JO 2024 : du pain et des jeux, mais pour qui ?

Anne Hidalgo JO 2024 Paris Jeux Olympiques
© LHB pour LVSL

Au détour des manifestations contre la réforme des retraites, un slogan a fleuri sur les pancartes, les réseaux sociaux et s’est également traduit par plusieurs actions : « pas de retrait, pas de JO ». En d’autres termes, perturber le déroulement des Jeux Olympiques si la réforme des retraites n’est pas abrogée. Le 28 avril, le chantier de la piscine olympique à Saint-Denis était ainsi bloqué par les opposants à la réforme. Le 6 juin 2023, des manifestants, en grande partie membres de la CGT, envahissaient le siège du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Si le mouvement social cible les JO, c’est que les polémiques sur son organisation se multiplient : expulsion des étudiants, exploitation des travailleurs, prix des places, bétonisation, etc. Bien loin des valeurs historiques de l’olympisme, les JO sont en effet devenus une véritable machine à cash pour de nombreuses entreprises, au détriment de l’environnement, des habitants de la ville hôte et des finances publiques.

Pendant longtemps, l’organisation des JO était l’objet d’une âpre bataille entre les villes du monde entier. Accueillir l’événement le plus regardé au monde était alors vu comme un moyen de faire rayonner sa ville à l’international, tout en se dotant d’infrastructures flamboyantes. Mais, cette époque semble révolue. À l’origine, cinq villes étaient en compétition pour organiser l’édition 2024 : Hambourg, Rome, Budapest, Paris et Los Angeles. Mais, les trois premières se sont finalement retirées. Déjà très endettée, la capitale italienne a jugé cette dépense au-dessus de ses moyens. 

JO et opinion publique, le grand désamour

À Hambourg, un référendum d’initiative citoyenne « pour ou contre l’organisation des Jeux Olympiques ? » a été organisé suite à l’action de nombreuses organisations. Le résultat bat en brèche l’idée de Jeux populaires et désirés par une ville, voire une nation, entière : 51,6% des 650.000 votants se sont opposés à la candidature de leur ville. Quant à Budapest, la mairie a préféré retirer sa candidature alors qu’un référendum similaire était en passe d’être organisé. Finalement, le Comité international olympique (CIO) a préféré attribuer les Jeux de 2028 à Los Angeles et ceux de 2024 à Paris. Raconté ainsi, le rêve olympique perd ses allures de conte de fée. 


La première raison pour laquelle de moins en moins de villes souhaitent organiser ces jeux est celle des coûts d’organisation colossaux. Ceux-ci se chiffrent en milliards et dépassent systématiquement les prévisions initiales. Le tableau ci-dessous, bien que non exhaustif, donne une idée de l’ampleur des sommes dépensées :

Face à ces critiques récurrentes, les organisateurs, notamment la maire Anne Hidalgo, ont bien sûr promis que les JO 2024 seraient différents et plus vertueux. Le directeur général adjoint du comité de candidature de Paris, Michel Aloisio, avait indiqué que le risque d’explosion des coûts n’existait pas, du fait de la préexistence d’un certain nombre d’infrastructures : 95% des sites sont déjà construits ou seront temporaires. Sauf que ces promesses ont déjà été faites de nombreuses fois dans le passé. À chaque édition des Jeux Olympiques, c’est la même chanson : Londres, Rio de Janeiro, Tokyo promettaient elles aussi de maîtriser les dépenses, de respecter les droits des travailleurs et d’organiser des Jeux écologiques. Or, il n’en a rien été.

Lors de l’annonce de sa candidature, Paris annonçait un budget de 6,6 milliards d’euros. Cette somme est aujourd’hui passée à 8,8 milliards d’euros. À quoi servent de telles sommes ? Il faut distinguer deux structures, à savoir la Solideo et le Comité d’organisation des Jeux. La première est l’entité chargée du financement des structures olympiques, tandis que la seconde s’occupe à proprement parler des Jeux olympiques et paralympiques. D’ores-et-déjà, le budget de la Solideo a augmenté du fait de l’inflation, avec une hausse de 150 millions d’euros prise en charge à 66% par l’État et le reste par les collectivités locales.

Afin de finir les chantiers à temps malgré des grèves, des interruptions pendant la crise sanitaire et les éternels retards du BTP, le prix à payer risque d’augmenter encore. Si la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra a déclaré que « les Jeux financent les Jeux », les sénateurs Laurent Lafon (centriste) et Jean-Jacques Lozach (socialiste) estiment donc au contraire qu’à « moins de deux ans des Jeux de Paris 2024, et si notre capacité à les organiser ne fait pas de doute, il n’est plus garanti que le pays organisateur n’aura pas à combler un déficit à l’issue des Jeux de Paris 2024 ».

Mais la plus grande inconnue, celle qui risque de faire déraper toutes les prévisions budgétaires, est le coût de la sécurité. Encore non chiffrée, celle-ci sera à coup sûr très lourde et incombera au Ministère de l’Intérieur. Dans un rapport paru en janvier, la Cour des Comptes estime que « sur le volet sécurité et transports, la Cour appelle à une vigilance extrême et presse de finaliser au 1ᵉʳ semestre 2023 le plan global de sécurité des Jeux, pour stabiliser les besoins de sécurité privée dont le déficit des moyens est probable et pour planifier l’emploi des forces de sécurité intérieure ».

Étant donné le risque terroriste, mais aussi pour éviter de reproduire des scènes comparables au fiasco de la finale de la Ligue des Champions au Parc des Princes, les besoins sont considérables. La cérémonie d’ouverture, qui doit prendre la forme d’un défilé sur la Seine et pourrait accueillir 400.000 personnes, est de loin la plus compliquée à sécuriser.

Or, les policiers ne sont pas assez nombreux pour faire face au nombre de missions qui leur sont attribuées. Les organisateurs espèrent donc recruter en masse des agents de sécurité privée. Selon Gérald Darmanin, « il faut environ 25 000 agents de sécurité privée en plus pour les JO », soit « 20 % du total de la profession, qui compte 130 000 personnes ». Pour former aussi vite autant de monde, il prévoit des formations accélérées, c’est-à-dire probablement bâclées.

Pour compléter cet arsenal, le gouvernement a récemment fait voter une loi autorisant avant, pendant et après les Jeux, l’usage de la vidéosurveillance algorithmique, c’est-à-dire d’outils censés détecter automatiquement des comportements suspects sur les images des caméras. Une technique qui n’a pourtant jamais fait ses preuves. Au-delà de faire exploser le budget, la sécurité des JO s’annonce surtout comme une occasion pour le gouvernement de renforcer discrètement son arsenal de surveillance, au mépris des libertés fondamentales.

Des jeux écologiques ? Le sempiternel grand blabla

Outre le respect du budget initial, Anne Hidalgo promettait également des Jeux différents sur un autre aspect : ceux-ci seraient enfin écologiques. « Ce sont des Jeux qui seront alignés sur l’accord de Paris sur le climat. Grâce au CIO, on va accélérer la transition énergétique et écologique. On va pouvoir prouver que des Jeux olympiques peuvent être écologiques » expliquait-elle ainsi à la chaîne suisse RTS en 2017. Peut-on franchement y croire une seule seconde ?

Comment prétendre qu’un événement qui réunira a priori 16 millions de personnes venues du monde entier, notamment en avion, puisse être écologique ? Selon Pierre Rabadan, adjoint à la Maire de Paris en charge du sport, des Jeux olympiques et paralympiques et de la Seine, cela ne fait “que” deux millions de personnes en plus que celles qui viennent en temps normal. Ce qui n’est tout de même pas rien. Partout dans le monde, l’accueil des touristes crée une forte pression environnementale : il faut pouvoir les loger, leur fournir de l’eau, traiter leurs déchets… On voit mal par quel miracle la maire de Paris éviterait le sort de toutes les autres villes.

Par ailleurs, les Jeux Olympiques sont aussi une occasion de nourrir les groupes du BTP en leur offrant de nombreux contrats de construction. Si de nombreux équipements des JO de Paris existent déjà, la bétonisation menace toujours. Les projets initiaux prévoyaient ainsi de détruire des jardins ouvriers à Aubervilliers, pour les transformer en piscine olympique. Si celle-ci verra bien le jour, le solarium et les espaces de bureaux prévus pour l’accompagner ont finalement été abandonnés suite à une forte mobilisation des riverains et des associations environnementales, qui ont gagné un recours en justice. Il faut dire que ce projet était parfaitement inutile : il existe déjà des milliers de mètres carrés de bureaux vides dans la capitale, alors que les terres agricoles et les espaces verts sont bien trop rares par rapport à la population.

Au-delà des infrastructures sportives, les JO offrent aussi une occasion d’accélérer des projets dans les cartons depuis des années, au nom de la modernisation de la capitale. À Saint-Denis par exemple, un échangeur autoroutier va être construit à proximité d’un groupe scolaire. Au-delà des nuisances sonores, les enfants pourront apprécier la pollution à deux pas de leur cours de récréation… On peut également compléter la liste des grands projets inutiles accélérés par les JO avec le projet de méga-centre commercial Europacity, finalement abandonné face à la pression citoyenne, ou la Tour Triangle dans le 15ᵉ arrondissement. Alors qu’il ne s’agit que d’un immeuble de bureaux sans lien avec les Jeux, ce projet cher à la maire de Paris a bénéficié des procédures d’urbanisme accélérées et simplifiées écrites pour les JO

Le Charles de Gaulle Express : une gabegie financière sans utilité pour les Parisiens

Parmi les autres projets promis par la France pour obtenir l’organisation des Jeux Olympiques afin d’assurer le CIO de sa capacité à accueillir l’événement figure une liaison directe en l’aéroport Paris-Charles de Gaulle et la gare de l’Est : le Charles de Gaulle Express. Cette ligne destinée aux touristes prévoit une liaison en 20 minutes, tous les quarts d’heure. Si celui-ci ne devrait finalement pas voir le jour avant 2027, ce projet pharaonique témoigne de l’indécence des dépenses que les pouvoirs publics sont prêts à effectuer dans certaines situations, alors même que les transports du quotidien souffrent du manque d’argent public.

En effet, le CDG Express empruntera des infrastructures existantes, empruntées actuellement par le RER B. Or, non seulement les travaux causeront d’importants désagréments pour les voyageurs de cette ligne, mais surtout la circulation des RER B risque d’être affectée au quotidien. Avec 900.000 voyageurs par jour, pour l’essentiel des banlieusards qui viennent travailler à Paris, cette ligne est déjà la deuxième la plus fréquentée d’Île-de-France. L’unique solution permettant de mettre en place le CDG Express sans empiéter sur les transports des travailleurs consisterait à doubler le tunnel entre Châtelet — Les Halles et Gare du Nord, le plus chargé du monde.

Certes, la solution a un coût : entre deux et quatre milliards selon les différentes estimations. Mais au regard du coût du CDG Express, d’ores-et-déjà évalué à 1,8 milliard d’euros, on peut se demander pourquoi cette solution n’a pas été retenue. Les pouvoirs publics semblent donc préférer simplifier la vie des touristes plutôt que d’améliorer la desserte des personnes qui travaillent à Paris. Ce projet illustre donc bien à quel point l’horizon olympique permet de précipiter des projets pharaoniques, sans intérêt pour les Parisiens.

Les chantiers des JO et les mauvaises conditions de travail

Outre le caractère discutable de certains chantiers olympiques, la sécurité des travailleurs de ces chantiers pose de grands problèmes. À la fin de l’année 2022, les données communiquées par la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France font état de 87 blessés – dont 11 graves – à déplorer sur les chantiers des JO. Le 7 mars dernier, un troisième ouvrier perdait la vie sur le chantier du Grand Paris Express. Pour l’union départementale 93 de la CGT, ces blessures et décès ont directement pour cause « les cadences imposées pour respecter les échéances des ouvrages du Grand Paris », qui créent une « pression ne peut être qu’accidentogène » alertait l’union départementale de la CGT 93.

En juin 2023, les groupes de BTP Vinci, Eiffage, Spie Batignolles et GCC, ainsi que huit sous-traitants, ont été assignés devant le conseil de prud’hommes de Bobigny par dix travailleurs des chantiers des Jeux Olympiques. Les dix personnes en question étaient des étrangers sans papier – depuis régularisés – qui subissaient des mauvais traitements sur les chantiers. Un des travailleurs explique ne pas avoir pu avoir de jours de repos malgré des douleurs au genou.

En 2022 déjà, suite à des passages sur les chantiers de l’inspection du travail, le parquet de Bobigny avait ouvert une enquête pour « emploi d’étrangers sans titre » et « exécution en bande organisée d’un travail dissimulé ». Selon la CGT, le nombre d’étrangers sans papiers travaillant sur les chantiers des JO serait d’une centaine de personnes. Un système qui découle directement d’un recours abusif à la sous-traitance, qui permet aux donneurs d’ordre de se dédouaner de leurs responsabilités.

Qui peut se payer les JO ?

Au-delà des infrastructures de transport et de sport, les JO vont aussi accroître la pression immobilière dans la région parisienne, afin de loger les touristes. Depuis plusieurs mois déjà, les reportages sur les Parisiens et Parisiennes qui quitteront la capitale en loueront leur logement sur Airbnb se multiplient. Pour eux, comme pour la plateforme, qui félicite « ceux qui partagent leurs logements » pour « contribuer, à sa façon, à accueillir le monde entier », les JO représentent une aubaine financière. Mais encore faut-il pouvoir avoir la chance de partir en vacances ou de télétravailler pour pouvoir réaliser cette belle affaire.

Surtout, on ne peut oublier le rôle de ces plateformes dans le renchérissement des prix des loyers. Cette hausse des coûts du logements est encore accéléré par la gentrification de Paris et de l’Île-de-France permise par les JO. Dans le 10ᵉ arrondissement de la capitale, le prix médian du mètre carré atteint déjà 10 570 €/m2, soit une hausse de 11% sur cinq années. À Saint-Denis, le prix des logements a augmenté de 7,5% sur les trois dernières années. Même les logements sociaux, déjà en nombre insuffisant, voient également leur prix augmenter, notamment en raison de la hausse des coûts de l’énergie et de la précarisation des bailleurs par la loi ELAN d’Emmanuel Macron. Ainsi, les JO viennent encore accentuer la perte du droit à la ville pour de nombreux Parisiens et banlieusards, au profit d’acteurs privés.

Parmi la longue liste de ceux qui ne pourront assister aux JO, on trouve aussi les étudiants vivant en résidences CROUS. Les centres CROUS de Paris, Versailles et Créteil ont ainsi envoyé un mail à leurs locataires pour leur indiquer que « le Comité d’organisation [des JO] nous demande de mettre à sa disposition la résidence Crous où vous êtes actuellement logé pendant les mois de juillet et août 2024 pour l’accueil des volontaires et partenaires mobilisés pour l’évènement. La résidence devra être vide de tout occupant à compter du 1er juillet 2024 ». Si des possibilités de relogement pour les étudiants qui ont besoin de conserver un logement pendant l’été sont prévues, reste à voir quelles formes elles prendront et aucun dédommagement pour leur permettre de déplacer leurs affaires dans un nouveau logement n’est prévu. Or, certains étudiants seront alors en pleine période de rattrapage, avec d’autres problèmes à gérer qu’un déménagement.

L’enjeu des logements témoigne de toute évidence du manque de planification de cet événement. À Paris, 17,4% des logements sont vides depuis plus de deux ans, comme l’indique un rapport de l’Apur paru en 2021. En anticipant le besoin de logement et le souci structurel engendré par celui-ci dans la capitale, l’impulsion donnée par l’organisation des Jeux Olympiques aurait pu permettre de toucher aux causes profondes de ce problème, par exemple en organisant la réquisition des logements vides et en construisant davantage de logements sociaux et étudiants. Mais plutôt que de s’attaquer à ce sujet politique majeur, les pouvoirs publics préfèrent bricoler et exclure des étudiants de chez eux.

Bénévolat et billets exorbitants

Ajoutons à cela la désagréable découverte de celles et ceux qui s’imaginaient dans les gradins des épreuves. Pour les personnes les plus enclines à assister à des compétitions sportives de haut niveau, la douche fut souvent bien froide. En cause ? Le prix des places est « en effet très élevé » comme l’a reconnu la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra. Si un certain nombre de places étaient disponibles à 24€, l’essentiel des billets de moins de 100€ étaient déjà vendus le 12 mai, soit le lendemain de l’ouverture des ventes. Si la mairie de Paris a mis en avant ces billets abordables, la grille tarifaire des Jeux témoigne en réalité de fourchettes de prix extrêmement variés, mais pour la plupart très élevés. Selon RMC Sports, les places peuvent coûter jusqu’à 690 € pour l’athlétisme, 280€ pour le basketball, 210€ pour la boxe, 200€ pour le football de 24 à 200€ ou encore 240€ pour le beach-volley.

Ces prix prohibitifs interrogent d’autant plus quand on sait que les Jeux Olympiques et Paralympiques fonctionnent en bonne partie grâce à l’aide de bénévoles. Pour les Jeux de Paris, ce ne sont pas moins de 45.000 personnes qui seront nécessaires pour assurer la bonne organisation de l’événement. Or, ceux-ci ne seront pas indemnisés, même pas pour se loger ou se déplacer sur les sites des Jeux. Certes, le bénévolat aux JO existe depuis toujours et nombre de passionnés de sport rêvent de pouvoir aider à la réussite des JO. Mais si les organisateurs vantent « l’opportunité d’une vie », « une aventure intense » et des « des émotions uniques », ils n’hésitent pas à utiliser cette main-d’oeuvre gratuite jusqu’à l’épuisement. Ainsi, les volontaires travailleront en moyenne huit heures par jour, avec un plafond fixé à 10 heures quotidiennes et 48 heures hebdomadaires, et seront mobilisés six jours sur sept. Le tout en plein été, avec de probables canicules… Nul doute que de telles journées relèveront de performances olympiques.

Le CIO, une instance notoirement corrompue

Mais alors à qui peuvent bien bénéficier les JO, excepté aux entreprises de BTP ? La réponse est simple : à l’autorité organisatrice, à savoir le Comité international olympique (CIO). Organisation dont les membres sont cooptés et supposément à but non lucratif, le CIO est pourtant connu pour son manque de transparence et sa corruption rampante. Grâce au pactole des droits télé et des ventes de billets, le CIO rétribue ses membres avec de luxueux dîners, séjours en hôtels cinq étoiles et cadeaux hors de prix. Surtout, les villes et Etats soucieux d’obtenir l’organisation des Jeux n’hésitent pas à graisser la pâte de certains membres pour s’assurer de la réussite de leur candidature.

Les scandales sont nombreux : en 2019, le président du Comité olympique japonais, Tsunekazu Takeda, était ainsi mis en examen pour corruption. Il était notamment accusé d’avoir versé deux millions d’euros en 2013, à l’époque de la campagne soutenant une candidature japonaise. Pour les Jeux de Rio, c’était le président du comité olympique brésilien Carlos Nuzman qui a perçu des pots-de-vin et l’ex-gouverneur de Rio, Sérgio Cabral Filho, qui reconnaît en avoir payé. Pour les Jeux de Sotchi (2014), l’opposant Boris Nemtsov dénonçait lui une vaste arnaque, en pointant du doigt le fait que 30 milliards d’euros avaient disparu pendant l’organisation.

La France n’est peut-être pas en reste. Le 20 juin 2023, Mediapart indiquait que « le Parquet national financier enquête sur des soupçons de favoritisme dans l’octroi de marchés liés aux Jeux olympiques. Plusieurs sites liés à Paris 2024, dont le siège du comité d’organisation, ont été perquisitionnés ce mardi ». Sont notamment pointés du doigt les marchés attribués à l’agence d’événementiel Keneo, très proche des organisateurs, pour un total de plus de deux millions d’euros. Dès 2017, Mediapart alertait : « l’agence d’événementiel Keneo a déjà reçu plus de 2 millions d’euros de contrats de la candidature française aux Jeux olympiques, expertisée par le Comité international olympique durant cinq jours, du 13 au 17 mai. Cette agence a été fondée par l’actuel directeur général de Paris 2024. Et dispose d’une autre recrue de choix pour faire fructifier ses affaires: l’ancien responsable aux grands événements sportifs à Matignon, sous Valls et Cazeneuve ». Une seconde enquête lancée en 2021 vise elle d’éventuels conflits d’intérêts, suite à un contrôle de l’Agence française anticorruption.

Ainsi, si Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne fallait pas politiser le sport, il apparaît une fois de plus que le sport est bel et bien politique. L’organisation des Jeux Olympiques pose d’immenses problèmes sociaux, écologiques et de corruption, qui paraissent bien difficiles à résoudre sans revoir radicalement la façon dont les Jeux sont organisés. À l’heure de l’urgence écologique, l’existence même de cette compétition sous sa forme actuelle mérite d’être remise en cause. Si les infrastructures construites étaient vraiment durables, pourquoi ne pas les réutiliser pour d’autres Jeux par exemple ? Au-delà de la seule question écologique, les JO sont le reflet de la société profondément inégalitaire dans laquelle nous vivons : certes, le sport reste un loisir populaire, mais qui peut vraiment profiter des JO ? Les inégalités entre la bourgeoisie mondialisée qui peut prendre l’avion, se loger sur place et se payer les bonnes places dans les stades et les travailleurs, qui voient leur vie dégradée par cette compétition, sont immenses. Pour ces derniers, il n’y aura ni pain ni Jeux.

Primaire populaire : le culte de l’Union suprême

Manifestation de militants de la primaire populaire devant la mairie de Saint-Etienne le 11 décembre 2021. © Hervé Agnoux

Fondée en mars 2021 par les militants Samuel Grzybowski et Mathilde Imer, la primaire populaire semble être devenue depuis peu le centre de toutes les attentions. Récemment soutenue par Anne Hidalgo et Christiane Taubira, l’initiative vise à désigner un unique candidat de gauche pour la présidentielle de 2022. L’entreprise cristallise à n’en pas douter les espérances de nombreux militants de gauche souhaitant tourner la page de l’éreintant quinquennat Macron. Pour autant, cette démarche est-elle souhaitable ?

Si la primaire populaire a connu récemment une large médiatisation, plusieurs phases se sont déjà succédé afin de constituer la liste finale des dix candidats qui s’affronteront en janvier prochain. Pendant cinq semaines, les organisateurs de la primaire ont rencontré les responsables de différents partis politiques afin de définir le « socle commun ». Le vainqueur de l’initiative devra s’engager à respecter ce lot de dix mesures s’il parvient à l’Elysée en 2022. Est venu ensuite le temps des soutiens. Chaque membre inscrit sur la plateforme a pu parrainer les personnalités politiques qu’il pensait les plus à même de représenter la gauche en 2022. De ces processus ont émergé cinq hommes et cinq femmes qui peuvent aujourd’hui espérer gagner la primaire populaire, dont les votes finaux se tiendront du 27 au 30 janvier 2022. Si certains, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou de Yannick Jadot, ont décidé de ne pas participer à la primaire populaire, il sera néanmoins possible de voter pour eux car ces derniers sont officiellement candidats à l’élection présidentielle. Il semble à première vue douteux de conserver la candidature de personnes ayant refusé de participer à un scrutin. L’Union réclamant de sacrifier quelques principes, les organisateurs de la primaire populaire ont pourtant fait fi de cette réserve.

Une primaire populaire dénuée de légitimité ?

L’initiative recueille actuellement le soutien de près de 300 000 personnes, qui pourront toutes voter à la primaire. Beaucoup s’enthousiasment de ce succès et comparent ce nombre aux 122 670 électeurs ayant participé à la primaire d’Europe Ecologie les Verts (EELV) ou aux 139 742 adhérents Les Républicains (LR) ayant pris part au congrès du parti. S’il est en effet tentant de conférer une plus grande légitimité à la primaire populaire du fait de son nombre élevé de participants, il convient de garder une certaine prudence. En effet, les personnes ayant voté à la primaire écologiste ou au congrès LR n’ont pas eu simplement à donner leurs e-mails et leurs coordonnées. Ces derniers ont dû s’acquitter d’une contribution de 2€ (EELV) ou de cotisations au parti (LR). Difficile donc, de conférer à l’une des initiatives une plus grande légitimité.

Il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire.

De même, il y a cinq ans, la primaire « de la Belle alliance populaire » organisée par le PS et ses alliés avait réuni un peu plus de deux millions de votants, tandis que celle de la droite atteignait les quatre millions. Or, ces chiffres importants n’ont pas empêché ces deux familles politiques de se diviser, comme l’ont rappelé les défections des candidats Bruno Le Maire et Manuel Valls en faveur d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon dispose aujourd’hui du soutien de près de 270 000 personnes ayant elles aussi simplement donné leurs coordonnées et leur adresse mail. Ainsi, il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire. Il y a en effet fort à parier qu’aucun des sept candidats en lice – trois des dix candidats ont renoncé à se présenter – ne recueillera plus de 270 000 votes.

Le mythe de la bataille des egos

Dans une arène politique marquée par une personnification accrue, il est souvent tentant d’attribuer aux egos et aux personnalités prononcées des leaders politiques la responsabilité de l’échec de l’union de la gauche. Untel sera moqué pour son appétence à orchestrer ses colères, taxé de populiste ou de démagogue, tandis qu’un autre sera accusé de ne penser qu’à sa carrière, ou de préserver sa dignité. À partir de ce postulat, il est ensuite assez simple de suivre le fil directeur qui sous-tend l’organisation de la primaire populaire.

Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

La vision simpliste des organisateurs de la primaire populaire suppose une « gauche plurielle » quémandée, réclamée, par le peuple entier. Les responsables de l’organisation rappellent à qui veut l’entendre que 70% des électeurs de gauche souhaitent un candidat unique. Pourtant, cette symbiose inéluctable serait entravée par l’action intéressée d’acteurs politiques aux egos surdimensionnés. C’est là, précisément, que réside la justification de la primaire populaire. Supposée au-dessus des partis politiques, elle a l’ambition de dynamiter ce « mur des egos » mortifère. Faute de quoi, le pays tombera assurément dans les bras de l’extrême droite.

Il est parfois tentant d’installer sa pensée dans le creux d’un rêve éveillé, comme pour se protéger d’une réalité difficile à affronter. Si l’exercice est répété de manière irrégulière, presque exceptionnelle, il peut même être salvateur et servir de source d’espoir quand les temps sont sombres. Pour autant, certains semblent avoir réussi avec brio le numéro d’équilibriste consistant à organiser une primaire tout en restant continuellement dans une réalité parallèle. Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

Il n’existe a priori aucune raison de penser que le résultat de la primaire populaire dirigera vers son vainqueur toutes les voix des électeurs se considérant de gauche. Les citoyens n’étant par principe pas de vulgaires pions. Une attitude salutaire aurait consisté à observer les différences sociologiques qui composent et différencient inévitablement chaque camp politique. Une rapide attention jetée aux sondages d’opinion montre que les électeurs de Mélenchon porteraient en deuxième choix leur vote sur Jadot, tandis que les électeurs de Jadot et d’Hidalgo reporteraient davantage leurs voix sur Macron que sur Mélenchon. Rien ne garantit donc au candidat gagnant de la primaire qu’il puisse bénéficier du report de vote de tous les autres électeurs de gauche. La majorité de ces personnes n’aura d’ailleurs pas participé à la primaire ; très peu se sentiront donc contraints par son résultat.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées.

De manière plus globale, c’est tous les désaccords politiques qui sont gommés. On veut faire croire que la gauche pourrait, moyennant quelques maigres changements de programmes, être unie. Pourtant, des divergences réelles, fondamentales, existent au sein des camps politiques. Personne n’a ainsi semblé s’alarmer du fait que rien, ou presque, ne rassemble les programmes de politiques de Mélenchon ou de Jadot en matière de politique étrangère, que la question européenne est adressée de manière totalement différente en fonction des partis, ou que la question nucléaire marginalise EELV et la France Insoumise (FI) du reste de la gauche.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées. Partant pourtant du postulat que les egos des leaders de gauche entravaient toute union, cette entreprise n’a servi que de tremplin médiatique à des personnalités en perte de vitesse tout en permettant l’émergence de nouveaux candidats.

L’illusion du consensus

C’est bien là, sur le terrain des idées, que le bât blesse. Le socle commun, brandi comme étendard d’un programme ayant la capacité d’unir tous les fronts, a été défini en seulement cinq semaines, et ne rassemble que dix mesures que chacun peut interpréter à sa guise. Le reste de la campagne a été très pauvre en débats et en propositions politiques concrètes. Si beaucoup se réjouissent de voir Christiane Taubira rejoindre l’aventure de la primaire, très peu se sont intéressés à son projet politique. D’aucuns chantent les louanges d’une femme racisée capable, selon eux, d’accéder à l’Elysée sans s’interroger sur ses prises de positions passées et son programme présent. Qui s’est inquiété, ou tout au moins a émis des réserves, quant aux propositions défendues par Taubira lors de sa candidature à la présidentielle de 2002 ? Son soutien indéfectible à l’Union Européenne, au régime présidentialiste, à la baisse des impôts sur les plus aisés ou à la retraite par capitalisation a-t-il seulement préoccupé les militants ?

La primaire populaire apparaît ainsi comme une énième initiative de la gauche moralisatrice pour arriver au pouvoir, ou du moins pour dynamiser des campagnes en perte de vitesse. Cette gauche ne lisse pas volontairement les divergences radicales qui séparent les candidats, elle ne les voit tout simplement pas. Pour elle, tous les candidats de gauche partagent peu ou prou les mêmes mesures sociétales – au diable les questions sociales et économiques ! – et en conclut que l’Union est une réalité proche, inéluctable. Alors, une certaine gauche appelle et crie à l’Union. Elle ne le fait pas pour défendre un projet, mais avant tout pour ne pas laisser Macron gagner une seconde fois ; pour que l’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir.

Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Pourtant, un camp politique devient un bloc inerte, incapable d’attirer à lui de nouvelles personnes, s’il refuse de s’engager dans des débats prétendument stériles au nom de la protection d’une unité fantasmagorique. Cette gauche est condamnée à ne faire que peu de remous dans l’histoire puisqu’elle n’existe que pour revendiquer être contre un autre camp plutôt que d’être pour un projet. Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Bal comique à Paris, trop de candidats

Conseiller en communication de François Hollande puis soutien d’Emmanuel Macron brièvement investi aux élections législatives avant de renoncer, Gaspard Gantzer a annoncé mercredi 13 mars sa candidature à la mairie de Paris. Mercredi soir, Le Parisien révélait que Benjamin Griveaux s’apprêtait à quitter le gouvernement pour déclarer sa candidature. Tout cela s’ajoute à plusieurs autres personnalités déjà déclarées et fait état d’un vide dans le débat politique au profit des ego et d’une macronisation de la vie politique parisienne.


 

La candidature de Gaspard Gantzer s’ajoute à un bal de candidats déjà déclarés, qui se sont investis seuls en sortant des carcans des partis pour fonder leur propre organisation, et à des prétendants qui attendent l’aval de leur mouvement. Ainsi, alors que La République En Marche n’a toujours pas dévoilé sa tête de liste pour les élections européennes, déjà quatre ministres et personnalités souhaiteraient pouvoir partir à la conquête de la capitale (Mounir Mahdjoubi, Cédric Villani, Benjamin Griveaux et Hugues Renson). Le feuilleton des municipales s’avère palpitant : à la bataille des idées, des programmes, s’oppose celle des ego et des ambitions.

Lors de ses passages dans les médias, Gaspard Gantzer veille à toujours se distinguer de la maire actuelle, Anne Hidalgo. Tout son bilan est passé au crible, rien n’est épargné : la ville est « dégueulasse ». Regardez plutôt :

Gaspard Gantzer, itinéraire d’un enfant gâté

L’ancien conseiller en communication passé par Sciences Po et l’École nationale d’administration qui n’a jamais bénéficié de l’onction du peuple puisqu’il avait renoncé à se présenter aux législatives sous l’étiquette En Marche en 2017 a lancé son mouvement Parisiennes, Parisiens le 11 octobre 2018. Là où certains candidats et élus peinent à avoir de la visibilité, c’est pendant La Matinale de France Inter et dans Le Parisien que Gaspard Gantzer a pu déclarer qu’il voulait « être le candidat des classes moyennes et même de toutes les familles parisiennes ». Une chose est sûre, si Gaspard Gantzer a pris ses distances avec LREM, il profite d’un entre-soi qui l’accueille à bras ouverts, en témoigne son accès aux médias.

Bien qu’il se soit éloigné de LREM, Gaspard Gantzer bénéficie du soutien des mêmes personnes. Outre son accès privilégié aux médias et à des tribunes, sa communication et ses méthodes rappellent celles de la majorité présidentielle. À cela s’ajoute ses prises de position. À l’égard des gilets jaunes, il affiche le même dédain que le président. Le lundi 18 février sur CNews, il avait déclaré qu’ « ils ont le droit de manifester malheureusement, même s’ils sont cons, je suis désolé de le dire. C’est sûr que si on faisait des tests de QI avant les manifestations, il n’y aurait pas grand monde »Le mépris de classe semble donc être un des points communs de ce nouveau monde…

Beaucoup de candidats, une seule place

C’est la loi du 31 septembre 1975 qui a réinstitué la fonction de maire de Paris. Le Conseil de Paris s’occupe des affaires de la ville. Quatre maires se sont succédés : Jacques Chirac, Jean Tiberi, Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo. Certains esprits verront dans la Mairie de Paris un marche-pied pour des ambitions présidentielles. Si tous les candidats se targuent d’être passionnés, amoureux de la ville de Paris, on comprend que cette élection déchaîne les ego.

C’est un album Panini des candidats qui est en voie de se constituer en attendant que les partis mettent en place des processus de désignation et que les alliances s’instaurent. En une semaine, trois candidats ont manifesté leur souhait d’accéder à la mairie : Rachida Dati, ancienne ministre de la Justice et Garde des Sceaux pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, maire du VIIème arrondissement et députée européennes ; Pierre-Yves Bournazel, élu en 2017 député de la 18e circonscription de Paris et fondateur d’Agir, la droite constructive (la genèse de ce mouvement était l’exclusion de certains membres des Républicains de députés macrono-compatibles qui avaient choisi de créer le groupe Les Constructifs à l’Assemblée nationale) et le fondateur de Parisiennes, Parisiens.

À la bataille des idées, des programmes, s’oppose celle des egos et des ambitions.

Ils viennent s’ajouter pour ce qui est de la droite à Jean-Pierre Lecoq, le maire du VIème arrondissement et à Florence Berthout, la présidente du groupe Les Républicains au Conseil de Paris.

À gauche de l’échiquier, la France insoumise s’est lancée avec Paris En Commun sous l’égide de la conseillère de Paris Danielle Simonnet. Un autre mouvement, Dès demain, se veut « ouvert à tous les humanistes qui aiment agir, à tous les démocrates prêts à s’engager pour la justice sociale, à tous les républicains qui aiment et revendiquent leur devise ».

La maire de Paris Anne Hidalgo et Jean-Louis Missika adjoint en charge de l’urbanisme sont à la tête de Dès demain. Ce dernier avait quitté le Parti socialiste pour devenir adjoint « sans étiquette ». Il avait en effet rendu public en 2017 son soutien à Emmanuel Macron. Entre retour à la maison pour certains et élargissement vers la droite pour la municipalité actuelle, les rapports de force en présence témoignent d’un socle idéologique très restreint et d’une porosité des idées entre beaucoup de candidats.

Quid de la bataille des idées ?

En effet, les quelques prises de position de la part des candidats avoués ou non ont toutes trait à des thématiques restreintes : la sécurité, la propreté, les voitures. En se positionnant de la sorte, les candidats qui ont un accès privilégié aux médias peuvent déterminer l’agenda politique.

Aussi, Gaspard Gantzer s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur de la création d’une police municipale (et ce dès la fin de l’année 2018). Le 28 janvier 2019, il publiait une tribune libre dans l’Opinion avec Benjamin Djiane, vice-président de Parisiennes, Parisiens et maire adjoint du IIIème arrondissement. Intitulée Police municipale : Anne Hidalgo découvre l’insécurité à Paris, cette tribune dénonçait la « tactique électorale » de la maire actuelle qui a proposé fin janvier la mise en place d’une police municipale. Ils lui reprochent en effet d’avoir attendu la fin de son mandat, bien qu’élue à Paris depuis « 18 ans et maire depuis 5 ans ».

À cela, ils opposent la création d’une police municipale armée : « nous avons donc besoin d’une police armée, présente dans tous les quartiers où l’insécurité tient lieu de norme, où la drogue s’échange comme des petits pains, où les femmes sont harcelées, présente dans les transports, dans les rues, partout ». En 2018, la droite parisienne portait notamment l’organisation d’un référendum concernant la création d’une police municipale armée, l’armement afin qu’elle ne devienne pas une cible.

Aussi, les seuls sujets de fond qui émergent ont trait à un corpus extrêmement restreint. Outre les questions de personnes, difficile de savoir ce qui distingue sur le fond Benjamin Griveaux de Mounir Mahdjoubi ou encore de Gaspard Gantzer.

Concernant la gauche, beaucoup d’interrogations demeurent : que feront les membres du Parti communiste ou encore de Génération.s ? Actuellement membres de la majorité municipale, aucune figure n’émerge réellement. Pour Europe Écologie les Verts, Julien Bayou a lancé un « tandem » en février 2019 avec l’adjointe en charge de l’économie sociale et solidaire Antoinette Guhl.

Si les tribunes fleurissent de part et d’autre, ce sont les mêmes éléments de langage et thèmes qui reviennent souvent : « en finir avec une conception monarchique », le Grand Paris, l’écologie, la piétonisation, la gratuité des transports. Cette harmonisation des thématiques témoigne de l’ascendant des personnes sur les idées.

Si les candidats et prétendants prennent position sur les mêmes sujets, c’est en fait qu’ils se répondent les uns aux autres, se talonnent avec à chaque fois des différences qui tiennent davantage d’une touche de couleur sur un tableau impressionniste que de réelles divergences idéologiques. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, contrairement à ce que la surexposition de certains candidats pourrait laisser entendre et espérer, de projet d’envergure et d’ensemble pour Paris, pas de programme si ce n’est des déclarations d’intention et des coups de communication.

Quand l’enjeu majeur n’est dès lors plus de proposer, de transformer la vie mais de donner à voir.

Là résident et se dessinent deux problèmes essentiels : d’une part, la relative homogénéité des candidats empêche de penser certaines problématiques, d’autre part, la politique confine à la communication. En effet, en traçant un axe qui irait de Génération.s à La République En Marche (et qui se positionne de manière plus ou moins vive contre Anne Hidalgo), on a là des forces politiques qui se veulent « progressistes et humanistes » et plus largement une macronisation de l’échiquier politique parisien.

La communication au détriment du politique

Toutes ces forces incarnent en effet une gradation plus ou moins libérale d’un même spectre politique. Dès lors, comment réussir à pleinement se distinguer si ce n’est par de la communication ? Dans la capitale, la communication politique prend tout son sens : les apéritifs et temps de rencontre avec les Parisiennes et Parisiens s’avèrent particulièrement instagrammables, l’actualité locale pouvant bénéficier d’une attention nationale (en témoigne la couverture dont bénéficient Gaspard Gantzer ou Anne Hidalgo)… Quand l’enjeu majeur n’est dès lors plus de proposer, de transformer la vie mais de donner à voir.

C’est sans doute le candidat de Parisiennes, Parisiens qui a le mieux compris cela. Il enchaîne les apéritifs et soirées dans des appartements, organisées par des soutiens locaux dans la tradition de la socialisation politique de la droite du XVIème arrondissement : aux grands meetings, on préfère le cadre intimiste et restreint d’un appartement quitte à aller à trois apéritifs en une soirée.

Les personnes qui reçoivent font voir et publicisent sur leurs propres réseaux sociaux et l’association reprend cela après. Si l’alpha et l’oméga de la vie politique ne se résument pas aux réseaux sociaux, ceux-ci s’avèrent néanmoins utiles pour attirer l’attention et construire des rapports de force. Personne ne sait si le programme de Gaspard Gantzer sera meilleur que celui de Benjamin Griveaux ou Anne Hidalgo. En tout cas, le premier semble « plus humain », « plus vrai » que les autres, quitte à ne pas proposer de programme.

Cependant, contrairement à ce que le niveau du débat politique parisien pourrait le laisser penser, vivre à Paris ce n’est pas vivre dans un film de Woody Allen. Selon l’Observatoire des Inégalités, le taux de pauvreté à Paris s’élève à 16,1%, soit 340 397 personnes. Dans le XVIIIème arrondissement, ce taux de pauvreté était de 23,3% en 2015. Dans une interview donnée au journal Le Monde le 29 janvier 2019, les Pinçon-Charlot rappelaient qu’ « on constate une montée des professions intermédiaires et supérieures, de 34,5 % de la population en 1954 à 71,4 % en 2010, tandis que le pourcentage des employés et des ouvriers de la population active habitant Paris a chuté de 65,5 % à 28,6 %”. À cela s’ajoute la baisse des emplois industriels dans la capitale : on est tombés à 134 000 en 1989, puis à 80 283 en 2009, selon les estimations de l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques]. Et il est évident que cela baisse encore », expliquait le couple de sociologues dans le même entretien.

Le projet du Grand Paris pose des problématiques sociales immenses mais aucun projet alternatif ne voit le jour. Quand Gaspard Gantzer veut être « le candidat des classes moyennes et de toutes les familles parisiennes », il occulte donc près d’un cinquième de la population de la capitale.

Lorsqu’il s’agit de piétonniser des quartiers, cela est fait sans questionner les problématiques que cela pose. S’il faut réduire la place de la voiture, il faut également permettre aux gens de se déplacer aisément dans les transports en commun et surtout de permettre aux personnes qui vivent hors de Paris (qui peuvent être contraintes à cela du fait de la faiblesse de leurs revenus et du prix exorbitant des loyers) d’accéder à Paris sans pour autant subir de double-peine.

Cela implique par exemple de penser une densification des transports hors de Paris et des parkings. Le caractère inséparable, dynamique, de certaines propositions qui en impliquent d’autres est souvent absent du discours politique. Ainsi, les candidats peinent à conjuguer et à articuler l’écologie et le social pour, au contraire, faire de Paris un vase clos qui exclue toujours davantage.

À l’heure où la gentrification progresse et relègue des populations, à l’heure où s’épanouit l’ubérisation de l’économie, à l’heure où certains quartiers voient des difficultés s’articuler, la drogue et la précarité en premier lieu, Paris mérite mieux que des batailles de personnes dont on ne sait ce qu’elles proposent et ce qui les distinguent. L’urgence est de politiser le débat, de proposer des solutions à des maux. C’est à cela et non à des déclarations d’amour à une capitale espérée, fantasmée qu’il faut songer.

Plusieurs dynamiques sont à l’oeuvre depuis plusieurs années. En excluant les populations les plus fragiles économiquement, Paris se fixe. La population assiste en effet à une muséification de la ville dans laquelle de plus en plus de personnes n’ont pas leur place faute de pouvoir assumer des loyers trop importants ou d’accéder à des surfaces assez grandes lorsqu’elles fondent une famille.

En témoigne de manière particulièrement violente la baisse du pourcentage d’ouvriers qui vit à Paris. Face à ce mouvement, une autre dynamique se dessine : les grandes fortunes financent et acquièrent du patrimoine pour des sommes exorbitantes, et rendent de ce fait une partie du parc immobilier inaccessible à une partie de la population qui vit et travaille dans la capitale.

Ce sont ainsi les usagers qui se voient privés de l’usage de la capitale. Dans Le droit à la ville, Henri Lefebvre voyait dans l’espace urbain la « projection des rapports sociaux ». Dans cet ouvrage, l’auteur définit la ville comme un bien commun accessible à tous. L’espace conçu qu’il qualifie comme « celui des savants » devient l’apanage des entrepreneurs du privé pour ce qui est de la capitale.

Les grands projets d’urbanisme, s’ils sont soutenus par la municipalité et nombre d’acteurs politiques sont avant tout ceux des grands investisseurs et des grandes familles, en témoigne le projet de réaménagement de la Gare du Nord qui verra le jour à l’horizon 2024 : « l’issue de cette négociation exclusive, attendue avant la fin de l’année 2018, sera la constitution d’une société commune détenue à 34% SNCF Gares & Connexions et à 66% par CEETRUS pour porter le projet d’agrandissement de la première gare d’Europe et son exploitation commerciale sur une durée de 35 à 46 ans » peut-on lire sur le site de la SNCF.

Le président de CEETRUS, la structure qui détiendra les deux tiers du projet n’est autre que Vinney Mulliez qui a présidé le groupe Auchan pendant 11 ans. L’idée est de faire « naître un nouveau quartier ». Ce sont donc des acteurs privés qui vont donner les lignes directrices à ce projet et dessiner l’espace conçu. Chez Lefebvre, l’espace conçu est également celui qui préfigure les représentations dominantes de cet espace au sein de la population.

C’est alors l’espace vécu qui fait prendre corps aux conflits, incarnant ce décalage entre l’espace conçu et l’espace perçu.

L’espace perçu est quant à lui celui qui regroupe « les formes de la pratique sociale qui englobe production et reproduction, lieux spécifiés et ensembles spatiaux propres à chaque formation sociale qui assure la continuité dans une relative cohésion ». Dans la capitale, il n’y a pas d’homogénéité dans la perception de l’espace et ses pratiques. Des catégories au capital économique radicalement opposé se partagent un même espace et en ont des pratiques différentes. Aussi, le mobilier urbain « anti-SDF » qui relègue et marginalise encore plus les populations sans domicile les évacue d’un espace certes inégalitairement, mais néanmoins partagé. C’est alors l’espace vécu qui fait prendre corps aux conflits, incarnant ce décalage entre l’espace conçu et l’espace perçu.

Cependant, à cette lecture traditionnelle s’ajoute la place croissante dans la ville des fortunes étrangères et l’attention accrue portée aux touristes. Cela induit une airbnbisation de la ville de même qu’un accaparement des surfaces. Aussi, les usagers qui disposent encore des capitaux pour vivre à Paris se retrouvent en concurrence pour l’espace avec des grandes fortunes face auxquelles ils ne peuvent rivaliser.

Aux guerres de personnes qui incarnent toutes une nuance de macronisme différente, il est essentiel de politiser la question des élections municipales à Paris. Cela pour deux raisons : pour stopper la marginalisation et le rejet des catégories les plus fragiles économiquement, permettre que l’usage de Paris ne soit pas l’apanage de quelques uns et pour que la ville ne devienne pas un musée, qu’elle ne soit pas figée dans son fonctionnement et dans ses développements par des grandes fortunes et des acteurs privés.

Pour compléter :

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : “A Paris, les inégalités s’aggravent de manière abyssale” https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/01/29/michel-pincon-et-monique-pincon-charlot-a-paris-les-inegalites-s-aggravent-de-maniere-abyssale_5416039_4811534.html