute seule.

La France en preux chevalier qui défend la cause du peuple libyen ?

En mars 2011, quand la résolution 1973 est votée à l’ONU, c’est officiellement pour aider le peuple oppressé à se débarrasser d’un dictateur. Or, le 14 septembre 2016 le Parlement britannique publie son rapport d’évaluation de l’action en Libye. Il y est mentionné que l’alliance de la France, la Grande-Bretagne et dans une moindre mesure des États-Unis devait servir à protéger les civils. Cependant, le Parlement britannique souligne que l’été 2016 signe une inflexion, qualifiée d’opportuniste, vers un changement de régime. Non seulement une politique de l’après n’était pas prévue (Barack Obama déclare d’ailleurs dès avril 2016 que ce manque de planification est sûrement la pire erreur de ses huit ans de présidence) mais en plus, les motivations pour l’intervention de 2011 sont plus pragmatiques qu’idéologiques.

Ainsi, si le compte-rendu du Parlement considère David Cameron comme responsable de l’échec de l’intervention, il rappelle le rôle de la France. Il y est noté que les motivations de la France étaient le désir :

  • De posséder une part plus grande du pétrole libyen
  • D’augmenter son influence en Afrique
  • De donner une possibilité à l’armée française de réaffirmer sa puissance dans le monde
  • De s’assurer que Mouammar Kadhafi ne supplanterait pas la France en Afrique
  • Et pour Nicolas Sarkozy de s’assurer des points pour la prochaine campagne présidentielle.

Ces motivations listées dans le rapport peuvent être complétées par l’enquête des journalistes de Médiapart, Fabrice Arfi et Karl Laske. Après six ans d’enquête ils publient le livre Avec les compliments du guide, dans lequel une corrélation est soulignée entre le financement supposé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi, et une guerre voulue par la France, qui a conduit à la mort du dictateur. S’il faut laisser la justice faire son travail, pour eux il ne s’agirait pas d’une coïncidence.

Conséquences, conséquences…

Depuis le pays est déchiré en différentes factions et le Gouvernement d’Union Nationale (GUN), soutenu par l’ONU, a bien des difficultés à contrôler le pays. C’est pourtant avec ce gouvernement que l’Union Européenne a signé un accord, afin de financer ses garde-côtes. En effet, l’Italie se trouve débordée face aux migrants qui cherchent refuge en Europe et qui pour cela tentent leur chance par la Méditerranée, direction les côtes italiennes. Le départ se fait massivement par la Libye, pays peu contrôlé. L’Union Européenne n’a pas été solidaire ces dernières années et l’Italie s’est retrouvée seule. La solution trouvée est donc de financer les garde-côtes libyens, pour qu’ils empêchent les embarcations de quitter leurs eaux territoriales. Or, selon une vidéo publiée par infomigrants.net le 16 novembre, certains migrants affirment qu’une fois récupérés par les garde-côtes, le trafic d’hommes commence directement dans les prisons où les vendeurs d’esclaves viennent les chercher.

Pour rappel en 2016 la France a accepté 26 499 nouvelles demandes d’asile sur les 85 726 déposées, soit environ 30%, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime que la Turquie accueille cette année 2.9millions de réfugiés sur son territoire, soit plus que l’Europe entière qui culmine à 2.3millions de réfugiés sur son territoire.

Sources et références :

Compte-rendu de réunion au Conseil de sécurité de l’ONU, 17 mars 2011 : http://www.un.org/press/fr/2011/CS10200.doc.htm

Vidéo de CNN et article : http://edition.cnn.com/2017/11/14/africa/libya-migrant-auctions/index.html

Rapport du Parlement britannique : https://www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/commons-select/foreign-affairs-committee/news-parliament-2015/libya-report-published-16-17/

Infomigrants.net vidéo sur les garde-côtes : http://www.infomigrants.net/fr/post/6102/libye-une-journaliste-americaine-reussit-a-filmer-une-vente-aux-encheres-de-migrants

Chiffres du Ministère de l’Intérieur : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Essentiel-de-l-immigration/Chiffres-clefs/LES-PRINCIPALES-DONNEES-DE-L-IMMIGRATION-EN-FRANCE

Rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : http://www.unhcr.org/statistics/unhcrstats/5943e8a34/global-trends-forced-displacement-2016.html

Si vous avez des questionnements philosophiques sur la notion de responsabilité, allez feuilleter Against Purity: Living Ethically in Compromised Times par Alexis Shotwell.

Crédits photos :

©sammisreachers. Licence : CC0 Creative Commons.