« Reprise en main » de Gilles Perret : quand les salariés redeviennent rois dans l’atelier

© Jour2fete

Une usine familiale vendue à un fonds vautour, un plan de licenciements pour « habiller la mariée », un accident du travail faute d’entretien des machines, des travailleurs qui s’inquiètent pour leur avenir dans une vallée déjà sinistrée… Le scénario de Reprise en main semble a priori peu original. Depuis les années 1980, la désindustrialisation a en effet donné lieu à d’innombrables films, plus ou moins réussis, mais à la fin généralement tragique. Spécialiste du documentaire social, Gilles Perret aurait pu nous livrer un nouvel épisode de ces tragédies ouvrières qu’il connaît bien. Pour sa première fiction, il a au contraire choisi un angle original : celui d’une victoire des travailleurs contre la finance, par des moyens inhabituels.

Reprise en main raconte d’abord l’histoire d’un combat qui semblait perdu d’avance. Et pour cause. Des rachats d’usines, des délocalisations et des plans sociaux, la région savoyarde de la vallée de l’Arve en a subi en séries durant ces dernières décennies. La fiction se nourrit ici d’une réalité que Gilles Perret connaît trop bien. 

Les enjeux locaux d’une lutte globale

Le réalisateur met en effet en scène la région dont il est originaire et où il vit toujours, ainsi que sa spécialité industrielle : la mécanique de précision, ou décolletage. Il en avait déjà fait le sujet du documentaire Ma mondialisation, en 2006, à travers l’exemple d’Yves Bontaz, patron d’une usine de décolletage de la vallée de l’Arve. Ce film racontait déjà les mécanismes de la finance mondialisée : rachetées par des fonds de pensions anglo-saxons, la plupart des entreprises de la vallée étaient peu à peu contraintes de délocaliser leur production, en Chine notamment. Certaines scènes montraient ces petits patrons pris dans un engrenage et finissant par se demander, dans un accès de lucidité, s’ils ne s’étaient pas fait dépasser par un modèle qu’ils auraient trop longtemps cautionné. 

Une quinzaine d’années plus tard, c’est désormais l’enjeu de la relocalisation de l’activité industrielle qui est posé par ce film, qui a d’ailleurs été tourné dans l’usine Bontaz, désormais tenue par le fils d’Yves Bontaz, Christophe, qui a accepté sans hésiter la proposition de son ancien camarade du lycée de Cluses. Au-delà des désaccords politiques qui peuvent exister entre les deux hommes, cette anecdote illustre la solidarité à l’œuvre dans la vallée, et renforce la dimension réaliste que revête cette fiction : des employés engagés comme figurants aux machines de précision, en passant par les tee-shirts siglés du B de Bontaz, tout sonne vrai et se trouve enrichi par l’expérience du réalisateur dans le genre documentaire.

Les références à l’ancrage local, à « la vallée », au terroir et aux paysages mis en avant dans de nombreuses séquences du film, font aussi écho à la projection des salariés dans le temps long, en opposition aux obligations de rentabilité court-termiste des investisseurs. Et puis il y a cette montagne, que Cédric (incarné par Pierre Deladonchamps) tente tout au long du film de gravir, malgré un ciel toujours plus menaçant, et qui sert d’allégorie au combat qu’il a à mener, en bas, dans la vallée.

Quand les travailleurs relèvent la tête

Dans son roman Quatrevingt-treize, Victor Hugo compare la Convention, l’assemblée de la Révolution française, à l’Himalaya. La métaphore de l’ascension de la montagne savoyarde n’est pas moins convaincante pour qualifier la reprise en main de l’usine Berthier, tant les efforts des travailleurs pour réaffirmer leur souveraineté sur leur outil de travail devront être nombreux.

La question de la souveraineté au travail, sur laquelle insiste le titre, rappelle ici les thèses de Bernard Friot.

L’un des ressorts principaux du film repose ainsi sur une héroïsation du producteur, qui cesse d’être la victime d’un système d’exploitation – quotidien évoqué dans le film à travers un accident au travail ou encore un licenciement abusif – pour devenir souverain sur son travail, sur sa production. La question de la souveraineté au travail, sur laquelle insiste le titre, rappelle ici les thèses de l’économiste et sociologue Bernard Friot. Proche de Gilles Perret, celui-ci intervient notamment dans le film documentaire La Sociale sorti en 2016, sur l’histoire de la Sécurité sociale et sur le rôle qu’a joué Ambroise Croizat dans celle-ci. Théoricien du « salaire à la qualification personnelle », Bernard Friot a écrit un ouvrage au titre évocateur : Émanciper le travail. Le refus de jouer le jeu du marché de l’emploi à travers des licenciements économiques, la propriété d’usage de l’entreprise par les travailleurs eux-mêmes ou encore plus spécifiquement la grille de salaires de 1 à 3 proposée par Cédric sont autant d’échos aux travaux de Bernard Friot, qui s’expriment, du moins en partie, à travers cette fiction. 

À ce titre, la mise en avant du système coopératif mérite un autre commentaire. Pour Jaurès, l’organisation coopérative est en effet l’outil permettant aux travailleurs de ne plus être des serfs dans l’ordre économique, mais des rois dans l’atelier, de même que dans la cité avec le suffrage universel. Si les conversions d’entreprises en Sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP) sont fréquentes, faute de repreneurs, il n’existe à notre connaissance aucun exemple d’une telle « reprise en main » dans un contexte de concurrence avec un repreneur. Si cela peut apparaître comme une limite à la vraisemblance du film, l’ingéniosité de Cédric pour sauver son emploi et celui de ses camarades illustre dans le même temps des différences générationnelles dans le rapport au syndicalisme, entre un père retraité et nostalgique du rôle passé des syndicats, et fils désabusé vis-à-vis de l’action syndicale traditionnelle. Ce clivage, bien documenté par les sociologues, illustre la transformation des cadres d’action collective au travail. Si le fils ne croit pas à la grève et aux syndicats, il se mobilise d’une autre façon, moins défensive et davantage tournée vers la victoire.

Prendre les financiers à leur propre jeu

N’ayant ni l’expérience ni la confiance dans la réussite d’une lutte « à l’ancienne » par la grève, les salariés de Berthier se sentent démunis lorsqu’ils apprennent la vente de l’entreprise. Mais une rencontre impromptue entre Cédric et un financier suisse, lors d’une séance d’escalade, va lui permettre de comprendre les petits jeux des fonds d’investissements. Plutôt que d’apporter directement le montant nécessaire au rachat de l’entreprise, les fonds en question n’en apportent qu’une faible part, complétant le reste par des emprunts bancaires.

Pour contrer cette arnaque, Cédric décide de monter son propre fonds avec deux amis de la vallée pour racheter Berthier en LBO. Mais la tâche est ardue : où trouver les millions de départ ? Comment convaincre les banques alors que l’on a aucune expérience ?

Pour rembourser ses créanciers, l’entreprise doit alors dégager beaucoup de bénéfices, généralement en sacrifiant des emplois, des avantages sociaux et de l’investissement. Si les salariés font les frais de cette pression à la rentabilité maximale, les actionnaires, eux, pourront revendre l’entreprise au bout de quelques années avec un très beau bénéfice. Une opération en or : la firme s’est en fait rachetée elle-même !

Pour contrer cette arnaque, Cédric décide de monter son propre fonds avec deux amis de la vallée pour racheter Berthier en LBO. Mais la tâche est ardue : où trouver les millions de départ ? Comment convaincre les banques alors que l’on a aucune expérience ? Malgré les péripéties, leur fonds, dénommé Dream Finance, finira par avoir sa place à la table des négociations. Une gestionnaire de l’entreprise, bras droit du patron, va les rejoindre par attachement à sa vallée. Elle qui critiquait « les moules accrochées à leur rocher » finit par se rappeler de son histoire familiale et décide de saboter les négociations avec les autres fonds. Finalement, et malgré une trahison de dernière minute, la petite équipe finira par racheter Berthier et à la transformer en SCOP.

En faisant dire aux financiers qu’ils ne peuvent « pas se permettre de travailler par amour de l’humanité », ou encore que « le business, c’est pas friendly », le réalisateur expose la puissance des mécanismes psychiques qui noient ces personnages dans les eaux glacées du calcul égoïste.

En glissant quelques notions de finance dans un film grand public, Gilles Perret réussit ainsi à faire prendre conscience au spectateur de la supercherie des jeux financiers où les « apporteurs de capitaux » n’en sont même pas vraiment. Ces scènes sont aussi l’occasion de tourner en dérision l’inhumanité dont se nourrit un tel système. En faisant dire aux financiers qu’ils ne peuvent « pas se permettre de travailler par amour de l’humanité », ou encore que « le business, c’est pas friendly », le réalisateur expose la puissance des mécanismes psychiques qui noient ces personnages dans les eaux glacées du calcul égoïste, avec la dose de cynisme et de franglais caractéristique de ces milieux d’affaires.

Ces derniers sont d’autant plus mis à nu que leur méconnaissance de l’entreprise leur sera fatale : alors que les banquiers se moquaient de Dream Finance quand nos trois compères annonçaient leur intention de préserver l’emploi et de moderniser les machines, la fin soudaine du « climat social excellent » de Berthier aura raison de leurs offres. Enfin, Gilles Perret offre aussi à ses personnages une jolie revanche sur une héritière, fille du dirigeant historique de Berthier qui a bradé l’entreprise pour empocher son pactole, qui se trouve bien embarrassée par ses placements dans les paradis fiscaux.

Avec Reprise en main, Gilles Perret propose donc une suite optimiste de Ma mondialisation, une quinzaine d’années plus tard. Si l’on aurait encore préféré qu’il n’ait pas besoin de passer par la fiction pour nous raconter cette belle histoire, on peut tout de même se réjouir qu’elle suscite, chez beaucoup, l’espoir d’un monde du travail débarrassé des vautours et repris en main… par les travailleurs eux-mêmes. De quoi inspirer les luttes sociales à venir ?

Reprise en main, au cinéma le 19 octobre. Un film de Gilles Perret et Marion Richoux. Avec Pierre Deladonchamps, Lætitia Dosch, Grégory Montel, Finnegan Oldfield et Vincent Deniard.

Infopro Digital : un leader de la presse professionnelle en conflit avec ses salariés

Nul besoin d’être le groupe Bolloré pour s’affirmer comme leader d’opinion, l’empire de la presse professionnelle, Infopro Digital, en est la preuve. Ce dernier fait peu parler de lui alors qu’il est pourtant un acteur omnipotent de l’économie, privée comme publique. Avec ses quelques soixante titres et les nombreux salons qu’il organise, Infopro Digital est une affaire qui rapporte autant que l’industrie du luxe, ce qui n’empêche pas ses salariés, soumis à une valse d’actionnaires, d’avoir du mal à faire entendre leur voix. Par Nicolas Guillon, journaliste.

L’opération pourrait constituer la vente la plus importante de l’histoire de la presse professionnelle française. On évoque une transaction à plus de deux milliards d’euros. Le joyau mis aux enchères ? Le groupe Infopro Digital, propriétaire du Moniteur, de La Gazette, de LSA et de L’Usine nouvelle, pour ne citer que les titres les plus prestigieux de la maison. La direction d’Infopro dément l’information ; cependant a-t-elle vraiment son mot à dire dans ce jeu du LBO (Leveraged buy-out, c’est-à-dire rachat avec effet de levier) ? L’opération consiste en effet à se passer la balle de la participation entre fonds actionnaires, à intervalles réguliers, en engageant un minimum de fonds propres et par voie de conséquence en exigeant des niveaux de rentabilité toujours plus élevés. 

L’AGEFI (Agence économique et financière) confirme pourtant que le Britannique TowerBrook, détenteur de 74 % du capital d’Infopro, entend bien céder ses parts dans les prochaines semaines et qu’il a dans cette optique mandaté la banque Morgan Stanley pour engager le processus concurrentiel (22/02/2022). Cinq fonds seraient sur l’affaire mais une source syndicale avisée dit avoir repéré au sein du quintette « au moins deux épouvantails », qui ne seraient là que pour faire le nombre en quelque sorte. TowerBrook avait pris la main en 2016, investissant pour une période de trois ans, renouvelable deux fois : la future vente se situerait donc bien dans les clous du LBO. Pour éclairer le fonctionnement du système, précisons que TowerBrook avait déjà été une première fois l’actionnaire d’Infopro, avant de vendre à Apax Partners : digne d’un échange de fond de court à Roland-Garros.

Si le groupe Infopro Digital, qui aime à cultiver la discrétion, n’a pas la notoriété du groupe Bolloré, il n’en est pas moins un géant de l’information et un champion du capitalisme décomplexé. Avec plus de 60 marques dans son panier couvrant les secteurs clés de l’économie (assurance et finance, automobile, construction, distribution, industrie, secteur public) et une quarantaine de salons organisés sur trois continents, il est un leader d’opinion XXL. « Ces dernières années, ces activités ont toutefois été reléguées au second plan par la fourniture de solutions digitales aux entreprises : logiciels, bases de données et autres plateformes de leads », explique une source interne. Ce virage numérique opéré à partir de 2009, Christophe Czajka, le président d’Infopro Digital, aurait, selon cette même source, cherché à le valoriser à hauteur des groupes technologiques. En vain. Il faudra donc se contenter de deux milliards, ce qui reste malgré tout un très bon prix.

Le Moniteur : village rebelle dans l’empire Infopro

Fort d’un chiffre d’affaires de 480 millions d’euros et de près de 4 000 « collaborateurs », Infopro met fièrement en avant une croissance annuelle de 20 % depuis sa création en 2001. Le LBO n’est pourtant pas forcément compatible avec le bien-être des salariés, à mesure qu’augmente la pression qu’il exerce sur l’entreprise. S’il est difficile de récolter des données à l’échelle du groupe, parcourir sa vitrine permet cependant d’en apprendre. Le Moniteur constitue par exemple le village rebelle de l’empire Infopro. Racheté à bon prix fin 2013, le groupe de presse séculaire vient d’une autre culture et il n’a pas suffi de l’arracher aux grands boulevards de Paris et de le rapatrier au siège d’Antony pour le faire entrer dans le rang. Une importante partie de sa rédaction a d’ailleurs profité de la clause de cession liée au rachat par TowerBrook pour aller voir ailleurs. Mais ceux qui sont restés n’ont jamais cessé de lutter depuis, autant pour l’augmentation de leurs salaires, que contre la détérioration de leurs conditions de travail, en témoigne le récent mouvement de grève opéré au début du mois d’avril. 

Car Le Moniteur est aussi la louve nourricière du groupe. Assis comme La Gazette sur un confortable matelas d’abonnements, souvent payés par de l’argent public (administrations et collectivités font le gros du contingent), il est le titre qui rapporte le plus à Infopro. En 2021, son Ebitda (revenus de l’entreprise avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement), un indicateur américain qui a remplacé l’excédent brut d’exploitation, a atteint 170 millions d’euros, et son résultat net 29 % de ce dernier, soit un des ratios les plus élevés de France, au niveau de l’industrie du luxe. Et c’est précisément l’Ebitda qui est pris comme base de calcul dans le cadre du LBO : selon l’AGEFI, TowerBrook pourrait accepter un accord de vente à 13 fois l’Ebitda.

Pourtant, en dépit de ces performances, une revalorisation salariale ne semble pas négociable. La direction d’Infropro a tout juste consenti une augmentation de 3 % pour la poignée de salariés gagnant moins de 28 200 € et de 1 % pour ceux se situant dans la tranche supérieure, jusqu’à 37 200 €. Les syndicats ont calculé que pour 100 euros gagnés en 2021 ce sont donc deux centimes qui seront repartis entre les moins bien lotis. Mais ceux-ci pourront toujours se consoler avec l’augmentation de leur productivité, la valeur ajoutée par salarié étant passée de 135 000 € en 2015 à 188 000 € en 2021 (source : FO Groupe Moniteur).

Risques psychosociaux pour les salariés

Car chez Infopro, on peut toujours douter du fait que le pire n’est jamais certain. À la suite d’un suicide en 2019, non reconnu par la direction, et d’une décision de justice, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du Groupe Moniteur a confié au cabinet Alterventions la réalisation d’une mission d’observation des risques graves encourus par les salariés. Nous avons pu avoir accès au rapport d’expertise de 220 pages rendu le 15 octobre 2021. L’auditeur pointe un organigramme quasi inexistant, au sujet duquel il s’interroge : y a-t-il une volonté manifeste de maintenir un flou managérial ? Il souligne également une forme de procrastination quant à la gestion des postes laissés vacants : – 32 % de CDI entre 2013 et 2020, turn-over des pigistes. Un dialogue social dégradé et de trop faibles niveaux d’investissement sur les outils de travail sont par ailleurs observés. « Sans changements structurels, la situation nous apparaît alarmante du fait de l’exposition continue à des facteurs de risques professionnels délétères pour la santé des salariés », écrivent les rapporteurs, qui recommandent l’établissement d’un plan d’actions en matière de ressources humaines et, « compte tenu du modèle propre à Infopro Digital », invitent l’Inspection du Travail et la Carsat à suivre particulièrement ce travail. Au-delà des faits, le cabinet Alterventions s’inquiète d’identifier une stratégie financière : la hausse du chiffre d’affaires par la réduction des coûts de production. Une stratégie, guère surprenante à l’heure d’un néolibéralisme triomphant, mais l’auditeur précise sa vision : la tactique serait, selon lui, centrée sur l’Ebitda, ce sacro-saint indice qui, lorsqu’il est positif, a le grand mérite de mettre en exergue la rentabilité de l’activité de l’entreprise – en d’autres termes le fait qu’elle gagne de l’argent, sans toutefois considérer ses politiques de financement et d’investissement. Le rapport explique ainsi comment un simple chiffre peut devenir un outil de pilotage interne au détriment d’une stratégie de moyen terme, influant jusqu’au choix des profils des dirigeants : des cadres exécutifs spécialistes de la croissance par acquisition. Autrement dit, les salariés du Groupe Moniteur seraient systématiquement mis en échec par un management dont les objectifs sont décorrélés des moyens mis en œuvre pour les atteindre. 

Bien entendu, la direction d’Infopro Digital nie en bloc cette logique financière sauvage. Elle s’appuie pour ce faire sur un certain nombre de distinctions et certifications, comme autant de labels de greenwashing pour une centrale à charbon, à l’image de TowerBrook qui adhère aux principes de la participation responsable des Nations Unies. Sur le site Internet d’Infopro, on peut ainsi lire que le palmarès Capital des 500 meilleurs employeurs l’a placé en 26e position pour la catégorie high-tech en 2021. Dans cette great place to work, il est également revendiqué une politique de RSE qui n’est « ni une posture de communication ni une valeur de façade » mais qui « se caractérise au contraire par des actions concrètes qui mobilisent et engagent tous les collaborateurs pour œuvrer positivement à l’impact environnemental et social de l’entreprise ». C’est pourquoi le groupe n’était au départ pas loquace pour répondre au rapport d’Alterventions. Mais il a fini par concéder à mandater le cabinet Plein Sens pour contre-enquêter, lequel vient de rendre ses préconisations. Si les salariés du Groupe Moniteur n’ont pas encore eu le temps de se positionner par rapport à celles-ci, selon nos informations émanant d’un proche du dossier, Plein Sens n’aurait pu éluder le malaise, appelant à une médiation pour éviter tout blocage du dialogue social, médiation dont la direction d’Infopro aurait accepté le principe. Celle-ci n’a toutefois pas répondu à notre demande d’interview.

L’appel à Emmanuel Macron

En attendant l’officialisation de la vente, une lettre a été adressée à Emmanuel Macron. Les salariés se demandent s’ils ne pourraient pas bénéficier d’une manière ou d’une autre du très juteux deal qui s’annonce. Il est vrai qu’Infopro brasse beaucoup d’argent public. Le groupe a bénéficié de deux prêts garantis par l’État (PGE) et use de la réduction Fillon des cotisations patronales sur les bas salaires. Il organise également le Salon des maires et des collectivités locales, qui se tient chaque automne au parc des expositions de la Porte de Versailles en même temps que le Congrès des maires, généralement clôturé par le président de la République. Infopro a également créé l’année dernière la chaîne maires.tv. Peut-on imaginer cet argent du contribuable retomber un jour dans les poches des salariés plutôt que dans celles d’actionnaires britanniques ou américains ? 

L’ancien banquier de chez Rothschild, fraîchement réélu et pour qui le LBO et de l’Ebitda n’ont pas de secret, a, à la faveur de sa campagne, repris à son compte le concept de « dividende salarié », défendu par l’ex-numéro 2 du Medef Thibaut Lanxade, qui obligerait une entreprise rémunérant ses actionnaires à distribuer une part de la valeur ajoutée à ses employés. Durant le conflit social du printemps, la direction d’Infopro Digital a de son côté promis d’ouvrir une négociation sur l’intéressement, sans plus de détails. Au cours de la pandémie, elle avait refusé de verser la « prime Macron ».