Le parti espagnol Vox, point de rencontre de l’extrême-droite mondiale

Santiago Abascal, leader de Vox. © Vox España

Les élections européennes organisées aujourd’hui dans les 27 Etats-membres de l’UE devraient être marquées par une forte percée de l’extrême-droite. Trois semaines avant le scrutin, une bonne partie de cette famille politique, de Marine Le Pen à Javier Milei, se réunissait à Madrid lors d’un grand rassemblement organisé sous l’égide du parti espagnol Vox. Alors que ce parti est en perte de vitesse dans le champ politique espagnol, il a réussi à structurer un vaste réseau international d’extrême-droite européen et latino-américain. Par Eoghan Gilmartin, traduction Alexandra Knez [1].

À trois semaines des élections européennes, l’extrême droite mondiale s’est réunie à Madrid dans une démonstration sans précédent de sa coordination internationale. Organisé par le parti néo-franquiste espagnol Vox, cet événement de trois jours s’est achevé par un grand meeting dont les orateurs étaient la française Marine Le Pen, le portugais André Ventura, le Président argentin Javier Milei et le ministre israélien du Likoud Amichai Chikli, ainsi que, par vidéo, la Première ministre italienne Giorgia Meloni et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.

L’événement de clôture, auquel ont assisté plus de 10.000 personnes, a été inauguré par une vidéo dénonçant les objectifs de développement des Nations unies comme une conspiration « écoféministe », tandis que des images déformées de Bill Gates et de Greta Thunberg défilaient à l’écran. Cette vidéo a été rapidement suivie par l’intervention de Mercedes Schlapp, une ancienne responsable du gouvernement de Donald Trump, entonnant un chant pro-sioniste : « Viva España ! Viva Israël ! »

Si les contradictions entre les différents discours d’extrême-droite étaient manifestes, l’animosité collective à l’égard d’ennemis communs et l’allégeance à des formes d’autoritarisme réactionnaire compensent largement tous les écarts de points de vue.

Si les contradictions entre les différents discours d’extrême-droite étaient manifestes, l’animosité collective à l’égard d’ennemis communs et l’allégeance à des formes d’autoritarisme réactionnaire compensaient largement tous les écarts de points de vue. Vox a pu ainsi inviter le négationniste néo-nazi Pedro Varela et déclarer dans la même foulée qu’Israël était « une référence internationale dans la lutte contre le terrorisme islamique », tandis que l’anarcho-libertarisme de Milei et la rhétorique chauvine et protectionniste de Le Pen ont été chaleureusement accueillis.

« Nous, les patriotes, devons rester unis », a insisté le président de l’American Conservative Union, Matt Schlapp, lors du rassemblement. « Nous n’allons pas laisser George Soros ou Biden nous diviser ».

À cet égard, ce rassemblement était également une nouvelle preuve du rôle de plus en plus central de Vox dans la liaison entre les mouvements politiques réactionnaires du monde entier. Vox n’est pas seulement un pont essentiel entre l’extrême droite européenne et l’extrême droite latino-américaine, mais, à l’approche des élections européennes, le parti cherche également à resserrer les liens entre les deux principales familles d’extrême droite au sein de l’Union européenne (UE) : les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) dominés par Giorgia Meloni, pro-OTAN et plus traditionalistes, et le groupe Identité et Démocratie (ID) dont fait pour l’instant partie le Rassemblement National, davantage pro-russes et aux positions plus extrémistes.

Alors que les sondages montrent que l’extrême-droite va probablement réaliser des percées significatives lors des élections européennes, Santiago Abascal, de Vox, se positionne désormais comme une figure centrale de cette « internationale réactionnaire », alors même que son propre parti a perdu du terrain au niveau national depuis l’année dernière. Un responsable du parti est même allé jusqu’à se vanter que « seul Vox est capable d’organiser un tel rassemblement [d’extrême droite] ».

Une internationale anticommuniste

L’actualité autour de la convention a été dominée par la brouille diplomatique déclenchée par Javier Milei, qui a qualifié la femme du premier ministre espagnol Pedro Sánchez de « corrompue ». Pourtant, la relation du Président argentin avec Vox est antérieure à son entrée en politique, puisqu’il a été l’un des signataires de la Charte de Madrid 2020, aux côtés d’Eduardo Bolsonaro (un des fils de l’ancien Président brésilien, ndlr) et de l’extrémiste chilien José Antonio Kast. Il s’agit du document fondateur de l’alliance anti-gauche dirigée par Vox, le Forum de Madrid, qui cherche à lutter contre la propagation des « régimes totalitaires d’inspiration communiste » en Amérique latine.

Le Forum de Madrid aspire à devenir une « organisation permanente des partis d’extrême droite », dotée d’un plan d’action annuel.

Comme le souligne Miguel Urbán, fondateur de Podemos, dans son livre Trumpismos (2024), le Forum de Madrid cherche à se distinguer de la Conservative Political Action Conference (CPAC) aux États-Unis. Alors que cette dernière organise des événements périodiques réunissant des dirigeants et des militants de la droite internationale, le Forum de Madrid aspire à devenir une « organisation permanente des partis d’extrême droite », dotée d’un plan d’action annuel. Comme l’écrit Urbán, « Vox a mené un programme frénétique de mise en réseau, de voyages et d’événements dans le but de construire un premier cadre stable pour la coordination des forces d’extrême droite latino-américaines, un cadre qui, de surcroît, aurait [“Vox”] pour centre névralgique ».

Cette organisation transfrontalière reste quelque peu embryonnaire. Pourtant, selon un rapport récent de Progressive International, « l’impact le plus important” du Forum de Madrid jusqu’à présent “a été sa capacité à créer et à mobiliser un réseau […] pour saper les gouvernements de gauche dans la région ». Une enquête majeure menée par un consortium de publications latino-américaines a révélé que des politiciens associés à l’alliance s’étaient engagés dans des campagnes coordonnées visant à « délégitimer les résultats électoraux dans plusieurs pays » – en collaborant au-delà des frontières pour amplifier les fake news de fraude électorale au Pérou, en Colombie et au Chili, soutenues par des campagnes organisées de trolling en ligne.

En réalité, le Forum de Madrid fait également partie d’une infrastructure d’extrême droite plus large composée d’associations catholiques extrémistes, d’exilés latino-américains et de think tanks réactionnaires basés dans la capitale espagnole, ce qui a également contribué à faire de la ville un point de rencontre clé pour les forces autoritaires du monde entier. La première ministre de la région de Madrid, Isabel Ayuso, qui appartient à l’aile radicale du Parti populaire (droite conservatrice espagnole, ndlr), a adopté le slogan des exilés cubains « Liberté ou communisme », tandis que pendant le mois de violentes manifestations qui ont suivi la réélection de Sánchez en novembre dernier, le même réseau d’extrême-droite et la même rhétorique insurrectionnelle ont été mobilisés pour tenter de jeter le doute sur la légitimité de sa majorité parlementaire.

Faire basculer l’équilibre des pouvoirs

Milei a repris ces tactiques lors de la convention de Vox, en s’envolant vers l’Espagne avec pour objectif d’en découdre avec le Premier ministre de centre-gauche du pays, allant même jusqu’à dénoncer le « totalitarisme » de Sánchez, le qualifiant de « socialiste arrogant et délirant » à son retour à Buenos Aires. La querelle diplomatique qui s’en est suivie, au cours de laquelle l’Espagne a rappelé son ambassadeur d’Argentine, a donné le coup d’envoi de la campagne électorale européenne de Vox.

M. Abascal espérait pourtant lancer sa campagne d’une manière plus solennelle, en s’affichant avec Marine Le Pen et Giorgia Meloni afin de plaider pour une coopération accrue entre les deux ailes de l’extrême-droite européenne. Le parti post-fasciste Fratelli d’Italia de Meloni et le Rassemblement national de Le Pen sont actuellement en tête des sondages dans leurs pays respectifs, tandis que la combinaison des sièges prévus pour leurs deux groupements à l’échelle de l’UE devrait faire de l’extrême-droite la deuxième force la plus importante au Parlement européen.

Le Parlement européen pourrait donc, pour la première fois de son histoire, compter une majorité d’eurodéputés de droite, les Verts et le groupe libéral Renew d’Emmanuel Macron devant tous deux subir de lourdes pertes. Cette majorité n’évincerait pas nécessairement la grande coalition dominante des partis centristes, mais pourrait permettre au Parti populaire européen (PPE) conservateur d’obtenir une majorité alternative lors de certains votes, notamment sur les questions environnementales, les libertés civiles ou l’immigration.

Le groupe CRE, qui comprend notamment les Fratelli, Vox et Reconquête d’Éric Zemmour, se différencie le plus du groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen en matière de politique étrangère – et, par conséquent, sur leur degré de respectabilité au sein des opinions dominantes.

Pourtant, comme le note l’universitaire Cas Mudde, cette poussée historique de l’extrême droite « pourrait bien être une victoire à la Pyrrhus, si [les] partis restent aussi divisés ». Le groupe CRE, qui comprend notamment les Fratelli, Vox et Reconquête d’Éric Zemmour, se différencie le plus du groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen en matière de politique étrangère – et, par conséquent, sur leur degré de respectabilité au sein des opinions dominantes. Depuis qu’elle est devenue Première ministre, grâce son positionnement strictement pro-OTAN, Meloni a cultivé des liens plus étroits avec le PPE et souhaite garder la porte ouverte à un pacte avec Ursula von der Leyen pour sa réélection à la tête de la Commission européenne, à l’issue des élections de juin.

À cet égard, sa décision de ne pas assister en personne à ce grand événement pour l’extrême-droite l’a placée dans une situation ambiguë, son intervention vidéo n’ayant pas pour but de mettre un terme aux ouvertures de Vox à Mme Le Pen ni de s’aligner sur celles-ci. « Nous verrons ce qui se passera après les élections », a insisté un responsable de Vox – le parti se considérant comme le mieux placé pour servir de pivot entre les différents groupes au cours du prochain mandat.

En particulier, l’annonce faite ce mardi par Marine Le Pen et Matteo Salvini que leurs partis ne feraient plus partie du même groupe que le parti allemand Alternative für Deutschland ouvre la possibilité d’un réalignement significatif de l’extrême droite européenne après les élections – tout comme l’intégration attendue du Fidesz d’Orbán au sein de l’ECR.

Quoi qu’il en soit, la menace d’une avancée majeure de l’extrême droite est claire. « Nous, les patriotes, devons occuper Bruxelles », a proclamé Orbán lors de son intervention à la convention de Vox, tandis que Ventura de Chega a déclamé : « L’Europe est à nous. L’Europe est à nous ! » Le scrutin d’aujourd’hui montrera dans quelle mesure ce scénario est réaliste.

[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.


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Javier Milei, le dollar et les BRICS : le vrai tournant dans la politique argentine

Javier Milei - Le Vent Se Lève
Le président argentin Javier Milei représenté sur un dollar américain © Marielisa Vargas

Propos outranciers, style débraillé, slogans fantaisistes, propositions délirantes : la presse occidentale a dépeint le président argentin Javier Milei comme un OVNI. Pourtant, par bien des aspects, le « Trump argentin » s’inscrit dans la parfaite continuité de la « caste » qu’il a conspué durant sa campagne. Coupes dans les aides sociales et libéralisation du droit du travail, mais aussi allégeance au dollar et alignement sur les États-Unis contre les BRICS : autant d’orientations programmatiques que réclament une fraction des élites. Derrière sa rhétorique incendiaire et ses provocations multiples, Javier Milei est plus classique qu’il n’y paraît. Moins qu’une plongée dans l’inconnu, sa présidence semble préfigurer un retour aux années 1990…

Javier Milei est un « OVNI politique devenu président », pour France 24. Le président argentin, pouvait-on lire dans le New York Times, se démarque par « un style impétueux et des théories conspirationnistes qui rappellent celles de Donald J. Trump ». Les propos orduriers de Javier Milei ont retenu l’attention de la presse, tout comme sa chevelure : « lorsque la responsable de la communication [de Milei] a conçu sa coupe hétérodoxe, elle avait deux inspirations en tête : Elvis Presley et Wolverine », relatait The Guardian.

Wolverine au World Economic Forum ?

D’une coupe hétérodoxe à une politique hétérodoxe il semble n’y avoir qu’un pas, que de nombreux commentateurs n’ont pas manqué de franchir. Aussi Javier Milei a-t-il été dépeint, à la suite de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, comme l’énième avatar d’un « populisme » issu des masses et venu perturber le consensus libéral et démocratique qui prévalait.

Dans le New Stateman, l’historien Quinn Slobodian offre un son de cloche différent : « En 2014, Javier Milei a pris la parole au World Economic Forum, invité par Ricardo Hausmann, professeur à la Kennedy School de Harvard. On l’a introduit en détaillant son CV impeccablement mainstream, étant l’auteur de plus de cinquante articles académiques. Il était présent en tant qu’économiste en chef de Corporación América, l’une des plus importantes multinationales de l’Argentine ».

Si Javier Milei était d’une certaine manière un outsider lors de la campagne présidentielle de 2023, force est de constater qu’il n’était aucunement étranger à la « caste » qu’il dénonçait. De quoi cet enfant maudit de l’establishment est-il le nom ?

Un système d’ancrage strict au dollar (currency board) a été expérimenté par l’Argentine dans les années 1990, sous le haut-patronage du FMI. L’option de dollarisation intégrale portée par Milei ne constitue qu’une étape supplémentaire sur cette voie

À y regarder de plus près, on peinerait à voir dans son programme une seule orientation qui n’ait pas d’abord émergé dans les think tanks libéraux, été promue dans la presse et brandie comme un remède miracle par les institutions financières internationales. Effectuer des coupes massives dans les dépenses budgétaires (symbolisées durant sa campagne par une tronçonneuse). Privatiser des entreprises publiques. Libéraliser le droit du travail et restreindre le rôle des syndicats. Ces éléments, continue Quinn Slobodian, sont des « caractéristiques tout à fait ordinaires du consensus de Washginton ».

Pour caricaturale que soit la manière dont Javier Milei défende ces orientations, elles font toutes partie du bréviaire des dirigeants du Fonds monétaire international (FMI) ou de la presse financière. Et elles ont connu un commencement de réalisation sous la présidence du néolibéral Mauricio Macri (2015-2019). Ce même Macri que Javier Milei assimilait un temps à « la caste », qualifiait de « maléfique » (evil) et de « populiste de pacotille »… avant d’accepter, sans sourciller, son soutien électoral au second tour. « Macri voit dans la présidence de Milei une deuxième chance à sa tentative ratée de guérir l’économie argentine », rapporte le directeur d’un groupe de consulting argentin cité par le Financial Times.

Dollariser l’économie : révolution ou business as usual ?

Sur la question du dollar, le programme de Javier Milei semble plus hétérodoxe. Ses propositions en la matière – suppression de la Banque centrale et dollarisation totale de l’économie – ont été soulignées par la presse occidentale comme la marque d’une démagogie destinée à plaire aux masses, en vertu du bon sens économique le plus élémentaires. Mais ici encore, force est de constater que Milei ne fait que s’inscrire dans une dynamique déjà existante – la dollarisation de facto d’une grande partie des économies latino-américaines – et radicaliser des orientations économiques déjà hégémoniques au sein des élites argentines.

L’Amérique latine est l’une des zones les plus dollarisées au monde. Non que le billet vert y ait cours légal – sauf dans trois pays : Équateur, Panama et Salvador -, mais il est présent en abondance sur les marchés noirs. Il constitue une valeur-refuge vers laquelle les habitants se tournent à la moindre crise monétaire, et qu’ils thésaurisent dans cette éventualité. Il est particulièrement prisé de la bourgeoisie latino-américaine, qui s’en sert dans ses activités d’import-export, ou pour le placer dans des titres financiers juteux aux États-Unis.

Face à cet état de fait, certains courants politiques choisissent d’aller à l’encontre des contraintes du dollar, et préconisent d’utiliser leur monnaie nationale à des fins prioritairement internes – au risque d’une dépréciation. D’autres, soutenus par les économistes néolibéraux, préfèrent accepter la domination de la devise américaine, et prônent un ancrage ferme de leur monnaie nationale sur celle-ci.

Cet ancrage monétaire (currency peg) a pour vertu non négligeable de garantir la stabilité de la monnaie, et donc des prix nationaux par rapport aux prix étrangers. En retour, il limite considérablement la souveraineté économique du pays : puisque la valeur de la monnaie nationale doit être indexée sur le dollar, il faut en limiter la circulation sitôt que le risque d’une dépréciation point. Aussi des taux d’intérêt structurellement élevés et l’impossibilité de dévaluer la monnaie sont-ils des caractéristiques fréquentes des économies qui ont fait ce choix.

Certains gouvernements ne se sont pas contentés de cet arrimage informel. Ils l’ont institutionnalisé, en obligeant légalement la Banque centrale à réprimer toute surémission monétaire par une hausse des taux. Ce système de « caisses d’émissions » (currency board) a été précisément expérimenté par l’Argentine dans les années 1990, sous la présidence de Carlos Menem et le haut-patronage du FMI. Les conséquences sociales désastreuses de cet épisode – explosion du chômage et de la pauvreté -, ainsi que la crise financière qu’il a contribué à générer – la stagnation du pays ayant entraîné une difficulté à rembourser la dette – marquent, encore aujourd’hui, l’imaginaire argentin.

L’ampleur de la rupture diplomatique reste à établir. Il est probable que l’Argentine s’aligne sur Washington dans sa guerre économique contre le Venezuela, mais douteux qu’elle bouleverse ses relations avec la Chine, choyée du puissant secteur agro-exportateur argentin

L’option de dollarisation intégrale de l’économie ne constitue que l’étape supplémentaire sur la voie du currency board. Par la radicalité de cette réforme, Javier Milei s’écarte bien de l’orthodoxie néolibérale, qui demeure dubitative face à cette option1. Mais qui pourrait dire qu’il ne prolonge pas des décennies d’activisme en faveur de l’abandon de la souveraineté monétaire, du contrôle gouvernemental sur les Banques centrales et de régulation des taux d’intérêt par le pouvoir politique ?

Rompre avec la Chine et le « communiste enragé » Lula

Le dollar n’est pas seulement un enjeu national. Son rôle dans la limitation de souveraineté qu’elle impose aux pays latino-américains avait conduit de nombreux gouvernements à rallier les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dans leur agenda de dé-dollarisation. Si le Brésil est un membre fondateur de cette organisation, l’Argentine devait la rejoindre en 2024. Et c’est sans surprises que Javier Milei a brutalement mis fin à ce processus.

Le programme international de Javier Milei s’inscrit dans la doxa pro-américaine qui domine la presse et les cercles de réflexion occidentaux – mais d’une manière particulièrement caricaturale. Durant sa campagne, Milei avait ainsi promis, en des termes vagues, de rompre avec la Chine, dirigée par « des assassins », et de prendre ses distances vis-à-vis du « communiste enragé » Luiz Inácio « Lula » da Silva.

Ce dernier changement d’orientation est significatif. Avec le Brésil, ce pays était à la pointe des efforts affichés de dé-dollarisation du continent. Au début de l’année 2023, le président brésilien Lula et son homologue argentin Alberto Fernandez avaient officialisé leur volonté d’instituer une devise commune, le « sur ». Ensemble, ils réactivaient une vieille idée du nationalisme latino-américain, pour qui la prédominance du dollar dans les échanges internationaux est un levier impérialiste aux mains des États-Unis. Les nombreuses difficultés et contradiction de cette démarche rendaient déjà son issue incertaine. Désormais, ce projet est enterré.

L’ampleur réelle de cette rupture avec les membres des BRICS reste à établir. Il est probable que l’Argentine se retire de tous les projets d’intégration régionale portés par le Brésil et s’aligne désormais sur Washington dans sa guerre économique contre Cuba et le Venezuela. Il est en revanche douteux qu’elle bouleverse ses relations commerciales avec la Chine. Le puissant secteur agro-exportateur argentin compte en effet sur celle-ci pour absorber sa production. En 2023, la Chine avait importé pas moins de 93 % du soja argentin. Le président Mauricio Macri (2015-2019), pour soumis aux injonctions de Washington qu’il fut, avait dû se plier aux réquisits des multinationales du blé et du soja qui réclamaient le statu quo avec la Chine.

Et Mauricio Macri tiendra sans doute un rôle important dans la structuration du gouvernement de Milei, selon de nombreux propos rapportés. En l’absence d’une majorité parlementaire et d’une équipe prête à gouverner, celui-ci devra nécessairement se tourner vers les membres les plus conservateurs de la « caste ». Au prix de l’abandon de ses propositions les plus farfelues – suppression de la Banque centrale, rupture des liens diplomatiques avec la Chine -, Milei pourrait gouverner avec le soutien de la haute-administration, des grands médias et de Washington. Les pouvoirs économiques, quant à eux, ne seraient que trop heureux d’appuyer un défenseur si zélé de leurs intérêts.

Note :

1 L’Équateur est le seul pays latino-américain à avoir adopté conféré au dollar le statut d’unique monnaie nationale en 1999. Tandis que cette réforme était réclamée par les élites du pays, en quête d’une stabilité financière face à l’inflation qui rongeait leur épargne, elle était considérée avec peu d’enthousiasme par le gouvernement américain, la FED et le FMI, qui ont fini par l’accepter.


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