Qui sont les candidats à la présidence du Parti Socialiste ?

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©Vincent Plagniol pour Le Vent Se Lève ©Ulysse Guttmann-Faure ©Wikimédia Commons

Près d’un an après la présidentielle, l’heure est aux choix au Parti Socialiste. Choix d’une nouvelle orientation d’abord, à la fin du mois de mars, puis choix d’un nouveau premier secrétaire en avril, au cours du prochain congrès du parti. La liste des prétendants potentiels étant fournie, on connaît depuis la clôture des candidatures le 27 janvier le nom des quatre seuls candidats qui participeront à l’élection pour tenter de fixer un nouveau cap pour le Parti Socialiste. Leurs textes d’orientation seront soumis au vote des adhérents socialistes les 15 et 29 mars, avant que soit désigné le nouveau premier secrétaire les 7 et 8 avril, lors d’un congrès qui se tiendra à Aubervilliers. La campagne des quatre prétendants est restée assez discrète et le débat qui les a opposé sur LCI a été assez peu suivi, alors : qui sont les candidats à la présidence du Parti Socialiste ?


Luc Carvounas – « Un progrès partagé pour faire gagner la Gauche »

Luc Carvounas, député Nouvelle Gauche du Val-de-Marne, a été le premier à annoncer sa candidature à la tête du Parti Socialiste en novembre. Ancien proche de Manuel Valls, qu’il a conseillé lorsque celui-ci était à Matignon par exemple, il essaie cependant de gommer cette image, en déclarant notamment ne rien lui devoir. Comme pour éviter de connaître le même sort que lui aux primaires du Parti Socialiste de janvier 2017, alors qu’il faisait partie de son équipe de campagne.

Luc Carnouvas. ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL
Luc Carnouvas. ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

De la même façon, il a aussi demandé à François Hollande de ne pas le soutenir, après avoir déclaré mi-décembre que « le bilan du quinquennat socialiste est globalement négatif ». Marche arrière toute à l’approche de la décision des urnes pour celui qui a été un des soutiens indéfectibles de la politique du dernier quinquennat, allant jusqu’à signer une tribune défendant la déchéance de nationalité, prise de position pour laquelle il s’est excusé depuis auprès des adhérents socialistes dont il convoite les voix. Une certaine idée de la constance en politique.

Son texte d’orientation, intitulé « Un progrès partagé pour faire gagner la Gauche » et présenté le 27 janvier dernier, veut casser l’image vieillissante dès les premiers mots en proclamant : « Nous ne sommes pas les gardiens du vieux Parti d’un vieux pays » et affirmant vouloir ouvrir une « décennie française ». Un regard a priori tourné vers l’avenir.

Pourtant il s’inscrit dans une histoire, d’« un siècle » et ne tarit pas d’éloges pour les gouvernements socialistes successifs. Il rappelle que « depuis 1981, les Français [leur] ont confié à quatre reprises le Gouvernement [du] pays » et affirme qu’à chaque fois qu’ils ont été au pouvoir, ils se sont « confront[és] au libéralisme économique ». Une prétention qui ravira peut-être l’ego du militant socialiste. Mais il est difficile de voir un combat ferme contre le libéralisme dans le tournant libéral de François Mitterrand et sa relation avec Yvon Gattaz, alors président du CNPF (Conseil National du Patronat Français), ou dans les reniements de François Hollande face à Pierre Gattaz, fils du premier et lui-même président du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France).

De façon plus concrète, Luc Carvounas propose surtout dans le champ politique l’union d’une « gauche arc-en-ciel » dont le but est de regrouper tous les progressistes. Il estime qu’« il faut discuter avec les communistes, avec les écologistes, avec les amis de Benoît Hamon » et avec la France Insoumise pour fonder un nouveau projet commun, un pacte en vue des élections européennes de 2019 et municipales de 2020. Il n’est pas certain que la proposition convainque tout le monde.

Enfin, ce texte d’orientation définit trois urgences sur lesquelles il souhaite concentrer les propositions du Parti Socialiste s’il est élu :

  • L’urgence éducative, afin de réduire les inégalités sociales et leur reproduction à l’école et dans l’enseignement supérieur.
  • L’urgence écologique, pour poursuivre la transition énergétique et sortir du nucléaire.
  • L’urgence démocratique, avec la volonté affichée de rendre la démocratie plus directe via le référendum d’initiative citoyenne.

Olivier Faure – « Socialistes, le chemin de la renaissance »

Président du groupe Nouvelle Gauche des députés socialistes à l’Assemblée Nationale, Olivier Faure a lui aussi décidé de se présenter. Celui qui a été conseiller de François Hollande pendant la primaire de 2011 puis la campagne présidentielle de 2012 est assez discret. Il a tout de même apporté en 2016 son soutien au mouvement Hé oh la gauche ! et appelé à en finir avec le Hollande-bashing, affirmant que le dernier quinquennat a apporté de nombreuses avancées. Il jugeait alors, un an avant les élections présidentielles, que François Hollande était un candidat crédible à sa propre réélection.

Contrairement aux autres candidats issus de la majorité, et bien que n’ayant pas été lui-même aux responsabilités, il ne fait pas machine arrière quant à sa position sur le dernier quinquennat. Soutenu par Martine Aubry, il fait pour certains figure de favori pour le scrutin à venir, de part sa position centrale entre les différents courants internes du Parti Socialiste, et sa capacité à engranger de nombreux soutiens dans l’appareil.

Sa volonté d’être consensuel transparaît dans son texte d’orientation sobrement nommé « Socialistes, le chemin de la renaissance ». Son texte est clairement centré sur l’idée de « renaissance » et de renouvellement, sans pour autant prendre des positions tranchées sur les sujets essentiels. Par exemple, sur le bilan du dernier quinquennat, il affirme qu’une « analyse approfondie » aura lieu, tout en soutenant que c’est leur « manière de gouverner [qui] n’a pas été comprise », avec des réformes comme la loi travail ou le projet de déchéance de nationalité dans lequel les militants socialistes et les Français ne se retrouvaient pas. Il tient cependant à garder la « fierté » de la façon dont « François Hollande a su incarner et rassembler la nation contre le terrorisme ». Un bilan du hollandisme en demi-teinte donc, sans sévérité pour ses reniements répétés.

De la même façon, il se satisfait de l’activité des députés socialistes à l’Assemblée, rassemblés au sein du groupe Nouvelle Gauche, affirmant qu’ils ont « montré la voie de ce que doit être une opposition de gauche et responsable ». Affirmer que les députés socialistes sont à l’avant-garde de l’opposition de gauche est osé : au mois de juillet dernier, 3 députés socialistes ont voté la confiance au gouvernement d’Édouard Philippe et 23 se sont abstenus, à peine 5 ont voté contre. Le comportement des députés socialistes au début du quinquennat s’apparentait surtout à de l’attentisme.

C’est pourtant sur cette base d’opposition fragile qu’Olivier Faure entend, avec le Parti Socialiste, « réinventer la gauche ». Ou plutôt revenir à la situation qui était celle d’avant l’éclatement de la présidentielle : il entend en effet parler aux « déçus » du PS, ceux qui ont préféré rejoindre la France Insoumise ou En Marche. Il se pose en nouveau champion du « rassemblement de la gauche » tout en dénonçant la position européenne de Jean-Luc Mélenchon, et rejoue le match de l’argument de la « gauche de gouvernement » en martelant que le Parti Socialiste est « la gauche qui veut gouverner et, à ce stade, nous n’avons pas le sentiment qu’il ait [Jean-Luc Mélenchon] la volonté réelle de se confronter au pouvoir ». Il flotte encore dans ce texte un air de la campagne de l’année passée.

Enfin, ce texte d’orientation propose une multitude de propositions programmatiques autour desquelles Olivier Faure souhaite axer le travail des militants socialistes. Mais, pour un texte qui promeut le renouvellement, on retrouve là aussi les classiques du Parti Socialiste : la volonté d’une Europe « puissante et protectrice dans la mondialisation » (sans expliquer comment),  la transition écologique ou encore la lutte contre les inégalités (par l’intermédiaire du revenu universel par exemple).

Emmanuel Maurel – « L’ambition de gagner »

Emmanuel Maurel, député européen, est le seul des quatre candidats à ne pas être issu de la majorité sortante. Celui qui veut « que le PS redevienne de gauche » a clairement annoncé sa candidature et ses objectifs début janvier. L’ancien frondeur et membre de l’équipe de campagne de Benoît Hamon au cours des dernières présidentielles veut tourner la page du quinquennat Hollande et est le seul des quatre candidats à en demander un « bilan critique », lui qui était opposé à la loi travail et au pacte de responsabilité. C’est donc un représentant de cette « aile gauche » du Parti Socialiste, opposée à la politique du dernier quinquennat et qui compte bien renverser la vapeur.

Emmanuel Maurel. ©Vincent Plagniol pour LVSL
Emmanuel Maurel. ©Vincent Plagniol pour LVSL

Il a récemment accordé un entretien à Le Vent se Lève dans lequel il est revenu sur la défaite de Benoît Hamon et les raisons de sa candidature à la tête du PS. Pour lui, la responsabilité de la défaite de Benoît Hamon à la dernière élection présidentielle revient largement au bilan du quinquennat de François Hollande, qui a été paradoxalement la raison de sa victoire aux primaires.

Le texte d’orientation qu’il a présenté en même temps que sa candidature, intitulé « L’ambition de gagner », fait avant toute chose le bilan d’un quinquennat raté et présente dès le départ un constat amer : « En 2012 nous avions tous les leviers pour transformer la société. Cinq ans plus tard, nous n’en avons pratiquement plus aucun. Jamais, sous la Ve République, un parti n’est passé si vite de l’omniprésence politique à la marginalité électorale ».

 Il estime que le Parti Socialiste va devoir s’atteler à une véritable « reconquête » pour espérer un jour revenir aux responsabilités. Cela commence en avril par un congrès qui ne devra pas être celui des « règlements de comptes » comme cela a pu être le cas en 2008, après une autre défaite à la présidentielle, ni un congrès « hors-sol » déconnecté des enjeux de la société actuelle.

En effet, il veut reconstruire le Parti Socialiste comme un parti de réelle opposition à la politique d’Emmanuel Macron, un PS porteur d’un « socialisme républicain, antilibéral, écologiste ». Lui aussi souhaite donc un dialogue avec toutes les formations de gauche.

Enfin, il propose lui aussi trois grandes priorités qui doivent permettre au Parti Socialiste de « renouer avec la société » :

  • Le partage des richesses, en mettant en avant le pouvoir d’achat (par l’augmentation du SMIC), la protection de l’emploi, la démocratie dans l’entreprise, mais aussi le combat contre les ordonnances Macron et la loi travail.
  • L’écosocialisme, en pointant le lien entre la concentration des richesses par une infime minorité et l’exploitation déraisonnée des ressources naturelles.
  • La relance des services publics, vecteur d’égalité sociale et territoriale, qui passe d’abord par l’arrêt de la privatisation progressive des grandes entreprises publiques comme La Poste, la SNCF, etc.

Stéphane Le Foll – « Cher.e.s camarades »

Le dernier candidat est Stéphane Le Foll, ancien ministre de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement mais aussi actuel député de la Sarthe ; il est lui aussi prétendant au poste de premier secrétaire du Parti Socialiste. Il dit désormais avoir été opposé à certaines réformes du dernier quinquennat, comme la loi travail, et assure que tout n’a pas été positif. Pourtant, en avril 2016, il avait été le premier à marteler, avec quatre autres ministres socialistes, sa « fierté du bilan du quinquennat » en lançant le mouvement Hé oh la gauche !, initiative qui n’avait pas manqué de s’attirer les railleries sur les réseaux sociaux.

S’il est choisi par les adhérents pour être le prochain premier secrétaire, il entend incarner la « personnalité forte » dont le Parti Socialiste a selon lui besoin pour exister « face à Laurent Wauquiez, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon » et veut un « un parti dirigé et incarné ». C’est un de ses arguments forts qu’il n’a cessé de répéter, peut-être à raison dans un système politique où la personnalité des têtes de file est parfois plus importante et plus analysée que leur programme.

Bien sûr, Stéphane Le Foll veut aussi et surtout se poser en opposant à la politique d’Emmanuel Macron. Pourtant, interviewé par le JDD, c’est une opposition tiède que propose le candidat : concernant la réforme de la SNCF, sa principale critique porte sur l’utilisation des ordonnances par le gouvernement pour couper court à toute discussion. De la même façon, celui qui rappelle qu’il n’a pas voté le budget et qu’il se trouve donc dans l’opposition oublie de dire qu’il préconisait l’abstention lors du vote de la confiance au gouvernement Édouard Philippe.

Mais surtout, Stéphane Le Foll est le seul à assumer complètement le bilan du quinquennat de François Hollande, dont il a été l’un des ministres et est un des plus proches. Il a même fait de sa loyauté envers l’ancien président de la République un argument et affirme que « si les militants sont restés au Parti Socialiste, c’est parce qu’ils sont aussi fidèles, et donc loyaux à ses valeurs et son action passée. Je me retrouve avec eux là-dessus ». En plus de réaffirmer que son bilan n’est pas si mauvais car « si aujourd’hui, il y a de la croissance, une baisse du chômage et une hausse des investissements, c’est en partie grâce à nous ». Une loyauté et un bilan que Stéphane le Foll a aussi tenu à inscrire au cœur de son texte d’orientation.

En effet, ce texte d’orientation, « Cher.e.s camarades », appelle à la « lucidité » sur les cinq années de présidence de François Hollande, qu’il faut selon lui assumer car c’est maintenant que les résultats de cette politique arrivent, depuis la défaite du PS à la présidentielle. Mais finalement, il propose aussi aux militants socialistes de regarder vers l’avenir avec cinq grands axes de réflexion :

  • L’environnement, avec le combat contre le réchauffement climatique, grâce à l’organisation d’un forum pour développer « les bases d’un modèle de développement durable ».
  • L’Europe, avec un vrai budget européen destiné à la solidarité intra-européenne et au développement du pourtour méditerranéen et de l’Afrique.
  • La lutte contre les inégalités, de revenus comme de genre, et la redistribution des richesses.
  • La laïcité, avec la mise en place d’une école de formation des militants socialistes.
  • La démocratie, en renforçant le rôle du Parlement et en mettant en place la proportionnelle intégrale aux élections législatives.

 

Le vote des militants déterminera l’avenir d’un Parti Socialiste qui traverse une crise sans précédent dans son histoire. Parmi les prétendants, presque tous entendent incarner le changement et le visage d’un nouveau Parti Socialiste. Cependant, chacun d’entre eux a une position différente sur le quinquennat de François Hollande et une vision bien à lui des combats que les socialistes auront à mener pour revenir sur le devant de la scène politique. Les militants socialistes vont donc devoir faire un choix entre changement et faux-semblants qui sera lourd de conséquences sur l’avenir de leur parti.

 

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“Les socialistes en sont venus à s’accommoder du libéralisme par petites touches” – Entretien avec Frédéric Sawicki

Frederic Sawicki

Le 15 mars prochain, les militants sont invités à se prononcer sur les textes d’orientation du Parti socialiste, avant de déterminer le 29 mars qui de Stéphane Le Foll, Luc Carvounas, Emmanuel Maurel et Olivier Faure en deviendra le premier secrétaire. Un peu moins d’un an après l’échec de Benoît Hamon à l’élection présidentielle, où en est le PS ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les socialistes français. 


 

LVSL : Après une première sanction lors des élections intermédiaires de 2014 et de 2015, le Parti socialiste a essuyé une débâcle historique aux élections présidentielle et législatives de 2017. Où sont passés les 10 millions d’électeurs que François Hollande était parvenu à rassembler au premier tour en 2012 ?

Si l’on se fie à l’enquête post-électorale réalisée par Ipsos pour le compte du Cevipof, 15% seulement des électeurs de François Hollande de 2012 ont voté pour Benoît Hamon, 26% ont opté pour Jean-Luc Mélenchon, 46% pour Emmanuel Macron, les 12% restant choisissant l’un des autres candidats en lice. La fraction de cet électorat sympathisant avec la politique économique mise en œuvre par François Hollande et Manuel Valls s’est reportée massivement sur Emmanuel Macron, qui a également bénéficié d’un vote utile de la part de toutes celles et de tous ceux qui craignaient un second tour Fillon/Le Pen.

LVSL : Depuis la victoire d’Emmanuel Macron, les socialistes semblent inaudibles et désorientés. Ils peinent manifestement à trancher quant à leur positionnement à l’égard de la nouvelle majorité, et oscillent entre coopération bienveillante et opposition. Comment expliquez-vous cette indécision ?

Entre l’élection présidentielle et les élections législatives, une partie des cadres socialistes, groggy de la défaite, ont pu être tentés par la stratégie de la main tendue à Emmanuel Macron, d’autant que celui-ci avait donné un coup de pouce à quelques députés sortants. L’orientation droitière de la politique gouvernementale a vite refroidi leurs ardeurs. Les sénateurs socialistes, soucieux de leur réélection, ont adopté une position plus conciliante, pensant pouvoir jouer un rôle clé dans la formation d’une majorité présidentielle au Sénat. Le mauvais score des candidats d’En Marche aux sénatoriales de septembre et le relativement bon score du PS ont permis de rapprocher députés et sénateurs.

“Les responsables socialistes ont dû parer au plus pressé ! Négocier un plan social, recaser leurs permanents mais aussi des centaines de collaborateurs parlementaires, mettre en vente leur siège et préparer un congrès.”

Mais l’absence de clarification de la ligne du PS vis-à-vis de la majorité tient aussi bien sûr à l’état de désorganisation du parti. Privé de leader (Jean-Christophe Cambadélis, démissionnaire, a été remplacé par une direction collégiale, les deux finalistes de la primaire, Benoît Hamon et Manuel Valls, ont quitté le PS, Arnaud Montebourg, l’autre challenger, s’est mis en retrait de même que Bernard Cazeneuve et plusieurs autres ministres quadragénaires…), confronté à une crise financière sans précédent (sa dotation publique est divisée par 5 à partir de 2018), les responsables socialistes ont dû parer au plus pressé ! Négocier un plan social, recaser leurs permanents mais aussi des centaines de collaborateurs parlementaires, mettre en vente leur siège et préparer un congrès de refondation qui, dans les faits, est d’abord un congrès visant à désigner une nouvelle équipe de direction à qui incombera la lourde charge de refonder ce parti.

LVSL : Encore sonné par les conséquences de la défaite, le Parti socialiste s’achemine vers un congrès placé sous le signe de la « refondation ». A l’exception peut-être d’Emmanuel Maurel, les candidats au poste de premier secrétaire présentent avant tout des profils de techniciens et semblent peu se distinguer les uns des autres sur le fond. Le PS est-il devenu un astre mort idéologique ?

Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste, Sociologie d’un milieu partisan, 1997.

Dans un tel paysage, on ne sera pas étonné que les candidats à la direction du parti soient issus du sérail. On voit mal comment aurait pu surgir du chapeau une candidature atypique ! Y compris Emmanuel Maurel, tous les prétendants sont des professionnels de la politique depuis plus de 25 ans. Ce qui distingue ce dernier, c’est son ancrage dans l’aile gauche du parti (en l’espèce l’ancien courant poperéniste continué par Alain Vidalies, dont E. Maurel a longtemps été le collaborateur), mais il n’en a pas moins participé aux instances nationales du parti depuis très longtemps : sa première entrée au bureau national remonte à 1994. Stéphane Le Foll et Olivier Faure, de leur côté, ont co-dirigé le cabinet de François Hollande pendant tout le temps où il a été premier secrétaire du PS (de 1997 à 2008). Ils n’ont conquis un mandat de député et développé un ancrage local que dans un second temps.

Celui qui correspond le moins à la figure de l’homme d’appareil est finalement Luc Carvounas, qui n’en est pas moins typique d’une autre figure omniprésente au PS : le militant collaborateur d’élu local qui finit par lui succéder. Luc Carvounas doit en effet sa position à René Rouquet pour qui il a travaillé et à qui il a succédé en 2012 à la mairie d’Alfortville, un fief socialiste inexpugnable depuis 1947 en plein Val-de-Marne communiste. Rompus à la gestion d’appareil (Carvounas a été premier secrétaire de la fédération du Val-de-Marne), maîtres dans l’art de monter des coups politiques, s’ils ne sont pas dépourvus de réelles compétences techniques acquises à travers l’exercice de leurs mandats ou de leurs fonctions de cabinet, ce sont plutôt pour l’instant des hommes qui ont grandi dans l’ombre d’autres dirigeants dont ils ont été les bras armés. Aucun ne s’est distingué par la production d’ouvrages exprimant une vision politique globale, même curieusement Emmanuel Maurel qui affiche un vrai goût pour le débat d’idées.

“La présidentialisation a ainsi conduit à transférer le travail programmatique du parti vers les écuries présidentielles et les think tanks (…) L’un des principaux défis que le PS aura à relever, c’est de réinternaliser la production d’idées et de programmes.”

Ces candidatures sont-elles le symptôme que le PS serait devenu un « astre mort idéologique » ? Les dirigeants que produisent les institutions sont de bons reflets de l’état de ces institutions, mais il ne faut pas oublier que les acteurs sont souvent prisonniers de routines et de logiques de fonctionnement qui les dépassent. Si, depuis au moins une vingtaine d’années, la production intellectuelle, qu’elle soit doctrinale ou même programmatique, occupe une place si marginale dans les activités du parti, cela tient bien sûr aux personnes, mais aussi aux logiques que leur impose le champ politique : la présidentialisation a ainsi conduit à transférer le travail programmatique du parti vers les écuries présidentielles et les thinks tanks qui leur sont proches, comme l’a montré dans sa thèse récente Rafaël Cos. La multiplication des mandats locaux a donné aux élus locaux et à leurs préoccupations une place démesurée au sein du parti au détriment des enjeux nationaux, européens et internationaux, et ce d’autant plus qu’elle a contribué à confier à des collaborateurs d’élus la gestion locale des sections et fédérations du parti. Même quand des secrétaires nationaux ont pris au sérieux leur rôle (ils sont rares), leur travail a ainsi largement été ignoré. Je ne dirais donc pas que les socialistes n’ont pas au cours de ces dernières années produit des idées, cessé de réfléchir, mais qu’ils l’ont fait largement en dehors de leur parti et sans souci de cohérence et de continuité. L’un des principaux défis que le PS aura à relever, c’est de réinternaliser la production d’idées et de programmes.

LVSL : En décembre dernier, Benoît Hamon dévoilait les contours de son nouveau parti, Génération.s. Le lancement de cette nouvelle initiative partisane peut-elle, en exerçant une attraction sur les Jeunes socialistes et les militants de l’aile gauche, menacer la future réorganisation du PS ?

Difficile à dire, elle peut aussi au contraire l’accélérer… Génération.s fait incontestablement preuve d’une grande capacité d’innovation politique, ce qui est toujours plus facile quand on crée un mouvement politique ex nihilo, mais tous les nouveaux mouvements politiques n’adoptent pas forcément des statuts et un fonctionnement conformes à ce qu’ils proclament ! Là, on peut adhérer facilement (et gratuitement) et on peut tout aussi facilement créer des groupes locaux, mais les membres n’en sont pas moins régulièrement associés à la prise de décision. Une partie importante des dirigeants ont été tirés au sort sur la base du volontariat.

Le mouvement bénéficie en outre du capital de sympathie accumulé par Benoît Hamon durant sa campagne électorale, lié à sa capacité à avoir su mettre à l’agenda des problématiques nouvelles. La réduction du temps de travail, le revenu universel, la taxation des robots, la lutte contre les différentes formes de pollution industrielle et alimentaire sont autant de thèmes qui proposent un horizon positif manquant totalement au parti socialiste. Benoît Hamon apparaît ainsi en position de force pour marier socialisme et écologie, ce à quoi semble avoir renoncé Jean-Luc Mélenchon. Mais Génération.s reste coincé pour l’instant entre la France insoumise, qui dispose d’une tribune parlementaire, et le Parti socialiste, qui continue de pouvoir s’appuyer sur de nombreuses mairies, conseils départementaux et régionaux, et l’on voit mal comment Benoît Hamon et son mouvement pourraient couper les ponts avec le PS. Les élections locales supposeront qu’on discute alliances et programmes et l’on ne peut exclure qu’à cette occasion une convergence se dessine.

LVSL : À gauche toujours, la séquence électorale de 2017 a vu émerger la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui tente aujourd’hui d’affirmer son leadership dans l’opposition à Emmanuel Macron. LFI se montre peu encline à nouer de futures alliances avec les socialistes, en mettant en avant d’insurmontables divergences idéologiques et stratégiques. Existe-t-il aujourd’hui en France « deux gauches irréconciliables » ?

Il existe aujourd’hui plusieurs clivages qui traversent la gauche : à propos de l’Europe, à propos de la mondialisation (dont les querelles autour de la laïcité sont un aspect, mais où figure aussi la question de nos politiques vis-à-vis des migrants et de notre politique étrangère), à propos du modèle de société désiré (productiviste et consumériste ou plus sobre) d’où découlent de nombreux sous-clivages sur les modalités de la transition énergétique, la place du travail dans la société, le mode de répartition des richesses…

“Je vois surtout des hommes et des femmes de gauche qui ont du mal à penser le monde contemporain, qui ont du mal à s’organiser et à produire un discours cohérent qui ne soit pas uniquement défensif face à la montée de la pensée et des politiques néo-libérales.”

Je ne vois pas pour ma part deux gauches irréconciliables, je vois surtout des hommes et des femmes de gauche qui ont du mal à penser le monde contemporain, qui ont du mal à s’organiser et à produire un discours cohérent qui ne soit pas uniquement défensif face à la montée de la pensée et des politiques néo-libérales. Emmanuel Macron, son libéralisme décomplexé sur le plan économique et social et son autoritarisme tout aussi décomplexé en matière de défense des droits de l’homme et dans sa pratique gouvernementale peuvent d’autant plus facilement se déployer qu’aucune force de gauche ne parvient pour le moment à contrer son discours « modernisateur » et « pragmatique ».

LVSL : Début février, dans un entretien au Monde, Jean-Christophe Cambadélis déclarait : « la dégénérescence des socialistes les a amenés à abandonner les exclus ». Au-delà de la formule, peut-on considérer que le PS paie aujourd’hui le prix d’une déconnexion des classes populaires, de l’érosion de ses liens avec le monde syndical et associatif ?

Frédéric Sawicki

Le terme « exclus » est assez vague et masque le fait que le divorce du PS est particulièrement marqué avec les classes populaires (ouvriers et employés) de tout type de statut, y compris récemment les fonctionnaires. Ce divorce ne concerne d’ailleurs pas que le PS. Si une partie de ces électeurs ont pu voter pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, ils ne constituent pas le noyau le plus fidèle de son électorat. L’abstention et le vote Front national sont aujourd’hui les attitudes les plus fréquentes. Les organisations syndicales elles-mêmes peinent de plus en plus à syndiquer les employés et les ouvriers en dehors du secteur public ou des grandes entreprises nationales. La convergence des politiques économiques et sociales menées par la droite et la gauche, par-delà des différences de détail difficilement perceptibles pour les personnes qui ne suivent pas l’actualité politique régulièrement, ont contribué à renforcer une attitude de rejet de la classe politique qui emporte tout sur son passage, à l’exception du FN qui peut jouer sur sa position hors jeu !

LVSL : Vous pointez le rôle de la construction européenne dans la reconfiguration idéologique du Parti Socialiste post-1983 et l’abandon du socialisme dans un seul pays. Est-ce cette question qui a joué le rôle déterminant dans l’incorporation du néolibéralisme par les élites du PS ?

Plutôt que d’incorporation, je parlerai d’accommodation dans un double sens. Après la réorientation des politiques économiques qui commence en fait dès 1982, les élites socialistes en sont vite venues à penser que la seule façon d’accommoder à leur goût le néo-libéralisme était de le réguler en développant les institutions et les règles européennes et internationales. D’où le soutien accordé à François Mitterrand et Jacques Delors pour leur politique de relance de la construction européenne. La chute du mur de Berlin va être vue par les mêmes comme l’opportunité d’affaiblir la puissance économique et monétaire allemande en se lançant dans le projet de monnaie unique, dont le traité de Maastricht est le prélude. Au niveau international, beaucoup d’espoirs ont également été placés dans l’action de l’OMC, dont un socialiste français proche de Delors devient secrétaire général en 2005, Pascal Lamy, après avoir occupé le poste de commissaire européen au Commerce sous la présidence de Romano Prodi.

Au socialisme dans un seul pays s’est substitué l’espoir non pas d’un socialisme à l’échelle de l’Europe, mais d’une Europe disposant de suffisamment de moyens de régulation, y compris dans sa capacité à négocier avec les autres grandes puissances des accords qui préservent des pans entiers de son économie. Chaque avancée dans la construction européenne a alors été présentée comme une étape de plus vers l’Europe sociale. Le problème est que ces avancées ont été très coûteuses (souvenons-nous de la politique de « déflation compétitive » menée sous l’égide de Pierre Bérégovoy ou des privatisations engagées sous le gouvernement de Lionel Jospin pour se conformer aux nouvelles règles européennes) et que l’Europe sociale n’a livré aucune de ses promesses.

“Faute d’être parvenus à construire l’Europe qu’ils espéraient, les socialistes français en sont venus à faire la politique que les institutions européennes espéraient.”

Face à cette impossibilité de peser réellement sur la manière dont s’est construit l’Europe, les socialistes en sont venus à s’accommoder du libéralisme, par petites touches. Cela a commencé très tôt dans le domaine financier où, dès 1985, Pierre Bérégovoy a été en pointe dans la libéralisation des marchés financiers pour permettre à l’État de s’endetter à moindre coût et aux entreprises de se financer plus facilement. Cela s’est poursuivi sur le plan des politiques industrielles, domaine dans lequel les socialistes ont abandonné tout volontarisme dans les années 1990. En matière de politique sociale, ils se sont montrés beaucoup plus prudents que leurs homologues allemands et britanniques. Ils se contenteront, si je puis dire, de ne pas remettre en question les réformes mises en œuvre par la droite (privatisations, réforme des retraites…).

Il faudra attendre le quinquennat de François Hollande pour que les socialistes français s’attaquent au droit du travail. À chaque fois l’argument a été le même, rendre l’économie française plus compétitive et respecter nos engagements européens. Faute d’être parvenus à construire l’Europe qu’ils espéraient, les socialistes français en sont venus à faire la politique que les institutions européennes espéraient. Ici l’échec est celui non seulement des socialistes français mais de tous les sociaux-démocrates européens, qui se sont révélés incapables de porter un projet commun. Faire le bilan de toute cette histoire me semble aujourd’hui un impératif catégorique si les socialistes veulent avoir une chance de continuer à incarner un idéal politique positif pour un nombre significatif de Français et d’européens.

Propos recueillis par Lenny Benbara et Vincent Dain 


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Ordonnances : le PS tente de faire oublier sa loi Travail

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Myriam El-Khomri © Chris 93

Bien décidé à se refaire une santé après la débâcle du quinquennat Hollande, le PS tente de se redonner une image « de gauche » en s’opposant à la « réforme » du code du travail par ordonnances portée par Muriel Pénicaud. Un périlleux numéro d’équilibriste pour un parti qui a commis les lois Macron et la loi El Khomri, de la même veine libérale, lorsqu’il était aux affaires. Les représentants du PS ont beau jeu de fustiger aujourd’hui une politique qu’ils appliquaient, approuvaient et justifiaient il y a quelques mois encore. Quitte à prendre quelques libertés avec la vérité … Car si différence il y a entre les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron, il s’agit tout au plus d’une différence de degré mais certainement pas d’orientation politique.

 

Une posture de « gauche » pour se refaire une virginité politique

Les députés Luc Carvounas, Stéphane Le Foll et leur président de groupe Olivier Faure font en ce moment le tour des plateaux pour dire tout le mal qu’ils pensent des ordonnances Pénicaud. Ils critiquent tant la méthode que le contenu des ordonnances. Ils martèlent que Macron est un président « et de droite, et de droite » et tentent de réactiver un clivage droite-gauche qu’ils ont eux-mêmes complètement brouillé en menant une politique antisociale à laquelle la droite ne s’est opposée que par opportunisme politique et par calcul électoral. Macron n’est-il pas un pur produit du PS de François Hollande ? Emmanuel Macron, après avoir conseillé Hollande pendant la campagne de 2012, est nommé secrétaire adjoint de l’Elysée de 2012 à 2014 puis ministre de l’économie de 2014 à 2016. Emmanuel Macron a été l’un des personnages clé du quinquennat de François Hollande et il a joué les premiers rôles sur les dossiers économiques et sociaux. C’est, en quelque sorte, la créature du PS qui lui a échappé des mains et qui a fini par se retourner contre lui. Une partie conséquente de la technostructure du PS a d’ailleurs migré vers LREM, dans les valises de Richard Ferrand.

Le groupe « Nouvelle Gauche » réunissant les députés PS rescapés de la gifle électorale de 2017, s’est du reste largement abstenu, lors du vote de confiance au gouvernement d’Edouard Philippe. Seuls 5 d’entre eux dont Luc Carvounas aujourd’hui très en verve contre la ministre du travail, ont voté contre.

 

L’enfumage de Luc Carvounas sur son soutien à la loi El Khomri

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Luc Carvounas © Clément Bucco-Lechat

Le 28 août, dans l’émission News et compagnie (BFM TV), Bruno Jeudy pose à Luc Carvounas la question suivante : « Quand on a soutenu la loi El Khomri il y a encore 2 ans, vous allez maintenant dire tout le mal que vous pensez des ordonnances Macron ? » Luc Carvounas rétorque : « Alors, Bruno Jeudy, je suis désolé, vous êtes un très grand observateur politique. Je suis sénateur, je n’ai pas voté la loi El Khomri. Voilà, je suis désolé. »  Suite aux objections du journaliste  (« D’accord mais vous avez soutenu le pouvoir qui était en place. Vous étiez un proche de Manuel Valls. Comment on passe de la situation de “je suis derrière la loi El Khomri” à “je suis contre les ordonnances Macron” ? »), Luc Carvounas persiste et signe : « Bon si vous voulez me faire dire que j’étais derrière la loi El Khomri, ce n’est pas le fait. J’appelle celles et ceux qui veulent vérifier sur internet le cas (sic). » Formulé ainsi, on pourrait tout à fait croire que Luc Carvounas était l’un des parlementaires PS “frondeurs” qui se sont opposés à la loi El Khomri et, plus largement, à l’orientation de plus en plus libérale de François Hollande.

Vérification faite : Luc Carvounas, à l’époque sénateur, a bien voté contre l’ensemble du projet de loi El Khomri le 28 juin 2016. Il omet cependant soigneusement de rappeler ce qui a motivé son vote. Et pour cause. Si Luc Carvounas n’a effectivement pas voté le texte final sur la loi travail présenté au Sénat, ce n’est certainement pas par opposition à la philosophie de la Loi Travail ni même à la dernière mouture du projet défendu par le gouvernement. Les sénateurs PS avaient en réalité tous voté contre la version du projet présentée par la majorité sénatoriale de droite qu’ils jugeaient « complètement déséquilibrée ». D’ailleurs, Myriam El Khomri elle-même y était opposée ! Elle fustigeait, dans un tweet datant du jour du vote,   « la majorité sénatoriale de droite [qui]  a affirmé sa vision de la Loi Travail : un monde sans syndicats, un code du travail à la carte. » Une question de degré en somme. Le sénateur Carvounas a également voté contre presque tous les amendements déposés par le groupe communiste  et par ses collègues socialistes frondeurs comme Marie-Noël Lienemann.

Luc Carvounas  appartient à l’aile droite du PS. Il a été un fervent défenseur de la loi Travail et, plus largement, de la ligne de Manuel Valls dont il était l’un des principaux lieutenants au Sénat comme dans les médias et qu’il a activement soutenu aux primaires du PS de 2011 et de 2017 avant de prendre ses distances. C’est lui qui s’exclamait, le 10 mai 2016, sur le plateau de France 24 (8’45) : « Il est où le problème pour celles et ceux qui nous écoutent, de ce texte [loi el Khomri, ndlr]? Il n’y en a pas en fait ! ». C’est toujours lui qui ne comprenait pas pourquoi une partie  jeunesse manifestait contre la loi El Khomri. C’est encore lui qui reprochait à ses collègues frondeurs « d’être plus jusqu’au-boutistes que la CGT ». Cette CGT qu’il accusait d’être une « caste gauchisée des privilégiés. » Et le voilà maintenant qui annonce qu’il participera, avec ses collègues du PS, à la manifestation organisée par la même CGT le 12 septembre contre les ordonnances Pénicaud ! La direction de la CGT n’a pourtant pas changé entre temps et elle s’oppose aujourd’hui aux ordonnances Pénicaud pour les mêmes raisons qu’elle s’opposait hier à la Loi El Khomri.

 

LR, LREM et PS : les 50 nuances du libéralisme économique UE-compatible

 La véritable ligne de démarcation se trouve-t-elle entre LREM et le PS ou entre le PS et la CGT ? En réalité, LR, LREM et PS ne sont aujourd’hui que des nuances d’une seule et même grande famille politique et intellectuelle : le libéralisme économique UE-compatible. Les uns et les autres s’accusent d’être « trop à gauche » ou « trop à droite » et de « ne pas aller assez loin » ou « d’aller trop loin » dans le démantèlement progressif des droits sociaux conquis auquel ils contribuent tous lorsqu’ils gouvernent.

Tous inscrivent leur politique dans le cadre de la « règle d’or » budgétaire européenne et entendent suivre bon an mal an les Grandes Orientations de Politique Economique de la Commission européenne, demandant çà et là des reports ou des infléchissements à la marge lorsqu’ils sont en exercice. La loi El Khomri était d’ailleurs une loi d’inspiration européenne. Rappelons aussi que c’est la majorité socialiste de l’Assemblée Nationale qui a permis, en octobre 2012, la ratification du « traité Merkozy » qui n’avait pas été renégocié par François Hollande, contrairement à sa promesse de campagne. Quant à Emmanuel Macron qui se faisait introniser au Louvre sur l’air de l’Hymne à la joie, il entend bien devancer les attentes des dirigeants européens euphoriques depuis son élection.

 

Se faire élire à gauche, gouverner à droite

 

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François Hollande © Matthieu Riegler

Le PS veut incarner aujourd’hui la gauche du capital face aux « Républicains » et à la « Grosse coalition » à l’allemande de Macron qu’il juge trop à droite. C’est ce qu’ils appellent la « gauche responsable » ou « la gauche de gouvernement ». Les socialistes surjouent cette posture de gauche maintenant qu’ils sont repassés dans l’opposition. Difficile de démêler la part de calcul, d’opportunisme et de conviction au regard de leur passé gouvernemental récent …

François Hollande s’est rappelé à notre mauvais souvenir cet été en exhortant son successeur à ne pas « demander des sacrifices aux français qui ne sont pas utiles » car il estime qu’il « ne faudrait pas flexibiliser le marché du travail au-delà de ce que nous avons déjà fait au risque de créer des ruptures. » Différence de degré encore une fois. François Hollande et le PS estiment qu’ils en ont déjà fait assez, les macronistes estiment qu’il en faut encore plus et Les Républicains estiment qu’il en faut toujours plus. Tous sont donc d’accord pour « flexibiliser », c’est-à-dire précariser, le travail et se disputent quant à la dose à administrer aux travailleurs. Le Medef et la Commission européenne, eux, jouent les arbitres et distribuent les bons et les mauvais points.

Du reste, François Hollande a beau jeu de jouer la modération aujourd’hui, ne se rappelle-t-il pas des premières versions de la Loi Travail ? Quant à sa version finale, elle prévoit qu’en matière de temps de travail, un accord d’entreprise puisse remplacer un accord de branche même s’il est plus défavorable aux salariés ; elle généralise la possibilité de signer des accords d’entreprise ramenant la majoration des heures supplémentaires à 10%, elle introduit les « accords offensifs », c’est-à-dire la possibilité de modifier les salaires à la baisse et le temps de travail à hausse dans un but de « développement de l’emploi », elle élargit les cas de recours au licenciement économique entre autres joyeusetés. Et les premiers dégâts se font déjà sentir … Modéré, vous avez dit ?

Le PS crie sur tous les toits qu’il faut « réinventer la gauche ». En réalité, ici, il n’est question ni de gauche, ni de réinvention. Il s’agit de se faire élire à gauche pour gouverner à droite comme François Hollande qui désignait en 2012 la finance comme son ennemi pour s’empresser de gouverner avec elle et pour elle. Le « retour » d’un François Hollande à la réputation « de gauche » bien trop ternie, pourrait compromettre cette opération de ravalement  de façade que tout le monde appelle de ses vœux à Solférino.

Crédits photo :

© Chris93 (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fourcade_El_Khomri_2.JPG)

© Clément Bucco-Lechat (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Luc_Carvounas_-_1.jpg)

© Matthieu Riegler (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_Hollande_-_Janvier_2012.jpg)


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