Le petit guide de Sophie de Menthon pour défendre l’évasion fiscale sans pression

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Sophie de Menthon, présidente de l’organisation patronale Ethic, a été interviewée par l’émission Quotidien pendant le grand oral du MEDEF, ce mardi 28 Mars. C’est au cours de celui-ci qu’Emmanuel Macron, François Fillon ou encore Marine Le Pen sont venus draguer l’électorat patronaliiLes journalistes de l’émission de TMC étaient venus armés d’un rapport de l’ONG Oxfam publié le 27 Mars 2017iii. Ce rapport sur les pratiques des banques européennes en terme d’évasion fiscale révèle notamment que 26 % des bénéfices réalisés par les grandes banques européennes sont rapatriés dans des paradis fiscaux, où ils échappent à l’impôt des pays où ils sont pourtant réalisés. Ces sommes représentaient 25 milliards d’euros pour l’année 2015, selon le même rapport.

Plutôt que de condamner ou de nier la réalité de l’évasion fiscale, qui coûte à la collectivité entre 60 et 80 milliards d’euros chaque annéeiv, Sophie de Menthon a préféré défendre les grandes banques et entreprises qui la pratiquent impunément. Voici donc un petit guide pour défendre l’évasion fiscale comme Sophie de Menthon lors de votre prochain repas de famille.

Première étape : déresponsabiliser les entreprises

« Quelle est l’entreprise qui va renoncer à faire quelque chose de légal, qui lui fait gagner beaucoup plus d’argent et qui maintient sa compétitivité alors que c’est permis ? » commence par rétorquer celle qui a été membre du comité d’éthique du MEDEF, on soulignera l’ironie. Pour Sophie de Menthon, le fait que les entreprises contournent leurs impôts n’est pas un problème, du moment que celles-ci le font de sorte à ce que cela reste dans la légalité.

Après tout, les entreprises – dont les banques incriminées – sont des agents économiques rationnels. Elles se conduisent donc comme telles et agissent de façon à maximiser leurs gains et à minimiser leurs coûts. Ce n’est donc finalement pas leur faute si elles agissent ainsi dans les limites fixées par la loi.

Oui mais c’est oublier un peu vite le principe d’égalité devant l’impôtv comme le lui rappelle Hugo Clément (le journaliste de Quotidien) un peu plus tard : « En attendant les gens, qui ne peuvent pas aller faire ça avec leurs impôts aux îles Caïmans et qui, eux, payent des impôts à l’État français, ils ne comprennent pas cette logique là ». En effet, soustraire des sommes, importantes ou non et légalement ou non, à l’impôt, c’est contrevenir à ce principe qui fait que tous les Français doivent être égaux devant la fiscalité. En plus du problème moral – et quand même un peu juridique – de cette inégalité devant l’impôt, l’évasion fiscale pose aussi le problème de sommes importantes détournées du financement de la collectivité. Dire de ces entreprises qu’elles sont innocentes et qu’elles font ça tout en respectant la loi, c’est aller un peu vite.

Deuxième étape : l’économie d’abord, la morale ensuite

À l’instar de François Fillon, qui a osé demandé il y a quelques jours à des infirmières qui évoquaient la pénibilité de leur travail si celles-ci souhaitaient qu’il crée de la dettevi, Sophie de Menthon nous fait part de ses bons sentiments. L’économie d’abord, l’humain et la morale on verra plus tard. Elle nous explique en effet qu’il est « très dangereux de porter un jugement moral sur l’économie ».

Rien de plus normal ! Les entreprises ont avant tout besoin qu’on limite tous les freins qu’elles pourraient rencontrer dans leur quête du chiffre : vous comprenez, c’est pour votre bien, sans ça pas de croissance et pas de création d’emplois dans un futur proche. Bref, vous connaissez la chansonnette, c’est la même qui avait permis à Pierre Gattaz de justifier le CICEvii ou encore la loi travail. Une forme de chantage à l’emploiviii et à la bonne santé économique du pays qui laisse forcément songeur sur la moralité du MEDEF et du grand patronat.

Il ne faudrait pas non plus oublier que les grandes entreprises et les actionnaires du CAC 40 sont loin de connaître des privations ces dernières années. Si la crise de 2008 a été l’excuse à toutes sortes de politiques austéritaires, la rémunération des actionnaires et des grands patrons, elle, est au beau fixe. On rappellera qu’en 2016 le CAC 40 a distribué 56 milliards de dividendes, 13 de plus qu’en 2015ix. Le vrai problème des grandes entreprises et de leurs actionnaires n’est peut-être pas tant de réelles difficultés que la volonté de continuer à profiter d’un système qui alimente la machine à bénéfices sans efforts. Et si on peut faire du chantage aux aides publiques au passage, pourquoi s’en priver ?

Troisième étape : la jalousie

Pour finir en beauté, insistez, comme Sophie de Menthon, sur le fait que « il y a de la jalousie ». Après tout, la critique sur l’évasion fiscale, c’est bien beau, vous avez suffisamment laissé vos contradicteurs exposer leurs arguments, maintenant ça suffit, il faut passer aux choses sérieuses : renvoyer les à leur compte en banque ! Ils sont tout simplement jaloux de votre réussite.

Comme Nathalie Krikorian-Duronsoy dans un article sur Atlantico qui estime que « de la caricature anti-Macron aux costumes de Fillon, un néo populisme anti-riches empoisonne la campagne »x, contentez vous tout simplement d’accuser vos contradicteurs d’être des « populistes anti-riches », en d’autres termes des jaloux ou des gens qui profiteraient de cette jalousie de l’opinion publique, à vous de voir ! Il ne faudrait pas, après tout, approfondir les faits qui sont reprochés à ces politiques comme à ces entreprises et les questions de fond qu’ils posent, en particulier sur les lobbies financiers.

Oui mais, là aussi, il y a un problème. Cette rhétorique est déjà peu acceptable si on estime ou chacun a les mêmes chances de devenir grand patron ou actionnaire important du CAC 40, puisque cela suppose que cette catégorie sociale et ses pratiques ne devraient pas être soumises à la critique, simplement parce que chacun pourrait profiter des mêmes privilèges. Mais cette accusation de jalousie est encore moins pertinente quand les pratiques critiquées contreviennent à l’idée même d’une égalité des chances réelle, en favorisent au contraire la concentration des richesses entre les mains d’une même minorité déjà plus que privilégiée comparée au reste de la population.

À défaut de nous convaincre Sophie de Menthon nous aura au moins appris quelque chose : tout est bon pour défendre l’indéfendable.

Par Tony Livet

Sources :

i https://www.facebook.com/Qofficiel/videos/1514204798603469/

iihttp://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/au-medef-macron-le-pen-et-fillon-face-aux-patrons_1893482.html

iiihttp://www.rfi.fr/economie/20170327-quart-benefices-banques-europeennes-places-paradis-fiscaux-oxfam-rapport

ivhttp://www.lejdd.fr/Economie/Swissleaks-combien-l-evasion-fiscale-coute-t-elle-a-la-France-717390

vhttp://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/ressources-depenses-etat/ressources/qu-est-ce-que-principe-egalite-fiscale.html

vihttp://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-francois-fillon-malmene-par-des-personnels-hospitaliers-durant-la-visite-d-un-ephad_2112325.html

viihttp://attac54.org/CICE-un-cout-exorbitant-sans

viiihttp://www.rtl.fr/actu/politique/quand-pierre-gattaz-oublie-sa-promesse-de-creation-d-un-million-d-emplois-7784655368

ixhttp://www.bastamag.net/CAC40-augmentation-record-des-dividendes-en-2016

xhttp://www.atlantico.fr/decryptage/caricature-anti-macron-aux-costumes-fillon-neo-populisme-anti-riches-empoisonne-campagne-2989513.html

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La crise est un scandale, car l’argent coule à flots

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Bien avant 2008 et la “crise des subprimes”, le terme était rentré dans l’imaginaire collectif. C’est comme ça, c’est la crise. Il faut se serrer la ceinture, c’est la crise. Et puis merde à la fin, c’est la crise. 

Pourtant, pour les millionnaires et les milliardaires, en passant par les gros actionnaires, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le fossé a rarement été aussi grand entre la base de la population, paupérisée, et le haut de la pyramide qui se gave comme jamais. Qu’on soit de gauche, de droite ou d’ailleurs, difficile de justifier les inégalités du monde actuel.

“Tout à 10 balles ou je remballe”

En France, des millions de foyers sont devenus si pauvres ces dernières années qu’il ne leur reste littéralement plus rien à la fin du mois. L’INSEE annonce que 8,8 millions de Français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté (fixé à 1008 euros par mois) soit 14,6% de la population… #çavamieux. D’après une récente étude du spécialiste des assurances Genworth, 11,4 millions de Français disposent de moins de 10 euros par mois après avoir payé leurs impôts, leur loyer, la nourriture, les abonnements téléphoniques et les factures gaz/électricité. Un quart des foyers hexagonaux sont donc concernés.

De l’autre côté du spectre, l’argent coule à flot, tombe du ciel, pousse aux arbres… Whatever. On n’a jamais vu autant de blé. Quand on compile les récents bilans de santé de l’upper-class, cela donne le vertige. Champagne et caviar pour la table du fond.

La France, championne d’Europe des dividendes

Au deuxième trimestre 2016, la somme versée par les entreprises à leurs actionnaires a grimpé de 11% pour atteindre 35 milliards d’euros. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce sont les banques qui sont les plus généreuses, malgré “la crise”, avec entre 50 et 70% d’augmentation par rapport à l’an dernier (Société Générale, BNP, Crédit Agricole).

Explosion du nombre de millionnaires

Avec 523 000 millionnaires répertoriés (en dollars, soit au moins 907 000 euros de patrimoine), la France se place au sixième rang mondial. Ils étaient 6% de plus en 2015 qu’en 2014, avec des fortunes majoritairement constituées dans l’immobilier (pour 63% de la valeur totale, d’après le Crédit Suisse).

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Classement international du nombre de millionnaires

Plus 200% en 5 ans pour les 500 plus riches

Encore plus haut dans la hiérarchie, la crise est une sorte de mirage lointain. En 2015, les 500 français les plus fortunés possédaient 460 milliards d’euros, cinq fois plus qu’en 1996, quand l’hebdo Challenges a débuté son décompte.

Ces 500 personnes possèdent 16% du PIB de la France. Pour le dire autrement, l’équivalent de 16% de la richesse nationale appartient à 0,001% de la population. (Classement 2016 ici)

La fortune des 10 plus riches a triplé depuis 2009

Plus on s’approche du sommet de la pyramide, plus l’enrichissement s’accélère. Quand on ne s’intéresse qu’aux 10 français les plus fortunés, on passe d’à peine 20 milliards au total en 1996, à 195 milliards en 2015. Une multiplication par 10 en 20 ans, par 3 sur les 6 dernières années. Belle perf. On rappellera au passage que pendant cette même période la France a connu des périodes de récession. M. Fillon, alors Premier Ministre,  avait même déclaré être à la tête d’un “Etat en quasi-faillite”.

Au-delà du cadre français, le constat est global. En 2016, les 80 plus grosses fortunes mondiales détiennent autant que les 3,5 milliards d’habitants les plus pauvres de la Terre.

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Deux poids, démesure

En restant dans le cadre légal, il y a déjà de quoi s’offusquer. Le Canard Enchaîné a publié en juin 2016 des documents de l’administration fiscale qui prouvent que les plus riches du royaume sont tout simplement exemptés d’impôts (à 90% en moyenne !). Le PS avait voulu revenir sur le “bouclier fiscal” de Sarkozy mais le texte, retoqué par le Conseil Constitutionnel, s’est finalement avéré encore plus avantageux… On apprend par exemple que Liliane Bettencourt, avec ses 32 milliards de patrimoine, paye la somme faramineuse de… 0 euro au titre de l’ISF. No comment.
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L’évasion fiscale, ce fléau

WikiLeaks, OffShoreLeaks, SwissLeaks, LuxLeaks, PanamaPapers, FootballLeaks… Les révélations se multiplient ces dernières années pour dénoncer, preuves à l’appui, les pratiques inadmissibles du gotha. Les ultra-riches ont une fâcheuse tendance à contourner l’administration fiscale de leur pays pour transférer des sommes faramineuses dans les différents paradis fiscaux qui jonchent la planète. En 2012, le très sérieux Tax Justice Network a compilé les informations du FMI, de l’ONU et des différentes banques centrales pour estimer la fraude fiscale à l’échelle globale entre 16 000 et 26 000 milliards d’euros. La moitié des avoirs dans les paradis fiscaux appartient à 92 000 personnes, soit 0,001% de la population. Imaginez juste qu’ils soient taxés à hauteur de 10, 20 ou 50%… Ça en ferait des RSA. Et encore, nous ne parlerons pas ici du “shadow banking” et autres joyeusetés qui viennent largement corser l’affaire.

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Europe – France, même (non) combat

Au niveau européen, les chiffres font encore froid dans le dos. Jugez plutôt :

  • Budget de l’UE : 150 milliards d’euros
  • Déficit : 514 milliards
  • Evasion fiscale : 1 000 milliards (source – Parlement Européen, 2013)

En France, une Commission d’enquête du Sénat a estimé entre 30 et 60 milliards par an le coût de l’évasion fiscale pour les finances publiques. Quasiment 20% des recettes fiscales brutes qui disparaissent. Ce serait en tout 600 milliards d’euros d’actifs français qui seraient cachés dans les paradis fiscaux, 1/10e du patrimoine global des Français…

Une conclusion s’impose pour qui possède encore un peu d’empathie pour le reste de ses semblables. L’argent ne manque pas. Il suffit juste d’aller chercher dans les poches de ceux qui ont les moyens, les moyens de remplir les poches de ceux qui n’ont rien. Et pour les happy-few qui, ultra-riches, cachent leur fortune dans les paradis fiscaux : tolérance zéro. Rapatriement et nationalisation des fonds, consacrés à la justice sociale une fois intégrés dans le budget de l’Etat. Plus besoin de repousser l’âge de la retraite, d’augmenter la durée légale du travail, de détruire les acquis sociaux ou de casser le Code du Travail… Voilà, le problème de la crise est résolu. De rien.

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