Une prison condamnée ? Entre réforme illusoire et privatisation

Alors que l’exécutif a dévoilé début mars un ambitieux projet de réforme de la prison qui se veut une restructuration du système carcéral français, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a publié ce 28 mars son rapport annuel, qui dresse un bilan mitigé de l’état de la prison. L’occasion de s’interroger sur l’intérêt du gouvernement à réformer un système en crise depuis longtemps, dans un contexte propice à la réinsertion de la prison dans le domaine de la loi.


La prison comme enjeu politique

Le 9 mars, le premier ministre Édouard Philippe et la garde des sceaux Nicole Belloubet ont présenté la nouvelle réforme de la Justice, restitution de 5 mois de travaux visant à réformer en profondeur le système carcéral français.

Parmi les principaux axes de la réforme concernant le domaine de la prison, se distinguent notamment la fin des partenariats public-privé pour la construction des prisons, et la décision que les peines de 1 à 6 mois s’effectueront en dehors de l’établissement de détention, via le développement des travaux d’intérêt général. Ainsi, le fond de cette réforme apparaît être la limitation du recours systématique à la détention, en particulier dans le cas des courtes peines, pour lesquels la détention est synonyme de désocialisation et de risque de récidive.

La réforme semble audacieuse, ayant pour mérite de mettre en exergue la crise dans laquelle s’embourbe le système carcéral depuis de trop nombreuses années. La prise en charge politique du système carcéral n’a jamais été véritablement lisible, et s’est toujours opérée de manière sporadique. Pour cause, la prison a longtemps été vue comme un enjeu non politique. L’institution carcérale était alors un établissement total, en rupture avec le reste de la société, et la mise à l’agenda n’était pas profitable politiquement. Le rôle de diffusion d’informations sur la prison est par ailleurs un certain temps resté sans acteurs. Cela explique le fait que le droit pénitentiaire ait été aussi longtemps de nature réglementaire, intervenant uniquement par nécessité budgétaire ou immobilière.

À partir de 1973, le droit européen a permis le désenclavement progressif du normatif pénitentiaire en élaborant des standards internationaux, qui, bien que non contraignants, ont incité à la comparaison entre États. De plus, l’accroissement de la lisibilité du phénomène de la délinquance en col blanc a conditionné la prise en compte de la prison comme objet politique, puisque l’appartenance sociale avantageuse de ces condamnés, bien qu’ils soient minoritaires, a permis à leurs revendications d’avoir un écho.

Le Parlement a peu à peu investi la question du système carcéral, notamment avec l’instauration du droit de visite en prison des parlementaires. L’analyse de la prison à travers le prisme de la question des droits de l’homme a achevé d’en faire un dossier politique.

En devenant un enjeu politique, la prison est aussi devenue un « vecteur de réactivation de concurrences institutionnelles préexistantes entre pouvoir législatif et exécutif »¹, comme le décrit Jeanne Chabal. Ces concurrences limitent une réelle réflexion sur l’intérêt de la prison, alors même que la situation carcérale française demeure critique avec une surpopulation carcérale de 116 % au 1er février 2018, dont 1 569 détenus sur un matelas à même le sol.

L’administration pénitentiaire prend en charge environ 250 000 personnes pour un budget annuel de 2,79 milliards hors pensions. 36 prisons ont d’ailleurs été condamnées par la justice française ou par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de leurs conditions dégradantes de détention. Cette situation est source de tensions qui se manifestent à intervalles réguliers, par exemple par des grèves de surveillants, non sans conséquences sur les détenus. 

Réforme des chantiers de la Justice : un écran de fumée ?

Si la réforme entend endiguer la surpopulation des prisons françaises, elle est aussi pensée en rupture avec la vision utilitariste de la peine. Mais se focaliser sur les courtes peines, est-ce vraiment le plus important, alors que d’après l’avocat Éric Dupond Moretti, « jamais les peines n’ont été aussi lourdes » ? La détention sera moins systématique, mais en sera d’autant plus rédhibitoire, creusant encore plus un fossé entre le condamné et la société. Le syndicat de la magistrature a d’ailleurs exprimé dans un communiqué son inquiétude quant aux conséquences de la réforme sur l’emprisonnement ferme.

En effet, la décision que les peines de plus d’un an s’effectueront en détention font de cette durée une peine couperet. Les peines de plus d’un an ne seront effectivement plus aménageables, une mesure qui porte le risque de la dénaturation de l’individualisation de la peine. De plus, la possibilité de promouvoir la mise en place de peines hors les murs de la prison est conditionnée par l’extension du bracelet électronique. Or, la banalisation de cette mesure peut tendre vers un brouillage du clivage entre milieu libre et milieu carcéral, qui dessert davantage encore l’éventuel sens de la peine.

Emmanuel Macron a exprimé la nécessité d’une « vraie réflexion sur le contenu moral et politique que nous devons donner au sens de la peine ». Le sens apparaît être l’articulation du travail comme élément central de l’exercice de réinsertion.

Pourtant des alternatives à la détention existent déjà, mais le manque de moyens limite leur mobilisation. Aujourd’hui, entre 24 et 35 % des détenus seulement ont accès au travail. La procédure pour s’en voir octroyer un est complexe et nécessite de passer par une demande écrite. De plus, le droit du travail ne s’applique pas en prison, l’emploi est acté par un simple engagement signé entre le détenu et l’employeur. L’exclusion du droit du travail explique la modicité des salaires (entre 4,32 et 1,92 € de l’heure), ceux-ci devant être supérieurs à 45 % du SMIC pour les activités de production et 30 % pour le service général. Les détenus n’ont pas accès à l’arrêt maladie ou l’accident de travail, mais sont en revanche tenus de cotiser. Le système de cotisation est lui-même discutable, puisqu’un an de cotisation leur revient équivalent à un trimestre. On perçoit donc un profond décalage entre l’idéal normatif de l’intérêt du travail et la réalité du terrain.

Pourtant, d’autres pays européens ont su mettre en place des dispositifs plus progressistes, à l’instar de l’Espagne où les détenus sont affiliés au régime général de la sécurité sociale et disposent d’une couverture maladie.

Des détenus comme valeur marchande

C’est en 1987 que le secteur privé se voit autorisé à accéder à la prison, avec la loi Chalandon qui lui confère certaines prérogatives de construction de prison. Avant cela, l’administration pénitentiaire bénéficiait d’une importante autonomie fonctionnelle et politique ; elle a souvent été qualifiée en ce sens de modèle d’autogestion de type corporatiste. Elle occupe malgré tout une place centrale dans la définition des politiques publiques, explicable par la tradition syndicaliste de ce corps.

La loi Chalandon entraîne l’entrée des entreprises dans l’univers pénitentiaire, et pour la première fois la prison est modélisée par un acteur extérieur. Cela va contribuer à un changement de regard sur la prison puisqu’elle apparaît comme un potentiel débouché économique. La figure du détenu est modifiée ; il devient usager d’un certain nombre de services.

La délégation de la conception, la construction, et la maintenance d’établissements pénitentiaires aux entreprises privées a été dénoncée à maintes reprises par la Cour des comptes, en raison notamment du coût considérable que ces partenariats font peser à long terme sur les finances publiques. Il est donc positif qu’un axe majeur de la réforme de la Justice consiste en la suppression des partenariats public-privé.

La fin de ce dispositif annonce-t-elle néanmoins celle de l’intervention du secteur privé dans le monde carcéral ? Bien au contraire, il apparaît que le cahier des charges élaboré par le ministère de la Justice est très suivi par les acteurs privés. Le contexte économique actuel conditionne un inquiétant intérêt grandissant pour les marchés publics. Et pour cause, « l’industrie » de gestion carcérale est prometteuse : le modèle étasunien l’illustre parfaitement comme l’analyse le sociologue Loïc Wacquant dans son livre Les prisons de la misère, où sont décrits les ravages d’un néo-libéralisme destructeur qui s’exerce sans concession dans les institutions pénitentiaires. La situation étasunienne semble être la suite logique du désinvestissement grandissant de l’État français face au secteur privé.

L’écran de fumée de la régulation politique de l’emprisonnement s’est aussi illustré au Pays-Bas, où la solution à la crise de surpopulation carcérale a été la fermeture des prisons. Néanmoins ce discours progressiste cache la réalité du sous-traitement de l’incarcération à laquelle recourt désormais le pays.

Ainsi, si la réforme des peines vante la fin des PPP, le secteur privé sera en réalité d’autant plus présent grâce à celle-ci via le développement des travaux d’intérêt général. Outre les collectivités et l’État, les entreprises seront mobilisées pour la structuration de cette mesure.

Au vu des salaires reversés aux détenus, cela leur permettra donc de dégager un profit non négligeable et équivalent à une délocalisation avantageuse. L’exploitation paraît aisée puisque la population détenue n’a pas de propension à la mobilisation ou aux revendications collectives contre les conditions salariales. La logique salariale devient structurante dans le nouveau dispositif pénitentiaire.

La promotion du travail en prison n’est pas le seul moyen pour les prestataires privés d’investir l’univers carcéral ; le « cantinage », système d’achat par les détenus via un catalogue répertoriant des produits non fournis par la prison, est un autre domaine lucratif.

Le prise en charge de ce service par le secteur privé a mené à une augmentation des prix de 25 % environ. Ainsi, le dentifrice par exemple est 55 % plus cher que les premiers prix disponibles en supermarchés. La Cour des comptes a déjà pointé du doigt les importantes marges de bénéfices qui découlent de ce système. La dénonciation est cependant vaine car les conventions actuelles ne définissent pas assez précisément les critères de fixation de prix, et leur modification à l’initiative de l’administration carcérale entraîne des indemnités pour celle-ci. Ainsi se banalise la « prison comme marché de biens et services traditionnels parfaitement intégrés dans l’économie, faisant de l’emprisonnement une marchandise et source banalisée de profit et d’emploi », comme le prophétisait déjà en 2003 le criminologue Nils Christie dans son livre L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident.

La logique de l’entreprise poussée à l’extrême n’est jamais compatible avec celle du service public, pourtant la restructuration progressive de tous les services publics par le gouvernement va en ce sens. On assiste à la banalisation d’une nouvelle forme de gestion publique empreinte de pratiques et d’outils issus du privé. La référence au marché est l’élément central d’une nouvelle conception alarmante du secteur pénitentiaire.

Notes :

¹ Jeanne Chabal, Changer la prison : rôles et enjeux parlementaires.

The Walking Dead : une série politique

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©Casey Florig

Walking Dead ? Politique ? C’est pas une série avec des types qui dézinguent des zombies des heures durant ? Une série politique c’est House Of Cards, Baron noir etc. Et pourtant… The Walking Dead est peut-être une série bien plus politique que ces dernières et permet de parcourir des pans entiers de la philosophie politique.

Qu’est ce qui peut être moins politique qu’un film ou une série de zombie ? Et pourtant ça n’a rien de neuf. Des films de Romero jusqu’au Dernier Train Pour Busan, le film de genre zombie a toujours été éminemment politique et classé à gauche l’immense majorité du temps (anticapitaliste, critique des médias et de plus en plus écolo).

George A. Romero est incontestablement le père du genre et… il n’aime pas The Walking Dead. Il lui reproche (ainsi qu’à World War Z, mais sur ce point on ne lui donnera pas tort) son apolitisme : « J’étais le seul à faire ça. Et j’avais mes raisons, il y avait une sorte de satire sociale et je ne retrouve plus ça. The Walking Dead est juste un soap opéra », « à cause de World War Z ou The Walking Dead, je ne peux plus proposer un film de zombie au budget modeste dont l’essence est sociopolitique ».
Et s’il se trompait ?

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Frank Darabont, premier showrunner de la série

Le premier showrunner de la série était Frank Darabont qui a vite quitté la série en raison du manque du budget qui lui était alloué. Mais Frank Darabont est lui-même habitué à mettre de la politique dans ses films. C’est notamment ce qu’il avait fait dans The Mist, adapté du roman du même de nom de Stephen King, en en changeant la fin et en le rendant encore plus radical. L’histoire est simple : des américains lambdas se rendent au super marché, et se retrouvent soudain coupés du monde par une brume qui s’abat partout et rompt toute communication avec l’extérieur. Des monstres apparaissent alors aux abords du magasin. Mais très vite, le spectateur réalise que le vrai danger vient de l’intérieur.

C’est plus ou moins la même chose dans The Walking Dead : si la première saison se concentre sur les zombies, cette question devient vite secondaire puis franchement anecdotique au moment où la série en est rendue aujourd’hui.

Mais si The Walking Dead est politique c’est qu’elle est réac’ ? C’est ce que peut par exemple laisser penser le fait qu’après une enquête de Cambridge Analytica, l’équipe de Donald Trump ait décidé de diffuser des spots anti-immigrations lors des pubs de The Walking Dead car ayant identifié les téléspectateurs de la série comme hostiles à l’immigration. Pourtant les choses ne sont pas si simples.

La particularité de The Walking Dead est qu’elle est difficile à identifier politiquement, et elle évolue beaucoup : elle ne tranche pas, nous laisse choisir et nous permet d’étudier les situations qu’elle scrute en profondeur. Et elle  le fait en étant extrêmement référencée cinématographiquement, philosophiquement et même théologiquement (cf. la scène du bras de Carl dans l’épisode 1 saison 07 et le sacrifice d’Isaac).

Un retour à l’état de nature

Les œuvres qui se déroulent dans des contextes apocalyptiques ou en totale anarchie, comme c’est le cas des films/séries de zombies (mais comme le font aussi beaucoup d’autres – le manga L’Ecole Emportée, le roman Sa Majesté des Mouches, La Route…) sont l’occasion de questionner l’ « état de nature ».

L’état de nature c’est cette hypothèse philosophique qui permet de se figurer l’agissement des hommes avant l’émergence de la société et de l’Etat. Ces débats sont fondamentaux car ils ont servis de substrat philosophique à l’immense majorité des pensées politiques et même économiques. Et à travers The Walking Dead on peut retracer les grandes conceptions de l’état de nature.

Pour l’Anglais Thomas Hobbes (1588-1679) l’état de nature est un « état de guerre de chacun contre chacun » (1), ce que l’on résume souvent par la formule « l’homme est un loup pour l’homme ». Les hommes confrontés aux dangers d’une mort violente vont avoir tendance à s’entre-tuer : à tuer pour ne pas être tué.

Dans un premier temps cette approche n’est pas celle de la communauté de Rick dont le modèle semble plus rousseauiste. Dans le modèle décrit par Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1762), l’homme dispose d’une « répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement ses semblables » (2). C’est le mythe du “bon sauvage”.

Mais la tension entre ces deux théories va être présente tout au long de la série : l’homme est-il bon et enclin à s’entraider ? Ou est-il égoïste et doit être gouverné par la peur pour contraindre sa volonté de domination qu’il assimile à sa survie ? Ce débat, jamais tranché, traverse les 6 saisons de The Walking Dead… mais pas la septième.

negan-again-amc-releases-final-scene-of-the-walking-dead-season-6-finale-online-918017Dans la septième saison de The Walking Dead, la série semble devenir nietzschéenne. Après avoir fait preuve de compassion (saisons 1-3), Rick à Alexandria est tenté par Hobbes, il tente de convaincre les habitants que la violence et la force doivent être la règle vis-à-vis des autres communautés car seule la survie compte peu importe le coût, et souhaite lui aussi faire régner l’ordre par la peur (saison 5), mais il est vite rattrapé par sa nature qui est bonne. La communauté redevient kantienne en interne mais reste hobbesienne vers l’extérieur. Elle va toutefois le payer cher.

Car, dans la dernière saison de The Walking Dead, ce qui semble faire agir les hommes c’est bien « la volonté de puissance ». La petite équipe de Rick est victime du « renversement des valeurs », leur morale – la pitié, la faiblesse, l’égalité, la culpabilité – est celle des faibles, des « esclaves » (ce qu’ils deviennent au sens propres) et les condamne au ressentiment et à l’esprit de vengeance, sentiments que ne ressent pas Negan qui se fiche éperdument du bien et du mal.

Toutefois, de nouveau, la série ne décide pas pour nous pour le moment. Le moins que l’on puisse dire c’est que si Negan fascine, il n’est pas pour autant un héros : nos personnages vont-ils devoir se comporter comme lui pour le vaincre et ainsi renoncer à leur morale ? Ou vont ils construire un système autre et juger celui de leur ennemi ?

Une réflexion sur la justice

Dans un contexte de survie, la justice doit-elle être expéditive ou doit-elle préserver notre humanité ?

C’est toute la question que poste l’épisode 11 de la saison 2 « Juge, Juré et Bourreau » où le groupe doit déterminer si un homme qu’ils ont sauvé et qui pourrait représenter une menace pour eux doit être exécuté ou non. Un débat est organisé qui n’est pas sans rappeler 12 hommes en colère et dans lequel le personnage de Dale est le seul à argumenter en faveur de l’humanité, de la civilisation et de la moralité. Mais la peur domine les autres membres du groupe et l’épisode nous montre le déclin de la moralité des individus lors d’un événement catastrophique.

Une réflexion sur les relations internationales

Doit-on s’armer et être en mesure de supprimer n’importe quel autre groupe de survivants ou au contraire l’union fait-elle la force ? Doit-on agir préventivement au risque de devenir des monstres ou doit-on coûte que coûte trouver des moyens de collaborer ?

trolkingdeadEn relations internationales on peut grossièrement distinguer deux théories principales :

Tout d’abord, a théorie réaliste (Hobbes, Rousseau) qui explique que l’anarchie entre les nations est une donnée permanente, c’est une pensée pessimiste selon laquelle les Etats ne peuvent agir qu’en leur propre intérêt et pour leur propre sécurité au risque de créer une insécurité collective comme le montre la théorie des jeux ; la théorie libérale (Kant, Locke) qui admet la réalité de l’anarchie mais pense que l’on peut s’en émanciper par la coopération et le droit international.

De nouveau, la tension entre ces deux pensées est omniprésente dans The Walking Dead : le groupe de Rick cherche à collaborer avec Alexandria tandis que les femmes d’Oceanside après avoir fait l’expérience de la barbarie de Negan préfèrent tuer par prévention les personnes qui s’approchent de leur camp au cas où elles représenteraient une menace.

Ce qui semble ressortir de The Walking Dead est plutôt la théorie réaliste : si la démocratie, la paix kantienne, est possible à l’intérieur des communautés-Etat, c’est bien l’anarchie violente et le rapport de force qui définissent les interactions entre elles à l’extérieur.

De la violence au pacifisme

Depuis le début de The Walking Dead, la série montre la violence comme le principal moyen de la survie.

Pourtant plusieurs personnages, celui de Dale, puis celui de Morgan défendent l’option non-violente et pacifique. Mais assez vite ce choix passe au mieux pour de la naïveté au pire pour de la lâcheté.

Ici aussi The Walking Dead laisse les perspectives ouvertes. Si Morgan est un personnage souvent agaçant, les scénaristes semblent lui donner en partie raison lorsqu’il parait parvenir à faire ressortir le bon dans un des W (un des groupes les plus sanguinaires et fous-furieux de l’univers de la série). C’est cette idée rousseauiste que les hommes sont bons mais que c’est la société qui les corrompt.

Sur la non-violence contrainte, celle de Rick collaborant avec Negan, les scénaristes s’abstiennent de juger, un peu à la manière d’Un Village Français qui préfère la compréhension des motivations de tout un chacun au jugement moral peu instructif et peu source de réflexion.

Différents modes d’organisations de la cité

C’est aussi en cela que The Walking Dead est une série politique.

Elle montre différents systèmes politiques avec chacun leurs défauts et leurs qualités. La démocratie serait la ferme d’Hershel et Alexandria, la dictature le Woodbury du Procureur, le nazisme serait représenté par le Terminus, le totalitarisme le Sanctuaire de Negan, la monarchie le royaume d’Ezekiel et le matriarcat Oceanside.

Les épisodes sont l’occasion de véritables cours de science politique sur la formation des systèmes politiques, la légitimation des pouvoirs et la pérennisation ou non de ces modes d’organisation.

https://www.youtube.com/watch?v=0afWNji5-Lg

Du patriarcat au féminisme

C’est l’une des évolutions les plus marquées de la série et l’une des plus bienvenues.

Alors que dans les premières saisons les rôles sont atrocement genrés au point que cela soit difficilement supportable, un changement drastique des personnages féminins s’opère au fur et à mesure des saisons.

Au début de la série les femmes sont des mères et des ménagères, parfois battues, elles ne peuvent survivre que sous la protection de leurs hommes. Pourtant petit à petit, les femmes s’affirment dans la série. Peu ou pas sexualisées (et c’est assez rare pour qu’il faille le noter) elles deviennent de véritables guerrières indépendantes, toutes aussi capables que les hommes, toutes aussi indispensables et à même de les protéger. Pour autant il n’est pas tu que les femmes sont souvent doublement victimes lors des conflits via les crimes sexuels (le viol suggéré de Maggie à Woodbury, l’esclavagisme sexuel de Negan au sanctuaire…).

On assiste même désormais à un retournement encore plus audacieux, à travers les femmes d’Oceanside et le personnage de Maggie, le milieu de la saison 7 laisse penser que les femmes seront désormais les plus aptes à se battre, à diriger voire à gouverner. Plutôt dingue pour une série qui a commencé par se distinguer par son sexisme appuyé.

On est alors obligé de constater que les clichés de TWD sont en fait des idéaux-types qui sont déconstruits lorsque se recréent les rapports sociaux à l’aube de l’ère nouvelle qu’incarne l’apocalypse zombie.

Représentation de la violence : et si The Walking Dead avait raison ?       

Le premier épisode de la saison 7 a été d’une violence psychologique, physique et graphique absolument insoutenable, au point qu’on laisse entendre qu’il pourrait expliquer une partie des grosses chutes d’audiences de cette saison. A la manière de Télérama, beaucoup ont été saturés par ce qui leur est apparu comme étant de la « gratuité » et de l’excès.

Et pourtant… la complaisance dans la violence c’est le hors champ. Filmer la violence en gros plan c’est montrer la barbarie pour ce qu’elle est plutôt que de l’édulcorer sans cesse.

Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du cinéma américain, explique que jusqu’à la Horde Sauvage (1969) : « le cinéma hollywoodien ne filmait pas la violence mais des individus violents. On appelait ça le régime de l’image-action, un régime dans lequel la violence était rattachée à des individus en particulier et s’exerçait à toutes fins utiles. Avec Sam Peckinpah, le cinéma américain bascule dans le régime de l’image-énergie et accède enfin à son essence. La distinction entre la bonne et la mauvaise violence s’effondre et fait place à une violence démotivée, incontrôlable et ontologique, enfin affranchie de l’idéologie classique du cinéma hollywoodien classique qui la légitimait » (3).

Or qu’y a-t-il de plus complaisant justement que de légitimer la violence, que de lui trouver des excuses et des motivations ? A la manière d’un James Bond tuant des centaines de personnes sans verser une goutte de sang et avec l’approbation collective car il remplirait une mission. La « gratuité » que rejette Télérama c’est toucher une des vérités autour de la violence. Depuis les années 70 on peut filmer « la violence pour elle-même, du point de vue de son énergie, du climat qu’elle instaure et non pas de l’action individuelle ou collective qui la légitime » (3).  C’est exactement ce que fait l’épisode 1 de la saison 7.

On le voit les débats sur cette manière de représenter la violence n’ont jamais cessé : on pense à Tarantino ou bien à Irréversible de Gaspar Noé. On reprochait à Noé la gratuité et le non-sens de sa violence alors même que l’essentialisation de cette violence est son sujet, pas la complaisance vis-à-vis de celle-ci.

Dans les séries, la transition vers le régime de l’image-énergie s’est faite plus tardivement, avec cet épisode elle est définitivement achevée. En effet, malgré tous les excès que l’on avait déjà pu voir à la télévision (un égorgement au cutter en plan fixe dans Breaking Bad, des tortures un épisode sur 2 dans Games Of Thrones…) The Day Will Come When You Won’t Be a réussi à lui tout seul à relancer le débat sur la représentation de la violence au petit écran…

Il faut alors contextualiser : cette transition s’est faite au cinéma à un moment particulier qu’Arthur Penn explicitait bien à propos de Bonnie & Clyde (1967) : « ils trouvaient que le film était violent mais à l’époque, chaque soir, nous voyions aux nouvelles des gens tués au Vietnam ».

Aujourd’hui le contexte n’est plus le Vietnam mais Daech. Devant les exécutions ignobles à genoux de l’épisode 1 nous ne pouvons nous empêcher de penser aux vidéos diffusées sur Internet de James Foley ou d’Hervé Gourdel et nous comprenons que oui, nous avons à nouveau passé un cap graphique dans la représentation de la violence. Face à cette ultra-violence omniprésente, la représentation de la violence si elle se veut réaliste et toucher le spectateur, voire le traumatiser – car une violence qui donne envie de vomir et non pas envie de manger du pop corn c’est une violence qui est bien représentée – et qui justement ne se complaît pas,  ne peut plus être comme avant, elle ne peut plus être aseptisée.

Ainsi il est très difficile de dire si Walking Dead est de droite ou de gauche, mais elle est assurément une série profondément politique en ce qu’elle fait réfléchir à l’état de nature, aux conceptions de la justice, aux manières d’appréhender les relations internationales, aux différents modes d’organisation politique, à la domination masculine et à la question de la violence.

Sources :

(1) Léviathan (1651) Thomas Hobbes
(2) Du Contrat Social (1762) Jean-Jacques  Rousseau
(3) Le Nouvel Hollywood (2016) Jean-Baptiste Thoret

Crédits photos :

Photo 1 : ©Casey Florig
Photo 2 – ©DORKLY / Trolking Dead