Espagne : pourquoi Sumar reste dans l’ombre de Pedro Sánchez

Yolanda Díaz, vice-Première ministre d’Espagne et leader de Sumar. © AntonMST29

Récemment victime d’attaques judiciaires téléguidées par la droite, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a répliqué avec vigueur, ce qui lui a donné une poussée dans les sondages. Face aux bonnes performances du PSOE, ses alliés de gauche réunis au sein de la coalition Sumar, semblent de plus en plus éclipsés et divisés. [1]

Fin avril, l’Espagne a été stupéfaite de voir le Premier ministre Pedro Sánchez se retirer temporairement de la vie publique, se murant dans un silence officiel de cinq jours alors qu’il réfléchissait à une éventuelle démission. Après la publication d’une lettre ouverte émouvante dans laquelle il avouait ses doutes quant à savoir si cela valait la peine de continuer, les Espagnols se sont demandé si le leader de centre-gauche avait atteint un point de rupture. Cette décision spectaculaire de Pedro Sánchez a été prise alors qu’un tribunal de Madrid a ouvert une enquête criminelle manifestement infondée sur son épouse, Begoña Gómez, accusée de se livrer à du trafic d’influence.

Ces spéculations ont finalement pris fin lorsque Sánchez a annoncé qu’il resterait en poste. La confiance du Premier ministre espagnol dans son avenir politique – et le fait qu’il ait même laissé entendre qu’il pourrait se présenter aux prochaines élections générales – font toutefois entrevoir qu’un calcul politique a motivé son geste. Après des mois passés sur la défensive, Sánchez cherchait à reprendre l’initiative politique à la droite espagnole en donnant le coup d’envoi d’un débat national sur la « régénération de la démocratie ».

Après des mois passés sur la défensive, Sánchez cherchait à reprendre l’initiative politique à la droite espagnole en donnant le coup d’envoi d’un débat national sur la « régénération de la démocratie ».

Une fois de plus, il s’est présenté comme le champion progressiste de la gauche luttant contre les forces réactionnaires des médias et du système judiciaire. En Europe, peu d’autres hommes politiques de centre-gauche sont capables de jouer cette carte de la gauche populiste, même de manière opportuniste. Visiblement, cette réplique a fonctionné : un sondage conduit juste après les annonces de Sánchez indiquait une progression de 6 % pour le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), démontrant ainsi sa capacité à séduire les électeurs situés à la gauche de son parti. Un résultat confirmé dans les urnes le 12 mai avec la victoire du parti lors des élections régionales en Catalogne, devant le bloc indépendantiste.

Cependant, le succès de la manœuvre de Sánchez a également entraîné la mise à l’écart de son partenaire de coalition, l’alliance de gauche Sumar. En effet, la présentation de son nouveau comité exécutif a été éclipsée par les mobilisations progressistes en faveur de Sánchez. À bien des égards, cette situation témoigne du caractère éprouvant des six premiers mois de Sumar au sein du deuxième gouvernement de coalition de Sánchez, au cours desquels l’organisation a peiné à suivre le rythme du chef de file du PSOE. Une série de résultats électoraux régionaux désastreux et un factionnalisme handicapant ont en effet suscité de vives inquiétudes quant à la viabilité future du projet et à la capacité de la vice-première ministre Yolanda Díaz à mettre en place une structure durable.

Division et mise à l’écart

Le pacte électoral mené par Díaz en juillet dernier a réuni vingt formations issues de la gauche espagnole atomisée. L’accord de dernière minute avant un scrutin éclair a été marqué par un face-à-face tendu avec Podemos, qui a dominé la gauche radicale dans le pays dans les années 2010. Durant sa campagne, dirigée par la charismatique Yolanda Díaz, Sumar a réussi à préserver les forces de gauche après des années de baisse dans les sondages et de factionnalisme préjudiciable. Avec 12,3 % des voix et 31 sièges, Sumar a presque égalé le résultat obtenu par Unidas Podemos lors de la précédente élection générale en 2019. Mieux, elle a doublé le nombre de voix pour la gauche par rapport aux élections locales organisées seulement deux mois plus tôt.

L’euphorie a cependant été de courte durée. Le 23 mars, alors que Sumar organisait son congrès fondateur – afin de transformer cette coalition électorale en véritable parti – l’enthousiasme s’était déjà largement dissipé. L’unité de la gauche n’aura duré que jusqu’en décembre, lorsque Podemos a choisi de rompre avec Sumar après avoir été exclu des cinq postes ministériels obtenus par Díaz dans le gouvernement de coalition dirigé par le PSOE de Sánchez. Aucune des deux parties n’a fait preuve de volonté politique pour parvenir à un accord sur la nomination de Podemos, Díaz étant déterminé à imposer une élimination de la vieille garde du fondateur du parti, Pablo Iglesias, des premiers rangs de la gauche.

La scission a laissé Sumar avec seulement vingt-sept députés, compliquant davantage la majorité parlementaire déjà fragile du gouvernement et affaiblissant la main de Díaz à la table des négociations avec le PSOE. En outre, les résultats humiliants des élections régionales en Galice en février, où Sumar a obtenu moins de 2 % des voix, ont de nouveau confirmé non seulement la faiblesse électorale de la gauche au-delà des grandes zones urbaines d’Espagne, mais aussi les limites d’une énième stratégie de rassemblement autour d’une ligne politique fixée par un leader tout puissant. Le 21 avril, les élections régionales basques ont été marquées par de lourdes pertes, Sumar et Podemos ayant présenté des candidats concurrents qui ont divisé le vote de gauche de manière relativement égale. Résultat : un seul siège pour la gauche – obtenu par Sumar, contre six il y a quatre ans.

Les résultats humiliants des élections régionales en Galice ont confirmé la faiblesse électorale de la gauche au-delà des zones urbaines d’Espagne et les limites d’une énième stratégie de rassemblement autour d’une ligne politique fixée par un leader tout puissant.

À travers ses textes fondateurs, organisationnels et idéologiques, adoptés lors du congrès, Sumar cherche à jeter les bases d’une architecture politique plus durable pour la gauche espagnole. Pourtant, le factionnalisme interne s’est au contraire intensifié dans les semaines qui ont suivi, confirmant que ses problèmes vont bien au-delà de sa relation avec Podemos. L’alliance est en effet confrontée à des défis stratégiques et tactiques considérables si elle souhaite rester un projet politique viable dans les années à venir. 

L’obstacle le plus immédiat est l’impasse parlementaire actuelle. Les six premiers mois du nouveau mandat de la coalition ont été consacrés à la négociation d’une loi d’amnistie mettant fin aux accusations criminelles pesant sur les dirigeants indépendantistes catalans. « Pour l’instant, l’agenda du gouvernement est gelé – aucune législation majeure ou nouvelle mesure sociale n’est attendue avant juillet », a déclaré un conseiller de Sumar. « Et même après cela, ce ne sera pas facile car nous aurons besoin du soutien du parti nationaliste catalan [de centre-droit] pour obtenir une majorité parlementaire et faire passer quoi que ce soit. »

En particulier, l’annonce par Sánchez qu’il renonçait à faire adopter un budget gouvernemental cette année – son exécutif conservant à la place les plans fiscaux de l’année dernière – a laissé les quatre ministres Sumar nouvellement nommés sans ressources affectées à leurs priorités politiques dans les mois à venir. À l’origine, la plateforme Sumar a été lancée en s’appuyant sur le bilan de ses dirigeants, et en particulier sur celui de Yolanda Díaz en tant que ministre du travail. Pourtant, depuis les élections de juillet dernier, l’impasse législative a laissé peu de chances à Sumar de peser sur l’agenda politique.

Même sur la question de Gaza, Díaz – la dirigeante politique la plus haut placée en Europe à avoir qualifié le massacre de génocide – a été éclipsée par Sánchez. Le premier ministre a notamment lancé une initiative diplomatique visant à amener un petit groupe de nations européennes à reconnaître un État palestinien, qui vient d’aboutir. Sánchez parie qu’une telle démarche ralliera les électeurs à son PSOE dans les urnes.

Sumar, un parti populiste vert ?

Cette progression du PSOE au détriment de ses partenaires de gauche met en évidence le principal défi auquel Sumar est confronté : comment parvenir à rester au gouvernement en tant que partenaire minoritaire tout en évitant d’être marginalisé et sa subordonné au PSOE ? Sánchez est sans doute celui qui a le plus bénéficié de la présence de la gauche au gouvernement depuis 2020 : il s’est approprié certaines parties de son discours et de son programme tout en étant capable de négocier continuellement un équilibre entre la gauche et l’aile droite de son propre parti.

Comment parvenir à rester au gouvernement en tant que partenaire minoritaire tout en évitant d’être marginalisé et sa subordonné au PSOE ?

Même lorsque Díaz et ses collègues de gauche de l’ancienne alliance Unidas Podemos ont poussé la coalition à aller plus loin en matière de droits des travailleurs ou de lutte contre la crise du coût de la vie au cours du premier mandat de la coalition, Sánchez était en réalité le mieux placé pour tirer parti de ces avancées sur le plan électoral. De fait, lors des élections générales de juillet dernier, le PSOE a renforcé sa domination sur les catégories d’électeurs à faible revenu et au niveau d’éducation peu élevé.

Si Sánchez exerce un leadership quasi incontesté sur le bloc progressiste espagnol, Sumar a adopté son propre « texte fondateur politico-idéologique » lors de la congrès de mars. Le parti s’est proclamé « mouvement pour la démocratie, les droits de l’homme et les réformes radicales, c’est-à-dire pour la liberté ». Ce texte intellectuellement brillant, écrit en grande partie par Íñigo Errejón, combine une analyse historique de quatre-vingts ans de la gauche espagnole avec un plaidoyer pour son réarmement idéologique contemporain inspiré par Ernesto Laclau. Principal architecte du populisme de gauche de Podemos à ses débuts, Errejón est devenu, au cours de la campagne des élections générales de l’année dernière, le porte-parole médiatique le plus en vue de Díaz.

Au fond, ce document peut être lu comme un pari sur le modèle des stratégies « transversales » à connotation écologique qui ont permis de maintenir une large base électorale pour les principales forces régionales intégrées à Sumar, telles que Más Madrid, le Compromís (région de Valencia) et Catalunya en Comú. Il cherche à consolider et à développer la coalition trans-classe existante de la gauche, fortement axée sur les jeunes professionnels urbains, grâce à des messages plus doux, une esthétique pop et un programme « travailliste vert » qui cherche à construire un profil distinct de celui de Sánchez qui prône la stabilité sociale-démocrate.

En tant que ministre du travail, Yolanda Díaz s’en est d’abord tenue à un modèle travailliste classique. Elle fait ainsi régulièrement référence au gouvernement britannique de Clement Attlee (1945-51) – notamment connu pour avoir créé la Sécurité sociale britannique et mené de nombreuses nationalisations – comme modèle. Elle peut également mettre à son crédit une protection réussie des travailleurs lors de la pandémie et une réforme historique du droit du travail espagnol en 2022, qui a fait fortement régresser le nombre de contrats précaires. Mais au cours de la campagne électorale de 2023, l’accent mis sur le travail et la protection sociale a été dilué – voire effacé – au profit de formulations telles que le « droit à un projet de vie » (c’est-à-dire aux conditions nécessaires pour avoir de bonnes perspectives de vie et de carrière), avec l’accent mis sur le temps libre, l’égalité des chances et la santé mentale.

Comme le note le journaliste Antonio Maestre, cette démarche s’est également accompagnée d’une tentative de cultiver une « image plus glamour [de Yolanda Díaz] basée sur une attitude souriante et amicale » et d’un refus de perpétuellement s’engager dans des polémiques politiques, comme l’avaient fait les ministres de Podemos. Dans une campagne énergique, Sumar a mélangé des annonces politiques innovantes conçues pour plaire à sa base, telles que la proposition d’un système d’héritage universel, avec des memes Barbie et une démolition impitoyable de l’antiféminisme de Vox durant un débat télévisé.

Ce tournant a été accentué par le document de congrès d’Errejón qui a rapproché la stratégie rhétorique de Sumar de celle du Podemos de la première heure – avec un programme articulé autour de la promesse d’une démocratisation de la société, de l’économie et de l’État. Infusé par la lecture originale que fait Errejón du populisme laclauien, le texte affirme que « la bataille pour la liberté est le grand combat idéologique de notre temps », Sumar devant passer à l’offensive pour contester l’appropriation de cette notion par la droite. Le « droit à un projet de vie » ne peut être lié « au fait d’être né dans la bonne famille », affirme-t-il par exemple dans une récente interview. « Le projet de nos adversaires est celui de la liberté pour quelques-uns et de l’arbitraire et de la peur pour une majorité. . . . Sumar se veut un mouvement pour la démocratie et pour une démocratisation de la liberté ».

Dispersion façon puzzle

Derrière cette façade sympathique, les discordes sont pourtant nombreuses. Le désaccord le plus vif concerne la relation exacte entre Sumar et les forces régionales clés qui y sont intégrées. Un débat qui a fini par faire oublier toute discussion sérieuse sur les orientations idéologiques et stratégiques de la plateforme. Organisation souple et centralisée conçue pour affronter la campagne des élections générales de 2023 (un modèle comparable à celui de la France insoumise, ndlr), Sumar peine depuis à assurer une cohérence organisationnelle entre les différentes forces qui s’y rallient, et ce même après que Podemos s’en soit détaché.

Initialement, l’objectif de Sumar était de dépasser la seule alliance électorale et parlementaire en créant un « front large » combinant des structures collectives bien identifiées et un activisme partagé entre les différents partis membres autour de campagnes communes.

Cherchant à développer des procédures internes et à se mettre d’accord sur la répartition des nominations institutionnelles, Díaz et son équipe principale se sont retrouvées piégées dans des négociations de plus en plus conflictuelles avec les autres parties impliquées dans Sumar. Parallèlement, il leur faut organiser des campagnes électorales régionales et européennes difficiles, avec peu de structuration sur le terrain.

Après l’échec électoral en Galice, territoire d’origine de Díaz, il est apparu clairement que la vice-Première ministre n’avait pas l’autorité nécessaire pour transformer son organisation. Initialement, l’objectif de Sumar était de dépasser la seule alliance électorale et parlementaire en créant un « front large » combinant des structures collectives bien identifiées et un activisme partagé entre les différents partis membres autour de campagnes communes. De nombreuses questions organisationnelles fondamentales ont tout simplement été reportées au congrès de mars, car les formations régionales se sont opposées à tout empiétement de Sumar sur leurs territoires. Parallèlement, les plans de Sumar pour construire ses propres structures extraparlementaires, aussi minimes soient-elles, restent vagues.

De fait, au cours de la semaine précédant le congrès de Sumar, le parti Más Madrid (dirigé par Íñigo Errejón, ndlr) a menacé de boycotter l’événement s’il n’obtenait pas une autonomie politique totale, notamment sur le programme de la gauche pour la région madrilène. Díaz a finalement concédé un accord de dernière minute pour garantir tant bien que mal un semblant d’unité. Celui-ci présente Más Madrid comme le « point d’ancrage collectif » d’une gauche divisée dans la capitale espagnole. Quant à Izquierda Unida, la formation qui regroupe les communistes et s’est opposée à Más Madrid lors des élections locales et régionales, elle a dénoncé l’accord comme « inadmissible », les laissant « à l’écart » du projet Sumar à Madrid. 

Il est désormais clair pour Izquierda Unida qu’elle est marginalisée dans le processus de construction de Sumar, tout particulièrement depuis que la sortie de Podemos a modifié l’équilibre des forces au sein de l’alliance. Pourtant, Izquierda Unida a joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre initiale du projet et Yolanda Díaz est elle-même issue de ses rangs. Les partis plus écologistes Catalunya en Comú, Más Madrid et Compromís sont désormais deux fois plus nombreux que Izquierda Unida au sein du groupe parlementaire Sumar. Comme le précise un membre de la direction nationale d’Izquierda Unida avant le congrès, « Notre poids au sein de Sumar a été affaibli depuis la scission avec Podemos ».

Les négociations désastreuses autour de la composition de la liste commune pour les élections européennes de juin ont à nouveau confirmé la profonde division de Sumar. La tâche impossible de Mme Díaz consistait à satisfaire les ambitions de chacun des partis d’obtenir une représentation au Parlement européen, mais un consensus s’est vite dégagé au sein de toutes ces formations quant à l’inadéquation du candidat qu’elle avait choisi pour diriger la liste. Que ce soit pour le candidat de la plateforme en Galice ou pour ses principales recrues sur la liste de Sumar pour les élections générales de l’année dernière, Díaz a choisi à plusieurs reprises des personnalités indépendantes et moins politiques, projetant l’image technocratique d’un parti de gouvernement. Cependant, ces personnalités n’ont eu que peu d’impact dans le paysage médiatique actuel, fortement polarisé.

Sumar, comme Podemos, se révèle incapable de surmonter un modèle d’organisation mal définie reposant sur le charisme numérique d’un leader et sur un groupe de militants avec lesquels il établit une relation définie davantage par le marketing que par une structure organique.

Au grand dam de tous, Díaz a répliqué cette tactique pour les élections européennes, en choisissant la discrète directrice du conseil espagnol pour les réfugiés comme candidate au lieu d’Irene Montero de Podemos, l’ancienne ministre de l’Égalité et l’une des personnalités politiques les plus connues d’Espagne. Elle a également approfondi son désaccord avec Izquierda Unida qu’elle a placé en quatrième position sur la liste, derrière Catalunya en Comú et Compromís, alors qu’il s’agit de la seule force de la plateforme disposant d’une structure à l’échelle nationale. En réponse, Izquierda Unida s’est retirée de toute participation au sein du nouvel exécutif de Sumar, son porte-parole déclarant notamment que la plateforme « se révèle inefficace en tant qu’espace d’unification de la gauche ». Le parti va maintenant revoir sa relation avec Sumar après les élections de juin, mais a néanmoins souligné qu’il ne contribuerait pas à « une plus grande atomisation » en présentant une liste séparée.

De nombreux écueils à surmonter

L’écrivain Daniel Bernabé déplore que Sumar, comme Podemos avant lui, se révèle incapable de surmonter un modèle d’« organisation mal définie reposant sur le charisme numérique d’un leader et sur un groupe de militants avec lesquels il établit une relation définie davantage par le marketing que par une structure organique ». En Espagne, au cours de la dernière décennie, une série de projets de gauche, diversifiés sur le plan interne aux niveaux local, régional et national, ont connu un premier essor électoral. Pourtant, opérant dans un vide organisationnel, nombre d’entre eux se sont rapidement effondrés sous l’effet des pressions externes et des tensions internes. La trajectoire de Sumar au cours de sa première année d’existence suggère qu’elle est elle aussi tombée dans une impasse organisationnelle, confrontée aux contradictions croissantes liées à la construction d’une nouvelle plateforme politique depuis les hauteurs du pouvoir.

Après une campagne européenne houleuse, la gauche espagnole devra remettre les pendules à l’heure et revenir à la promesse initiale de Sumar, à savoir « s’unir » ou « s’additionner ». Si le bilan de Díaz en tant que ministre est assez inégalé au sein de la gauche européenne, elle n’a pas encore réussi à convaincre en tant que leader politique. Même en tenant compte du factionnalisme agressif de Podemos et des tentatives de saper son autorité, ce fut une erreur majeure de ne pas offrir publiquement à sa dirigeante Ione Belarra l’opportunité de rester ministre des Affaires sociales – une décision qui aurait pu préserver le statut rassembleur de Sumar.

Toutefois, il est également clair que Sumar doit sortir de son carcan de respectabilité, la sobriété de ses communications ne faisant que renforcer la marginalité de la plateforme sur la scène nationale. Certes, on peut comprendre que Díaz n’ait pas souhaité reproduire le type de controverses hautement conflictuelles dans lesquelles Podemos s’était précédemment engagé, notamment au sujet de l’application de la loi et de la partialité des médias. Celles-ci semblaient éloignées des préoccupations quotidiennes de la plupart des électeurs pendant la pandémie – et n’ont pas été en mesure de susciter l’engagement du public, contrairement à la récente manœuvre opportuniste de Pedro Sánchez.

Cependant, l’aversion plus générale de Sumar à s’engager dans des controverses, ainsi que son désir de maintenir son image en tant que force de gouvernement, sapent maintenant aussi la capacité de Díaz et de ses ministres à gagner du terrain sur des questions importantes ou à passer à l’offensive. Comme le note Maestre, « Díaz et Sumar doivent être capables de se différencier du PSOE de manière radicale … sinon ils n’auront plus d’avenir politique ». Avec Sánchez qui revendique le leadership de la gauche, Sumar doit se démarquer par sa différence.

[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.

LVSL dans le laboratoire des gauches espagnoles

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LVSL en voyage à Madrid

Au mois de juillet, nous nous sommes rendus en Espagne afin de rencontrer des responsables et des intellectuels des divers mouvements de la gauche espagnole. Si nous avons fait ce choix, c’est parce que l’Espagne a connu des bouleversements politiques importants depuis plusieurs années, et que ces bouleversements se sont traduits par un foisonnement intellectuel à gauche tel qu’on n’en a plus connu depuis longtemps en France. En effet, le mouvement des places, aussi appelé mouvement des indignés, ou 15-M, qui s’est déclenché en 2011 en réponse à la crise, et qui a été d’une ampleur incomparable à Nuit Debout, a rebattu les cartes de la politique espagnole. Les « vieux partis » se sont retrouvés complètement débordés, et un ensemble d’intellectuels proches du département de Sciences Politiques de l’Université Complutense de Madrid ont cherché, avec d’autres acteurs politiques, à donner une traduction électorale à ce qui s’était exprimé à travers le 15-M. De cette traduction est né Podemos, mouvement très influencé par la théorie populiste d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, qui eux-mêmes puisent beaucoup chez un auteur comme Antonio Gramsci.

Rencontre avec Iñigo Errejon, au Congreso de los diputados.

L’émergence de Podemos a eu pour effet d’affaiblir le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), et de marginaliser Izquierda Unida (IU), le front de gauche espagnol, construit autour du Parti Communiste d’Espagne. D’une certaine façon, ce qui s’est passé en France récemment, avec l’émergence de La France Insoumise – elle aussi influencée par Chantal Mouffe – comme première force électorale à gauche, ressemble à de nombreux égards à ce qui s’est produit auparavant en Espagne. Dès lors, puisque l’Espagne semble avoir été touchée par une vague qui impacte maintenant la France, il nous a semblé intéressant d’aller interroger des acteurs qui ont maintenant un peu de recul sur les changements profonds intervenus dans la politique espagnole.

Ainsi, nous avons eu la chance d’interroger : Rita Maestre, cadre de Podemos et porte-parole de la mairie de Madrid ; Iñigo Errejón, longtemps n°2 de Podemos et l’un des principaux stratèges du parti ; Jorge Moruno, sociologue et ancien responsable de l’argumentation au sein du mouvement ; Jaime Pastor, membre du courant anticapitaliste de Podemos et éditeur de la revue Viento Sur ; Jorge Verstrynge, ancien secrétaire général du principal parti de droite post-franquiste, passé ensuite à gauche puis à Podemos ; mais aussi Lucía Martín, députée catalane d’En Comú Podem  et Omar Anguita, fraichement élu dirigeant des Juventudes Socialistas Españolas.

Nous avons été frappés par la richesse intellectuelle de la vie politique espagnole, et, disons-le, un peu jaloux. Les intellectuels, et c’est probablement une affaire de culture politique et d’influence d’auteurs comme Machiavel et Gramsci, semblent beaucoup plus investis dans les partis et les mouvements politiques, de sorte qu’ils les alimentent directement en réflexion stratégique et tactique. A l’inverse, en France, on ne peut que faire le constat d’une rupture plus ou moins nette entre les intellectuels et les partis, situation préjudiciable à de nombreux égards.

Ces entretiens ont été réalisés en espagnol et traduits en français, ce qui a pris beaucoup de temps. Nous avons décidé de les organiser en série d’été, et nous les publierons à raison de deux entretiens par semaine. Nous espérons, par ce travail, alimenter la réflexion de nos lecteurs, notamment ceux qui, ne parlant pas l’espagnol, ont plus difficilement accès à la production intellectuelle et militante venue d’Espagne. C’est aussi l’occasion, pour ceux qui assimilent le populisme à la démagogie, de clarifier la nature du premier, et de comprendre pourquoi le terme connaît un tel succès aujourd’hui à gauche.

Les gauches espagnoles, état des lieux

Entre les 6 et 9 juillet derniers, le centre historique de Cadix et sa faculté de médecine accueillaient la troisième université d’été de l’Institut 25-M, le think tank rattaché à Podemos. L’édition 2017, conçue sur le thème « Communication, pouvoir et démocratie », recevait des intellectuels de renom ainsi que des acteurs de plusieurs mouvements progressistes apparus ces dernières années, à l’image de Winnie Wong, activiste américaine de la plateforme People for Bernie, ou Sophia Chikirou pour la France Insoumise. Un rendez-vous annuel tenu sous un soleil de plomb et dans une atmosphère festive, aux abords de la plage de la Caleta et de la somptueuse avenue Campo del Sur, qui longe l’Atlantique.

Ce n’est pas un hasard si l’Institut 25-M a choisi cette année d’établir son université d’été dans cette capitale provinciale du sud de l’Andalousie. La ville de Cadix, place forte du libéralisme politique où fut rédigée en 1812 la première constitution espagnole, au cœur de la guerre d’indépendance, est chargée d’histoire. Une histoire qui charrie un puissant imaginaire populaire entretenu par la mémoire de Fermín Salvochea, célèbre maire anarchiste qui gouverna la ville sous la Première République. Aujourd’hui, elle est l’une des municipalités espagnoles les plus frappées par le chômage, l’explosion des inégalités et la hausse dramatique de l’exclusion sociale. Mais surtout, après avoir été dirigée pendant vingt ans par la droite, Cadix est aujourd’hui gouvernée par la déclinaison locale de Podemos, Por Cádiz Sí Se Puede. Le maire actuel, José María Gónzalez, plus connu sous le surnom de « Kichi », est un activiste chevronné de la « Marea Verde », une plateforme citoyenne de défense de l’éducation publique née en 2011 pour lutter contre les coupes budgétaires. Il est avec l’eurodéputé Miguel Urbán et la députée d’Andalousie Teresa Rodríguez l’une des principales figures des Anticapitalistes, qui forment le troisième courant de Podemos, aux côtés des « pablistes » et des « errejonistes ».

Cadix est l’une de ces « mairies du changement », au même titre que Madrid, Barcelone, Saragosse, La Corogne ou Saint Jacques de Compostelle, véritables vitrines du succès remporté par Podemos et ses alliés aux dernières élections municipales de mai 2015. Ces municipalités « rebelles » sont aujourd’hui un précieux atout pour une formation politique qui a toujours affiché d’audacieuses ambitions : « Podemos n’est pas né pour jouer un rôle de témoin, nous sommes nés pour aller chercher toutes les victoires », déclarait déjà Pablo Iglesias au soir des élections européennes du 25 mai 2014.

Podemos et l’après Vistalegre II

Les mairies conquises en 2015 constituent les principaux points d’appui d’une stratégie de conquête du pouvoir. La politique municipale donne l’opportunité à Podemos de démontrer sa capacité à gouverner les principales villes du pays sans que celles-ci ne sombrent dans le chaos. Mieux, elle doit permettre au parti de gagner en crédibilité, d’anticiper « l’Espagne qui vient » et d’obtenir la confiance des citoyens dans l’existence d’un projet alternatif au désordre provoqué par le Parti Populaire, la « mafia » qui dirige le pays. C’est le point sur lequel insiste Iñigo Errejón, accueilli telle une rock-star à son entrée dans l’amphithéâtre de la faculté de médecine à Cadix. L’ancien secrétaire politique du parti était quelque peu en retrait de la scène médiatique depuis sa défaite au congrès de Vistalegre II, en février dernier. Mais malgré son éviction de la fonction de porte-parole du groupe parlementaire, désormais attribuée à Irene Montero, Errejón reste indubitablement l’une des voix qui portent parmi les gauches espagnoles. Il définit lui-même sa présence à l’université d’été comme un « resserrement des rangs » en vue de donner une nouvelle impulsion à Podemos, au sortir d’une année particulièrement tumultueuse.

En septembre 2016, les élections régionales en Galice et au Pays Basque ont marqué le dernier jalon d’une longue course d’endurance électorale, dont les élections générales du 20 décembre 2015 et du 26 juin 2016 ont été les points d’orgue. En deux ans et quelques mois d’existence, Podemos a donc dû mener de front de multiples campagnes et participer à pas moins de sept échéances électorales d’ampleur. Malgré la violence des critiques et l’obstination de ses détracteurs à le dépeindre comme une bulle éphémère, le parti est parvenu à s’installer dans un paysage politique qu’il a grandement contribué à bouleverser. L’essor de Podemos, et dans une moindre mesure l’émergence de la formation de centre-droit Ciudadanos, ont rudement affaibli le bipartisme PP-PSOE, qui représentait jusqu’alors un pilier réputé inébranlable du régime politique issu de la constitution postfranquiste de 1978.

Seulement, à l’automne 2016, l’intensité du cycle de mobilisation électorale a laissé place à l’apparition de nombreux débats internes, amplement documentés par LVSL. Les désaccords larvés et les luttes intestines ont éclaté au grand jour médiatique et ont renvoyé l’image peu reluisante d’un parti empêtré dans des querelles politiciennes pourtant caractéristiques de la « vieille politique », tant fustigée par les leaders de Podemos. Le duel prétendument « fratricide » entre Pablo Iglesias et son bras droit Iñigo Errejón a focalisé l’attention, au détriment des réels débats de fond concernant l’orientation de la stratégie populiste. Cette phase de vives tensions s’est soldée le 12 février 2017 par la nette victoire de Pablo Iglesias sur ses rivaux errejonistes et anticapitalistes, et a permis au secrétaire général de Podemos de renforcer son leadership et celui de son équipe.

Depuis, Podemos tente tant bien que mal de reprendre l’initiative et de renouer avec ce qui a constitué sa marque de fabrique ces deux dernières années : la maîtrise de l’agenda politique. Face à un Parti Populaire toujours plus embarrassé par les affaires de corruption et un PSOE aux abonnés absents depuis son soutien indirect à l’investiture de Mariano Rajoy, Pablo Iglesias s’est évertué à endosser le costume de l’opposant le plus ferme au gouvernement. Au concept de « caste », constamment employé dans les premiers mois de Podemos pour dénoncer une élite politique déconnectée de « ceux d’en bas », Pablo Iglesias a désormais substitué la notion de « trame », qui désigne de manière plus diffuse les interconnexions néfastes entre le monde des affaires et le pouvoir politique. Cette mue sémantique s’est traduite par le lancement en avril 2017 du « Tramabus », un autocar destiné à parcourir le pays pour dénoncer les méfaits de la corruption, affichant les visages des politiciens impliqués dans des scandales financiers. L’initiative, qui mêle dénonciation et dérision, n’a pas eu l’effet escompté. Parfois moquée sur les réseaux sociaux, elle est aussi critiquée en privé par le courant errejoniste.

En juin dernier, la présentation d’une motion de censure au Congrès des députés contre le gouvernement de Mariano Rajoy a cette fois-ci permis a Podemos de se hisser au rang d’opposition de premier plan. Irene Montero s’y est notamment illustrée en énumérant un à un les scandales de corruption qui affectent le Parti populaire. Pablo Iglesias a quant à lui pris soin d’apparaître comme un homme d’Etat à la stature présidentielle, à travers un discours axé sur l’histoire politique et sociale de l’Espagne et des propositions concrètes en matière de lutte contre la corruption ou de réforme fiscale. La motion de censure a malgré tout échoué, l’abstention des députés socialistes ne suffisait pas à recueillir la majorité nécessaire pour destituer Mariano Rajoy.

Podemos fixe désormais le cap sur les élections régionales de 2019, qui doivent être l’occasion de mettre le parti en ordre de bataille en vue des prochaines élections générales, en 2020. Pablo Iglesias a d’ores et déjà constitué autour de lui une équipe resserrée, dénommée « Rumbo 2020 », une sorte de shadow cabinet destiné à donner à la formation davantage de crédit en tant que force de gouvernement alternative. La conquête des communautés autonomes en 2019 est envisagée par les cadres de Podemos comme un moyen de faire bloc contre les politiques d’austérité impulsées par l’Etat central et de prouver, de la même manière que depuis les « mairies du changement », qu’il est possible de gouverner autrement. Les projecteurs devraient être tournés vers la Communauté de Madrid, où Iñigo Errejón est pressenti pour affronter l’actuelle présidente de la région, Cristina Cifuentes, figure du Parti Populaire aujourd’hui pointée du doigt par la Guardia Civil dans un énième scandale de corruption. Le 25 juillet, dans une tribune conjointe, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón déclaraient ainsi que « Madrid préfigure aujourd’hui de fait la confrontation entre deux projets de pays, celui du PP et le nôtre ». Si Podemos souhaite faire des prochains scrutins électoraux un duel sans merci avec la « mafia » du Parti Populaire, un possible retour en grâce du PSOE pourrait venir contrarier ce scénario idéal et bouleverser la donne politique espagnole.

Vers un rapprochement Podemos-PSOE ?

Le 21 mai dernier, Pedro Sánchez remportait la primaire du PSOE, devant la présidente du gouvernement régional d’Andalousie, Susana Díaz. Cette dernière bénéficiait de l’appui sans faille des barons du parti hostiles à toute alliance avec Podemos, au premier rang desquels l’ancien président du gouvernement Felipe González. Ce résultat représente donc une lourde défaite pour l’appareil socialiste et un triomphe personnel pour Pedro Sánchez, candidat malheureux à la présidence du gouvernement lors des deux dernières élections générales. En octobre 2016, désavoué par un comité fédéral dominé par l’aile droite du parti, Pedro Sánchez démissionnait de son poste de secrétaire général. Quelques jours plus tard, la direction du PSOE par intérim enjoignait aux députés socialistes de s’abstenir lors du vote d’investiture de Mariano Rajoy, ce qui a ainsi permis au Parti Populaire de rempiler pour 4 ans au gouvernement. En désaccord avec cette décision, Sánchez renonçait à grand bruit à son siège de député, plaidait pour un PSOE fermement opposé à Mariano Rajoy et respectueux de ses engagements vis-à-vis des militants. Il laissait déjà entrevoir son probable retour en force en annonçant vouloir « prendre sa voiture pour parcourir de nouveau tous les recoins de l’Espagne ».

Sa stratégie de reconquête du parti par la base militante a porté ses fruits. Celui qui déclarait dans une interview remarquée avoir subi des pressions des pouvoirs économiques et médiatiques pour ne pas s’allier à Podemos retrouve donc le poste de secrétaire général qu’il avait déjà occupé de 2014 à 2016. Le 21 mai au soir, devant le siège du PSOE à Madrid, les militants entonnaient l’Internationale. Depuis, Pedro Sánchez réaffirme ostensiblement l’ancrage à gauche d’un PSOE bien décidé à faire oublier les errements des derniers mois. Une victoire de Susana Díaz aurait permis à Pablo Iglesias de se positionner en unique recours à la « triple alliance PP-PSOE-Ciudadanos », mais la victoire de Sánchez inaugure une configuration bien différente.

Depuis les résultats de la primaire socialiste, les relations entre Podemos et le PSOE se sont nettement détendues. En témoigne la cordialité des échanges lors des débats sur la motion de censure entre Pablo Iglesias et José Luis Abalos, nouveau porte-parole du groupe socialiste et proche de Pedro Sánchez. Le temps où Iglesias attaquait rudement le PSOE, reprochant à l’ancien président Felipe González son passé « entaché de chaux vive », en référence aux exactions commises dans les années 1980 par les groupes antiterroristes de libération (GAL) dans leur lutte contre ETA, semble bien révolu.

En juillet, le PSOE et Podemos ont formé une équipe de travail parlementaire afin de coordonner leur opposition au PP et de fixer un agenda social en commun : lutte contre la précarité, le chômage des jeunes et le mal-logement, hausse du salaire minimum, revalorisation des pensions de retraite, etc.  Selon les députés de Podemos, la création de cette équipe de travail préfigure un futur gouvernement alternatif à celui du Parti Populaire. Ils encouragent d’ailleurs le PSOE à déposer à son tour une motion de censure pour destituer Mariano Rajoy et ouvrir la voie à une coalition des forces progressistes.  L’idée d’un « scénario à la portugaise » semble avoir fait son chemin : au Portugal, les socialistes gouvernent avec l’appui parlementaire du Parti Communiste Portugais et du Bloco de Esquerda. En Espagne, les rapports de force entre gauche radicale et socialistes sont plus équilibrés que chez le voisin portugais, ce qui conduit Pablo Iglesias à envisager une possible coalition au sein de laquelle PSOE et Podemos seraient sur un pied d’égalité.

Du côté du PSOE, on préfère minimiser la portée de cette coopération parlementaire et freiner les ardeurs de Podemos. Les socialistes écartent l’éventualité d’une motion de censure dans l’immédiat, et s’évertuent à rappeler que Pablo Iglesias a déjà eu l’opportunité d’éjecter Mariano Rajoy : en mars 2016, lorsque les députés de Podemos ont rejeté l’investiture de Pedro Sánchez… alors allié avec la droite libérale de Ciudadanos.  Le PSOE temporise et observe d’un bon œil les dernières enquêtes électorales : le baromètre du Centre de recherches sociologiques du mois de juillet indique une forte progression des intentions de vote en faveur du parti depuis la victoire de Pedro Sánchez. Pour la première fois, le bloc des gauches (PSOE + Unidos Podemos) surpasse le bloc des droites (PP + Ciudadanos), comme l’a souligné le secrétaire à l’organisation de Podemos, Pablo Echenique. Néanmoins, l’enquête suggère également une évolution des rapports de force internes au bloc des gauches : la perspective du « sorpasso » semble s’éloigner pour Pablo Iglesias, ce qui ne peut qu’inciter le PSOE à temporiser davantage afin de reconquérir les franges de l’électorat socialiste récupérées ces dernières années par Podemos.

Au-delà de ces différences de rythmes et de stratégies politiques, le dialogue entre les deux formations achoppe également sur la question de l’organisation territoriale et de la Catalogne. Sous l’impulsion de Pedro Sánchez et au grand désarroi des barons du parti, les positions du PSOE évoluent aujourd’hui vers la reconnaissance de la « plurinationalité » de l’Espagne, un concept habituellement employé par les dirigeants de Podemos. Néanmoins, les socialistes restent fermement opposés à la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Ce n’est pas le cas de Podemos, qui défend l’idée d’une « patrie plurinationale » ainsi que le droit à l’autodétermination du peuple catalan. L’annonce par la Generalitat [gouvernement régional catalan] de l’organisation d’un nouveau référendum unilatéral le 1er octobre 2017 devrait de nouveau placer la crise territoriale espagnole sur le devant de la scène politique et médiatique.

Malgré ces divergences notables, le rapprochement entre Podemos et le PSOE s’est matérialisé ces derniers jours par la signature d’un accord de gouvernement entre les deux partis dans la communauté autonome de Castille-La Manche. A la mi-juillet, le président socialiste de la communauté, Emiliano García-Page, a offert à Podemos d’entrer au gouvernement afin de « garantir la stabilité de la région », dans un contexte de débats inextricables autour du budget. Les militants de Podemos dans la région se sont prononcés à près de 78% en faveur d’un accord de gouvernement. Pour la première fois, les deux partis gouverneront donc ensemble, dans une région comptant plus de deux millions d’habitants, qui sera désormais scrutée comme le laboratoire de la coopération entre les deux principales forces de gauche espagnoles.

Ce rapprochement avec le PSOE ne fait pas l’unanimité parmi Podemos et ses alliés. L’accord de gouvernement en Castille-La Manche a donné lieu à d’âpres débats dans la sphère militante et suscité l’opposition résolue du courant anticapitaliste. Les anticapitalistes, par la voix de Teresa Rodríguez et de Miguel Urbán, ont fait entendre leur désaccord vis-à-vis de ce qu’ils perçoivent comme le prélude à une « subalternisation » de Podemos vis-à-vis du PSOE. Cette critique fait d’autant plus sens que les membres du courant anticapitaliste avaient déjà fait scission avec Izquierda Unida en 2008, qu’ils accusaient d’être devenue le supplétif des socialistes.

Izquierda Unida, désormais alliée à Podemos au sein de la coalition Unidos Podemos, ne ménage pas non plus ses critiques à l’égard du parti de Pablo Iglesias. Dans un rapport interne de juin 2017, le coordinateur fédéral d’IU Alberto Garzón exprime sa méfiance à l’égard du supposé virage à gauche du PSOE, et insiste sur la nécessité d’« organiser politiquement les classes populaires ». Pour Garzón, à la tête d’une formation politique qui a vu la majorité de ses électeurs de 2011 se tourner vers Podemos en 2015, Izquierda Unida doit davantage se démarquer de son allié, en réinvestissant notamment l’arène des mouvements sociaux.

L’intensité des débats internes et des discussions stratégiques est l’une des caractéristiques premières de Podemos, un parti politique qui regroupe en son sein des militants de cultures politiques diverses. Les désaccords manifestés à l’égard du réchauffement des relations avec le PSOE sont en réalité révélateurs d’une tension constitutive de Podemos, parfaitement mise en lumière et théorisée par le politiste Javier Franzé : la tension entre régénération et contestation. Au cours de sa première année d’existence, Podemos affirmait ouvertement sa volonté de rompre avec le régime de 1978 et ses deux grands partis, le PP et le PSOE, agglomérés sous les expressions de « PPSOE » et de « caste ». Désormais, la priorité semble aller à la destitution du Parti Populaire et du « bloc de la restauration » qui a séquestré et dénaturé les institutions. Des institutions qu’il ne s’agit plus tant de contester en elles-mêmes que de débarrasser de ses éléments perturbateurs afin de les « rendre aux gens ». De l’évolution de cette tension propre à Podemos et des choix stratégiques de Pedro Sánchez dépendra l’avenir politique de l’Espagne et d’une Europe du sud encore marquée par les espoirs déçus d’Alexis Tsipras en Grèce.

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Podemos : la fin de « l’hypothèse populiste » ?

[Long format] La mise à l’écart d’Íñigo Errejón par Pablo Iglesias suite au dernier congrès de Podemos signe-t-elle la fin de « l’hypothèse populiste » originelle du parti ? Ce changement d’équipe annonce-t-il ce que nombre de commentateurs ont désigné comme un « virage à gauche » dans la stratégie discursive et politique de Podemos ? Nous publions ici un article écrit sur la base d’entretiens effectués avec des acteurs et des sympathisants du mouvement ; un article dont le format long permet de comprendre en profondeur les changements à l’oeuvre au sein de Podemos et les dissensions théoriques qui le déchirent mais qui se veut également être un parti pris face à l’actuelle ligne suivie par le parti et émet des doutes concernant les récents choix pris par Pablo Iglesias.

« Podemos choisit la radicalité ». C’est par ces mots que le quotidien espagnol El País a résumé les résultats du deuxième congrès de Podemos qui se tenait les 11 et 12 février derniers à Madrid, au Palacio Vistalegre1. Il y a encore quelques mois, il semblait clair que le parti politique Podemos était né avec l’ambition de créer un populisme. Populisme que ses fondateurs définissaient comme une logique politique refusant l‘axe droite-gauche, privilégiant la transversalité et abandonnant les vieux symboles de la gauche critique traditionnelle pour réussir à construire une nouvelle majorité sociale2. Cependant, depuis quelques semaines la presse, espagnole comme internationale, souligne la victoire de Pablo Iglesias et de sa « gauche de combat »3. Que s’est-il réellement joué lors de ce congrès? La victoire de la liste de Pablo Iglesias a-t-elle marqué la fin de « l’hypothèse populiste » initiale de Podemos?

Lorsqu’ils ont créé le parti, en janvier 2014, ses fondateurs ont voulu donner un nouveau souffle à la gauche espagnole en s’appuyant sur une hypothèse populiste. Une hypothèse car ils ont construit le raisonnement les menant à leur stratégie politique à partir d’une intuition : adopter une démarche populiste était le seul moyen pour une réelle force de gauche d’arriver au pouvoir en Espagne. Depuis sa création, l’hypothèse Podemos a dû muter, se transformer et réussir à allier ses identités plurielles (les différents courants qui coexistent au sein du parti). En octobre 2014, lors du premier congrès du parti, connu sous le nom de « Vistalegre I », les membres de Podemos avaient massivement voté en faveur de la liste défendant cette stratégie populiste initiale et avaient ainsi donné leur légitimité à la construction d’une machine de guerre électorale dans l’optique de remporter les élections générales de décembre 2015. Le deuxième congrès du parti réunissait pour la seconde fois, depuis sa création, les membres de Podemos pour décider du futur du parti.

Plutôt qu’un véritable congrès au cours duquel auraient dû être débattus les principaux défis auxquels Podemos est aujourd’hui confronté – stratégiques et organisationnels – le rassemblement s’est transformé en une arène de boxe dans laquelle s’est finalement jouée une lutte de pouvoir entre les deux principaux courants du parti, le courant « pabliste » contre le courant « errejóniste » ; représentés respectivement par la liste soutenue par le secrétaire général du parti, Pablo Iglesias et celle de l’ancien secrétaire politique, Íñigo Errejón. Le choix d’adopter, lors de ce congrès, une logique plébiscitaire, où se sont enchaînés de simples meetings politiques déguisés, n’a pas laissé de place aux débats de fond.

En plus de la déception de voir, de fait, ce congrès se transformer en un simple spectacle politique – pour lequel 9000 personnes se sont déplacées – les résultats qui en sont sortis signent, pour certains militants interrogés, la fin du Podemos originel. La victoire de la liste de Pablo Iglesias, majoritairement constituée d’anciens d’Izquierda Unida (IU), une coalition de gauche critique formée en 1986, représente pour une partie des membres du parti un revirement dans la logique podemiste, le retour d’une « vieille » gauche usée par ses symboles. Suite à ce congrès, Íñigo Errejón – « numéro deux » de Podemos jusqu’à peu – longtemps considéré comme le « cerveau » du parti et le stratège de Podemos, défenseur de l’importance de la transversalité et de la nécessité d’occuper la centralité de l’échiquier politique, a perdu ses postes de secrétaire politique et de porte-parole du groupe Unidos Podemos au Parlement, remplacé pour ce dernier par Irene Montero, ancienne cheffe de cabinet de Pablo Iglesias et figure « pabliste » de plus en plus mise en avant dans le parti.

Sur quels enjeux et questions les deux courants s’opposent-ils ? Ces différences ne correspondent-elles pas à de simples et classiques enjeux de pouvoir propres aux logiques partisanes ?

I. Bref retour sur les divisions entre « pablistes » et « errejónistes » : la question des alliances.

En octobre 2014, à l’occasion du premier congrès de Podemos, les commentateurs se sont employés à désigner deux courants coexistants au sein du parti, qui présentaient deux projets distincts : l’équipe des Anticapitalistes, supposément plus portée à gauche et l’équipe de Pablo Iglesias, plus populiste et « pragmatique ». La réalité est plus complexe et au sein même du pôle entourant Pablo Iglesias, cette tension entre deux âmes était déjà perceptible. Ainsi, on peut depuis longtemps dessiner autour de Pablo Iglesias deux courants. Un premier, notamment autour d’Irene Montero et Rafael Mayoral, héritiers d’une forte tradition de gauche, ayant longuement milité au Parti communiste d’Espagne, qui se révèle favorable à une union globale de la gauche, s’inspirant d’exemples étrangers : Le Front de gauche français, le Bloco de Esquerda portugais ou encore Syriza en Grèce. Face à eux, se trouve le secteur plus populiste, qui défend avant tout la transversalité et qui s’est structuré autour de la figure d’Íñigo Errejón et s’est ainsi vu qualifié de courant « errejóniste ».

Ces divisions ont longtemps été étouffées par la cohésion existant derrière la personne de Pablo Iglesias, ce dernier faisant figure de synthèse entre ces courants. En décembre 2015, Podemos obtient 20,7% des voix aux élections générales, seulement 300 000 voix de moins que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), l’homologue espagnol du PS. Ces résultats mènent à une situation inédite en Espagne : l’incapacité des différentes forces politiques à former un gouvernement. À l’aube des élections provoquées en juin 2016, face à l’absence de majorité au Congrès, se pose la question d’une possible alliance avec la gauche critique traditionnelle, Izquierda Unida. Ces débats viennent élargir les plaies ouvertes entre les deux courants et briser l’apparent consensus autour de Pablo Iglesias.

Ces distances politiques vont d’abord surgir après les élections de décembre où Podemos, fort d’un succès électoral et d’une entrée massive au Parlement, se voit néanmoins dans l’obligation de former des alliances avec le PSOE et d’autres partis pour construire une majorité alternative à Mariano Rajoy, candidat du parti conservateur de droite, le Parti populaire (PP). Pablo Iglesias choisit d’entamer les négociations de manière jugée abrupte par certains, proposant de soutenir le candidat socialiste à la présidence du gouvernement en se proposant comme vice-président du gouvernement et en demandant une répartition proportionnelle des ministères entre les formations. Le PSOE refuse et propose une alliance avec le parti centriste Ciudadanos, que Podemos rejette. S’il est difficile de connaître les réalités de ces négociations, le récit porté sur celles-ci constitue un des premiers enjeux entre les deux groupes. Ainsi on verra, dans les affrontements les plus récents, les « pablistes » accuser les « errejónistes » d’avoir voulu gouverner avec le PSOE coûte que coûte, quand ceux-ci s’en défendent mais estiment que les négociations menées par Pablo Iglesias ont participé à ancrer Podemos dans une certaine radicalité. À ce titre, Ángela Rodríguez, députée Podemos galicienne, nous confie à l’été 2016 : « Je pense que ne pas avoir réussi à se débarrasser de Rajoy nous a beaucoup coûté, que les Espagnols n’ont pas compris cette décision, n’ont pas compris pourquoi nous n’avons pas voulu gouverner avec le PSOE »4.

Izquierda-Unida-Garzon

Íñigo Errejón, Pablo Iglesias et Alberto Garzón (leader d’Izquierda Unida). Crédit photo : EFE (www.elespanol.com)

Entre décembre 2015 et juin 2016, les alliances internes commencent à se recomposer, le secrétaire à l’organisation Sergio Pascual, étiqueté « errejóniste », est démis de ses fonctions par Pablo Iglesias auquel il substitue Pablo Echenique, son ancien opposant lors du premier congrès. Cette mutation dans l’organisation facilitera un accord avec Izquierda Unida en vue des élections de juin 2016. Est notable sur cette période la restructuration des « camps » et l’étiquetage de ces camps comme un enjeu – enjeu d’identification, permettant l’inclusion ou l’exclusion par les acteurs politiques eux-mêmes dans l’un des deux camps. Dans un article récent, Luis Alegre, longtemps fidèle d’Iglesias et membre fondateur du parti critiquera d’ailleurs cette logique: « La stratégie qu’ils ont suivi est aussi simple qu’efficace : en premier lieu, accuser “d’errejóniste” n’importe quelle personne qui ne fait pas partie de son cercle fermé de confiance [de Pablo Iglesias], en deuxième lieu, défendre le fait que tous les Errejónistes doivent être en dehors de Podemos » 5.

Comment expliquer les choix pris par Pablo Iglesias? Alberto Amo, co-auteur de Podemos, la politique en mouvement et membre du Cercle Podemos Paris, explique que le contexte politique ayant changé depuis la création de Podemos, l’hypothèse populiste devait à nouveau muter et un rapprochement avec Izquierda Unida paraissait alors être une décision raisonnée en raison de ces récentes transformations : « Le résultat de ces élections [les élections de décembre 2015] a montré que Podemos avait un soutien électoral presque identique à celui du PSOE. À ce moment-là, Podemos a pu commencer à disputer à ce parti l’hégémonie de la gauche en Espagne, ce que des dirigeants comme Pablo Iglesias ont commencé à faire dès le lendemain des élections de décembre 2015 »6.

Julio Anguita

Pablo Iglesias et Julio Anguita (secrétaire général du PCE de 1988 à 1998). Crédit photo : Jairo Vargas (www.publico.es)

« Podemos a pu commencer à disputer l’hégémonie de la gauche en Espagne, ce que des dirigeants comme Pablo Iglesias ont commencé à faire dès le lendemain des élections de décembre 2015 »

Entre les deux élections et la constitution de ces deux courants, les militants et les électeurs commencent eux-mêmes à se positionner. Les enquêtés inscrits dans cette « logique de gauche », plus ancrée dans les identités politiques traditionnelles (des anciens d’IU, des militants de longue date souvent originaires de familles politisées), se révèlent, en mai 2016, enthousiastes à l’idée de voir enfin « toute la gauche » réunie pour la première fois en Espagne. Dans une conversation informelle précédant un entretien, l’un des enquêtés raconte l’émotion qu’il a ressenti en voyant les larmes de Pablo Iglesias le 13 mai 2016 qui rencontrait, lors d’un meeting de pré-campagne, Julio Anguita, secrétaire général du Parti communiste d’Espagne de 1988 à 1998, considéré comme une figure incontournable de la gauche critique7. Deux semaines avant cette rencontre, Pablo Iglesias rappelait, via Facebook, son engagement de toujours avec IU : « Ma “première” campagne était en 86, avec mon père candidat IU pour Soria. Félicitations avec tout mon respect #30AnsAvecIU »8. Au contraire, Iago, militant Podemos de 18 ans, étudiant en science politique, interrogé quelques jours avant l’annonce de l’alliance mise en place avec IU, se désole d’une telle possibilité et explique que cette alliance pourrait casser la stratégie de transversalité de Podemos, en remettant le vieil axe droite-gauche au cœur des discours et en s’éloignant ainsi de ce qui a constitué la base théorique de la création de Podemos9.

II. Des différences théoriques et pratiques : « unir ceux qui pensent la même chose » ou « construire un peuple » ?

L’origine de la scission entre ces deux courants se trouve donc dans des questions principalement stratégiques : l’alliance avec IU et la question de pacte avec le PSOE. Le débat peut facilement tourner à la caricature : d’un côté, nous aurions un courant « radical », la « pureté idéologique », le retour aux rues, la lutte sociale; de l’autre, un courant « modéré » et réformiste. Cette caricature entre supposées radicalité « pabliste » et modération « errejóniste » est reprise par nombre de médias. Pourtant, dans la logique « errejóniste », la radicalité d’un projet ne se mesure pas au ton adopté dans les discours mais dans la transformation du réel. Pablo Bustinduy, député Podemos et chargé des relations internationales du parti, expliquait ainsi lors d’un entretien réalisé par Mediapart : « Dans l’hypothèse Podemos, depuis le départ, figure un élément fondamental : les idées se mesurent dans la réalité. Tenir un discours très radical, mais sans effet pour changer le réel, cela ne me paraît pas radical. C’est une radicalité avec laquelle cohabitent très bien les pouvoirs établis. Elle ne suppose aucune menace ».

Mais quelles sont réellement les différences théoriques qui séparent ces deux courants?

« Tenir un discours très radical, mais sans effet pour changer le réel, cela ne me paraît pas radical. C’est une radicalité avec laquelle cohabitent très bien les pouvoirs établis »

Des différences d’analyse : intérêts matériels contre performativité du discours?

En juin 2015, dans son article « Les faiblesses de l’hypothèse populiste et la construction d’un peuple en marche », Juan-Carlos Monedero, co-fondateur du parti et ancien secrétaire d’organisation, reproche à l’hypothèse « errejóniste » du populisme l’accent trop important porté sur la performativité du discours au détriment de l’analyse des conditions matérielles et reproche de fait à Podemos (dont la logique « errejóniste » est alors encore dominante au sein du parti) d’avoir délaissé les questions liées au travail et à la classe ouvrière, pourtant nécessaires pour récupérer une « unité populaire ». Pour Monedero, si la stratégie discursive défendue par Errejón est bel et bien nécessaire dans un premier temps, elle n’est qu’une phase. Il écrit ainsi : « baser la politique sur des théories éloignées du réel vide les contextes, construit des sectes de croyance qui ne prient que leurs commandants, comme des armées de soldats qui ne voient plus ou ne sentent plus rien mais évaluent seulement si tu as “compris ou non leurs théories et si, du coup, tu es “des nôtres. Et toutes les luttes qu’anticipaient notre rage disparaissent »10.

Vistalegre II

Juan-Carlos Monedero, Pablo Iglesias et Íñigo Errejón (Vistalegre I). Crédit photo : http://www.elconfidencialdigital.com.

Pourtant, la logique populiste, post-marxiste et post-essentialiste, qui est associée à Errejón, ne contredit pas l’existence « d’intérêts concrets » mais assure que « ces nécessités n’ont jamais de reflet direct et “naturel en politique »11. Errejón, s’appuyant sur les écrits d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, explique que la logique populiste qu’il défend ne considère pas le peuple comme une classe sociale mais comme un sujet qu’il s’agit de construire à travers le discours. Le discours est donc primordial puisqu’il ne commente pas la réalité : il crée lui-même la réalité et agit directement sur le réel. La politique est ainsi conçue comme un différend sur le sens des mots car, pour Errejón, « les mots sont des collines dans le champ de bataille de la politique » et « qui les domine a gagné la moitié de la guerre »12. Le terme de « discours » ne se réfère pas seulement au langage « mais aussi à l’ensemble des pratiques sociales qui donnent sens à notre monde dans un processus intrinsèquement ouvert et conflictuel »13. Pour être en mesure de conquérir le pouvoir, il ne s’agit pas de se constituer comme un simple sujet d’opposition, rejetant radicalement le sens commun de l’époque mais au contraire de se nourrir de ce dernier: de ce qui va de soi, des habitudes, des signifiants qui le composent, pour créer une nouvelle identité politique à laquelle une majorité puisse s’identifier. Autrement dit, ne pas s’enfermer dans des identités collectives de gauche critique qui se « socialisent dans la défaite »14.

Conflits autour du « sujet politique » à construire : à qui s’adresse-t-on?

Ce conflit théorique se matérialise notamment lorsqu’il s’agit de définir le sujet politique du changement (comprendre quel électorat viser). Le courant de Pablo Iglesias, auquel Monedero est associé, adopte dans ses discours un ton plus offensif. Ses interventions, se terminant par exemple toujours le poing levé, sont clairement associées dans l’imaginaire collectif à des discours de la gauche historique. Iglesias expliquait par exemple regretter son choix de s’être « déguisé » en « leader tranquille » pour la campagne de juin 201615. Pour les « errejónistes », ce type de discours, privilégiant l’offensivité, s’adresse à un électorat de gauche déjà acquis par Podemos. Il est contre-productif dans la mesure où il enferme le parti dans une identité contestataire et agressive prenant ainsi le risque d’effrayer une partie de l’électorat qui pourrait largement être séduit par le programme de Podemos mais ne votera pas pour le parti en raison du ton adopté.

Ce conflit théorique se matérialise notamment lorsqu’il s’agit de définir le sujet politique du changement. Les interventions de Pablo Iglesias sont clairement associées dans l’imaginaire collectif à des discours de la gauche historique. Le courant d’Íñigo Errejón préconise, au contraire, l’adoption d’un discours s’adressant au peuple dans son ensemble.

Au contraire, le courant « errejóniste » préconise l’adoption d’un discours s’adressant au peuple dans son ensemble (peuple qu’il s’agit justement de construire à travers ce discours). Jorge Lago, membre du Conseil citoyen de Podemos, nous expliquait ainsi lors d’un entretien effectué en avril 2016, à la Morada, siège social et culturel de Podemos: « Je suis de gauche au sens idéologique, c’est-à-dire ne pas croire au capitalisme, croire à l’égalité, ne pas croire en la propriété, ni à l’individualisme. Si on définit la gauche de cette façon, je suis de gauche. Le problème c’est que ce qui compte ce n’est pas ce que dit la science politique parce que la population ne lit habituellement pas la science politique. Ce qui compte, c’est comment tu réussis à faire en sorte que les gens croient à un projet politique et, à mon avis, ce n’est pas la peine d’utiliser ces mots clés de “gauche” et “droite”, ni de garder son identité de gauche »16.

Entre les élections générales de décembre 2015, auxquelles Podemos s’était présenté seul et celles de juin 2016, auxquelles Podemos et IU se sont présentés conjointement au sein de la coalition Unidos Podemos, le parti a perdu 1,1 million de voix. Les enquêtes post-électorales ont montré que les électeurs qui se considéraient plus modérés politiquement n’avaient pas accordé leurs votes à Podemos une deuxième fois. Les données du CIS (Centre de recherches sociologiques) montrent ainsi que Podemos a perdu des voix de la part de l’électorat qui se considère, sur un axe droite-gauche allant de 1 (le plus à gauche) à 10 (le plus à droite), proche de 4 mais qui considère que Podemos est plus radical, le positionnant environ à 2,5. Au contraire, les électeurs ayant voté à nouveau pour Podemos se considèrent plus à gauche (2,5) et place Podemos sur le même point de l’axe17.

Íñigo Errejón

Íñigo Errejón. Crédit photo : www.elconfidencialdigital.com.

En voulant séduire des électeurs plus « modérés » – ou plutôt en se tournant vers la centralité de l’échiquier politique – le courant « errejóniste » s’est attiré les critiques du courant « pabliste » qui considérait qu’Íñigo Errejón voulait transformer Podemos en un « PSOE 2.0 ». À ces critiques, Errejón répond de la manière suivante : « Je recommande aux personnes remplies de phraséologie révolutionnaire d’étudier tous les processus qui ont rendu une révolution victorieuse […] Ce ne sont pas des discours qui en appellent à une partie du peuple mais qui appelle au peuple entier […] La PAH [Plateforme des victimes du crédit hypothécaire] ne demandait pas aux gens s’ils étaient de droite ou de gauche, ils demandaient : “est-ce que ça te paraît juste qu’ils expulsent les gens de leur maison?” […] Je crois que c’est la seule ligne possible pour un Podemos capable de gagner, capable de construire une majorité ample, capable de récupérer les institutions pour les gens et cela n’est pas plus modéré, cela est beaucoup radical. Construire un peuple est beaucoup plus radical qu’unir ceux qui pensent la même chose »18.

« Construire un peuple est beaucoup plus radical qu’unir ceux qui pensent la même chose »

Dans un article paru en janvier 2017, Iolanda Mármol résume ces différences de la manière suivante : alors que les « pablistes » veulent avant tout « politiser la douleur » et « exprimer la rage du mal-être des classes les plus défavorisées », les « errejónistes » considèrent au contraire que l’espoir est la « véritable âme de Podemos », qu’il est contre-productif de « mystifier une rancoeur qui est légitime mais incapable de changer quoi que ce soit »19, mystifier cette rage condamne les organisations partisanes à la nostalgie et à une posture contestataire, les empêchant ainsi d’accéder au pouvoir et d’agir sur le réel.

III. Des logiques irréconciliables ?

Dans les faits, la plupart des électeurs et des militants, bien que se positionnant dans l’un des deux courants, reconnaissent que cette distinction entre « pablistes » et « errejónistes » est artificielle, que la caricature est facile et que les deux courants pourraient cohabiter au sein du parti (comme ce fut longtemps le cas). Pour la plupart des enquêtés ces deux logiques se complètent. Par exemple, concernant la position à adopter par Podemos qui est aujourd’hui une force d’opposition siégeant dans les institutions, les médias aiment caricaturer la chose de la sorte : Pablo Iglesias ne jurerait que par les mobilisations « de la rue », ne reconnaissant aucun pouvoir à l’opposition parlementaire, au contraire d’Íñigo Errejón qui mépriserait ces mouvements spontanés au profit du travail parlementaire, seule force capable de transformer le réel. La réalité est plus complexe et les deux logiques sont loin d’être incompatibles. Il existe bien un débat pour savoir où l’accent doit être prioritairement mis mais pour les deux leaders du parti, comme pour la plupart des enquêtés, il s’agirait d’avoir un « pied dans la rue » en s’appuyant sur les mouvements sociaux, tout en ayant un « pied dans les institutions » pour lutter contre les politiques conservatrices et néo-libérales du Parti populaire, actuellement au pouvoir.

La réalité est plus complexe et les deux logiques ne sont pas incompatibles. Pour les deux leaders du parti, il s’agirait d’avoir « un pied dans la rue » et « un pied dans les institutions ».

Les documents présentés à l’occasion de Vistalegre II par les différents courants révèlent précisément que les différences restent extrêmement modérées. Le programme, les objectifs, les prochaines étapes politiques et stratégiques coïncident : pour toutes les listes en compétition l’objectif est de redonner le pouvoir à « ceux du bas » en gagnant les élections générales en 2020 et d’avancer préalablement dans les communautés autonomes en 2019. Bien sûr, des points de divergence existent notamment sur l’analyse de l’électorat à séduire: alors que les documents de la liste d’Iglesias s’adressent aux « secteurs populaires et classes moyennes », la liste d’Errejón vise les « gens ordinaires » qu’elle oppose à la « caste privilégiée »20. Comme l’explique Julio Martínez-Cava, dans son article « La question des classes à Podemos. L’origine faussée d’un débat nécessaire », toutes les listes s’accordent in fine sur la nécessité « d’articuler les intérêts de ceux du bas” ». Il ajoute qu’un terrain d’entente aurait ainsi pu être trouvé sur le thème de la « composition du sujet du changement » si « il y avait eu les conditions d’un véritable débat et pas une simple instrumentalisation pour des primaires »21. Il pointe ainsi l’un des principaux problèmes du congrès. En transformant ce vote en plébiscite, les cadres de Podemos ont dépossédé les membres du parti du peu de voix qu’ils avaient – sans même d’ailleurs aborder sérieusement la question de l’avenir des Cercles, ces espaces citoyens créés à la naissance de Podemos, supposés gagner du pouvoir une fois la « machine de guerre » démantelée après les élections.

Dans ce contexte d’opposition, de plébiscite et d’absence de débats, permis par la structure même de l’organisation du congrès, les discours les plus récompensés en applaudissements ont été, sans surprise, les plus conformes aux marqueurs culturels du militantisme de gauche – Podemos semblant avoir consolidé un groupe d’activistes rassemblant des personnes à la fois ayant un passé militant mais aussi des nouveaux entrants en politique fédérés autour de la figure du secrétaire général. Cet enjeu d’identification au parti avait tenté d’être récupéré par le courant « errejóniste » qui a lancé, pendant la campagne, le slogan « Recuperar el morado » (« Récupérer le violet ») en référence à la couleur symbole et référent identitaire du parti. Mais le groupe militant est en majorité resté fidèle à Pablo Iglesias en lui offrant une majorité absolue au sein des organes du parti et en appuyant tous ses documents, lui offrant ainsi l’opportunité de choisir l’avenir qu’il comptait donner au parti.

Dans ce contexte d’opposition, de plébiscite et d’absence de débats, permis par la structure même de l’organisation du congrès, les discours les plus récompensés en applaudissements ont été, sans surprise, les plus conformes aux marqueurs culturels du militantisme de gauche.

Quatre semaines se sont écoulées depuis Vistalegre II et le changement d’équipe a été acté. Le nouvel exécutif « pabliste » réserve aux autres courants des postes d’influence extrêmement limités. Le plupart des intellectuels et promoteurs de la ligne initiale du parti ont été demis de leurs fonctions et Pablo Iglesias et ses équipes ont repris la main sur les secteurs stratégiques du parti. Dernièrement, Jorge Lago, jusque-là à la tête de l’Instituto 25M, « think tank » s’occupant des activités de formation du parti, a été délogé au profit d’un membre de la liste d’Iglesias. Moins visible mais plus éclairant encore, les équipes s’occupant de la ligne et du discours du parti ont été entièrement renouvelées : Jorge Moruno, fidèle d’Errejón et jusque-là responsable argumentaire et discours, considéré comme le père de la ligne transversale de Podemos, a été remplacé par Pedro Honrubia, fidèle d’Iglesias. Les équipes responsables du discours sont désormais largement composées d’anciens membres d’Izquierda Unida. Enfin, l’acte le plus marquant a été la destitution d’Iñigo Errejón de son poste de porte-parole au Congrès des députés et la proposition faite à ce dernier d’être le candidat du parti en 2019 dans la Communauté de Madrid, ce qui semble être pour les « pablistes » un moyen d’offrir à Errejón des perspectives tout en l’éloignant des enjeux nationaux.


Irene-MonteroÍñigo Errejón, Irene Montero et Pablo Iglesias
(Vistalegre 2). Crédit photo : www.irispress.es.

D’une part, les choix de Pablo Iglesias valident les camps constitués au cours de l’année (consolidés par Vistalegre II) et signent le refus de faire fonctionner le parti de manière plus démocratique et plurielle. D’autre part, ces choix ont placé la production de la ligne politique et discursive aux mains de personnes socialisées au sein d’IU, ayant prouvé par le passé maîtriser la production d’un discours de gauche classique contestataire, que certains ont par exemple employé lors de la campagne d’IU en décembre 2015 (lorsque la coalition de gauche n’avait pas encore effectué d’alliance avec Podemos) qui s’est soldée, rappelons-le, par un échec pour la formation. Ces personnes font désormais partie des cercles de pouvoir au sein de Podemos et semblent disposées à reproduire ce type de discours au sein du parti.

« La politique n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison. Vous pouvez porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau, tout ça pendant que l’ennemi se rit de vous. Parce que le peuple, les travailleurs, préfèrent l’ennemi. Ils croient à ce qu’il dit. Ils le comprennent quand il parle. Vous pouvez demander à vos enfants d’écrire ça sur votre tombe : “il a toujours eu raison – mais personne ne le sut jamais »

En choisissant d’écarter les principales figures du courant « errejóniste » des organes de direction, au lieu de respecter une représentation proportionnelle des résultats (51% pour la liste d’Iglesias, 33% pour la liste d’Errejón, 13% pour la troisième liste Anticapitaliste), Pablo Iglesias a confirmé, au nom de « l’unité » de Podemos, ne vouloir laisser aucune place à la pluralité au sein du parti. Ces choix peuvent surprendre de la part d’un Pablo Iglesias qui déclarait lui-même, il y a quelques années de ça : « La politique n’a rien à voir avec le fait d’avoir raison […] Vous pouvez porter un tee-shirt avec la faucille et le marteau. Vous pouvez même porter un très très grand drapeau puis rentrer chez vous avec le drapeau, tout ça pendant que l’ennemi se rit de vous. Parce que le peuple, les travailleurs, préfèrent l’ennemi. Ils croient à ce qu’il dit. Ils le comprennent quand il parle […] Vous pouvez demander à vos enfants d’écrire ça sur votre tombe : “il a toujours eu raison – mais personne ne le sut jamais” »22. Iglesias a su convaincre 51% des membres de Podemos sur les 155 000 militants qui ont voté. Reste maintenant à savoir si ses récents choix confirmant ce que les médias désignent comme un « virage à gauche » ou la victoire de la « ligne dure » du parti conviendront aux 5 millions d’électeurs qui ont voté pour Podemos aux dernières élections générales et permettront d’en séduire de nouveaux pour atteindre l’objectif présenté à Vistalegre II : le « Plan 2020 », c’est-à-dire : « Vaincre le PP et gouverner l’Espagne ».

Laura Chazel et Théo Saint-Jalm

À propos des auteurs : Respectivement doctorante et étudiant en master en science politique, ayant étudié à l’Université Autonoma de Madrid et de l’Université Complutense de Madrid au cours de l’année 2015-2016, nous réalisons actuellement des travaux de recherche sur Podemos. Ces travaux sont basés sur des enquêtes de terrain, sur de nombreux entretiens et sur la participation à différentes campagnes électorales – à Madrid, à Barcelone et en Galice. Si la rédaction de cet article est liée à ces activités de recherche, il s’agit également d’un parti pris face à l’actuelle ligne suivie par le parti. Les lectures faites des fondements théoriques ayant permis l’ascension de Podemos nous amènent à penser que la ligne suivie par Pablo Iglesias et l’exclusion d’Íñigo Errejón du centre du parti mettent l’organisation dans une position de faiblesse. Cette approche sur les fondements théoriques nous a conduit à mettre de côté, dans cet article, le troisième courant de Podemos (anticapitaliste). Bien qu’il fédère toujours une petite portion des bases du parti, son apport théorique très classique n’a eu, en effet, qu’une influence marginale au sein de Podemos.

Notes :

1NC, “Espagne. Podemos choisit la radicalité”, El País traduit dans Courrier International, février 2017.

2Le terme « populisme » doit être utilisé avec précaution car il renvoie à plusieurs réalités. Dans cet article, lorsque nous nous référons au « populisme » nous le comprenons dans ces termes là : ils correspondent à la définition employée par Podemos à son origine.

3NC, “Espagne : en congrès, les militants de Podemos confortent Pablo Iglesias et sa gauche de combat”, France 24, février 2017.

4Entretien avec Ángela Rodríguez, députée Unidos Podemos, Pontevedra, 15 juillet 2016.

5Alegre Luis, “¿Qué está pasando en Podemos?”, www.eldiario.es, février 2017.

6Entretien avec Alberto Amo, co-auteur de Podemos, la politique en mouvement, Paris, 22 avril 2016. En partie disponible en ligne sur le site www.plateformecommune.org, novembre 2016.

7Meeting d’Unidos Podemos, Cordoue, 13 mai 2016. Disponible disponible en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=LmQ_3WODKOU.

8Statut Facebook de Pablo Iglesias du 28 avril 2016.

9Entretien avec Iago, étudiant en science politique, militant Podemos, Madrid, 26 avril 2014.

10Monedero Juan-Carlos, “Las debilidades de la hipotesis populista y la construcción de un pueblo en marcha”, Público, mai 2016.

11Errejón Íñigo, “Podemos a mitad de camino”, www.ctxt.es, 23 avril 2016 traduit de l’espagnol au français pour le site Ballast par Pablo Castaño Tierno, Luis Dapelo, Walden Dostoievski et Alexis Gales.

12Errejón Íñigo cité dans Torreblanca José Ignacio, Asaltar los cielos, Podemos o la politíca después de la crisis, Barcelone, Debate, 2015.

13Martínez-Cava Julio, “La cuestión de clase en Podemos. El origen viciado de un necesario debate”, www.sinpermiso.info, février 2017.

14Entretien avec Jorge Lago, Conseil citoyen de Podemos, Madrid, 27 avril 2016.

15Mármol Iolanda, “Iglesias y Errejón, las diez diferencias”, www.elperiodico.com, janvier 2017.

16Entretien avec Jorge Lago, Conseil citoyen de Podemos, Madrid, 27 avril 2016.

17Centre de recherches sociologiques (Centro de Investigaciones Sociologicas) : www.cis.es.

18Vidéo posté par Íñigo Errejón sur Facebook le 16 janvier 2017.

19Mármol Iolanda, “Iglesias y Errejón, las diez diferencias”, www.elperiodico.com, janvier 2017.

20Martínez-Cava Julio, “La cuestión de clase en Podemos. El origen viciado de un necesario debate”, www.sinpermiso.info, février 2017.

21Ibid.

22Pablo Iglesias traduit par Tatania Ventôse. Disponible en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=wVj4Avs5EUY.

Crédit photo de couverture : EFE (www.ara.cat)