Les armes de la transition. Le climatologue : Jean Jouzel

Jean Jouzel est l'invité des armes de la transition

Jean Jouzel est glaciologue-climatologue, pionnier dans l’étude du changement climatique. Il a été vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) lorsque ce dernier a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2007. La liste de ses responsabilités est impressionnante. Il a plus récemment rejoint le Haut Conseil pour le Climat. Jean Jouzel nous éclaire sur le rôle précis d’un climatologue dans le cadre de la transition écologique.

Les Armes de la Transition est une émission présentée par Pierre Gilbert et produite par Le Vent Se Lève. 

Cette émission a été enregistrée par Vincent Plagniol et mixée par Thomas Binetruy.

Les armes de la transition. Le romancier : Jean-Marc Ligny

Jean-Marc Ligny

Jean-Marc Ligny est romancier, spécialisé dans le roman d’anticipation et la science-fiction. Il a écrit plus d’une quarantaine d’ouvrages traitant notamment de la raréfaction de l’eau causée par le changement climatique, des migrations climatiques, de la question des semences ou encore de la réalité virtuelle. Il a été sollicité par le GIEC, la Mairie de Paris et le ministère des Armées pour évoquer des scénarios futurs potentiels. Jean-Marc Ligny nous éclaire ici sur le rôle du romancier dans la sensibilisation écologique des citoyens et des décideurs.

Les Armes de la Transition est une émission présentée par Pierre Gilbert et produite par Le Vent Se Lève en 2019. 

Cette émission a été enregistrée par Vincent Plagniol et mixée par Thomas Binetruy.

Les armes de la transition. Le sociologue : Stéphane Labranche

Stéphane Labranche

Stéphane Labranche est sociologue, membre du GIEC, chercheur indépendant et enseignant à Sciences Po Grenoble. Il est un des pionniers de la sociologie du climat en France. À ce titre, il s’intéresse tout particulièrement aux mécanismes d’acceptation sociale qui conditionnent la réussite de politiques publiques écologiques. Stéphane Labranche nous éclaire sur le rôle de la sociologie dans le cadre de la transition.

Les Armes de la Transition est une émission présentée par Pierre Gilbert et produite par Le Vent Se Lève en 2019. 

Cette émission a été enregistrée par Vincent Plagniol et mixée par Thomas Binetruy. 

Rapport du GIEC : les principaux enseignements

1,5°C. C’est la température de réchauffement de la planète que nous devrions atteindre dès 2030, 10 ans plus tôt que ce qui était prévu. C’est l’une des principales conclusions du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru lundi 9 août. Ce rapport dresse le tableau le plus à jour des connaissances humaines sur l’état actuel et l’évolution future du climat. Alors que ses conclusions ont fait la une de la presse et des réseaux sociaux, ouvrant la voie à de nombreuses déclarations et réactions, il est important de bien comprendre les principaux enseignements qu’il livre. Que nous dit exactement le GIEC ? Quel est l’état de nos connaissances sur les causes et les effets ce réchauffement climatique ? Comment le climat mondial va-t-il être amené à évoluer dans les années et décennies qui viennent ? Quelles mesures doit-on prendre pour limiter le réchauffement planétaire à un niveau soutenable ?

Le GIEC, garant des connaissances mondiales sur le climat

Il faut rappeler brièvement ce qu’est le GIEC et le cadre de production de ce rapport. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC), créé par l’ONU en 1988, rassemble un vaste panel de scientifiques reconnus qui évaluent l’état de nos connaissances sur l’évolution du climat. Dans ce cadre-là, il publie un certain nombre de rapports thématiques et tous les 7 ans un rapport global d’évaluation de l’état du climat. Ses rapports constituent la synthèse de l’ensemble des travaux scientifiques de la planète sur le sujet.

Ce lundi 9 août, c’est le premier chapitre de ce rapport qui vient de sortir, après avoir été adopté par l’ensemble des pays-membres du GIEC. Ce chapitre, fruit des 7 dernières années de recherche, évalue les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat. Ce chapitre se décompose en plusieurs sous-parties. Dans un premier temps, il dresse un portrait global de l’état actuel du climat mondial. Dans un second temps, il formule des hypothèses quant à l’évolution future du système climatique, avant de détailler les risques encourus à l’échelle globale et régionale. Enfin il propose une série de scénarios d’évolution (des « sentiers » dans la jargon consacré) selon les rythmes de réduction ou non des émissions de gaz à effet de serre. Afin de détailler les principales conclusions de ce rapport, cette synthèse reprend la structure du plan du GIEC.

Un changement climatique d’origine anthropique déjà visible et incontestable

Tout d’abord, le rapport souligne à nouveau l’origine anthropique incontestée du changement climatique. À l’heure actuelle, le réchauffement climatique s’élève à 1,1 °C depuis l’ère préindustrielle (1850) (voir figure 1). Le GIEC souligne avec force que cette variation considérable ne peut être due à des cycles climatiques naturels ou à des événements ponctuels (activité solaire ou volcanique). L’étude des variations climatiques sur le long terme nous indique qu’un changement d’une telle ampleur et à une telle vitesse ne connaît pas de précédents dans l’histoire climatique des dernières centaines de milliers d’années.  L’augmentation de la température au cours du dernier demi-siècle est la plus rapide observée par l’Homme.

Figure 1 – Évolution de la température terrestre depuis l’ère préindustrielle (tirée du rapport)
Lecture : en noire, la trajectoire observée depuis que des mesures fiables existent

Quelle est alors la cause de cette augmentation ? Elle est due à l’activité humaine depuis dieux siècles via le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les gaz ayant eu le plus d’effets sur le réchauffement sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) dont les concentrations dans l’atmosphère ont respectivement augmentées de 47%, 156% et 23% depuis 1750. Le rejet de ces gaz dans l’atmosphère est à l’origine de l’effet de serre et augmente le forçage radiatif terrestre. Ainsi, l’équilibre entre l’énergie reçue et celle renvoyée par la terre est rompu. Les océans absorbent la majorité (70%) de ce surplus énergétique, tandis que l’atmosphère absorbe le reste et se réchauffe. Le mécanisme détaillé est expliqué par exemple dans l’article consacré de Bon Pote. À l’heure actuelle, nous avons atteint la concentration de 410 ppm (parties par million) de CO2.

La multiplication des événements extrêmes, particulièrement visible en cet été d’inondations et d’incendies partout dans le monde, est la conséquence directe du changement climatique occasionné par l’Homme.

Le GIEC explique alors que le réchauffement, avec le dérèglement climatique qu’il génère, est déjà visible dans de nombreuses régions du globe. Ainsi, la multiplication des événements extrêmes, particulièrement visible en cet été d’inondations et d’incendies partout dans le monde, est la conséquence directe du changement climatique occasionné par l’Homme. Les vagues de chaleur, les précipitations extrêmes, les feux de forêts ou encore les cyclones tropicaux se sont multipliés depuis le dernier rapport du GIEC en 2014. Les variations climatiques sont réparties de manière très hétérogène à la surface du globe.

Le GIEC propose ensuite une mesure plus précise de la sensibilité climatique de la Terre, c’est-à-dire de la température atteinte en cas de doublement de la concentration de CO2 dans l’air. En cas d’atteinte de ce seuil, la température monterait de 3°C avec un intervalle de confiance compris entre 2,5°C et 4°C bien plus précis qu’il y a 7 ans. Quelles sont alors les perspectives d’évolution du climat sur les prochaines années ?

1,5°C atteint dès 2030, 4,5°C à la fin du siècle si rien ne change

Afin de fournir des éléments sur l’évolution future du climat, le GIEC se base sur 5 scénarios dits de référence qui dépendent du rythme d’évolution des émissions de GES. Ces scénarios, intitulés « SSP » dans ce nouveau rapport, vont du scénario SSP1-1.9, correspondant à zéro émission nette avec captage à l’horizon 2050 au scénario SSP5-8.5 aussi surnommé « business as usual » qui correspond au scénario au cours duquel aucune mesure de réduction des émissions sérieuse n’est prise.

Premier enseignement majeur, tous les scénarios mènent à une température de 1,5°C dès 2030, soit une décennie plus tôt que ce qui avait été avancé par le précédent rapport, il y a 7 ans. Le changement climatique s’est accéléré. Seuls les deux scénarios impliquant une baisse drastique des émissions (SS1-1.9 et SSP1-2.6) permettent de contenir la température en-dessous des 2°C au cours de ce siècle.

Figure 2 – Trajectoire d’évolution de la température selon le scénario retenu
Lecture : pour le scénario SSP5-8.5, la température atteindrait 2°C vers 2040 et près de 4,5°C vers 2100. Les zones autour correspondent aux zones d’incertitude.

Le rapport explique avec clarté que chaque demi-degré supplémentaire augmente de façon exponentielle les événements climatiques extrêmes.

Quelles seraient les conséquences d’un dépassement du réchauffement au-dessus de 1,5°C ou 2°C ? Le rapport explique avec clarté que chaque demi-degré supplémentaire augmente de façon exponentielle les événements climatiques extrêmes. Ainsi, le passage au-dessus de 2°C va augmenter sensiblement la fréquence des vagues de chaleurs meurtrières, des précipitations extrêmes et des perturbations pour le monde agricole notamment. Certaines régions vont probablement connaître un réchauffement près de de 2 fois plus important que la moyenne (régions semi-arides, Amérique du sud) tandis que ce chiffre s’élève à 3 pour les régions arctiques. D’importantes perturbations du cycle naturel de l’eau sont à prévoir, engendrant à la fois des précipitations extrêmes et des périodes de très forte sécheresse de manière accrue.

Le rythme du changement climatique pourrait par ailleurs être accéléré par ce que l’on appelle des boucles de rétroaction qui auraient un effet catalytique sur l’évolution de la température. Ainsi, le GIEC souligne que l’augmentation de la température va très probablement diminuer la capacité des océans et des terres à jouer leur rôle de puits de carbone naturel. Par exemple, le plus grand puit terrestre, la forêt amazonienne, pourrait devenir, en cas d’augmentation forte de la température, un émetteur net de CO2. Autre boucle de rétroaction majeure, celle de la fonte des glaces et des banquises. La fonte de la banquise entraîne un moindre réfléchissement vers l’espace de l’énergie solaire. D’un autre côté, la fonte du pergélisol sibérien pourrait entraîner l’émission des imposantes réserves de gaz contenues dans le permafrost, accélérant par là le changement climatique.

Un dépassement de certains seuils (les fameux « points de bascule ») risque aussi d’occasionner des changements irréversibles pour les prochains millénaires. Le GIEC avance que ces changements seront en particulier visibles pour l’océan : augmentation du niveau de l’eau (de 50 cm à 2 m en 2100 selon les scénarios), acidification, désoxygénation. La glace arctique pourrait avoir disparu totalement en été dès 2050.

Des conséquences du changement climatique qui seront visibles partout

D’après ce rapport, les effets du changement climatique seront perceptibles dans l’ensemble des régions du monde dès 2030, avec toutefois une forte variabilité. Les conditions et caractéristiques locales peuvent affecter localement l’influence du réchauffement. Ainsi, un réchauffement global de 1,5°C n’implique pas une augmentation homogène sur l’ensemble du globe mais peut présenter de fortes disparités régionales, avec certaines contrées particulièrement touchées.

Dès 2030, l’ensemble des régions du monde pourraient connaître des événements climatiques extrêmes causés par le réchauffement climatique (inondations, incendies, tempêtes, sécheresses).

Dès 2030, l’ensemble des régions du monde pourraient connaître des événements climatiques extrêmes causés par le réchauffement climatique (inondations, incendies, tempêtes, sécheresse). Tout un ensemble de région pourraient être touchées par la montée des eaux. Le GIEC souligne que l’urbanisation augmente fortement les pics de chaleur (effet dôme de chaleur des villes).

Par ailleurs, le GIEC note la possibilité d’un emballement non-anticipé de la machine climatique avec un dérèglement rapide. Un tel emballement multiplierait les événements climatiques cités ci-dessus. La possibilité d’un tel emballement et d’une déstabilisation brutale du système climatique augmente avec la température. Ainsi, le passage de la barre fatidique des 2°C entraîne une augmentation de l’incertitude sur l’évolution climatique. Au-delà de cette barre, il est possible que l’atténuation et l’anticipation du changement climatique deviennent bien plus difficiles. Un des principaux risques est l’effondrement du Gulf Stream qui assure la régulation du cycle de l’eau en Atlantique pour une vaste partie du globe.

Limiter le changement climatique : chaque tonne de CO2 émise compte

Tout d’abord, il est nécessaire de savoir qu’il y a une forte relation linéaire entre quantité de CO2 présente dans l’atmosphère et augmentation de la température terrestre (1000 GtCO2 occasionne un réchauffement de 0,45°C). Pour illustration, le travail des scientifiques estime que depuis 1850, l’humanité a émis près de 2 390 GtCO2.

Par conséquent, la limitation du changement climatique passe impérativement par une diminution des gaz à effets de serre. Le rapport souligne que toute tonne supplémentaire émise dans l’atmosphère contribue directement au réchauffement climatique. Le seul moyen de stopper le réchauffement est donc d’arriver le plus rapidement possible à zéro émission nette, c’est-à-dire que le peu d’émissions subsistantes devra être compensé par le développement du stockage de carbone, de manière naturelle (océan, forêt, nouvelles affectations des terres) ou artificielle. Le GIEC note qu’une réduction rapide et forte des émissions pourrait donc permettre de limiter le réchauffement tout en limitant la pollution aérienne et en améliorant la qualité de l’air.

Pour maintenir la température à 1.5°C, le budget carbone qu’il nous reste est d’environ 500 GtCO2 (probabilité de 50% que ce budget soit suffisant). Il est de 1350 GtCO2 pour ne pas dépasser 2°C. En cas d’atteinte de la neutralité carbone, il serait alors possible d’inverser le changement climatique dans une certaine mesure. Toutefois, certaines conséquences seront d’ores et déjà irréversibles.

Figure 3 – Émissions cumulées de CO2 en fonction des scénarios retenus
Lecture : Pour le scénario SSP5-8.5, les émissions cumulées atteindraient près de 10500 GtCO2en 2100, la majorité étant captée directement par l’atmosphère, le pouvoir captateur des océans et des terres se réduisant fortement (38% des émissions captées)

Ces scénarios tracent donc un chemin permettant de limiter et d’atténuer le changement climatique de manière durable dans un laps de temps raisonnable.

En cas de diminution forte et rapide des émissions anthropiques (scénarios SSP1-1.9 et SSP1-2.6), les améliorations pourraient être perceptibles relativement rapidement au bout d’une vingtaine d’année (soit vers 2040-2050) avec une amélioration de la qualité de l’air, un ralentissement du changement climatique et par suite des événements climatiques extrêmes. Ces scénarios tracent donc un chemin permettant de limiter et d’atténuer le changement climatique de manière durable dans un laps de temps raisonnable. Toutefois, il convient de s’interroger sur la signification concrète de cette neutralité carbone à atteindre, travail qui sera analysé dans les prochains chapitres de ce 6ème rapport global du GIEC. A l’échelle mondiale, 75% des émissions anthropiques sont liées à la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz charbon), tandis que les reste est lié aux pratiques agricoles (2/3 pour l’élevage) et aux changements d’affectation des terres (déforestation, labour, etc.).

Ainsi les implications structurelles des scénarios limitant le réchauffement à 1,5 ou 2°C sont claires : il faut une sortie très rapide des énergies fossiles et changer radicalement les pratiques agricoles. C’est bien là tout l’enjeu des politiques publiques à mettre en place.

Une Loi Climat qui est loin de répondre à l’urgence de l’enjeu climatique

Où en est la France face à ces enjeux ? La neutralité carbone à l’horizon 2050 a été inscrite dans la loi à travers la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Pour 2030, l’objectif fixé est une réduction de 40% des émissions par rapport à leur niveau de 1990. Sommes-nous en passe d’atteindre ou non ces objectifs ? Pendant un an, le gouvernement d’Emmanuel Macron a convoqué une convention citoyenne pour le climat (CCC) qui a formulé 149 propositions visant à atteindre les seuils fixés. Ces propositions, qui dans un premier temps auraient dû être reprises dans leur intégralité et sans filtre, dixit les allocutions présidentielles, n’ont en fait été que partiellement suivies. Le projet de loi qui s’en est suivi, celui de la fameuse Loi Climat s’avère insuffisant en tout points. Seules 18 propositions ont été totalement reprises, tandis que 26 ont été mises de côté et le reste modifié, amendé et appauvri.

Une étude mené par le cabinet indépendant Carbone 4 a tenté d’évaluer l’impact des politiques publiques au regard des objectifs de réduction des émissions affichés. Pour 10 des 12 paramètres structurant la politique climatique, l’action de l’État français est largement insuffisante. En effet, le travail de la Convention Citoyenne pour le climat s’inscrit dans une logique globale de changement des habitudes écocides de la France. Les mesures édictées n’ont en effet pas été pensées pour être appliquées au compte-goutte, mais bien pour constituer un projet dans lequel chaque mesure aurait dû compléter les autres. Or, la loi climat n’est composée que de fractions de mesures parmi les moins essentielles et qui, isolées, ne permettent pas de suivre les indications du GIEC ni de la trajectoire promise lors de la COP 21. Dénuée de son sens originel, la Loi Climat et résilience est ainsi une façade d’un travail complet mené par ses membres. L’ensemble des politiques menées jusqu’ici (Grenelle de l’Environnement, Loi de transition écologique pour une croissance verte, Loi Climat) ne sont pas à la hauteur des enjeux. Rappelons que le Conseil d’État a déjà condamné le gouvernement pour son inaction climatique.

Face à l’urgence de la situation décrite par les travaux du GIEC, d’importantes politiques écologiques devront être mises en place. Le changement climatique est déjà perceptible, la bifurcation écologique doit être amorcée dès maintenant et concrétisée dans les quelques années – une décennie tout au plus – qui viennent.

Analyse exclusive du rapport du GIEC sur les océans et la cryosphère

Le rapport pointe les dégâts importants et irréversibles déjà occasionnés par le réchauffement climatique sur nos océans et les parties gelées de notre planète

Ce mercredi 25 septembre 2019 paraît le nouveau rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère (le monde des glaces). Le rapport pointe les dégâts importants et irréversibles déjà occasionnés par le réchauffement climatique sur nos océans et les parties gelées de notre planète et certaines de ses projections sont particulièrement alarmistes. Cependant, les scientifiques rappellent également que des actions ambitieuses et immédiates existent pour modérer ces impacts. Le Vent se Lève vous propose un résumé des données clefs de ce rapport, ainsi qu’une mise en perspective critique par rapport aux autres travaux scientifiques et aux différents positionnements politiques. Par Anaïs Degache-Masperi et Damien Chagnaud


Les actualités climatiques sont alarmantes. L’inaction climatique est totale alors que « la maison brûle ». Une situation confirmée par le nouveau rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur les océans et la cryosphère. Ce rapport, point final de deux ans de travail, est le fruit de la collaboration de 104 scientifiques internationaux et vient conclure la 51ème session du GIEC qui s’est tenue à Monaco du 20 au 23 septembre. Il est le dernier d’une série de trois rapports spéciaux, annoncés en 2016 lors de la 43ème session du GIEC. Les deux premiers concernaient le réchauffement à +1,5°C (2018) et les terres émergées (août 2019). Ils permettent d’aborder de manière transversale des sujets spécifiques et faire un état de lieux de la littérature scientifique sur ces sujets.

Ce rapport synthétise ainsi non loin de 7000 publications scientifiques. Son premier objectif est d’explorer les liens entre la crise climatique et les évolutions constatées dans les océans, les zones côtières et la cryosphère. La cryosphère désigne tout ce qui est relatif à l’eau à l’état solide présente naturellement sur Terre : la neige, les glaciers de montagne, les calottes polaires, ou encore les sols gelés (le permafrost, ou pergélisol). Longtemps minoré des débats politiques sur le climat, l’avenir des océans et de la cryosphère recouvre pourtant des enjeux d’une importance capitale. Véritables régulateurs du climat et indispensables à la vie sur Terre, ils évoluent fortement du fait des activités humaines et peuvent alors se révéler être des accélérateurs du réchauffement climatique. Le rapport vise à faire l’état des lieux des observations scientifiques sur ces zones, mais aussi à se projeter dans le futur en fonction de différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre – de manière à prévoir les impacts à long terme, physiques ou socio-économiques. Il compare donc systématiquement un scénario de faible élévation des températures grâce à une politique volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) (le scénario RCP2.6) à un scénario “business-as-usual”, autrement dit un scénario où rien ne serait fait pour le climat, et où les températures augmenteraient fortement (scénario RCP 8.5).

Son deuxième objectif est d’évaluer la vulnérabilité des populations concernées par ces impacts et proposer des solutions d’adaptation à un monde qui s’annonce bien différent.

Les principaux points du rapport

Océans

Les océans constituent le premier poumon de la Terre en fournissant 50% de l’oxygène que nous respirons et permettent d’absorber les émissions de gaz à effet de serre émises par le système industriel. Depuis les années 1980, les océans ont ainsi absorbé environ 20 à 30% des émissions d’origine humaine. Néanmoins, ce rôle a des conséquences :

  • Les océans perdent leur oxygène :  entre 1970 et 2010, l’océan a perdu entre 0,5% à 3% de son oxygène.  Ils deviennent aussi plus acides, moins salés. La préoccupation principale réside dans la capacité de ces océans à continuer à jouer un rôle d’absorption de nos émissions de gaz à effet de serre : avec l’acidification et la désoxygénation, les océans seraient moins capables de jouer ce rôle de poumon. Et donc, à terme, il pourrait s’enclencher un cercle vicieux accélérant la crise climatique.
  • D’autant plus que les océans se réchauffent ; c’est eux qui absorbent la chaleur additionnelle, bien plus que ne le fait l’atmosphère. Depuis 1970, les océans se sont ainsi réchauffés en absorbant près de 90% de la chaleur excédentaire dans le système climatique.
  • Ce réchauffement s’accélère : sur la période 1993-2019, le rythme du réchauffement a plus que doublé par rapport à la période 1968-1993. Tous les océans ne sont pas logés à la même enseigne : le plus rapide à se réchauffer est l’océan Arctique, qui, en surface, se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
  • Les vagues de chaleur marines, ou “canicules océaniques”, ont augmenté de 50% depuis 1982 et se sont intensifiées. Dans le futur, elles devraient continuer à croître en fréquence, en intensité et en étendue. La question est particulièrement préoccupante en ce qui concerne les écosystèmes marins et les récifs coralliens, dont un demi-milliard de personnes dépendent. Ces récifs ne devraient pas survivre à un réchauffement de +2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
  • À cause de ces transformations, les réserves alimentaires dans les eaux tropicales peu profondes décroîtront drastiquement de 40%. De même, la biodiversité marine pourrait décliner de 17%, notamment à cause de la difficulté croissante des échanges entre eaux de surface et couches plus profondes, ce qui nuirait fortement à la pêche dont sont aujourd’hui tributaires entre 660 et 820 millions de personnes dans le monde.
  • Un doublement des fréquences de phénomènes climatiques extrêmes de type El Niño est à attendre si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites. Ces phénomènes modifient l’ensemble du climat mondial quand ils se produisent, décalant les moussons, favorisant l’essor de maladies et des feux de forêt.

Zones polaires et élévation du niveau des mers

Les calottes polaires et la banquise en Antarctique et dans l’Arctique réfléchissent les rayons du soleil vers l’espace, grâce à leur albédo élevé. Ainsi, une planète sans glaciers est une planète qui absorbe plus d’énergie, et donc qui se réchauffe plus vite. Les effets du réchauffement climatique sur les calottes polaires sont pointés par le rapport :

  • Les calottes glaciaires en Antarctique et au Groenland continuent à fondre, et de plus en plus en vite. Elles ont perdu en moyenne 430 milliards de tonnes chaque année depuis 2006. Le réchauffement des océans fait fondre les calottes glaciaires et augmente le niveau marin (par l’apport d’eau supplémentaire dans les océans et par dilatation thermique de l’eau consécutive à leur réchauffement).
  • Le niveau des mers va ainsi continuer à croître dans les siècles à venir et cette augmentation est inéluctable, peu importe le scénario retenu. Les prévisions ont été actualisées et revues à la hausse depuis le dernier rapport du GIEC, en 2014. Dans le scénario le plus optimiste, avec un réchauffement maintenu à +2°C, le niveau marin devrait augmenter d’au moins 59 centimètres d’ici 2100, alors que le GIEC prévoyait 43 centimètres en 2014. Au contraire, si l’on continue sur les tendances actuelles d’émissions, avec un réchauffement global de 3°C ou 4°C, il pourrait augmenter jusqu’à 1,10m, contre une précédente prévision de 45-84 cm en 2014. Cela entraînerait de vastes pertes d’étendues terrestres pour les pays à faible altitude (comme le Bangladesh qui verrait 20% de son territoire submergé) et pas seulement pour les pays insulaires.
  • Le rythme d’élévation du niveau des mers continuera à s’accélérer après 2100 : au 22ème siècle, le niveau marin pourrait augmenter de plusieurs centimètres par an, et prendrait ainsi plusieurs mètres très rapidement. Cela entraînerait des conséquences catastrophiques pour les zones côtières (inondations, érosions des côtes, pénétration de l’eau salée dans les nappes d’eau douce souterraines …).

Inondations des zones côtières

Le rapport estime que les dommages causés par les inondations pourraient augmenter de 100 à 1000 fois d’ici 2100.

  • L’élévation du niveau de la mer va avoir un effet aggravant lors des événements météorologiques extrêmes. Les cyclones intenses, comme par exemple le cyclone Irma qui a dévasté les Caraïbes en 2018, devraient augmenter en fréquence. Aujourd’hui, 280 millions de personnes vivent à moins de 10 mètres d’altitude et pourraient être obligés de se déplacer en cas d’inondations. En 2050, ce nombre pourrait augmenter jusqu’à un milliard. Ainsi, des petites nations insulaires et des mégalopoles côtières risquent d’être inondées chaque année à partir de 2050.
  • Toutes les régions du monde seront menacées, mais pas à la même intensité : les chiffres donnés par le rapport sont des moyennes, mais certaines régions sont plus exposées à l’élévation du niveau marin. Des mesures d’adaptation sont nécessaires, mais les capacités d’adaptation entre différents territoires sont criantes d’inégalités : les pays riches pourront assurer leur protection plus facilement que les pays en développement, et les plus pauvres seront donc les premiers impactés par la hausse du niveau marin. Une situation injuste, qui tendra à s’empirer si des mesures d’atténuation et d’adaptation équitables et drastiques ne sont pas prises dès aujourd’hui.
  • D’autre part, alors même que nous vivons une extinction de masse de la biodiversité, l’élévation du niveau des mers devrait causer la perte de 20 à 90% des zones humides d’ici 2100, les océans pénétrant les terres là où l’eau est déjà présente.

Permafrost et zones de montagne

  • Le permafrost (sous-sol gelé en permanence) pourrait fondre presque entièrement (à 99%) d’ici 2100 si le réchauffement se poursuit au rythme actuel. Le permafrost, qui désigne les sols gelés des zones polaires et ceux des zones montagneuses à haute altitude, représente un réservoir qui risquerait de libérer des quantités importantes de CO2 et de méthane jusqu’alors emprisonnées. Cela entraînerait un effet d’emballement du réchauffement climatique. En cas d’émissions moindres, les impacts sur le permafrost pourraient être limités.
  • Les glaciers quant à eux sont aussi des garants climatiques internationaux qui régulent le climat de notre planète. Et ils fondent à vue d’œil : ce sera en particulier le cas des glaciers situés à basse altitude. Ceux d’Europe centrale, du Caucase, d’Asie du Nord et de Scandinavie devraient perdre plus de 80% de leur volume d’ici 2100. La quantité d’eau douce disponible qui en découle va augmenter puis décliner à partir de 2100. 670 millions de personnes vivent dans des zones de haute montagne et pourraient être impactées à travers le monde, leur accès à l’eau potable étant directement liée aux glaciers.

Un changement global de système nécessaire

Ce rapport spécial du GIEC vient confirmer d’autres travaux très alarmistes. La semaine dernière, des scientifiques français ont présenté leurs projections d’évolution du climat d’ici 2100. Leurs résultats font froid dans le dos : si rien n’est fait, la température mondiale moyenne pourrait augmenter de +7°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle, alors même que le rapport du GIEC de 2014 prévoyait une augmentation de +4,8°C maximum dans les scénarios les plus catastrophiques. Par comparaison, pendant la dernière époque glaciaire, il y a 10 000 ans, la température moyenne globale n’était que de 3 à 4°C en deçà de la température actuelle. La France ne sera évidemment pas épargnée par ces bouleversements puisque les glaciers alpins pourraient par exemple disparaître d’ici 2100 à tendance actuelle, pour ne parler que de la cryosphère.

Cependant, pour Jean-Pierre Gattuso, chercheur au CNRS et à l’IDDRI, océanographe, spécialiste de l’acidification : “Ce rapport montre qu’un scénario d’émission compatible avec l’accord de Paris permet de stabiliser ou modérer les impacts. L’état de l’océan futur est donc entre nos mains.”

L’urgence est donc là. L’inversion de la courbe d’émissions de gaz à effet de serre ne représente pas qu’une modification à la marge de nos habitudes de production et de consommation. Lorsque Greta Thunberg affirme, dans son discours à l’ONU, que “tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle”, ses positions sont jugées par Emmanuel Macron comme “très radicales”. Pour autant, ce constat est partagé par de nombreux scientifiques : il ne faut plus une modification, mais une transformation du système. Les conclusions du rapport Unis pour la science, dévoilé le 22 septembre à l’ONU et réunissant des scientifiques de sciences naturelles et sociales, vont bien dans le même sens : le rapport souligne l’urgence d’une transformation socio-économique dans des secteurs clés comme l’utilisation des terres émergées et l’énergie afin d’atteindre les objectifs climatiques et notamment celui de l’accord de Paris. Le marché et les lobbies ne peuvent plus être seuls décideurs et il est temps que les politiques publiques s’émancipent des dogmes du néolibéralisme. En effet, pour ne pas dépasser les 2°C d’augmentation, il faudrait tripler les politiques publiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, et les quintupler pour rester sous la limite des 1,5°C, ce qui est “techniquement encore faisable”.

Conclusion

La période 2015-2019 a été la plus chaude jamais enregistrée. Les impacts du réchauffement climatique sont ressentis plus vite et plus fort que ce qui avait été prédit il y a une décennie. Cette réalité s’accompagne en France d’une prise de conscience croissante de l’urgence climatique et des enjeux environnementaux. Nul doute que le sentiment de la vacuité des grands discours d’Emmanuel Macron – censés faire illusion – est lui aussi grandissant ; vacuité confirmée dans les faits par l’écart toujours plus important entre les objectifs climatiques et la réalité. Un autre écart se creuse donc dans notre pays, celui entre la population et ses dirigeants, entre les attentes des premiers et les actes des seconds, entre l’intérêt général et les intérêts particuliers restreints de quelques-uns. Nous savons maintenant que les sociétés qui s’effondrent sont celles où les inégalités sont les plus fortes, précisément parce que la déconnexion des élites de la réalité y est la plus importante. De ce décalage naissent des tensions et une crispation du pouvoir, dont témoigne la répression inédite de la marche pour le climat du 21 septembre, largement violentée. Les mobilisations citoyennes, et la plainte contre la France (entre autres pays), déposée par seize adolescents, dont Greta Thunberg, auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, comptent mettre une des nations industrielles historiques devant ses contradictions. En attendant, l’acte 2 du quinquennat, voulu par le gouvernement comme celui de l’écologie, commence malheureusement par l’émission de beaucoup de gaz – lacrymogène cette fois…

 

Le GIEC et les faux-semblants climatiques du monde libre

©US Embassy France. La photo est dans le domaine public.

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) soufflait ses 30 bougies mardi dernier, à l’Unesco à Paris, avant d’enchaîner toute la semaine pour la 47ème session de négociations. Il s’agissait surtout pour tous les pays participants de convenir du budget alloué à cette grande organisation, alors même que les Etats-Unis menacent de ne plus le financer. L’occasion de revenir sur l’exceptionnelle importance de ce groupe de décideurs et de scientifiques chargé de dresser des scénarios pour le futur de l’humanité. Cette session, comme les précédentes, a été marquée par l’hypocrisie des dirigeants néolibéraux qui communiquent sur l’urgence climatique d’une main, pour accepter des traités de libre-échange désastreux pour le climat de l’autre main. 


Le climat a le vent en poupe, surtout lorsque cela permet aux grands de ce monde de s’affirmer sur la scène internationale. Face aux Etats-Unis récalcitrants, la France a annoncé qu’elle participera jusqu’à la publication du 6ème rapport, en 2022, à hauteur de 1 million d’euros afin d’assurer un futur au GIEC. Une réelle préoccupation de Macron pour le climat ? On peut en douter. Cette décision ne l’empêche pas de soutenir l’accord en négociation avec le MERCOSUR, qui ferait venir en France la viande sud-américaine, la même qui est en partie responsable de la déforestation de l’Amazonie. L’écart entre les paroles et les actes s’agrandit : d’une part, la volonté affichée au monde, avec de beaux discours bien huilés, d’engager la “transition”. D’autre part, l’échec de la France dans sa politique de réduction des émissions. La Stratégie Nationale Bas-Carbone, qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050 et prévoit une diminution par an de 2% des émissions, est sur le papier une superbe initiative – dommage qu’en réalité, les émissions aient augmenté en 2015 et 2016, alors même qu’elles étaient sur une pente descendante depuis la fin des années 90. Cela en dit long sur nos capacités à respecter nos promesses pour la prochaine décennie.

Ne rien faire serait pourtant catastrophique. Et ce n’est même pas comme si le GIEC ne nous avait pas prévenus. Pour autant, le GIEC n’est pas un organisme de recherche et ne produit pas d’expertise scientifique. Les scientifiques y prenant part ont pour mission d’évaluer l’expertise dans le monde et de produire une synthèse de ces connaissances. Il s’agit donc plus exactement d’identifier le consensus existant au sein de la communauté scientifique. Ce travail de longue haleine permet d’identifier les points d’accord – ce qui rend leur expertise irréprochable.

Le GIEC a tendance, pour que leur travail soit reconnu, à sous-estimer les effets du changement climatique. Alors qu’ils sonnaient l’alerte il y a bien quelques années déjà, toutes leurs prévisions se sont révélées en-deçà de la réalité d’aujourd’hui. Néanmoins, c’est grâce au GIEC qu’on peut affirmer dorénavant que le changement climatique est bien dû à l’action de l’être humain, et n’est pas qu’une question de variation climatique naturelle. La question du dioxyde de carbone a commencé à intéresser les scientifiques dès 1970. Parallèlement d’autres travaux étaient menés comme le fameux Rapport Meadows (1970), qui ne traitait pas de climat mais voyait déjà les limites à la croissance, dus à la rareté des ressources et la croissance démographique exponentielle dans le monde.  En 1979, le rapport de Jule Charney sur le réchauffement climatique est paru  – il annonçait qu’un doublement de dioxyde de carbone dans l’atmosphère entraînerait un réchauffement planétaire entre 1,5°C et 4,5°C. Au début, cet horizon semblait lointain, bien qu’aujourd’hui cela soit une hypothèse tout à fait probable pour les quarante prochaines années. Tous les diagnostics convergent sur un point : si rien n’est fait, c’est l’effondrement de notre civilisation telle qu’elle s’est développée depuis l’ère industrielle qui surviendra.

L’incertitude climatique responsable de l’immobilisme politique

Très vite, la réaction de l’ONU aux travaux des scientifiques ne s’est pas faite attendre. Néanmoins, la question se corse réellement lorsqu’on sort des promesses pour aller aux faits. Jusqu’en 2015, tous les pays étaient d’accord pour dire qu’il y avait un souci mais personne n’avait la même idée sur la solution à apporter. Pendant ce temps, les gaz à effet de serre (GES) s’accumulaient de plus en plus dans l’atmosphère, de sorte que même si l’on venait à diminuer drastiquement nos émissions aujourd’hui, la température continuerait d’augmenter jusqu’en 2050. Et le travail scientifique prend du temps, du temps que les décideurs n’ont pas face à l’urgence climatique. Cela pose un problème crucial : la prise de décisions dans l’incertitude. Comment décider de prendre des mesures extraordinaires aujourd’hui alors même que l’on ne sait pas dire exactement quelles seront les conséquences – positives ou négatives – du changement climatique ?

Les scénarios du GIEC sont là pour aider à palier cette incertitude. Ils permettent de supposer des scénarios d’évolution du climat, même s’ils ne représentent pas la vérité absolue. On sort ainsi de la science expérimentale comme observation de phénomènes pour aller vers une science prédictive, qui intègre aussi bien des scénarios d’évolution de la température en fonction du taux de GES dans l’atmosphère – ce qui est déjà une prouesse – que les évolutions économiques et politiques prochaines, dont la mise en place, ou non, de politiques de baisse des émissions de GES au niveau mondial. Le pire scénario, le RCP 8.5, qui n’est autre que le maintien de la courbe d’augmentation des émissions de GES actuelle, prévoit une augmentation de l’ordre de +5°C voire +6°C d’ici 2100. Ce scénario représente un monde apocalyptique, où la majorité des personnes sur Terre pourraient mourir de faim et de soif. L’on ne sait même pas si l’on sera capables de s’adapter à un monde aussi chaud, que l’on soit dans un pays développé ou non.

En réalité, malgré ces scénarios, cette incertitude climatique est responsable de l’immobilisme du monde politique. Elle permet de dire « l’on ne sait pas exactement », dans un monde où le maintien du statu quo arrange en réalité tout le monde. D’où l’importance que les travaux du GIEC soient incontestables : s’ils ont une base solide, même si cela prend du temps, ils permettent de réduire l’incertitude et ôtent ainsi les arguments à ses détracteurs ainsi qu’à tous ceux qui ne veulent pas que ça change. C’est ce qui a permis l’accord de Paris en 2015, qui était une vraie réussite politique : tous les pays du monde se sont mis d’accord pour limiter l’augmentation de la température à +2°C, grâce notamment au 5ème rapport du GIEC, paru en 2014. Mais l’accord de Paris sera-t-il réellement appliqué ? Beaucoup des pays signataires n’ont tout simplement pas l’administration et l’expertise pour réduire leurs émissions ; d’autres ont signé tout en proposant des évolutions des émissions de GES dans leur pays bien en-deçà de ce qu’ils avaient promis. La France même, qui se veut un modèle de réduction des émissions, n’est pas parvenue à remplir ses promesses.

La réduction des émissions impossible sans changement de paradigme

En effet, le bon ton général est d’affirmer qu’une baisse réduite et concertée des émissions de GES aidera à « sauver la planète », tout en prônant aussi le renforcement de l’économie libérale. L’incohérence de la mondialisation avec la question climatique se fait tous les jours grandissante. D’une part, l’on veut « renforcer les liens avec le monde » ; de l’autre, réduire les émissions de GES, tout en se basant uniquement sur le progrès technique qui est certes nécessaire mais ne sera jamais la solution miracle – sinon, il y a bien longtemps qu’on aurait évité la situation actuelle. Le progrès technique amène d’une part de réelles avancées, mais d’autre part des complications qui vont de pair avec l’invention ainsi créée. C’est ce qu’on appelle « le paradoxe du progrès » ; techniquement, notre civilisation est plus avancée qu’elle n’a jamais été, pourtant elle fait face à une multitude de périls issus de cette même technologie. Internet en est un exemple phare. “Dématérialiser” les rapports humains ? Bien sûr. Ce n’était pas sans compter qu’Internet utilise énormément d’énergie. L’empreinte carbone annuelle d’Internet est l’équivalent de l’ensemble des vols d’avions civils dans le monde : 609 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Plus notre technologie avance, plus elle a besoin de s’alimenter en énergie, plus on émet de GES. Le risque climatique n’est plus une probabilité, on est sûrs qu’ils adviendra. Appeler au ô Saint Progrès Technique pour venir nous sauver face à l’enjeu climatique est complètement anachronique – c’était encore entendable dans les années 90 – mais aujourd’hui les effets se font déjà sentir, et la machine s’est déjà emballée.

Il est vrai que la question climatique semble représenter un enjeu pour Emmanuel Macron, et pour les néolibéraux dans le monde en général. Pour autant, il n’hésite pas à soutenir les traités de libre-échange comme celui en préparation avec le MERCOSUR, ou comme celui déjà acté avec le Canada. Le climat est aujourd’hui davantage une question de realpolitik à l’internationale que de “transition écologique”. Comme le dit Bruno Latour, la question climatique est devenue la question politique par excellence, celle de la guerre et de la paix, et Emmanuel Macron s’en sert car elle lui donne du rayonnement au niveau international. Le climat, aujourd’hui, ce sont les migrations, la bataille mondiale pour l’industrie et la science. La campagne de communication « Make Our Planet Great Again », apparemment innocente, allait tout à fait dans ce sens, tout comme l’organisation du « One Planet Summit » ou encore l’augmentation du budget pour le GIEC. Ainsi, Macron se montre comme le dominant d’un monde globalisé, alors même que les Etats-Unis sont en retrait et apparaissent anachroniques, sur le terrain de la question climatique.

Cette position du Président Macron, apparemment pro-climat, ne doit pas nous faire oublier les incohérences du néolibéralisme avec les enjeux écologiques, dans un monde où l’utilisation de ressources finies pour une croissance infinie n’est pas tenable sur le long-terme. La question climatique doit être politisée si l’on veut des résultats urgents, elle doit devenir transversale et représenter le principal enjeu dans toute décision. Le travail que fait le GIEC, lorsqu’il prône l’interdisciplinarité pour faire la synthèse des rapports et construire les scénarios, devrait aussi être fait aux niveaux national et international, afin que la question climatique s’insère dans tous les champs : agriculture, défense, énergie et bien sûr économie. Cela rejoint finalement toutes les grandes questions que l’on se pose aujourd’hui – la privatisation des services publics dont celui, très actuel, du rail ; la privatisation des barrages ; prêcher le libre-échange mondial alors même qu’il faudrait relocaliser les productions – et surtout, croire que donner les mains libres à la finance, la même qui a provoqué la crise des subprimes nous aidera à atténuer les émissions par le biais de la finance verte. Il faut repenser les biens communs pour qu’ils appartiennent plutôt à tous qu’à personne pour éviter la course à la rentabilité qui détériore les services publics et qui ne peut donner une réponse à la crise écologique.

Parce que l’on est bien en crise. Tous les ans, notre dette écologique s’accroît. Sonner l’alerte, comme ce que fait le GIEC, est certes indispensable, mais il faut aller plus loin, pour imaginer un monde socialement et écologiquement soutenable par rapport à aujourd’hui. Nous baser sur le travail des scientifiques pour changer la donne, à un niveau à la fois individuel, mais surtout global.