En invitant les Français à arrêter de rêver d’un pavillon, au nom de la contrainte écologique, la ministre du logement s’est attaqué à un totem du modèle français. Depuis les années 1980, le pavillon est devenu un symbole de réussite, en opposition aux grands ensembles de HLM. Cette polémique place le logement comme un sujet de la campagne à venir. Entre performance énergétique des immeubles neufs, et durabilité d’un bâti existant dispersé dans les campagnes, le débat reste ouvert. Pourtant, en sortant d’une vision manichéenne et moralisatrice, la maison peut devenir une réponse au déficit de logement. En effet, il existe un potentiel inédit de logements vacants dans le pays mais mal répartis. Ainsi, la solution à la question du logement ne peut être qu’une véritable politique d’équilibre du territoire.
L’immobilier est assurément une passion française. Au point que deux tiers des français confessent consulter les annonces même sans avoir de projet. Entre le souci porté à son intérieur, partie intégrante de notre art de vivre, et la recherche de prestige, dans un pays qui compte 45 000 châteaux. La ministre du logement est venue troubler ce rêve le 14 octobre, en condamnant l’habitat individuel comme une impasse écologique. Face à la polémique, elle a été contrainte de revenir sur ses propos.
Le déclin du pavillon individuel
Si de nombreux Français y restent attachés, la maison individuelle ne répond toutefois plus nécessairement à l’aspiration des ménages. Qu’il s’agisse du bâti ancien, souvent dispersé, ou des pavillons récents concentrés dans les zones périurbaines, le format du logement individuel était conçu pour le modèle de la famille nucléaire des années 70. Or, celui-ci a explosé, et l’augmentation du nombre de personnes vivant seules induit également de nouveaux besoins. En outre, le modèle du pavillon construit sur son garage ne correspond plus aux exigences croissantes d’accessibilité qu’entraîne le vieillissement de la population. Enfin, le logement individuel présente un vrai défi pour le chauffage, l’un des principaux postes de dépense en énergie.
La maison individuelle a perdu de sa superbe et ne répond plus nécessairement à l’aspiration des ménages.
En outre, le logement individuel fut associé à un vaste mouvement d’accession à la propriété, et ainsi à une certaine forme de promotion sociale. Cette politique a été encouragée par de nombreux dispositifs publics, non sans arrière-pensée politique. En effet, il s’agissait pour ses promoteurs de dresser un portail de petits propriétaires face à la tentation communiste. Le Plan épargne logement, créé en 1969, est l’un des instruments de cette politique. Il est devenu au fil du temps l’un des produits d’épargne les plus répandus, cumulant quelques 300 milliards d’euros d’économies.
Cette politique ne correspond désormais plus à un horizon sérieux. Tout d’abord elle a soutenu un marché spéculatif. Ainsi, fin 2017, l’immobilier et le foncier représentaient 56% du patrimoine des ménages. Or, ce marché demeure très volatile, et pourrait fragiliser l’épargne populaire. Sous l’effet de cette politique, le budget logement des Français est devenu l’un des plus importants en Europe. Enfin, compte-tenu des parcours de vie, moins linéaires qu’auparavant, l’acquisition d’un logement n’est pas toujours la meilleure option. En effet, l’achat implique déjà des frais fixes importants (frais de notaire, d’agence…). En outre, en raison des prix élevés, dans certaines villes comme Nantes, Bordeaux ou Lyon, il faut attendre huit ans d’occupation pour que l’achat devienne plus avantageux que la location.
Enfin, le logement individuel est maintenant mis en cause pour son bilan environnemental. Il est indissociablement associé à l’artificialisation des sols et à l’étalement urbain. Il brasse un imaginaire de voitures, de centres commerciaux et de nombreux trajets, cristallisé par la révolte des gilets jaunes. En effet, l’absence de densité contraint à envisager des services dispersés et ce faisant autant de trajets. Mal isolés, ils constitueraient une partie du parc de « passoires thermiques ».
Derrière ce discours, porté par la ministre, se déploie un nouveau paradigme urbain. Longtemps, le logement individuel, agrémenté d’un jardin, a représenté une certaine forme de lien avec la nature. Par opposition, la vie urbaine en immeuble et dans des villes polluées apparaissaient comme une fatalité malheureuse. Voilà que désormais la ville se retrouve à la pointe du combat climatique. Derrière les façades des éco-quartiers, se dessine la possibilité de rehausser les immeubles, et lutter ainsi contre l’étalement urbain. La ville nouvelle permet une gestion centralisée des besoins, en chauffage par exemple, une autonomie au travers de l’agriculture urbaine, et le développement des transports en commun.
Les logements vacants, un potentiel trop négligé
Or, la concentration des habitants, au même titre que la concentration des richesses, relève d’une vision libérale du territoire. La suivre consiste à l’accepter comme un phénomène inévitable, alors qu’une politique d’équilibre est pourtant possible. Sous ce régime, les grandes agglomérations ont capté 87,6 % des 5,4 millions de nouveaux habitants entre 1999 et 2013.
Cette tentation pour la densité se trouve renforcée par l’objectif de zéro artificialisation des sols. Cette démarche, louable, vise à réduire l’étalement urbain et son impact pour l’environnement. Compte tenu des besoins en logement, cet impératif écologique semble donc condamner le logement individuel, qui nécessite des surfaces importantes, pour lui préférer la densification de l’habitat. Toutefois, cette vision prend uniquement en compte la construction de logements neufs pour répondre en besoin en habitat, alors même que l’impact environnemental de la construction est souvent bien supérieur à celui de la rénovation. À ce titre, on observe depuis les années 1980, une baisse tendancielle de la construction de logements individuels. Elles restent néanmoins à un niveau important, en passant de 50 % à 25 % des mises en chantier. Au point que certains promoteurs restent spécialisés dans cette activité.
Pourtant, cette optique laisse de côté deux faits importants. S’il est évident que ce modèle d’habitat ne peut être offert à tous les Français, faut-il pour autant le condamner ? Il reste que celui-ci ne correspond pas à une aspiration pour une majorité de Français. Ainsi, un sondage de 2020, montrait que 60 % des Français citadins cherchent à s’installer dans une ville moyenne, et non en banlieue ou dans les territoires ruraux. La période de confinement a mis à jour les aspirations de la population, parfois divergentes, entre recherche d’une certaine autonomie et d’espace pour les uns et besoin de socialisation et de densité pour les autres.
Le deuxième trait porte sur le stock inédit de logements vacants dans notre pays : environ trois millions de biens, un chiffre à rapprocher des besoins non pourvus. Ces derniers sont difficiles à évaluer précisément. Le nombre de sans-domiciles en France est évalué par la Fondation Abbé Pierre à 835 000 sur la base de données de 2013. Dans le même temps, le nombre de demandeurs en attente d’un logement social a atteint 1,7 million, selon l’USH, en hausse de 20 % sur les huit dernières années. Enfin, toujours selon la fondation Abbé Pierre, le nombre de mal-logés, c’est à dire prêts à quitter leur logement pour un autre de meilleure qualité, atteindrait lui les quatre millions de personnes.
Le type de logement dans lequel on vit est moins important que l’environnement dans lequel il se situe.
Cette inadéquation entre la demande et l’offre résulte principalement d’un déséquilibre géographique. En effet, la vacance atteint les 10 % du parc de logement dans un cercle à la jonction des régions Centre-Val-de-Loire, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté, selon la fameuse « diagonale du vide ». Bien sûr, ces logements étant souvent anciens et inadaptés, ils posent la question du défi de la rénovation. Toutefois, ils sont une immense opportunité, tant pour les personnes à la recherche de logement que pour les communes dépeuplées, pour peu que l’on accepte une politique globale d’équilibre du territoire.
En effet, ce modèle de la maison individuelle en milieu rural n’a pas perdu totalement de sa pertinence. Tout d’abord, contrairement aux apparences, et aux propos de la ministre, ce mode de vie n’est pas particulièrement polluant. Au contraire, la distance domicile-travail et les temps de trajet sont moins élevés en milieu rural qu’en zone urbaine. En raison de la grande disponibilité, il y est en effet plus facile de trouver une maison proche de son lieu de travail.
En conséquence, le type de logement dans lequel on vit est moins important que l’environnement dans lequel il se situe. À ce titre, les territoires ruraux souffrent de l’éloignement des services publics, ou encore des soins médicaux, ce qui se traduit par des déplacements toujours plus longs et nombreux. Il s’agit d’ailleurs là de l’un des principaux facteurs de manque d’attractivité de ces territoires. De plus en plus, vivre hors des villes devient un acte de résistance, face aux effets de la dédensification. Il est dans un autre registre éloquent qu’à l’exception de l’ancien périmètre du Limousin, le plan de relance dans les transports laisse de coté le cercle rural enclavé du centre de la France.
Lever les freins pour un équilibre du territoire
Les moyens alloués à la construction en zone tendue coûtent « un pognon de dingue ». Ainsi, le dispositif Pinel (ex-Scellier, ex-Duflot) est très coûteux et ses effets sont controversés. De tous les avantages fiscaux, celui-ci, focalisé sur l’investissement locatif en zone tendue, présente le coût moyen le plus important : 6 000€ par an et par bénéficiaire. Ardemment défendus par les promoteurs immobiliers, ces dispositifs visent à combattre la pénurie de logements en zone tendue plutôt que de la recherche d’un équilibre territorial.
Dans ce contexte, que vaut la proposition du candidat Montebourg d’engager la rénovation d’un million de logements vides en milieu rural ? Séduisante sur le papier, elle ne répond que partiellement au sujet de la concentration de l’habitat. En effet, les obstacles à l’installation en milieu rural ne sont pas liés au logement, plutôt bon marché. Selon une étude de Familles rurales de 2018, les premiers motifs portaient sur le manque de service public, d’emplois et les difficultés de transports. Or s’est établi un cercle vicieux, par lequel la baisse de densité compromet les services publics et la viabilité des commerces locaux. Pour le briser, il faudrait une volonté politique forte, et notamment en matière d’emploi, par exemple avec une vraie politique globale de retour à l’emploi.
Passé son côté spectaculaire, la proposition de mettre à disposition un million de logements apparaît donc peu réaliste et mal ciblée. Tout d’abord elle viserait un tiers du parc de logements vacants, ce qui semble très ambitieux. Pour rappel, l’objectif de construire 300 000 logements par an reste un horizon indépassable. Avec un montant moyen d’acquisition à 50 000€, sans doute sous-estimé, cette opération coûterait au bas mot 50 milliards d’euros, soit 10 milliards par an, auxquels s’ajouteraient surtout les dépenses de rénovation, qui risquent d’être très conséquentes. Qui plus est, ce chantier surmobiliserait les entreprises du BTP, déjà engagées sur les travaux de rénovation des logements habités, au risque de faire grimper la facture pour les particuliers acquéreurs. Enfin, les expériences réalisées dans certaines collectivités présentent des résultats équivoques. Compte-tenu de l’incertitude de conserver les nouveaux occupants sur place, l’État devrait également assurer les travaux pour mutualiser le risque de dérapage des coûts. L’opération promet aussi d’être mal ciblée, car les logements disponibles en zone rurale sont en majorité à vendre. Les ménages les plus modestes ou les plus jeunes, en recherche de location, peinent ainsi à s’implanter dans certains villages, ce qui les pousse vers les zones urbaines.
La proposition d’Arnaud Montebourg de rénover un million de logements en milieu rural est séduisante. Elle apparaît pourtant peu réaliste et mal ciblée.
Ainsi, plutôt qu’une politique d’accession à la propriété, il faudrait envisager une politique locative de revitalisation des campagnes. Une vision plus modeste du dispositif consisterait tout simplement à accompagner davantage les collectivités dans la rénovation de logements, au plus près des besoins. La mise en location peut alors se révéler être une source de revenus intéressante et mieux maîtrisables. Face à des dotations en baisse, les revenus locatifs des collectivités, qui représentaient seulement 2,5 milliards d’euros en 20141, pourraient fournir de nouvelles ressources financières très utiles.
Une autre option consisterait à réorienter l’action des bailleurs sociaux, qui ont déserté les zones rurales, par des mécanismes incitatifs. En raison d’une faible demande et des besoins techniques, la gestion d’un parc dispersé de logements sociaux s’avère plus complexe. À tel point qu’il n’est pas rare que des organismes procèdent à la démolition d’une partie de leur patrimoine. Enfin, plus modestement, on pourrait imaginer des mécanismes encourageant les particuliers à proposer à la location leurs logements vides, souvent issus de successions, plutôt que de les vendre. Quoi qu’il en soit, toutes ces pistes nécessitent d’abord d’engager une vraie dynamique dans les milieux ruraux, reposant sur la création de nouvelles activités, le retour des services publics et de meilleurs réseaux de transports. Autant d’éléments malheureusement très peu abordés dans la campagne présidentielle actuelle.
1Rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales 2020 – page 61
Bien que la gestion du « vivre chez soi » et de la dépendance soient l’une des préoccupations majeures des politiques publiques, la France possède une vision catastrophiste du vieillissement. Malgré l’hétérogénéité des nouveaux « visages » de la vieillesse, les pratiques institutionnelles et les politiques sociales s’obstinent dans une lecture des vieillissements sous la dualité autonomie/dépendance. Trop souvent s’opèrent des formes de ségrégation et de mépris fondés sur l’âge, tandis que la décision d’un plan d’aide s’effectue à partir d’une vision solutionniste et médicale de la personne en s’appuyant sur ses incapacités plutôt que sur ses capacités. De ce fait, l’allongement de l’espérance de vie motive une injonction normative du vieillissement, celle du « bien vieillir ». Les habitats dédiés aux personnes âgées s’inscrivent dans cette démarche de prévention du vieillissement et promettent à leurs résidents de bien vieillir, mais l’architecture ne résout pas tout. Quoiqu’examiner le supposé impact des lieux habités sur le vieillissement de la personne soit une nécessité, comment innover dans une société qui vieillit ? Quelles approches pour quelles vieillesses ? Comment adopter, collectivement, une démarche territoriale et intégrée en provoquant des logiques d’opportunités urbaines ?
La loi « grand âge et autonomie » est-elle définitivement enterrée ? Attendue depuis quatre ans, elle vient à nouveau d’être reportée par le gouvernement. La ministre déléguée en charge de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, a confirmé le 20 janvier 2021 lors d’un colloque sur les politiques vieillesse, organisé par la FNADEPA (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées), que cette loi serait votée « avant la fin du quinquennat », mais « après la crise sanitaire ».
Le message est fort : « Vous ne pourrez bientôt plus choisir de rester à domicile ». Faute de moyens et de personnels, il n’est déjà plus possible d’honorer toutes les demandes d’accompagnement à domicile, explique une campagne lancée par les quatre principales fédérations d’aide et de soins à domicile. Ce cri d’alarme d’une profession à bout de souffle pointe les manques de moyens et de reconnaissance pour leurs métiers, surtout lorsque l’on sait que 80% des Français souhaitent pouvoir vieillir chez eux.
Un rapport remis en 2013 par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) démontre que la France accuse un grand retard en matière d’adaptation de son parc de logements. Le parc privé résidentiel, c’est 28 millions de résidences principales dont seulement 6 % sont adaptées au vieillissement ou au handicap. Et pour le moment, la part de rénovation réalisée est ridiculement faible. En 2019, l’ANAH a financé seulement 16 443 dossiers d’adaptation. À ce rythme (construction et réhabilitation comprises), il faudrait un demi-siècle pour que le parc résidentiel français soit adapté. Pourtant, les concepts ne manquent pas …
Habitat autogéré, habitat groupé pour senior, habitat coopératif pour senior, habitat inclusif, village senior, coopérative du troisième âge, logement adapté, papy-loft, éco-résidences intergénérationnelles, coliving pour senior, maison multigénérationnelle, maison bigénérationnelle, cohabitation intergénérationnelle solidaire, cohabitation mixte intergénérationnelle, co-voisinage actif intergénérationnel et solidaire, habitat partagé intergénérationnel, habitat communautaire senior, néo-béguinages, senior cohousing… Bon, on se l’accorde, tout y passe. Rien ne se perd, rien ne se crée, mais malheureusement aussi, rien ne se transforme.
Et dès lors, pourquoi persistons-nous à travestir un lieu de vie par des termes historicisés, teintés d’anglicisme marketé, tantôt de néologisme et d’innovation lexicale insipide ou encore de référence sémantico-conceptuelle ? Ne s’agit-il pas de simples « habitats » ? Au-delà de cette cacophonie informationnelle et commerciale, le champ du vieillissement est depuis longtemps dominé par des modèles explicatifs biomédicaux, responsables d’une vision déficitaire de l’âge avancé. Vieillir, ce serait forcément à tous les coups perdre sa vitalité, ses fonctions cognitives et motrices, et devenir dépendant des autres.
On parle d’inclusif comme s’il existait un habitat exclusif, on parle de quartiers sensibles comme s’il existait des quartiers insensibles, de quartiers chauds comme s’il y avait des quartiers froids. On va même jusqu’à parler de villes intelligentes comme si elles étaient le remède aux villes bêtes. Il est fréquent de voir apparaître un mot à la mode qui, comme toute chose prisée, comporte le risque d’un usage excessif ou galvaudé.
Loin d’apporter plus de précision que les mots qu’ils remplacent à chaque nouvelle réforme ou crise, ils constituent des mots passe-partout transmettant peu d’informations, mais dont l’aspect sérieux doit intimider l’auditoire. Leur utilisation donne l’impression qu’il s’agit de quelque chose d’important et à la mode ainsi qu’une impression de compétence auprès du public. Alors que, in fine, la participation des personnes concernées est quasi-invisible dans ce corpus et qu’on a tendance à populariser plus le slogan que les habitants eux-mêmes.
En trouvant racine dans une volonté de « bricoler » sans cesse de nouvelle forme d’habiter (du latin habitare, fréquentatif de habere « avoir, posséder »), en bricolant notre « avoir » on ne possède plus rien, on n’est plus chez soi. Lorsque les personnes font face à des choix complexes et contradictoires, ils peuvent se montrer incapables de décider ou de choisir. Cela peut affecter l’autonomie décisionnelle ou participationnelle sur la prise de décision.
Arrêtons alors de penser à leur place, mais à la place de qui ? Derrière l’hypertechnicité et l’effet de mode se cache une perte de sens inquiétante. Comme l’illustre assez justement Fany Cerese, docteure en architecture et Colette Eynard, consultante en gérontologie sociale, « pensons à l’usage plutôt qu’à la fonction dans une logique de projet et non de concept (1)».
Ce contexte se traduit d’autant plus par une opposition binaire : d’une part de trop nombreux colloques et groupe de réflexion qui proposent avec force l’injonction normative au « bien vieillir » quand d’autre part certains laboratoires d’idées expliquent comment procéder à un développement d’une culture décomplexée de la mort en EHPAD. On peut alors légitimement s’interroger sur l’ultimatum entre emprise normative et déprise suggérée (2) : d’un côté, on nous demande de « bien vieillir » quand de l’autre on nous conseille d’apprendre à « bien mourir ». En définitive, parler « des vieux » semble donc toujours plus efficace que de laisser parler ces « vieux ». L’archétype de la responsabilisation conduit d’une certaine manière à une « forme inédite d’intériorisation des catégories de l’échec (3) ». Ainsi, les politiques préventives, bien qu’elles soient officiellement centrées sur les individus, ignorent parfois la diversité des itinéraires individuels.
Dès lors, il s’agira d’appréhender les enjeux du grand âge à l’épreuve de la « cité ». En partant « des habiter» – depuis les résidences services jusqu’aux lieux « tiers » –, cet article s’interrogera sur les modalités « des vieillir » en décrivant comment des personnes se retrouvent soit subordonnées à un lieu, soit en action de renégocier elles-mêmes et de réinventer leur attachement à leur lieu de vie.
De nombreuses initiatives se font jour ; à partir d’une approche comparative en France et à l’étranger, il s’agira de découvrir des espaces de vie alternatifs, de saisir les approches de l’expérimentation sociale dans ses rapports à l’institué. Ces lieux alternatifs constituent un laboratoire d’observation qui apporte un éclairage sur le vieillissement, les représentations qui lui sont liées et leurs effets potentiels sur l’expérience subjective du vieillir.
Et si l’habitat n’était qu’un faux problème, un alibi ? On se risquerait à le penser et c’est tout l’enjeu de ce billet.
L’injonction normative au « bien vieillir » dans l’espace public
La mise en œuvre des politiques sociales destinées à « traiter » la problématique du vieillissement remonte, en Europe, à la fin du XIXe siècle. Directement liée à la naissance et à l’affirmation des États-Nations, elle répondait à des préoccupations démographiques et sociales.
Dans cette continuité et pour faire face aux besoins de main d’œuvre, la révolution industrielle française va entraîner un afflux de populations vers les villes. Devant le développement anarchique et insalubre des faubourgs se développeront des analyses critiques et théoriques sur la ville visant à améliorer le « vivre ensemble », avec notamment Charles Fourier, ou encore l’urbaniste britannique Ebenezer Howard. L’émergence massive de la « catégorie » du salariat a conduit à placer la question des conditions d’existence des travailleurs âgés au cœur des débats politiques.
Suite à cette première période des politiques vieillesse axées sur le « niveau de vie », les années 1960 marqueront l’émergence d’une seconde impulsion politique centrée sur le « mode de vie » des populations âgées, politique qui s’inscrit dans le contexte plus général du développement des politiques sociales. celles-ci comportent un volet assuranciel (l’assurance vieillesse), et un volet assistanciel dont le lancement remonte au célèbre rapport Laroque, publié en 1962.
Ce rapport fut rédigé par le conseiller d’État Pierre Laroque, l’un des pères fondateurs de la Sécurité sociale en 1945. Il a permis de dresser le constat d’une paupérisation de plus en plus importante des personnes âgées et il est considéré comme l’acte de naissance de la politique vieillesse en France.
« Sous couvert d’une volonté “d’autonomisation”, se dessine un modèle quelque peu culpabilisateur puisqu’il repose sur une injonction forte qui impose aux individus âgés de rester actifs. »
Ainsi, les portraits et la signification du vieillissement ont été considérablement remaniés sous l’effet conjugué des mécanismes distributifs de l’État-providence, de l’évolution des politiques publiques, de l’allongement de la durée de vie, et des bouleversements sociaux et culturels des années 1960. Les mutations qui en résultent impactèrent les rapports intrafamiliaux, les modes de vie et la participation à la vie sociale et culturelle. De fait, elles ont eu une incidence sur les institutions de prise en charge de la vieillesse qui se sont elles aussi transformées.
Les politiques orientées sur le « mode de vie » ne s’adressent plus seulement aux populations les plus démunies. L’originalité du rapport Laroque demeure dans sa finalité éthique. Pour la première fois, il est entendu de repenser les fondements des rapports entre société et vieillissement en vue d’assurer aux personnes âgées une place dans la société. Les enjeux relatifs au mode de vie deviennent centraux. Ils conduisent à la prescription d’une nouvelle ligne de conduite. Ainsi, d’immobile et dépendante, la vieillesse deviendrait active, autonome, responsable (4).
Cette promotion du « bien vieillir » et du « vieillissement actif » s’inscrira certes dans une valorisation des libertés individuelles des personnes âgées, mais elle peut également être appréhendée comme une forme d’injonction normative.
Le bien-être personnel se transforme progressivement comme un objectif, et la capacité à rester actif est exposée comme la condition de ce bien-être. Pourtant, sous couvert d’une volonté d’«autonomisation», se dessine un modèle quelque peu culpabilisateur puisqu’il repose sur une injonction forte qui impose aux individus âgés de rester actifs (5).
Ainsi, dans l’espace public, peut-on relever de nombreuses opérations, dispositifs et labels veillant à promouvoir le vieillissement réussi, le vieillissement actif ou le bien-vieillir. Par exemple, le plan national « Bien vieillir » (2007-2009), tentait de répondre à l’enjeu de l’avancée en âge et au défi de la longévité.
Dix-huit villes et agglomérations urbaines ont ainsi porté cette action de prévention en gérontologie. Devenu un véritable plan de santé publique en 2007, ce plan national fut placé sous l’égide du ministère de la Santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, et du Ministère de travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ils s’adressaient aux seniors âgés de 50 à 75 ans.
Mais, même si ce plan national a eu le mérite de formaliser des mesures préventives, de les financer et de les évaluer, il a fait émerger un certain nombre d’imperfections : tout d’abord, l’injonction à rester actif impose d’une certaine manière aux personnes âgées la charge de contribuer au bien-être économique de la collectivité. Ensuite, elle tend à instaurer une norme du bien-être identique pour tous. Enfin, la volonté de mesure et d’objectivation du bien-être, que ce soit au niveau politique ou scientifique, tend à occulter la subjectivité des individus.
Les associations s’en font l’écho : « 7 territoires, 7 clés pour booster le bien-vieillir des seniors en ville » titrait le petit guide édité conjointement par « Vivons en Forme » et « Villes de France ». Sous couvert d’amélioration de la prise en compte de l’individu vieillissant dans sa totalité, la notion de bien-être impose des normes de sociabilisation et des pratiques urbaines ; elle contribue à occulter les différences individuelles et sociales, conséquences de parcours de vie d’une grande hétérogénéité.
Dans un autre esprit, un article paru dans la rubrique « Bien-être et Santé », publié en septembre 2018, titrait « 6 conseils pour bien vieillir ». La première phrase donnait le ton : « Pour la plupart des personnes, vieillir n’est pas un sujet agréable : les rides font leur apparition, les mouvements deviennent de plus en plus incertains et la vue diminue… Mais bonne nouvelle : être senior et bien vieillir, c’est possible ! ». Autrement dit, pour « la plupart des personnes » le relâchement cutané entraînant l’apparition de ridules suggère que c’est mal de vieillir.
« Le “brave” vieux, de par son activisme, aura réussi son vieillissement dans la cité s’il n’a pas besoin d’aides extérieures, ne coûte rien en attirails sanitaires, ne pèse ni sur les solidarités familiales et intergénérationnelles, ni sur les financements publics. »
Les conseils en tout genre ne s’arrêtent pas là : « Vous avez besoin de services à domicile ? Découvrez le site silveralliance.fr. Vous écrivez ce dont vous avez besoin, ou envie, et le site vous trouve la solution et l’entreprise à contacter ! Ou n’hésitez pas à nous demander le guide papier. ». Ainsi en parcourant le site, dans l’onglet « Nos solutions pour bien vieillir », on découvre que toutes les solutions sont payantes et/ou servicielles adossées dans certains cas à une souscription annuelle obligatoire, le tout érigé en obligation de santé publique… On vous propose même des allégements fiscaux en cas d’abonnement à la carte.
Cette notion d’« injonction normative » définit pernicieusement un comportement souhaitable, et tend à imposer un contenu de pensée qui, pour le coup, est marketé : les prescriptions font office de régulation des comportements, et leur transgression entraîne une sanction sociale. Cette sanction, révélée à travers l’injonction normative de « bien vieillir », sous-entendrait donc, en miroir, la possibilité de « mal vieillir » ?
Pour Danilo Martuccelli, professeur de sociologie à l’Université Paris-Descartes, le « souci d’impliquer les individus en tant qu’acteurs à leur « redressement », leur « amélioration », leur « soin », leur « rattrapage », leur « épanouissement » ou leur « développement » » s’exprime de manière flagrante dans les orientations des politiques sociales où l’affirmation de l’indépendance de l’individu est le corollaire de l’affaiblissement de ses droits et protections, en somme des « supports divers lui permettant justement d’y faire face ».
On peut donc aisément identifier les orientations en faveur du « bien vieillir » comme le reflet d’une volonté politique, commerciale ou urbaine ; celle-ci organise institutionnellement une prise en charge qui se garde bien d’abandonner les individus à leur seule liberté mais la gère de manières diverses, selon les différents secteurs d’activité, tout en renvoyant la responsabilité aux seuls individus.
Le “brave” vieux, de par son activisme, aura réussi son vieillissement dans la cité s’il n’a pas besoin d’aides extérieures, ne coûte rien en attirails sanitaires, ne pèse ni sur les solidarités familiales et intergénérationnelles, ni sur les financements publics. In fine, s’il agit en conformité des attentes et des enjeux sociétaux l’enjoignant tacitement à ne pas être un fardeau. Au-delà d’une certaine injonction à l’indépendance, la contrainte qui pèse sur les populations âgées dans la ville ou leur logement peut être effectivement appréhendée sous l’aspect de la responsabilisation ou de la culpabilisation.
L’intensification des établissements serviciels
Historiquement, la prise en charge des personnes âgées relève d’abord de la responsabilité des familles, c’est en cela une affaire privée. Mais l’évolution des structures familiales, l’élévation du niveau de vie, les besoins de professionnalisation face à des polypathologies, amènent les familles à externaliser les services. Dès lors, et sous l’effet du vieillissement massif de la population, une véritable industrie des services à la personne est en train d’émerger.
Au 1er Janvier 2060, la France métropolitaine comptera 73,6 millions d’habitants, soit 11,8 millions de plus qu’en 2007. Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmentera, à lui seul, de plus de 10 millions (6). En 2060, une personne sur trois aura ainsi plus de 60 ans. Jusqu’en 2035, la proportion de personnes âgées de 60 ans ou plus progressera fortement, quelles que soient les hypothèses retenues sur l’évolution de la fécondité, des migrations ou de la mortalité.
Ainsi, le marché des résidences médicalisées repose sur une tendance lourde : le vieillissement de la population française. Au point que certains professionnels, portés par un souffle lyrique, parlent déjà d’«or gris».
« La silver économie est l’équivalent de la troisième puissance économique de la planète, derrière les Etats-Unis et la Chine »
Natixis
La « silver économie (7) », c’est-à-dire l’ensemble des marchés, activités de services et ventes de produits liés aux personnes de plus de 60 ans, représente aujourd’hui environ 8 040 milliards d’euros par an en associant l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie. Ce qui (virtuellement) en fait l’équivalent de la troisième puissance économique de la planète, derrière les Etats-Unis et la Chine, selon Natixis (8). Ce business pourrait atteindre 24 500 milliards de dollars d’ici à 2050. Le Monde titrait même : « Les seniors, un eldorado économique à conquérir », ou encore « La ruée vers l’or gris des seniors ».
Selon Frédéric Serrière, il existe deux visions économiques du sujet. La vision « marché du grand âge » – celle des services à la personne, de la santé liée au grand âge –, et puis la vision « marché des seniors » – les plus de 60 ans qui sont en moyenne plus riches que dans le passé. Le vieillissement de la population mondiale est donc considéré comme une opportunité de développement économique et immobilier avec notamment le tourisme, la culture, le commerce de détail, les services financiers et les services ménagers à l’instar des fabricants d’objets connectés.
Un constat empirique montre que le taux d’épargne tend à croître avec l’âge. La solvabilité moyenne des retraités issus des Trente Glorieuses n’a jamais été aussi élevée, et elle pourrait perdurer voire se développer. On observe cette gérontocroissance, à des échelles différentes, sur presque toute la planète. Elle est induite par l’accroissement de l’espérance de vie et dans certains pays (dont la France) par le phénomène démographique du Papy-boom.
Selon le rapport Bernard (2013), les seniors sont souvent distingués en tant que consommateurs selon leur état de santé ou de dépendance et selon leur niveau supposé de revenus. On les classe aussi sur l’échelle des extrêmes de revenus avec des seniors très riches ou très pauvres de part et d’autre d’une « mass market (9) ». Un des axes de développement de la silver économie passe par l’hospitalisation à domicile, dit « Home care », en particulier dans les maisons de retraites et autres formes d’habitats collectifs pour personnes âgées.
Aujourd’hui en France, en matière d’offre résidentielles, les personnes âgées peuvent être principalement accueillies dans trois types d’établissements. Il y a tout d’abord les EPHA, Établissements d’hébergement pour personnes agées. Ce sont des résidences (foyers ou logements), où les personnes peuvent vivre de manière autonome. Elles sont majoritairement gérées par des structures publiques ou privées à but non lucratif. Ensuite, il existe les USLD, Unités de soins de longue durée. Ces établissements dépendent des centres hospitaliers. Ils offrent environ 36 000 lits en France après que plus de 40 000 ont été transférés des hôpitaux vers les EHPAD. Enfin, les EHPAD, Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, plus ou moins médicalisés selon le niveau de pathologie de leurs résidents. Ce type d’hébergement représente 70 % des hébergements disponibles pour les personnes âgées. Ils peuvent être privés à but lucratif, privés à but non lucratif (comme par exemple La Croix-Rouge), ou publics. En 2014, L’Insee estimait qu’on comptait 7 258 EHPAD pour 557 648 lits en France.
« Le secteur des maisons de retraite commerciales ne s’est jamais aussi bien porté, une maison de retraite est même plus rentable qu’un centre commercial. »
Cabinet de conseil en immobilier Savills
Ainsi, le très fort développement du secteur privé lucratif des EHPAD s’est accompagné d’une longue série de fusions-acquisitions qui se sont accélérées dans le secteur privé commercial avec l’émergence de trois géants européens de l’hébergement pour personnes âgées : Korian, Orpea et DomusVi. À eux seuls, ils possèdent neuf cents établissements, soit plus de la moitié du parc immobilier. Korian le plus influent, a réalisé en 2016, plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 15,5 % de marge, un bénéfice de 38 millions d’euros, et a multiplié en cinq ans les dividendes versés à ses actionnaires.
Le secteur des maisons de retraite commerciales ne s’est jamais aussi bien porté. Selon une étude du cabinet de conseil en immobilier Savills, une maison de retraite est même plus rentable qu’un centre commercial. Après une explosion des investissements à partir de 2012, le secteur a enregistré une nouvelle hausse de 60 % au premier semestre 2016 par rapport à la même période en 2015, soit 1,3 milliard d’euros. Ce qui place la France au rang de premier investisseur et premier opérateur européen de résidences pour personnes âgées. « Etant donné l’évolution démographique et la stabilité de cet investissement, il s’agit d’un très bon choix à long terme », estime Lydia Brissy, responsable des études européennes à Savills.
Le classement 2018 des cinq cents plus grandes fortunes de France publié par l’hebdomadaire Challenges comprend six propriétaires de groupes d’EHPAD. Le secteur attire des fonds d’investissement (Intermediate Capital Group pour DomusVi), des banques (Crédit agricole pour Korian et Domidep), des fonds de retraite (Canada Pension Plan Investment Board pour Orpea) et même des fonds souverains des Émirats arabes unis (10). Six groupes sont désormais côtés en Bourse. Les EHPAD commerciaux sont aussi devenus très attractifs pour les courtiers, qui revendent des chambres à des investisseurs particuliers attirés par une rentabilité des locations de 4 à 6 %. D’autant que le statut LMNP (loueur de meublé non professionnel) permet de bénéficier d’une fiscalité des loyers attractive par le biais du bail commercial sécurisé ou d’un contrat de séjour ou d’hébergement souvent à durée indéterminée.
« L’hyper spécialisation d’un bâtiment s’accompagne d’une vulnérabilité́ forte face aux évolutions futures. »
Certains établissements vont même au-delà du nombre de places autorisées par l’Agence régionale de santé. Explication d’un ancien directeur de site : pour pouvoir toucher une « prime de remplissage » de 535 € mensuels, les directeurs doivent obtenir un taux de remplissage de leur établissement d’au moins 99,5 %. Pour arriver à un tel résultat, ils sont contraints, du fait des départs, des décès de résidents, de dépasser le chiffre autorisé. Dès lors, certains établissements affichent même des taux de remplissage supérieurs à 100 %, ce qui leur permet de dégager des marges supplémentaires sans vacance locative.
De plus, la demande grandissante et le ralentissement des autorisations de construction viennent encore alourdir ce scénario, car un système de liste d’attente pour intégrer une résidence EHPAD est dorénavant quasiment obligatoire. Ce constat est valable dans les établissements privés, associatifs et publics. D’où une ingénierie foncière et juridique qui tient autant aux conséquences légales et fiscales dans le montage d’opération immobilière avec des évolutions de mode de prise en charge depuis le domicile jusqu’à la vie en établissement ou vice-versa. La différence est en outre de plus en plus nette au sein des groupes d’EHPAD entre le métier d’opérateur de services («OpCo»), et celui de promoteur-gestionnaire immobilier (« PropCo ») (11).
Dès lors, de nouveaux mécanismes préoccupants touchent certaines résidences EHPAD ; par exemple la défaisance (ou désendettement de fait). Ainsi, comme le souligne Céline Mahinc, fondatrice du cabinet Eden Finances, le gestionnaire, ne pouvant ou ne souhaitant pas effectuer les mises aux normes requises, ou ne trouvant pas d’accord avec les copropriétaires, abandonne les lieux, partant avec son agrément pour établir une nouvelle résidence médicalisée sur le même périmètre commercial. Le propriétaire se retrouve alors dans une situation problématique du fait de la monovalence d’utilisation de cet investissement : il s’agit d’une chambre et non pas d’un appartement (12) ! L’hyper spécialisation d’un bâtiment s’accompagne d’une vulnérabilité́ forte face aux évolutions futures.
Ainsi, l’État ne délivre désormais que très peu d’autorisations de permis de construire d’Ehpad, car elles possèdent un cadre réglementaire contraignant et source de nombreux dysfonctionnements favorisant les exploitants, mais qui ne permet pas d’avoir une croissance puisque la Sécurité sociale à court de finance freine l’ouverture de nouveaux lits dont elle aura à charge la partie soins.
Des résidences en charge d’une spatialité disciplinaire ?
Par-delà l’augmentation en nombre de ces établissements serviciels, ceux-ci, on le voit, ont peu à peu été marqués par une approche presqu’exclusivement soignante, contribuant à en faire des lieux de soin plus que des lieux d’habitation. On peut donc se demander si l’approche capitalistique et immobilière de la résidence pour personnes âgées n’est pas sans conséquence. Et questionner l’équation qui souhaite concilier la nécessité des personnes âgées à se loger et l’exigence de rentabilité immobilière d’un actionnaire.
Ainsi, de nombreuses résidences se dirigent vers un modèle de prestations de services en octroyant un rôle central à la rentabilité et à « l’hyper médicalisé ». En conséquence, ces modèles relevant d’une performance servicielle intègrent une plus grande part des nouvelles technologies, assaillies par une myriade de solutions logicielles. Malgré les efforts de certains établissements, nous restons loin de la logique domiciliaire de l’habiter, et c’est en cela que l’incarnation du modèle hospicial de prise en charge est toujours prégnant.
« Le risque, c’est d’étendre à tous des mesures en principe réservées aux plus vulnérables. On ferme la porte d’entrée pour les personnes ayant des troubles cognitifs puis on finit par “boucler” tous les résidents. »
Marie-Jo Guisset
Actuellement, le « grand âge » est surprotégé et tous les aspects de la vie en EHPAD sont impactés par une conception du soin tellement globalisante qu’elle ne laisse aucune place à la vie ordinaire et à la liberté des personnes (13). Tout semble thérapeutique, chronométré, aseptisé, analysé, soumis à un devoir de l’éveil comme du coucher en passant par l’impératif des diners, les jeux, et la réception des proches.
Est-ce le souci de protéger les personnes ou la peur de poursuites en cas d’accident ? Ces dernières années, les EHPAD ont largement développé les mesures restrictives. C’est ce que montre une enquête auprès de 5 690 établissements, menée par la Fondation Médéric Alzheimer : 88 % des EHPAD avaient alors déclaré avoir instauré des mesures de protection, principalement des digicodes à la porte (65 % des établissements) mais aussi des systèmes de géolocalisation par bracelets ou puces (18 %), ou de la vidéosurveillance (9 %). Des outils instaurés avant tout pour prévenir les risques de fugues, affirment 88 % des établissements. « C’est fondamental de protéger mais attention à ne pas transformer les maisons de retraite en quartiers de haute sécurité », lance Marie-Jo Guisset à la Fondation Médéric Alzheimer. « Le risque, c’est d’étendre à tous des mesures en principe réservées aux plus vulnérables. On ferme la porte d’entrée pour les personnes ayant des troubles cognitifs puis on finit par “boucler” tous les résidents », indique-t-elle.
Ainsi, il n’est pas exagéré de parler de spatialité disciplinaire ou coercitive qui contraint un comportement pour le rendre conforme aux attentes demandées, soit un ensemble d’interactions sociales organisées autour d’équipements médicalisés. C’est ce qu’Erving Goffman théorisa comme une « institution totale », c’est-à-dire un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées.
Une organisation trop rigide des institutions induite par la rationalisation de la gestion des moyens humains, alliée à un souci d’écarter tout risque de mise en cause de la responsabilité des professionnels peut conduire à la négation de la liberté ou du droit de prendre des risques et d’effectuer des choix (14). Si les personnes accueillies sont de plus en plus âgées, handicapées et vulnérables, ces caractéristiques rendent plus difficiles l’expression et le recueil d’un consentement ou d’un choix, ce qui peut pousser les professionnels à sombrer dans une forme de toute puissance conduisant à l’excès de pouvoir et à l’abus de faiblesse.
Ce contexte est ainsi propice au « syndrome de glissement » qui est défini par la détérioration rapide de l’état général : anorexie, désorientation, désir de mort plus ou moins directement exprimé, il s’agit d’un renoncement passif à la vie passant par un refus actif des soins et de l’alimentation. Il est de déclenché par des événements physiques (maladies aiguës, opération, traumatisme) ou psychiques (décès d’un proche, abandon du domicile, déménagement, hospitalisation).
C’est en cela que la complexité de ces institutions, si elles ne veulent pas sombrer dans une gestion rationnalisante des corps de « vieillards » réduits au statut de simples objets de soins, doivent refonder leur projet de vie et leur cadre architectural et spatial.
« Lieux de vie et soin ne devraient plus être confondus, les soins médicaux et paramédicaux étant disponibles dans la ville, le quartier ou le village, et ceci quel que soit le lieu où habite la personne. »
Mais la vraie question suppose d’être ailleurs : est-ce qu’en définitive l’accompagnement des personnes dont l’âge entraîne des incapacités de tous ordres est la seule affaire des soignants ? Est-ce que le lieu idéal pour cet accompagnement est uniquement l’EHPAD ? Comme le précise assez justement Colette Eynard : « Il ne suffit pas en effet que la réglementation en vigueur stipule que « la chambre en Ehpad est le domicile de la personne » pour que cela soit ressenti comme tel et vérifié dans les faits. À partir du moment où une instance extérieure, quelle qu’elle soit, organise et gère ce lieu de vie, il est difficile que ceux qui y vivent en fassent spontanément un lieu d’habitation (15). »
Puisque la majorité des personnes qui vieillissent souhaitent continuer à vivre chez elles (16), ou dans un domicile collectif et/ou alternatif qui leur assurerait les conditions d’un véritable chez soi, c’est-à-dire l’assurance de pouvoir y vivre comme elles l’entendent, cela suppose un changement radical. Lieux de vie et de soins ne devraient plus être confondus, les soins médicaux et paramédicaux étant disponibles dans la ville, le quartier ou le village, et ceci quel que soit le lieu où habite la personne.
Le modèle du soin à domicile parait en effet préférable à celui du soin en EHPAD dont l’organisation dans un seul lieu semble susceptible de provoquer des dérives autoritaires. Même si un lieu spécialisé peut être nécessaire, il ne peut être confondu avec le domicile. L’insertion se fait dans une logique d’aménagement du territoire, et celui-ci doit être partagé par l’ensemble de ses habitants, quel que soit leur âge.
Habiter chez soi : peut-on réinventer les «lieux du vieillir » ?
Dans un tel contexte, la question des « lieux du vieillir » apparait comme fondamentale. Elle s’inscrit sans nul doute dans le prolongement des enjeux éthiques, culturels, sociaux et politiques du vieillissement de la population.
Parallèlement, le rétrécissement « des politiques vieillesse » et la normalisation autour des enjeux liés à la dépendance ont créé un appel d’air dans lequel se sont intercalés nombre d’acteurs qui promeuvent des habitats ou des lieux intermédiaires ne relevant, pour une grande part, ni du secteur médico-social, ni de la politique vieillesse à proprement parler.
Ainsi, en France comme à l’étranger, émergent des initiatives cherchant à inventer de nouveaux modèles d’habitat et de lieux alternatifs. Premièrement, leur caractère novateur ouvre des pistes de réflexion sur des moyens d’accompagner « autrement », avec une vision résolument collective et collaborative. Ces lieux fédératifs expérimentent de nouvelles modalités de l’habiter qui apparaissent comme des expériences riches en perspectives, tant pour les acteurs politiques de terrain, les professionnels du soin, les architectes ou urbanistes susceptibles de s’engager, que – surtout et en premier lieu –, pour les usagers eux-mêmes.
Quatre exemples pour illustrer ce propos : en France, en Espagne, en Italie et au Japon. De par leur diversité, ces projets appartiennent pour une partie au champ du logement et de l’habitat alternatif, pour d’autres au secteur social et médico-social mais aussi, quand ils expriment une recherche d’intériorité, à la lisière du spirituel. Ils se situent dans un « ailleurs (17) » car ils misent sur des postures hétéroclites opposant l’hébergement, comme lieu d’enfermement spécialisé et ségrégatif, à l’habitat, entendu comme lieu ouvert et intégré à la vie sociale ordinaire.
Inaugurée en février 2013 (18), la maison des Babayagas est une création originale de résidence pour femmes âgées située à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Portant un regard différent sur le vieillissement, son nom provient d’une figure de vieille sorcière de conte russe. Elle est pensée comme une « anti-maison de retraite » permettant aux femmes qui l’habitent de se prendre en charge et de s’entraider pour bien vieillir. Menée par une association, elle se veut un lieu de vie privilégiant l’autonomie et la démocratie participative.
Il s’agit pour le collectif de faire vivre un lieu dans la ville et pour la ville, largement destiné aux femmes. De cette double volonté de créer un lieu de vie ouvert sur le quartier et un espace de rencontre et de militantisme, est né un programme architectural qui associe logements et espaces collectifs. La maison se compose d’un immeuble comportant 25 logements sociaux, 21 pour les Babayagas et 4 pour des jeunes de moins de 30 ans. Elle dispose de deux salles réservées aux activités collectives ainsi que de trois jardins.
Ces femmes partagent un idéal autogestionnaire puisque la démarche est menée, de bout en bout, par les habitantes elles-mêmes, depuis le choix du lieu, celui de l’architecte avec lequel sont pensés les espaces et les matériaux, celui des différents partenaires immobiliers, financiers, juridiques, jusqu’à la gestion du quotidien, une fois dans les lieux. Aucune délégation de gestion, d’entretien, de sécurité n’est envisagée, tout devant être assuré par les habitantes elles-mêmes. Une charte engage ainsi chacune à donner de son temps à la collectivité (dix heures par semaine).
Qu’en attendent les femmes qui participent à ce projet ? Leurs récits posent au premier chef la question de la préservation de l’autonomie, refusant avec force l’infantilisation qui leur semble souvent aller de pair avec le vieillissement en institution. Les maisons de retraite sont ici le modèle repoussoir auquel il faut à tout prix échapper. Les Babayagas associent ainsi à leur maison un projet d’université du savoir sur les vieux (UNISAVIE) et aimeraient contribuer à changer le regard de la société sur « les vieilles ».
En cela, les projets ressemblent là aussi aux femmes qui les portent, mais cette volonté d’autonomie citoyenne qui fut, dans les années post soixante-huit, politiquement pensée (Rosanvallon 1976), prend ici une nouvelle résonance, plus proche de « L’éthique de la sollicitude», souvent appelée éthique du care (de l’anglais ethics of care). Cette réflexion morale de la fin du XXe siècle est issue des pays anglophones, d’approches et de recherches féministes dans ce domaine. Puisqu’il s’agit finalement de montrer que les « vieux » sont capables de prendre soin d’eux-mêmes.
Cet esprit engagé se retrouve d’une certaine manière à Madrid, qui est la première ville à ouvrir une maison de retraite LGBT (lesbienne, gay, bisexuel, transgenre) publique en Espagne. Selon Federico Armenteros, le fondateur et président de « la Fundacion 26 de Diciembre », « on estime à 160 000 le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans qui sont LGBT rien qu’à Madrid ». Ouvrir une maison de retraite LGBTQIA+ publique permet aux seniors de vivre leur retraite dans un endroit où ils n’auront pas « à rester dans le mensonge ».
La Fundacion 26 de Diciembre est une organisation à but non lucratif créée par et pour les personnes âgées LGBTQIA+. « Nous servons environ 800 personnes chaque année. Avec eux, nous travaillons pour la dignité, l’inclusion et la visibilité dans une approche intergénérationnelle. Nous favorisons la recherche, la formation à la diversité et la récupération de la mémoire historique de notre communauté. »
La création de cette maison de retraite publique LGBTQIA+, vient en réaction à une législation très critiquée en Espagne : « La loi sur les fainéants et les malfaiteurs » a été une loi du Code pénal espagnol du 4 août 1933 qui portait sur le traitement des vagabonds, nomades, proxénètes et tout autre groupe considéré comme antisocial, postérieurement modifiée pour réprimer également les homosexuels. Aussi connue sous le nom populaire de « la Gandula » (« la tire-au-flanc »), la loi a été approuvée par consensus de tous les groupes politiques de la Seconde République pour le contrôle des mendiants, vauriens sans métier connu et proxénètes. Cette loi comportait des mesures de contrôle et de rétention utilisées arbitrairement pour la répression des personnes sans ressources supposément dangereuses.
« De nombreuses personnes LGBTQIA+ ont été emprisonnées, torturées, maltraitées, persécutées, harcelées ou soumises à des traitements de choc. Simplement en ayant une orientation sexuelle qui ne correspondait pas à ce que le régime voulait. »
La loi fut modifiée par le régime franquiste pour y inclure la répression des homosexuels le 15 juillet 1954. En 1970, elle a été remplacée par la loi sur la dangerosité et la réhabilitation sociale, votée dans des termes très semblables, mais qui comportait des peines allant jusqu’à cinq années d’emprisonnement dans les prisons ou des asiles pour les homosexuels et autres individus considérés dangereux.
En vertu de cette règle, de nombreuses personnes LGBTQIA+ ont été emprisonnées, torturées, maltraitées, persécutées, harcelées ou soumises à des traitements de choc. Simplement en ayant une orientation sexuelle ou une identité sexuelle ou de genre qui ne correspondait pas à ce que le régime voulait. La date symbolique du 26 décembre 1978 (date à laquelle le gouvernement d’Adolfo Suárez mit fin à l’illégalité de l’homosexualité en Espagne) est donc importante dans l’histoire de la communauté LGTBQIA+ espagnole.
La Fundacion 26 de Diciembre est en cela un projet inédit dans la capitale espagnole : ouvrir une maison de retraite LGBTQIA+ publique. Du personnel au politique, il a fallu 10 ans de travail pour monter cette structure. L’isolement des seniors LGBT est un réel problème en Espagne, ils ne souhaitent pas « retourner au placard et j’ai constaté qu’ils étaient isolés et que beaucoup pensaient au suicide », ajoute Federico Armenteros.
La résidence de 3300 m2, en cours d’achèvement, est située dans le quartier de Villaverde Alto et pourra accueillir environ 100 personnes, dont les 2/3 seront des internes. Un centre de jour pourra accueillir 30 personnes âgées et une crèche. Comme le précise Frédérico Armenteros, la résidence est ouverte à tous : « beaucoup de personnes âgées du quartier nous ont dit vouloir venir dans ce centre et nous précisons qu’il est ouvert à tous ».
L’intérêt du projet provient aussi du fait qu’il s’agisse d’une maison de retraite financée par des fonds publics, accessible aux seniors dotés des faibles ressources financières. « Le projet a été bien reçu. Après tout, nous demandons quelque chose qui existe déjà en Allemagne, en Hollande, au Danemark… Seulement, nous avons rendu la résidence publique pour qu’elle soit accessible aux personnes âgées qui ont peu de ressources ». Pour lui, cette démarche se situe au-delà même du politique : « c’est une histoire de droits ».
Ce fondement éthique se perçoit également en Italie dans « La casa di riposo per musicisti » (maison de retraite des musiciens), construite à l’initiative du compositeur romantique italien Giuseppe Verdi et destinée à des artistes ayant consacré leur vie à l’art de la musique et qui sont en difficulté.
Verdi, qui décida à la fin du XIXe siècle de créer une « maison de repos » sur la Piazza Michelangelo Buonarroti à Milan, l’appelait « l’œuvre la plus belle » de sa vie. Elle avait pour objectif de permettre aux musiciens indigents de finir leur vie décemment.
L’édifice, achevé le 16 décembre 1899, est l’œuvre de l’architecte Camillo Boito. De style néo-gothique, utilisant des éléments gréco-romains types, colonnes, fronton, et proportions harmonieuses, il se compose de deux étages auxquels un troisième sera ajouté dans les années 1930. Mais la Casa Verdi n’ouvrira qu’en 1902, après la mort du musicien à 87 ans, ce dernier refusant qu’on puisse le remercier. Et 119 ans plus tard, elle fonctionne comme au premier jour, sans dette ni soutien public, un « vrai miracle », selon son président Roberto Ruozi.
Les usagers versent une contribution mensuelle, calculée en fonction de leurs revenus, mais qui représente moins d’un cinquième du coût réel de leur séjour, « grâce à l’argent généré par le patrimoine que nous possédons », explique Roberto Ruozi. « Verdi a laissé à la Casa Verdi tous ses droits d’auteur, ce qui pendant 60 ans a représenté des sommes non négligeables, qui ont été en partie investies » dans 120 appartements, aujourd’hui loués par une soixantaine de personnes, ajoute-t-il.
La Casa Verdi possède ainsi des installations et un personnel qualifié pour répondre aux besoins de ses musiciens retraités. La « Musicians Home Foundation » se charge de mettre en place un système efficace de prise en charge des droits et des besoins de ses résidents et d’améliorer la qualité de ses services. La Fondation poursuit plusieurs objectifs : préserver l’indépendance personnelle en encourageant les initiatives de chacun, respecter le droit à la vie privée, reconnaître et maintenir le rôle des résidents dans la société en favorisant leurs liens avec la famille et les amis. Les personnes logées se retrouvent donc dans un environnement où ils peuvent se sentir partie intégrante d’une société, où l’on encourage leur participation à des événements culturels et artistiques promus par les institutions de la ville et où, enfin, ils passent cette période de leur vie paisiblement.
« C’est comme être dans une maison pleine de souvenirs, une maison que l’on aimerait laisser intacte, toujours, et dont on prend soin avec affection.»
Lorenzo Arruga
La Casa Verdi a aussi bénéficié de donations de bienfaiteurs, « On est logés, nourris, il y a une assistance médicale. On s’occupe de nous merveilleusement et il y a tout : des salles pour travailler le piano, la salle de concert… », souligne Raimondo Campisi, un pianiste de 71 ans arrivé il y a quatre ans à la Casa Verdi.
L’institution héberge aussi une quinzaine d’étudiants, venus de toute l’Italie, du Japon ou de Corée, du conservatoire et de l’académie de la Scala à Milan. Une initiative lancée en 1999 afin de permettre un échange et des transmissions entre générations.
Pour Lorenzo Arruga, critique musical et librettiste : « Il y a quelque chose de sévère mais somptueux, d’imparfait mais ordonné et symbolique – un peu comme l’opéra lui-même – et en entrant, vous souhaitez pouvoir chanter des extraits d’opéra comme une façon de prier, tout comme lui : il était non religieux et plein de doute, mais il devait admettre la nécessité de prier précisément pendant qu’il faisait chanter les gens. Vous entrez, et vous ressentez une histoire qui ne vieillit pas. C’est une continuité historique. Là, dans ce vaste et magnifique environnement du XIXe siècle, au milieu de grandes fenêtres, d’un espace abondant et de meubles qui peuvent nous rappeler qui sont peut-être dans nos maisons depuis des générations. Mais avec un soupçon supplémentaire de quelque chose d’important, d’intime et de solennel, on se trouve à l’aise. C’est comme être dans une maison pleine de souvenirs, une maison que l’on aimerait laisser intacte, toujours, et dont on prend soin avec affection. »
Cet esprit du « chez soi », du sentiment de maîtrise d’un lieu se reflète également dans le travail de Masue Katayama. Cette entrepreneuse sociale de 81 ans a passé toute sa vie à changer le système de garde d’enfants et de soins infirmiers dans ce qui est aujourd’hui le pays le plus âgé du monde. Elle a d’abord eu l’idée d’acheter des bâtiments abandonnés et d’embaucher des soignants non japonais traditionnellement exclus de la société, comme des personnes handicapées, des sans-abris et des Asiatiques non japonais. Elle propose également un emploi aux femmes asiatiques non japonaises mariées à des ressortissants japonais, à qui l’on accorde des permis de travail, mais qui, par rapport aux ressortissants japonais, reçoivent des salaires inférieurs et sont traitées comme persona non grata sur le lieu de travail.
Au début des années 1980, alors que commence la « révolution grise (19) » du Japon, Masue Katayama a l’idée de créer des maisons de retraite abordables pour les familles de la classe moyenne au Japon en réhabilitant des bâtiments vacants, tels que d’anciens dortoirs d’entreprises. Son modèle est alors novateur car il n’existe que deux options disponibles : des maisons publiques de très mauvaise qualité et perçues négativement par la société, ou des maisons privées extravagantes que seules les familles aisées peuvent s’offrir. La société japonaise ne propose pas d’options viables pour les familles de la classe moyenne.
Tout commence en 1986 quand Masue Katayama loue une ferme à bas prix. Elle contracte un prêt bancaire de 100 000 $ US pour la rénover en une maison de retraite de seize unités de logements. Celles-ci sont remplies instantanément grâce au bouche-à-oreille, ce qui confirme l’intuition initiale d’un grand besoin en maisons de retraite de qualité et à des prix équitables. Après avoir ouvert la première maison, elle se rend compte qu’il existe des milliers de dortoirs abandonnés, construits par des sociétés pendant la période économiquement prospère (1984 à 1991), mais évacués après la chute économique.
Elle met ainsi en place la Shinko Fukushikai Social Welfare Corporation, qui gère désormais 36 communautés de retraités et 8 garderies d’enfants au Japon (en 2017) tout en développant une approche contextuelle pour changer les attitudes et les valeurs concernant les soins infirmiers (20). Sa méthode d’emploi, le traitement des soignants et le service aux personnes âgées ont transformé l’industrie de la prestation de soins au Japon.
Pour Masue Katayama : « Quand je crée des maisons de retraite, j’y pense constamment comme un lieu où les enfants et les autres membres de la famille peuvent se retrouver. Je ne veux pas étiqueter ces endroits comme étant réservés aux personnes âgées ou comme étant un endroit de luxe. Par exemple, tout jeune peut venir dans nos maisons de retraite et prendre une tasse de thé, ou un enfant peut venir et il y a une place pour jouer. Je veux créer des espaces où les gens se sentent à l’aise, où les gens peuvent naturellement être ce qu’ils sont sans en avoir conscience. Des espaces centrés sur l’humain ! »
Elle précise : « Tout est réglementé, mais ces règles ne correspondent pas nécessairement à ce que les clients et leurs familles veulent et ont besoin. C’est pourquoi je suis toujours un peu éloignée de ce que le gouvernement dicte, que ce soit en ce qui concerne les maisons de retraite ou les garderies. Je me concentre sur les besoins des gens. Et ainsi, je peux me développer et grandir. Et il arrive souvent que le gouvernement dise : « D’accord, cela ne correspond pas aux normes, mais tout le monde dit que c’est pratique » ».
Sa pratique se distingue pour une autre raison : dans une nation partagée entre le Bouddhisme et le Shintoïsme, elle s’inspire de l’Église catholique. « Il y avait un prêtre en particulier qui a eu beaucoup d’influence sur moi, il m’a appris qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes très petits et qu’il existe un plus grand pouvoir. Et c’est ce pouvoir qui m’a soutenu dans ce que je fais ».
Le vieillissement est un préjugé
Finalement, les diverses publications et colloques scientifiques orchestrés ces dernières années autour de la thématique « territoires et vieillissement », constituent un indicateur de développement d’une stratégie plus territorialisée des politiques et des pratiques liées à l’avancée en âge.
C’est aussi dans cet esprit que diverses initiatives se font jour et se caractérisent par une grande diversité d’actions qui empruntent habilement des logiques échappatoires au contrôle de l’État ou aux intérêts privés. La politique vieillesse semble ainsi perdre de sa cohérence. Pourtant comme le souligne Vincent Caradec, Professeur de sociologie à l’Université de Lille, il est possible qu’à travers l’action menée de manière non coordonnée sur les territoires locaux, se dessine une redéfinition des bases de la politique vieillesse. En effet, nous l’avons vu, nombre de projets en France, comme à l’étranger, fleurissent dans un souci de mieux prendre en compte les aspirations des personnes et d’inventer plus de réponses transversales.
En réalité, la fonction repoussoir exercée par le secteur médico-social sur un certain nombre de personnes peut conduire à dissocier plusieurs publics : d’un côté, les personnes qui seraient destinataires des politiques du « bien vieillir », et de l’autre, ceux qui dépendraient des dispositifs de prise en charge médico-sociale (21). C’est ce qui se produit précisément dans le domaine de l’habitat où prédomine une vision binaire opposant les nouvelles formes d’habitat aux EHPAD. Une telle représentation, qui occulte le processus complexe et non linéaire du vieillissement, reviendrait alors à diffuser une pensée manichéenne de la vieillesse et des lieux de vie correspondants.
Cette structuration sectorisée des fonctions, des lieux de vie, au sens serviciel, commercial et domanial du terme, et les mécanismes d’individuation programmée de l’habitat s’affirme historiquement dans le modèle urbanistique français. À l’image du plan radioconcentrique (22), archétype de croissance prédominant dans la majorité des grandes villes historiques. Ce processus de sectorisation urbaine, source de ségrégations, de zonages économiques et sociaux, accentue le passage obligé par la voiture et alimente encore plus la sanctuarisation des centres historiques via son système routier et l’éparpillement des logiques domiciliaires individuelles et collectives. De fait, la généralisation de la voiture a provoqué un maillage du territoire à la fois très dense et paradoxalement diffus, devenu ségrégatif pour les personnes âgées.
La question de la proximité des transports publics et des services, qu’il s’agisse des magasins ou des services de santé, permet de contrer l’exclusion territoriale, donnant ainsi le sentiment de maîtriser son espace de vie et sa conscience d’autonomie. Et c’est en cela que la complexité de la politique du vieillissement doit être débattue, négociée et renégociée en permanence dans un « tout », dans son ensemble. Vieillesse et vie urbaine peuvent être complémentaires et le visage de l’aîné ne doit en aucun cas y apparaitre comme un « impensé urbain ».
Le rejet s’est traduit par de l’entre-soi exacerbé, comme le projet urbain Sun City (littéralement « La ville du soleil ») en témoigne. Cette ville privée américaine pour seniors aisés, qui compte 37 499 habitants, située dans l’État de l’Arizona, fut créée dans les années 1960. Elle est réservée aux retraités, la moyenne d’âge est de 75 ans et on n’y trouve ni enfants, ni école. C’est une « unincorporated area », c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucune ville et est autogérée par ses habitants. Elle est également protégée de l’extérieur par une enceinte et un accès contrôlé. Il s’agit donc d’une résidence fermée à l’échelle d’une ville.
Ses habitants, qui ont choisi l’autoségrégation et la sécession, mettent en avant des méthodes de sécurisation extrême. Sun City, c’est la recherche de l’entre-soi, du repli communautaire et une certaine autonomie vis-à-vis de la politique locale en ce qui concerne la gestion du quartier, la vidéosurveillance, les grillages disposants d’équipements de protection qui l’isolent du tissu urbain et rural environnant. Ses administrateurs sélectionnent de façon discrétionnaire les candidatures, avec des critères d’accès portant sur l’âge et la couleur de peau… La ville se compose ainsi de 98,44% de Blancs, 0,51% de Noirs, 0,13% d’Amérindiens, 0,30% d’Asiatiques.
Évolue-t-on vers une américanisation ? Les villages séniors fermés et sécurisés existent déjà en France. Dans une société toujours plus complexe et judiciarisée, comment élaborer des liens ou du « vivre ensemble », lorsque la surenchère des discours est de plus en plus sécuritaire ? Lorsque la croyance dans la « solution miracle » est le tout curatif ou le dématérialisé ? Le discours de la peur est récurrent et plus encore quand il est question de la ville, de l’habitat mais surtout de ses usagers. La ségrégation spatiale est de plus en plus à l’image de la ségrégation sociale.
Les questions du grand âge et de l’habitat ne légitiment plus les approximations, car des efforts méthodologiques importants ont été consentis. Elles légitiment encore moins les exagérations. C’est pourquoi la participation des personnes, de toutes les personnes sans différence d’âge ou de genre, dans une réflexion globale et partenariale, offre un appui réflexif immense pour saisir l’ensemble des contextes et les multiples horizons à fabriquer.
Finalement, au regard de l’ensemble des postures analysées, l’habitat au sens large du terme n’est pas exclusivement porteur d’une plus-value au service de la ville et de ses habitants. Il se pourrait même que l’habitat soit un faux problème, car, nous l’avons vu, les initiatives d’habitats sont hétérogènes et difficiles à mesurer. Néanmoins des réponses « en marge » sont porteuses d’espoir, ce sont plutôt des « lieux-tiers » qui tirent leur épingle du jeu.
Des lieux où des agrégateurs de services de proximité améliorent la prise en charge tout en côtoyant l’engagement civique, sans accorder aucune importance au statut d’un individu. Des lieux à petite échelle qui maximisent les circonstances de sociabilité et de service à la personne en soi. Ces différentes formes peuvent être considérées comme des expériences interstitielles, dans la mesure où elles détournent les usages, recréent un nouvel espace en allant à la marge pour retrouver du sens dans les villes fragmentées.
D’où l’hypothèse d’une sensibilité architecturale, gérontologique ou tout simplement humaine des acteurs, afin de développer l’aptitude au travail partenarial, qui peut alors s’hybrider avec la dynamique de « lieux-tiers » afin de produire une démarche innovante. Cela permettrait également de sortir d’un cadre figé où ce sont les experts du savoir médical et les experts gestionnaires qui définissent les politiques publiques et l’action à porter sur le vieillissement.
L’identification de clés de réussite de ces « lieux-tiers » ne signifie bien évidemment pas qu’une telle démarche soit nécessairement vouée au succès indéfini ou duplicable. Mais on dit assez souvent que chaque démocratie possède son débat, en associant démocratie représentative et démocratie délibérative. La recherche du profit et de l’opportunisme technologique n’est pas antinomique avec la qualité sociétale d’un projet.
Proposer des lieux incitant à se côtoyer ne suffit pas pour créer des liens, un changement des mentalités dans la société semble donc nécessaire pour avancer et repenser conjointement la santé et le social. L’habitat se vit. Il crée des souvenirs pour l’avenir, construit des repères. C’est un lieu traversé par le regard de la mémoire et des vestiges olfactifs. Ne le négligeons pas !
Notes :
(1) L’intervention de Fany Cerese et Colette Eynard : « Être chez soi en institution » dans le Grand Entretien présenté par Frédéric Serriere est intéressante sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=iJH-ESNS398
(2) Pour reprendre les termes de l’ouvrage « Figures du vieillir et formes de déprise » de Anastasia Meidani, Stefano Cavalli, 2019, Collection : L’âge et la vie. Éditeur : ERES
(3) Pour reprendre le propos de Danilo Martuccelli, « Figures de la domination », Revue française de sociologie, 2004.
(4) Voir la thèse de Cécile Rosenfelder, « Les habitats alternatifs aux dispositifs gérontologiques institués ».
(5) « L’injonction au bien-être dans les programmes de prévention du vieillissement » de Cécile Collinet et Matthieu Delalandre.
(7) Ou économie des séniors, est une notion récente apparue au début des années 2000.
(8) Natixis est une banque de financement, de gestion et de services financiers, créée en 2006, filiale du groupe BPCE.
(9) Le terme « marché de masse » fait référence à un marché de biens produits à grande échelle pour un nombre important de consommateurs finaux.
(10) C’est dans ce contexte que les groupes commerciaux français se sont tournés vers l’étranger. Korian a acquis des groupes en Belgique et en Allemagne, DomusVi domine en Espagne et Orpea a acquis des groupes en Pologne, en République tchèque, en Allemagne, et est présent en Amérique du Sud. Et tous lorgnent un marché mirifique qui est en train de s’ouvrir : la Chine.
(11) Ce que décrira parfaitement Gilles Duthil dans son livre « L’arrivée du privé dans la prise en charge des personnes âgées ».
(16) 85% des personnes âgées déclarent préférer continuer à vivre chez elles plutôt que d’entrer en maison de retraite, selon une étude réalisée en France en 2019 par l’IFOP.
(17) L’ouvrage d’Hugo Bertillot et Noémie Rapegno intitulé L’habitat inclusif pour personnes âgées ou handicapées comme problème public, Gérontologie et société, 2019, est particulièrement lucide sur le sujet.
(18) Fondé par la féministe et militante Thérèse Clerc (1927-2016).
(19) Pour reprendre le terme de la Banque Mondiale : https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2011/01/18/graying-revolution-reaches-low-and-middle-income-countries.
Alors que les acteurs politiques imposent en premier lieu de « rester à la maison », comment procéder avec ceux qui en sont dépourvus voire mal logés ? Terrain d’action des architectes, aménageurs constructeurs, la thématique de la précarité énergétique du logement suscite appétits comme interrogations. Si la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier la situation, elle a également révélé aux yeux du grand public une nouvelle forme de précarité silencieuse, moins connue car d’ordinaire invisible [1] : la question du mal logement. L’impératif est double : à la fois économique, tenant à la dégradation du pouvoir d’achat des ménages et à la fois environnemental, puisqu’il renvoie à la mise en cause des équilibres naturels. Ce sujet de fond se situe donc au cœur des enjeux d’égalité urbaine. Comment le logement peut-il répondre aux enjeux de santé ? De quelle manière transformer des parcs immobiliers qui se paupérisent et se dévaluent ? Comment créer des logements plus flexibles dotés d’espaces extérieurs plus verts à un coût foncier supportable et sans aggraver l’étalement urbain ?
Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement prévoit, dans l’urgence, sur les 100 milliards d’euros du plan de relance de l’économie française, 30 milliards consacrés à la transition écologique dont 2 milliards pour la rénovation énergétique des logements privés sur 2021 et 2022.
Le secteur du bâtiment (résidentiel et non résidentiel) représente en France 45 % de la consommation finale d’énergie, 60 % de la consommation de chauffage et 27 % des émissions de gaz à effet de serre. La réduction de la consommation d’énergie constitue de ce fait une stratégie clé pour atteindre les objectifs climatiques à moyen et long terme.
L’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) [2] précise que 11,7% des Français ont dépensé plus de 8% de leurs revenus pour payer la facture énergétique de leur logement. Il indique également que « 572 440 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie (réduction de puissance, suspension de fourniture, résiliation de contrat) suite aux impayés d’énergie ». Ces chiffres montrent donc l’ampleur de ce problème qu’est la précarité énergétique et l’importance d’accompagner les ménages dans leur parcours résidentiel.
En France, 6,7 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique [3]. Les mauvaises performances thermiques des logements et la vétusté des équipements de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire ont un fort impact sur les factures énergétiques des ménages, menant à des situations de grande précarité. La baisse des APL a entraîné une « ponction d’1,5 milliard d’euros » pour les bailleurs sociaux, comme l’estime Annie Guillemot, ingénieure des travaux publics de l’État. Ainsi, de nombreux ménages renoncent à payer leurs factures ou préfèrent se priver pour en limiter le montant.
Personnes âgées, familles aux revenus très faibles ou avec des emplois précaires, personnes isolées, malades, étudiants, habitants de passoires énergétiques nocives pour la santé et générant d’importantes factures d’énergie, sont concernés et entraînés dans une spirale de surendettement. Toutes ces personnes souffrent déjà de la crise sanitaire, du confinement dans des logements à risque pour leur santé [4], et des diminutions de revenus dans les prochains mois du fait des difficultés accrues pour reprendre leur emploi ou retrouver du travail.
Mais à l’heure où cette crise interpelle nos façons de travailler et d’habiter, construire des bâtiments confortables et respectueux de la santé constitue plus que jamais un enjeu majeur de justice sociale. Tous les éléments de tensions qui traversent la vie quotidienne sont en place avec d’un côté, la qualité des logements et la perte de la sociabilité récréative dans le lien familial, et de l’autre le monde professionnel et la désynchronisation de nos rythmes de travail.
Pourtant, des solutions constructives pour réhabiliter les logements ou en améliorer l’usage existent et peuvent apporter plus de confort. Pour autant, la transition énergétique n’est-elle qu’une affaire de choix géostratégiques ou technologiques ? N’est-elle qu’une histoire de grandes décisions – ou d’indécision – d’un État garant du fonctionnement de l’économie et de la sauvegarde de la nature comme bien commun ? [5]
Ce n’est plus uniquement la question du droit au logement, mais ce à quoi le logement donne droit qui est débattu, d’autant que ce visage de la pauvreté ne se limite pas qu’aux villes et demeure polymorphe entre métropoles, villes moyennes et territoires ruraux.
L’exercice est donc particulièrement complexe tant il devra intégrer et gérer des contradictions. Ainsi, le recours à l’urgence politique et l’immédiateté décisionnelle risquent de s’apparenter à une gestion de paradoxes et ses grandes lignes restent encore largement à préciser.
L’enjeu de cet article est multiple, il dressera un état des lieux et mettra en lumière les retours d’expérience, ainsi que les pistes innovantes d’acteurs engagés pour une urbanité qui protège et participe à la santé et au bien-être de tous.
Une définition complexe pour une notion restrictive
En France, la notion de précarité énergétique est définie par la loi dite « Grenelle 2 » de juillet 2010 : elle concerne toute personne « éprouvant dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».
Les projets de lutte contre la précarité énergétique peuvent intervenir auprès de trois cibles potentielles : les locataires, du parc privé ou social, les propriétaires occupants, accédant ou non, et les propriétaires bailleurs, accédant ou non. En France, 40 % des ménages sont locataires de leur résidence principale, 37 % sont propriétaires accédant et 23 % sont propriétaires non-accédant. La précarité énergétique touche particulièrement les locataires, qui représentent 58% des ménages en précarité énergétique selon l’approche budgétaire et 80% selon l’approche par le ressenti des ménages.
Parmi les facteurs accélérateurs du mal logement, on trouve la solitude, qui expose les personnes les plus vulnérables.
Dans cette poursuite, le gouvernement a annoncé fin juillet 2020 que le seuil maximal de consommation énergétique au-delà duquel un logement sera considéré comme non-décent à l’horizon 2023 (et ne pourra donc plus être loué) sera fixé à 500 kWh d’énergie finale par mètre carré et par an [6]. Cette annonce fait suite au projet de décret qui a été soumis à consultation publique et dont la synthèse [7] fait apparaître que 97% des contributeurs estiment que le seuil proposé n’est pas à la hauteur. En effet, le seuil ainsi fixé ne concernera au final qu’une part infime des passoires énergétiques (logements consommant plus de 330 hWh/m².an), à savoir les logements les moins performants de la classe G, ce qui représenterait 36 000 à 58 000 logements dans le parc locatif privé (soit 1 à 2% des passoires énergétiques de ce parc) [8].
Parmi les facteurs accélérateurs du mal logement, on trouve la solitude, qui expose les personnes les plus vulnérables au mal logement. Aujourd’hui, la mono-résidentialité est une réalité pour 35% des Français et place un bon nombre face à des défis du quotidien : payer le loyer avec un salaire unique, soutenir des charges trop importantes. La solitude accélère également le mal logement par sa tendance à amplifier la pénurie de logements abordables.
Si le taux d’effort énergétique d’un ménage est supérieur à 10 %, celui-ci est considéré comme étant en situation de précarité énergétique.
Cette définition qui traduit la complexité du phénomène ne permet pas de quantifier la précarité énergétique. Le « taux d’effort énergétique », qui se traduit comme la part des ressources consacrées par un ménage à ses dépenses d’énergie dans le logement, permet de caractériser une situation de précarité énergétique au-delà du seul critère de précarité financière. Ainsi, si le taux d’effort énergétique d’un ménage est supérieur à 10 %, celui-ci est considéré comme étant en situation de précarité énergétique.
Néanmoins, cette définition apparaît incomplète. En effet, les comportements de sous-consommation, les restrictions imposées ou délibérées ou encore les solutions d’appoint n’entrent pas en ligne de compte. En outre, la précarité énergétique se caractérise ici uniquement sous l’angle du logement. Or, la dépendance de certains ménages à l’automobile ou aux transports, et donc aux énergies fossiles, accentue leur situation de précarité énergétique [9].
Les dispositifs d’aides énergétiques : l’impossible mythe du choc de l’offre ?
Faudra-t-il observer la transition énergétique « par le bas » ? La notion de confort est un objet complexe qui, depuis le XIXe siècle, évolue en suivant les processus d’urbanisation, de sophistication technique, mais aussi selon le rapport à l’intime et aux relations familiales. Adossée à la question de l’énergie, sa définition est souvent d’abord pensée de manière plus restreinte, la réduisant au seul confort thermique – autrement dit, impliquant de n’avoir ni trop chaud ni trop froid dans un espace. L’espace habité fut pendant longtemps pensé comme devant répondre à des normes physiologiques de température, d’humidité et de mouvement de l’air [10].
Cet écho se fait encore ressentir par la surabondance des dispositifs de labellisation mais aussi parmi les nombreuses subventions d’amélioration de l’efficacité énergétique. Ainsi il est d’usage de décortiquer les solutions dites « passives » qui consistent à réduire la consommation d’énergie des équipements et des matériaux grâce à une meilleure performance intrinsèque et les solutions dites « actives » visant à optimiser les flux et les ressources.
Ces nombreuses stratégies de luttes contre la précarité du logement combinent deux approches, l’une « curative » et l’autre « préventive ».
Ainsi pour favoriser la rénovation énergétique, une multitude d’aides financières sont mises en œuvre au niveau national, pour les particuliers mais aussi pour les bailleurs:
– Les particuliers peuvent bénéficier du crédit d’impôt (CITE) pour la transition énergétique, des aides MaPrimeRénov’ [11], des primes délivrées au titre des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), des aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), des aides d’Action Logement via le Fonds de Solidarité pour le Logement, le chèque énergie [12], ou les aides des CCAS [13] aux impayés d’énergie.
– Peut s’ajouter un taux de TVA réduit de 5,5% qui est appliqué sur les travaux d’amélioration de la performance énergétique éligibles ou encore l’éco-prêt à taux zéro qui permet de réaliser des emprunts à taux d’intérêt nul pour des travaux d’écoconception et permet de financer le reste à charge.
– Les bailleurs sociaux quant à eux, peuvent prétendre à l’éco-prêt logement social (éco-PLS), aux Certificats d’Économies d’Énergie, au dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties et à un taux de TVA réduit également [14].
Finalement, ces nombreuses stratégies de luttes contre la précarité du logement combinent deux approches, l’une « curative » visant à accorder des aides financières (avec des effets incitatifs de fiscalité dite écologique) et l’autre « préventive » visant à améliorer la performance énergétique des logements.
Certes, de nombreuses aides existent et elles peuvent constituer un élément facilitateur, mais elles ne sont pas toujours aisément accessibles. Sans parler du cas particulier des travaux de rénovation dans les bâtiments en copropriété, où la complexité du processus de décision et de mise en œuvre s’intensifie. Ensuite, de plus en plus d’études d’évaluation des résultats des programmes de rénovation attestent d’une faible réduction effective des consommations énergétiques à la suite des travaux.
Comment l’expliquer ? En grande partie par « l’effet rebond » [15]. Imaginons une situation où la consommation (ici énergétique) ne peut augmenter par manque d’argent. Le marché est plafonné par le pouvoir d’achat des consommateurs. Arrive une amélioration de l’efficacité des systèmes de production réduisant les coûts par unité. Cette innovation va dégager des économies permettant de consommer plus de produits ou services jusqu’à atteindre à nouveau les limites financières. L’augmentation de consommation ne se fait pas forcément avec le même type de marchandises : ainsi le gain de performance d’un appareil engendre une réduction des dépenses, qui peut être réinvestie dans l’achat d’un autre appareil.
In fine, pour de nombreux ménages vivant dans des logements mal isolés et bénéficiant d’opérations de rénovation, l’amélioration du confort passe avant la préoccupation de réduction des consommations d’énergie [16]. Ainsi les économies attendues sont fréquemment contrebalancées par l’augmentation de la consigne de chauffage du logement (passage de 19°C à 21°C par exemple) –mais à consommation et facture énergétique inchangée grâce aux travaux.
Ce décalage s’explique aussi par la surestimation de la valorisation énergétique des opérations. Dans un rapport détaillé, les économistes de Mines ParisTech expliquent par exemple que les fiches techniques définissant les montants d’économie d’énergie des Certificats d’Économie d’Énergie surestiment très significativement l’impact énergétique, et identifient un impact très modeste de l’investissement moyen.
La précarité énergétique est donc un phénomène polymorphe qui regroupe un ensemble de situations très variées.
L’étude de Matthieu Glachant, directeur du Cerna MINES ParisTech [17], aboutit ainsi au résultat suivant : 1 000 euros de travaux ne diminueraient en moyenne la facture énergétique que de 8,4 euros par an … Pour un investissement moyen de l’enquête, cela correspond à une diminution de 2,7 % de la facture. La rénovation énergétique est alors loin d’être rentable si l’on s’en tient aux seules économies d’énergie puisque le temps de retour correspondant, c’est-à-dire le nombre d’années nécessaires pour récupérer le coût de l’investissement initial, est de 120 ans !
De plus dans certains cas, l’isolation extérieure sera impossible du fait des caractéristiques de la façade, alors même que la solution de l’isolation par l’intérieur peut significativement diminuer la surface habitable. L’isolation des parois reste possible dans la plupart des cas mais elle nécessitera le plus souvent des opérations « sur mesure » faisant appel à différents corps de métier et des intervenants qualifiés.
Or certaines aides – comme les opérations « coups de pouce » des certificats d’économie d’énergie vulgarisés à travers le slogan « isolation à 1 euro » – ont eu un effet pervers d’uniformisation des techniques d’isolation des parois avec des matériaux non adaptés, sans pour autant conduire à une massification des travaux favorables à la baisse des coûts; sans parler des nombreux cas de fraudes observés [18]. Ainsi, l’isolation ne règlera pas tout. La précarité énergétique est donc un phénomène polymorphe qui regroupe en son sein un ensemble de situations très variées.
Partage d’expériences et enseignements
Même si l’État reste central dans la régulation des marchés énergétiques et dans la définition des dispositifs de redistribution et de prévention, tous ces résultats conduisent évidemment à s’interroger sur la pertinence des subventions pour l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel, si elles sont uniquement motivées par la réduction de la consommation d’énergie. Or, il est évident que l’impact énergétique varie beaucoup en fonction du type de travaux réalisés.
Ainsi, bon nombre de résultats apparaissent en décalage avec le consensus actuel des experts, néanmoins il existe des projets concrets et innovants qui offrent de précieux modèles. On peut citer notamment l’exemple de iudo, cette équipe d’architectes parisiens qui accompagnent les propriétaires fonciers dans l’étude de leurs droits à construire, le montage et la réalisation d’opération d’auto-promotion immobilière.
Permettre aux propriétaires d’obtenir un complément de revenus, mais aussi de revaloriser leur patrimoine, le tout dans une opération autofinancée.
Benjamin Aubry, architecte, nous explique : « Selon nous, il faut arrêter de penser la rénovation énergétique de façon isolée. Il n’y a pas de sens à dépenser des fortunes pour remettre un bien en état, tandis que nous construisons des lotissements à côté qui consomment des terres agricoles et vont générer de nouveaux besoins énergétiques, notamment sur la mobilité. Il faut penser la rénovation dans un tout, comme une occasion pour redonner une dynamique nouvelle aux territoires et trouver du sens qui aille au-delà de la simple perspective d’économie sur les factures d’énergie ».
L’équipe de iudo a notamment réalisé un projet aux Lilas (quartier de Paris, ndlr) pour le compte de propriétaires dont la maison est devenue trop grande pour leurs besoins. Le projet est le suivant : construire deux logements (1 T2 et 1 duplex T3) dans une partie de la maison couplée à l’ancien garage. Cette opération permet aux propriétaires d’obtenir non seulement un complément de revenus par la location de ces logements, mais aussi de revaloriser significativement leur patrimoine (3 logements valent au global plus qu’une maison) en intégrant une donation à leurs filles, le tout dans une opération quasi-autofinancée. Ainsi ce type de projet qui mêle rénovation, optimisation des existants et renouvellement urbain, nécessite une véritable ingénierie.
L’habitat pavillonnaire en France est aujourd’hui touché de plein fouet par le vieillissement de la population : rien qu’en Ile-de-France plus d’une maison sur deux est occupée par des ménages de plus de 55 ans qui vivent seuls ou à deux dans des pavillons devenus souvent trop grands et inadaptés pour leurs besoins. Plutôt que de simplement penser la rénovation de la maison de façon isolée, intégrer des travaux présente l’occasion de repenser plus largement l’opération au service d’une revalorisation patrimoniale via la création d’un ou deux logements additionnels sur le terrain.
Si ce type de solution n’est pas généralisable partout, tout dépend du contexte et des besoins des propriétaires : « nous soutenons le fait qu’elles devraient être beaucoup plus promue comme une solution qui répond de façon transversale à plusieurs enjeux : rénovation énergétique, lutte contre l’étalement urbain, renouvellement des quartiers, diversification de l’offre de logements, nouveaux liens intergénérationnels et création de richesses partagées… », explique Benjamin Aubry.
Autre innovation permettant de développer des projets immobiliers tout en rénovant l’ancien sans consommation de foncier : la surélévation. Dans certains cas elle peut aujourd’hui répondre aux besoins de rénovation énergétique du patrimoine et de création de logements. La surélévation, c’est la densification verticale du bâti existant. Il s’agit, concrètement, d’ajouter un ou plusieurs étages à un bâtiment, bien souvent en milieu occupé. La surélévation agit par touches, sans excès, en concertation avec la préservation patrimoniale et les formes urbaines.
Dans ce contexte, Didier Mignery, Architecte de UpFactor, explique que les avantages de la surélévation sont nombreux : création de nouveaux mètres carrés, réduction de l’étalement urbain, développement de la végétalisation. En outre, la surélévation favorise la (re)naturalisation des villes grâce à l’usage des toitures et contribue au projet « zéro artificialisation nette » promu par le gouvernement.
Partage de l’espace, partage des charges, partage des gains, tel est le triptyque propre à la surélévation que porte UpFactor pour les copropriétés et les bailleurs sociaux. L’idée est de promouvoir le foncier aérien et les toits pour rendre la totalité de l’espace urbain habitable et accessible au plus grand nombre.
Mais, si la définition de la densité perçue ou non n’est pas simple, celle de la compacité l’est encore moins. Les débats publics se focalisent donc sur la notion plus immédiatement appréhendable de densité. Les évolutions juridiques ont assoupli les règles en transformant le droit de veto de certains copropriétaires en droit de priorité et en abaissant les majorités en zone de préemption urbaine.
De là sont nés les premiers projets de surélévation perçus d’abord comme une aubaine financière avant d’apparaître comme une source de financement de la rénovation globale en copropriété.
Tout en sortant de la critique binaire entre choisir la ville horizontale ou ville verticale, aller plus loin dans l’obligation de végétaliser les toits, dans l’intégration de systèmes de production d’énergies renouvelables et de leurs usages mixtes, publics et privés, sont autant de pistes à développer.
Quelle finalité pour sortir du mal logement ?
Si la crise sanitaire a aggravé les situations d’isolement et révélé certaines inadéquations entre l’offre de logements privés ou publics et les besoins de la population en temps de confinement, ce cadre invite d’autant plus les professionnels de l’urbain, les autorités locales, les organisations caritatives, associatives, les chercheurs, et les citoyens à investir ensemble des solutions énergétiques.
S’agissant de l’espace domestique, le relogement dans de nouveaux immeubles standardisés s’est accompagné d’une déstabilisation de nombreuses pratiques. Car, en effet, la standardisation de nos espaces domestiques depuis 50 ans en France rend complexe la réversibilité du parc immobilier qui se confronte inlassablement à une volonté de limitation de l’artificialisation des sols et à la potentielle flexibilité de ces espaces.
Ces difficultés sont symptomatiques de la faiblesse de la réflexion théorique sur les manières d’habiter les logements sociaux ou non, un problème pourtant relevé dès les années 1950 par les travaux de Paul-Henry Chombart de Lauwe. Ce dernier avait mis en évidence les difficultés des classes populaires à s’approprier de nouveaux logements pensés pour les classes moyennes.
Dans un contexte où les questions de précarité et mal logement gagnent en visibilité, diverses feuilles de routes existent, comme la volonté de la Ville de Paris d’instaurer un PLU – Plan local d’urbanisme, dit « bioclimatique » [19] ou encore la Commission européenne qui vient, par exemple, de dévoiler son « Renovation wave » dans lequel elle incite à doubler le taux de rénovation d’ici 2030. La rhétorique de l’urgence mobilisée pour justifier chaque nouveau programme politique comme par exemple l’objectif climatique, avec une décarbonation quasi complète d’ici 2050 [20] apparaît présomptueux. Ainsi, l’intensité de l’urgence climatique et énergétique est rappelée par les responsables politiques à intervalles réguliers.
Mais ne nous restreignons pas à des innovations de contemplation, qui portent avant tout sur ce qui est observable à l’extérieur ; certes quelques promoteurs ou architectes s’entêtent en priorité à révolutionner l’image du quartier par le recours à une esthétique codifiée et clinquante. Mais en érigeant le façadisme comme identité urbaine ou alibi au patrimoine, se cache un culte de l’apparence qui ne s’intéresse en rien au besoin des usagers.
Il est néanmoins primordial de déployer des politiques de rénovation énergétique du logement ambitieuses et réalistes qui intègrent entre autres le parcours résidentiel des habitants, et donc la diversité des situations sociales que pourraient connaître les individus au cours de leur existence.
Il est primordial de déployer des politiques de rénovation énergétique du logement ambitieuses et réalistes, qui intègrent le parcours résidentiel des habitants.
Essentiellement guidés par des contraintes économiques et légales, ces choix sont marqués par l’absence de réflexion partagée sur l’agencement des logements et sur la prise en compte des usages. Le constat des nombreux décalages avec les usages des résidents appelle à une meilleure articulation entre conception de l’habitat et pratiques des habitants.
Changer les comportements, instaurer de nouvelles normes techniques et travailler à leur acceptabilité sociale sont autant d’injonctions qui pèsent sur les modes de vie pour les rendre plus « soutenables ». Mais loin de tout catastrophisme, il y a une réalité et cette réalité tue [21]. Il va donc nous falloir écouter pour savoir répondre aux besoins des plus précaires, ce qui est une priorité.
Même s’il reste encore bien des chantiers à ouvrir et à approfondir, notre patrimoine bâti est riche de sa diversité, de son histoire, de ses aires géographiques et climatiques. Gardons la conviction que les structures sociales et familiales, les relations sociales, peuvent enrichir la conception architecturale, puisque la finalité de l’architecture, c’est bien d’être habitée !
Il s’agira ainsi de travailler sur une meilleure interprétation du rapport entre des pratiques domestiques ou urbaines et la configuration des espaces dans lesquels elles se développent. Il paraît de fait important de pousser davantage l’effort sur cette interaction entre le social et le spatial, qui définira in fine une construction morale, politique et écologique visant à l’égalité des droits et qui fabriquera la nécessité d’une solidarité collective entre les personnes d’une société donnée, à l’image d’une action allant vers plus de progressisme.
[1] Comme le souligne le sociologue Stéphane Beaud, « les « invisibles » ne sauraient constituer une catégorie homogène de population. On trouve les hommes et les femmes sans qualité, dont les difficultés ne sont pas prises en compte car ils se situent en dehors de la cartographie institutionnelle des politiques publiques et de l’aide sociale.» (Beaud et alii 2006).
[2] Créé en France en mars 2011 pour améliorer la connaissance et suivre les situations de précarité énergétique.
[3] Dans son rapport de suivi annuel de novembre 2018, l’ONPE – Observatoire national de la précarité énergétique, évalue à 6,7 millions de personnes, soit 11,7% des foyers du territoire (sur la base du taux d’effort énergétique).
[4] Développement de pathologies respiratoires, d’intoxications au monoxyde de carbone, alimentaires notamment. Insee 2019.
[8] Un second décret attendu en 2021 devrait rendre ce seuil plus exigeant au fil du temps et viser l’ensemble des passoires énergétiques d’ici 2028, en lien avec les dispositions de la loi relative à l’énergie et au climat.
[9] La Commission de régulation de l’énergie a annoncé que les tarifs réglementés de vente (TRV) de gaz d’Engie allaient augmenter en moyenne de 1,6% au mois de novembre (par rapport au niveau d’octobre 2020).
[11] Depuis le 1er octobre 2020, MaPrimeRénov’ est ouverte à tous les propriétaires, qu’ils soient occupants ou bailleurs, ainsi qu’aux copropriétés pour des travaux dans les parties communes. Le montant de l’aide est calculé en fonction des revenus du foyer et du gain énergétique apporté par les travaux de chauffage, d’isolation ou de ventilation.
[12] Qui est adressé à 5,8 millions de ménages pour des montants compris entre 48 € et 277 €.
[14] Il existe aussi les Programmes d’Intérêt Généraux (PIG) ou les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH).
[15] Peut être défini comme l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation. En conséquence : les économies d’énergies initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d’une adaptation du comportement de la société.
[16] Les travaux de Carine Sebi Associate Professor and Coordinator of the « Energy for Society » Chair, Grenoble École de Management (GEM) et Patrick Criqui Directeur de recherche émérite au CNRS sont particulièrement pertinents sur le sujet.
[19] En initiant cette nouvelle procédure, la municipalité veut se doter d’un outil destiné à limiter l’impact du réchauffement climatique et de la pollution (dont la lutte contre les îlots de chaleur, la promotion de la pleine terre, la rénovation énergétique).
[20] Notamment par le passage de l’ensemble du parc au niveau bâtiment basse consommation (BBC).
[21] Après le drame de Marseille qui a vu l’effondrement de trois immeubles, causant la mort, le 7 novembre 2018, de six personnes, Bernard Devert, président d’Habitat et Humanisme, appelle élus et responsables à cesser de temporiser et à construire des logements dignes pour tous.