Comment les médias ont fabriqué le candidat Macron

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© Création/Édition LHB pour LVSL (2017)

Quelques mois après son entrée au Ministère de l’économie, Emmanuel Macron jouissait d’un niveau de popularité plutôt faible. En octobre 2014, seules 11 % des personnes interrogées souhaitaient le voir jouer un rôle plus important dans la vie politique. Un an et demi plus tard, il conservait une cote de popularité très basse chez certaines catégories sociales : en mars 2016, seuls 6 % seulement des ouvriers et 4 % des artisans appréciaient le très libéral ministre de l’économie. Aujourd’hui, les « sondages » le considèrent régulièrement comme la personnalité politique préférée des Français. Que s’est-il passé entre-temps ? Quel rôle a joué la presse dans le basculement de l’opinion ?

Dans les premiers temps où Emmanuel Macron exerce le poste de Ministre de l’économie, il ne fait pas encore la une de tous les grands quotidiens. Vaguement connu du grand public, il est relativement peu apprécié. Ex-banquier chez Rothschild, libéral, bling-bling, instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail plutôt mal reçue par les travailleurs : voilà comment Macron est vu par l’homme du commun. Commence alors la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron. Choyé par les élites intellectuelles et journalistiques, il ne tarde pas à devenir un sujet d’actualité privilégié pour la grande presse. Macron a été, et de très loin, la personnalité politique la plus médiatisée durant les deux dernières années. Les quotidiens Libération, l’Obs, le Monde et l’Express totalisent plus de 8000 articles évoquant Emmanuel Macron de janvier 2015 à janvier 2017 ; à titre de comparaison, la totalité des articles évoquant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon dans les mêmes quotidiens et sur la même période de temps ne s’élève qu’à 7400.

Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon - Média / Articles
Comparatif du nombre d’articles mentionnant Emmanuel Macron comparé au nombre de mentions cumulées de Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon – © LHB pour LVSL (2017)

Qu’avait donc de si extraordinaire le Ministre de l’économie pour se retrouver propulsé au premier plan de la scène médiatique ?

Macron incarne « le renouveau » et « la modernité »

Libéral « de gauche », comme la quasi-totalité des membres du gouvernement Hollande ; européen convaincu, comme l’extrême majorité de ses collègues. Les solutions économiques qu’il préconisait face à la crise, celles du Parti Socialiste depuis 1983, n’avaient décidément rien d’original. Diplômé de Sciences Po, énarque nommé au ministère après un passage par la banque : son parcours n’était pas non plus particulièrement atypique.

Ce n’est pas l’avis de nos éditorialistes : « l’iconoclaste » Macron incarne selon eux le « renouveau » et la « modernité ».

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Captures d’écran – Le Monde, BFMTV, L’Express et LCI

Les journalistes s’enthousiasment, les rédacteurs en chef jubilent. Emmanuel Macron inspire des élans lyriques à Laurent Joffrin et Nicolas Beytout, rédacteurs en chef de Libération et de l’Opinion.

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Captures d’écran – Libération et L’Opinion

Ce sont les mêmes raisons qui ont été avancées par les actionnaires de ces médias pour justifier leur sympathie vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Ainsi, si Pierre Bergé (actionnaire au Monde et à l’Obs) et Vincent Bolloré (actionnaire à Canal+) lui apportent leur soutien, c’est parce qu’ils sont respectivement charmés par sa jeunesse et sa “modernité“.

Macron le romantique

Avis aux fayots et aux ambitieux parmi les lycéens : coucher avec sa prof de Français semble être un bon moyen pour faire la une des médias pendant plusieurs semaines. C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser au regard du nombre de couvertures et d’articles dédiés à la vie sentimentale du ministre.

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Couvertures de Paris Match et VSD (2017)

La presse people n’est pas la seule à s’être penchée sur la vie sentimentale du ministre. Le cas Brigitte Macron est devenu une question âprement débattue au sein de la presse politique.

L’idylle du couple Macron, réminiscence d’une forme d’amour courtois à la française ? C’est ce qu’incitent à penser Le Monde ou Le Figaro, selon lesquels la relation entre Brigitte et Emmanuel Macron permet d’expliquer le succès du ministre de l’économie auprès de l’électorat féminin.

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Captures d’écran – Le Figaro Madame et Le Monde

Plus féministe, Libération y voit le signe d’une égalisation des conditions.

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Capture d’écran – Libération

L’analyse de l’Express est plus métaphorique. Selon ce quotidien, l’accueil négatif que recevrait ce couple serait symptomatique du refus qu’opposent les Français à la modernisation de leur système politique et social.

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Capture d’écran – L’Express

Brigitte Macron n’était pas la seule caution romantique du ministre de l’économie. Sa barbe de trois jours a par exemple défrayé la chronique journalistique.

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Selon Les Échos, le port de la barbe constituerait une transgression de le part d’Emmanuel Macron. Un élément qui permet de comprendre pourquoi la presse trouve un caractère “subversif”, “iconoclaste” et “anti-système” à Macron ? – Captures d’écran – L’Obs, Le Point, France Bleu, Le Parisien, L’Express et Les Échos

L’épopée connaît un rebondissement inattendu. Emmanuel Macron, souhaitant retrouver sa peau imberbe d’antan, décide de se faire raser au salon de coiffure ; cette séance lui a valu une égratignure. Les journalistes, le souffle coupé par la nouvelle barbe d’Emmanuel Macron, manquent à nouveau de perdre leur souffle.

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Captures d’écran – L’Express, Le Huffington Post, Gala et RTL

Prophétie auto-réalisatrice : quand les prédictions des médias deviennent réalité

Les semaines passent et se ressemblent : Macron fait la une des médias, il obtient le soutien de nombreux analystes, politologues et « experts » invités sur les plateaux télés. Prenant sans doute la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron pour le symptôme d’un engouement populaire, un nombre croissant de journalistes plaide, implicitement ou directement, pour une candidature du Ministre de l’économie à l’élection présidentielle.

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Captures d’écran – L’Express, France Culture et Le Monde

Considérant sans doute que ces appels à candidature témoignent d’une attente populaire authentique, les médias présentent alors l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron comme un soulagement généralisé :

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Captures d’écran – Le Monde, France Inter et L’Obs

Engouement factice ou véridique ? S’il est permis de s’interroger sur l’authenticité de cet enthousiasme au sein des classes populaires, elle ne fait aucun doute pour les élites médiatiques. Le jour même de sa démission, Emmanuel Macron faisait les gros titres de la grande presse. Le JT de France 2 a consacré 22 minutes à cet événement, soit les deux tiers de l’émission. Même chose sur TF1, où Emmanuel Macron était personnellement invité pour une interview d’une durée de 17 minutes...

http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/91515/david-pujadas-confirme-au-jt-de-20h-de-france-2.html
Le JT de France 2 est quotidiennement regardé par 4 à 5 millions de téléspectateurs. Ce que les présentateurs affirment sur un ton apparemment neutre possède un impact décisif sur les événements politiques. Capture France 2

Il est permis de se demander dans quelle mesure l’exposition permanente des moindres faits et gestes d’Emmanuel Macron a encouragé, voire en grande partie créé l’adhésion de l’opinion (à en croire les sondages) à la campagne d’En Marche. Selon David Pujadas, la démission d’Emmanuel Macron constitue « bien sûr […] un moment important dans la campagne présidentielle qui s’annonce ». Ces mots étant prononcés à une heure de grande écoute (plusieurs millions de téléspectateurs), l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron devient effectivement un moment important pour la campagne présidentielle.

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La Macron-mania médiatique : cause ou conséquence de son succès ? – Couvertures de L’Obs, L’Express et Libération

Macron l’anti-système

Macron avait beau faire, son parcours incarnait à lui seul les collusions entre le monde politique et les grands intérêts financiers ; un candidat aussi peu suspect de sympathies marxistes que François Bayrou a même pu s’en émouvoir. Rien de tel, lorsqu’on est porté par le système, que de se déclarer « anti-système » pour se refaire une virginité. Que le diplômé de Sciences po, l’énarque, le banquier, le ministre Macron puisse se déclarer « anti-système » est une chose. Que cette information loufoque soit relayée avec autant de sérieux par la grande presse en est une autre.

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Captures d’écran – L’Obs, Le Monde et Libération

Dernière en date : après avoir déclaré que Macron représentait un « danger » pour la « séparation entre la sphère politique et la sphère financière », François Bayrou finit par conclure que s’il s’allie avec Emmanuel Macron, ils feront « sauter la Banque ».

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Capture d’écran – L’Express

Le « phénomène » Macron

Jeune, romantique, anti-système : après avoir présenté l’ex-ministre sous ces traits élogieux pendant des mois, après avoir fait de sa démission le point de départ d’une nouvelle révolution, la presse n’a plus qu’à se féliciter du travail accompli en constatant le progrès d’Emmanuel Macron dans les sondages.

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Captures d’écran – Le Point, RTL, Yahoo Actualités et BFMTV

Conséquence de ce bourrage de crâne intense et systématique, Emmanuel Macron est désormais crédité de plus de 20 % et considéré comme la personnalité politique préférée des Français dans un sondage réalisé pour BFM-TV.

La palme revient, comme souvent, à Libération. Le quotidien « progressiste » « de gauche » financé par Patrick Drahi et Edouard de Rothschild qualifie le phénomène Macron d’ « incontestable » mais aussi « d’imprévisible ».

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Capture d’écran – Libération

Imprévisible, vraiment ? Après plus de 17 000 articles mentionnant Emmanuel Macron dans la grande presse, des centaines de reportages élogieux à la télévision et le soutien constant et systématique des élites médiatiques françaises ?

– Édition et mise en page LHB pour LVSL (2017)

Les primaires du PS ou la médiacratie en action

Capture ITélé / BFMTV

Dans un précédent article, nous expliquions que les primaires, loin de représenter une avancée démocratique comme le prétendent leurs promoteurs, remplissent avant tout une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche-droite. L’attitude des médias de masse, co-organisateurs de la campagne des primaires, s’y révèle discutable d’un point de vue démocratique. En organisant directement les débats et en relayant abondamment la campagne des primaires de LR, du PS et affiliés, le système médiatique a légitimé et alimenté la stratégie électorale de ces partis au détriment d’autres formations politiques. Dernier exemple en date : la couverture médiatique des primaires du PS et de ses satellites.

Une grand-messe politico-médiatique

Les débats des primaires ont été directement organisés par les médias de masse qui ont tous largement apporté leur pierre à l’édifice : service public et médias privés, chaines généralistes et chaines d’information en continu, presse écrite et radio.

Le dernier débat de premier tour des primaires de la Belle Alliance Populaire a par exemple été organisé conjointement par France Télévisions (service public) et Europe 1 (Lagardère) tandis que le précédent débat était assuré par iTélé (Bolloré) et BFMTV et RMC (Weill-Drahi) et le premier débat était orchestré par l’Obs (Niel-Bergé-Pigasse), RTL (Bertelsmann-Mohn) et TF1 (Bouygues).

Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat.
Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat (Capture BFMTV et iTélé)

La concurrence et la course à l’audimat ont été, le temps d’un débat, mises de côté dans une sorte de grande communion politico-médiatique. Ainsi avons-nous pu voir les deux journalistes-stars d’iTélé et de BFMTV, Laurence Ferrari et Ruth El Krief, plus complices que jamais, se réjouir de voir leurs deux équipes travailler de concert alors que, d’ordinaire, elles se concurrencent sur le créneau horaire 19-20h.

 

Une monopolisation de l’espace médiatique

Du reste, il était bien difficile pour les téléspectateurs et auditeurs de réchapper aux débats des primaires puisqu’ils étaient retransmis en direct simultanément sur plusieurs chaines de télévisions et stations radio. Ainsi, le 12 janvier, le premier débat du premier tour était retransmis par TF1, LCI, LCP et RTL ; le deuxième débat était diffusé sur iTélé et BFMTV et RMC et le dernier débat était retransmis au même moment sur France 2, LCP, LCI, Franceinfo et Europe 1. La saturation médiatique s’étend sur internet et les réseaux sociaux puisqu’on pouvait suivre les débats en streaming. S’en sont suivies des émissions de « debrief » tant sur les chaînes qui diffusaient les débats que sur d’autres chaînes et, pour les retardataires, des rediffusions des débats ont également été programmées.

En dehors des débats, les médias de masse ont suivi et relayé les meetings, les déplacements et les moindres faits et gestes des candidats Ils ont également invité les différents candidats pour des interviews individuelles par souci d’équité quand bien même les candidats issus du PS ont concentré l’attention de médias. Les 7 candidats à la primaire du PS sont avant tout 7 défenseurs et porte-paroles de la stratégie du PS bénéficiant d’un accès privilégié aux médias le temps de la campagne.

F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (BFMTV)
F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (Capture BFMTV)

Sur les plateaux de BFMTV, Ruth El Krief et Jean-Jacques Bourdin ont en effet reçu, l’ensemble des candidats à l’occasion de la campagne des primaires. C’est ce choix éditorialiste de la part de BFMTV qui explique que François de Rugy sera reçu par Bourdin alors que Bastien Faudot, pourtant candidat déclaré aux élections présidentielles de 2017 et investi par le MRC, ne connaîtra pas cet honneur. Le Parti écologiste, fondé en 2015 par François de Rugy, dispose pourtant d’un nombre d’élus à peu près équivalent voire moindre par rapport au MRC fondé en 2003. La différence majeure expliquant ce traitement médiatique inégal ? La participation à la primaire et donc leur lien avec le Parti Socialiste. La Belle Alliance Populaire avait accepté la participation du Parti écologiste à la primaire tandis qu’elle avait refusé celle du MRC ; le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis avait justifié à l’époque ce choix en arguant que la primaire du PS, « ce n’est pas open-bar ».

La rhétorique du PS abondamment relayée et légitimée

Les médias organisateurs des débats accompagnent la stratégie de légitimation du PS pour l’hégémonie à gauche, en relayant complaisamment et sans prendre le recul nécessaire, les éléments de langage du PS et de ses satellites sur la « primaire de la gauche et de l’écologie ». Dans sa bande-annonce du débat du 19 janvier, France 2, par la voix de son journaliste David Pujadas, fait ainsi la promotion du débat de « la primaire de la gauche ». Pourtant, il convient de rappeler que le PCF, EELV, la France Insoumise, par exemple, qui se revendiquent également de la gauche et de l’écologie n’ont pas souhaité y participer tandis que d’autres formations se revendiquant elles aussi de la gauche telles que le MRC ou Nouvelle Donne et souhaitant y prendre part, ont été recalées à l’entrée de la Belle Alliance Populaire. La neutralité et le pluralisme revendiqués par les médias de masse et, en particulier par le service public, ne devraient-ils pas appeler à plus de précaution dans les termes employés plutôt que de reprendre telle quelle la rhétorique des promoteurs de la Belle Alliance Populaire ?

 

La déferlante médiatique autour des primaires du PS, sous prétexte que ce sont des primaires ouvertes à tous les citoyens, est telle que l’on ne s’en émeut plus guère mais elle est tout à fait discutable d’un point de vue démocratique. On peut y voir en effet un parti-pris médiatique puisque cette couverture médiatique, abondante et déséquilibrée, légitime et accompagne la stratégie du PS qui souhaite, à travers ce mode de désignation de son candidat présidentiel, asseoir ou rasseoir son hégémonie à gauche, au détriment d’autres formations politiques qui lui disputent cette centralité dans le cadre des élections présidentielles de 2017.

Crédits photo :

Capture BFMTV / ITélé

“Les ouvriers sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique” – Entretien avec Jack Dion

Jack Dion, directeur-adjoint de Marianne

Jack Dion est directeur adjoint de l’hebdomadaire Marianne et l’auteur de l’essai, Le mépris du peuple : Comment l’oligarchie a pris la société en otage, paru en 2015 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Dans cet ouvrage, il pointait la manière dont les catégories populaires ont été rendues invisibles et suspectes par une caste qui dispose de tous les leviers de pouvoir.


LVSL – Est-on revenu à l’image très XIXème siècle des « classes dangereuses » ?

Jack Dion – Il y a un peu de ça, mais le contexte est très différent. Marx disait : un spectre hante l’Europe, le communisme. Aujourd’hui, on pourrait dire : un spectre hante le monde, le populisme.  On emploie ce mot valise pour tout et n’importe quoi. On l’évoque aussi  bien pour le Brexit que pour la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, pour la défaite de Renzi en Italie que pour la percée de Poutine sur la scène internationale. En France, on l’utilise pour jeter dans le même sac d’opprobre ceux qui se trompent de colère en votant FN et ceux qui sont sensibles à la musique alternative d’un Jean-Luc Mélenchon, par exemple. Ce concept fourre tout est devenu le mot favori de ceux qui ne comprennent pas les dérèglements politiques contemporains. On le retrouve sous toutes les plumes, on l’entend dans toutes les bouches.

Le populisme est ainsi devenu l’idée référence, le mantra agité en permanence. Il est asséné comme une formule magique qui revient à dire que le peuple fait sécession – sans que l’on sache pourquoi – ou qu’il ne comprend rien à rien, ou qu’écouter ses doléances est un crime contre la pensée correcte.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition.

Certains vont même jusqu’à théoriser qu’il n’est nul besoin de s’intéresser aux couches populaires puisqu’elles fournissent les bataillons des abstentionnistes aux élections. A quoi bon écouter des gens qui sont en dehors du système validé par les élites, que ces dernières soient de droite dure ou de gauche molle ?

La mise en rencart des couches populaires est ainsi devenue la donnée politique dominante de la société française. Tout le monde (ou presque) semble s’en accommoder, soit en considérant que c’est inévitable, soit en spéculant sur d’hypothétiques jours meilleurs pour en sortir. C’est sur cette réalité que le FN fait sa pelote politique, utilisant ainsi les douleurs et les frustrations pour avancer ses thèses.

De fait, les ouvriers, les employés et les techniciens (pour dire vite), qui représentent encore une part substantielle de la population active sont marginalisés. On a l’impression qu’ils n’existent pas ou qu’ils forment une espèce en voie de disparition. Ils sont absents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils sont inexistants aux postes de direction des partis politiques. Ils sont caricaturés par les principaux médias, souvent présentés comme des beaufs racistes sensibles au discours xénophobe. Leur parole n’est jamais prise en compte alors qu’ils sont les premières victimes des politiques néolibérales menées ces trente dernières années, soit par la gauche soit par la droite. Ils sont les grands oubliés du gauchisme culturel qui domine l’univers médiatique.  D’où un décrochage durable qui fait du peuple le trou noir de la scène publique.

L’UNION EUROPÉENNE, TELLE QU’ELLE FONCTIONNE, EST UNE MACHINE À CRÉER DES EUROPHOBES À LA PELLE

LVSL – Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique du Brexit et de la façon dont son résultat a été contesté ?

J.D. – Il a été aussi caricatural que l’est toute analyse incapable de comprendre la réalité complexe en raison d’une grille de lecture préétablie dont il est impossible de sortir. Les élites avaient décidé que l’hypothèse du Brexit était une abomination, une perversion intellectuelle, quasiment un blasphème, et qu’il fallait donc diaboliser quiconque évoquait la possibilité d’une telle perspective. Elles se sont donc trompées, avant, pendant et après le choix souverain du peuple britannique. Avant, en ne voyant pas que l’Union Européenne, telle qu’elle fonctionne, est une machine à créer des europhobes à la pelle, pour de bonnes et parfois pour de mauvaises raisons. Pendant, en croyant les sondages qui assuraient que les défenseurs du Brexit étaient isolés. Après en n’imaginant même pas qu’il puisse y avoir une vie possible pour la Grande-Bretagne en dehors de l’Europe, alors même que ce pays a parfaitement survécu à son maintien en dehors de la zone euro, profitant de la marge de manœuvre que lui confère l’existence d’une monnaie nationale.

La France a connu un phénomène similaire en 2005 à l’occasion du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE). A l’époque, déjà, quiconque osait contester la logique du TCE était traité de populiste, ou de national-populiste (version plus sophistiquée), voire de fasciste en herbe. Quand Manuel Valls, qui avait d’abord pris partie pour le Non se rallia au Oui, il le fit en expliquant, dans une tribune publiée par Le Monde, que l’Europe était menacée par une vague de « populisme » (déjà). Serge July, alors directeur de Libération, restera comme l’auteur d’un éditorial destiné à figurer dans les annales de l’analyse politique en voyant dans le résultat du référendum « un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité ». En somme, les Français n’avaient pas voté en connaissance de cause, mais par peur, par réflexe animal.

Le débat européen était déjà ramené à un clivage entre les gens de biens, membres d’une avant-garde éclairée, et les gens de peu, ignorants. C’est ce qui s’est passé pour le Brexit. Certes, une partie de l’élite britannique a appelé à voter contre l’Europe pour des raisons xénophobes, mais ce n’est pas une raison pour faire de tous ceux qui ont voté en faveur du Brexit des racistes avérés refermés sur eux-mêmes et décidés à bouffer de l’étranger à la place du porridge.

LVSL – Des partis, des hommes et des femmes politiques cherchent à incarner une forme d’insurrection populaire. Parfois sous un verni de droite avec Donald Trump et l’AfD en Allemagne, parfois sous un verni plus progressiste avec Podemos et Jean-Luc Mélenchon, enfin sous des traits assez flous, avec le Movimento Cinque Stelle en Italie. Est-ce que l’on vit actuellement un « moment populiste » ?

J.D. – Je suis assez réservé sur l’usage de cette formule pour des raisons développées précédemment, et tenant au fait que le terme de « populiste » est très insultant vis-à-vis des milieux populaires. De plus, la formule peut aboutir à mettre dans le même sac des réactions et des comportements politiques qui sont antinomiques. Il est clair que l’on ne peut comparer les différentes formes d’insurrection populaire que vous avez évoquées. Entre Trump et Podemos ou entre L’AfD et Mélenchon, c’est le jour et la nuit, ou l’eau et le feu. Reste un point commun qui est le rejet des politiques austéritaires menées au fil des ans par des partis politiques qui suscitent un véritable phénomène de rejet, et des élites qui en sont devenues les symboles en chair et en os, comme l’a été Hillary Clinton aux Etats-Unis.  Cette dernière a quand même réussi à se faire battre par un représentant de Wall Street mieux à même de faire entendre un discours en prise sur les angoisses de la classe ouvrière américaine, aussi surprenant que cela puisse paraître. Au lieu de se demander si la main de Moscou est derrière la victoire de Trump, ce qui est du plus grand ridicule, mieux vaudrait tirer les leçons de la débâcle de Hillary Clinton et de Barack Obama réunis, ces deux chouchous des bobos de San Francisco et de Brooklyn. Toute la question est de savoir si l’insurrection civique qui couve débouchera sur une voie sans issue, telle la victoire de Trump aux Etats-Unis ou un éventuel renforcement du FN en France, ou si ce sont des forces et des courants porteurs d’une vision émancipatrice qui l’emporteront. Bien malin qui pourrait le dire.

LVSL – Certaines choses semblent avoir changé depuis la parution de votre ouvrage. Les candidats du « système » se revendiquent ouvertement du peuple et partent à l’assaut des médias. On pense ici à certaines déclarations de Manuel Valls, à la posture d’Emmanuel Macron qui critique le « vieux système », ou encore à François Fillon, qui avait ouvertement taclé Pujadas au cours d’un des débats de la primaire de la droite. Que pensez-vous de ce renversement ?

J.D. – Ce renversement illustre le phénomène qui est au cœur de mon livre, à savoir la coupure, la fracture même, entre le peuple et les élites, phénomène qui dépasse de loin le clivage traditionnel droite/gauche puisqu’une partie de la gauche a sombré corps et biens dans la gestion pépère du capitalisme financier. Du coup, certains sont obligés de prendre en compte cette réalité, ne serait-ce que pour ne pas se couper d’une partie majoritaire de l’électorat sans laquelle il est illusoire de prétendre être élu. Mais ils le font avec des stratégies différentes. Manuel Valls ne veut pas porter le poids du bilan de François Hollande, qui risque de le plomber en raison de son parcours de Premier ministre d’un Président ultra minoritaire dans l’opinion. Emmanuel Macron perçoit certains des blocages institutionnels mais vise un rassemblement « ni gauche ni droite » sur la base d’un néolibéralisme intégral. Quant à François Fillon, s’il a été plébiscité lors de la primaire par la crème d’un électorat de droite CSP+, il a un programme d’inspiration thatchérienne qui peut le handicaper dans la dernière ligne droite. Cela dit, il faut reconnaître que sur certains points, comme le rapport à la Russie ou la condamnation de l’islamisme, il a un discours qui rompt avec le droit-de-l’hommisme en vigueur dans les médias et dans la gauche bourgeoise. D’où une impression de parler vrai et une hauteur de vue qui ont tranché lors des débats de la primaire, y compris lors des échanges avec des journalistes en tous points conformes à leur propre caricature.

LVSL – On pointe régulièrement le fait que le FN s’implante de plus en plus chez les ouvriers, les employés précarisés et les inactifs. Le « peuple » est-il passé à l’extrême-droite ? Quel rôle va-t-il jouer pendant l’élection présidentielle de 2017 ?

J.D. – Non, le peuple n’est pas passé à l’extrême-droite, mais il faut se demander pourquoi il est sensible à sa petite musique. Plusieurs causes sont à prendre en considération. La première est que le FN apparaît comme le seul parti non concerné par le rejet des équipes ayant exercé le pouvoir ces dernières années.  C’est un fait objectif qui permet au FN de se présenter comme un parti ayant les mains propres, ce qui est un comble quand on connaît son histoire, ses liens douteux et les gamelles que traînent certains de ses représentants. Mais l’alternance de pacotille qui a permis aux partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche, de se relayer aux affaires pour mener une politique similaire (au détail près) a ouvert un boulevard à l’extrême-droite. Le second élément à prendre en considération, plus structurel, est l’échec historique du communisme tel qu’il a existé du temps de l’URSS. La conséquence en a été l’effondrement du PCF qui a longtemps été le porte voix des exclus, et qui a été en partie remplacé dans ce rôle par le FN. Ce disant, je ne mets pas le PCF et le FN sur le même plan. Loin de moi cette idée saugrenue qui traîne parfois de ci de là, et qui est passablement injurieuse pour les communistes, quoi que l’on pense de leurs errements passés et de leurs choix d’aujourd’hui. Mais force est de constater que le vote contestataire a été récupéré en partie par le FN. Dans les quartiers populaires, le rôle social, culturel et politique naguère assuré par les communistes l’est par d’autres, qui n’ont pas le même attachement (c’est un euphémisme) aux valeurs républicaines, à commencer par la laïcité et l’émancipation féminine. Enfin, le dernier élément à prendre en compte est l’abandon par les forces se réclamant de la gauche, de bien des terrains de combat, permettant ainsi au FN d’apporter des réponses au mieux illusoires au pire dangereuses.

Ainsi, a-t-on oublié le rôle de la nation, les vertus de la laïcité, la nécessaire régulation de l’immigration pour ne pas nourrir la guerre des pauvres contre les pauvres, la lutte contre toutes les formes d’insécurité (sociale, civile culturelle), ou la question européenne, jugée intouchable par les Eurobéats de tous poils.  Résultat : sur tous ces sujets comme sur d’autres, on a laissé le FN avancer ses pions, aussi critiquables soient-ils. Pourtant, il n’y a aucune fatalité à ce qu’il en soit ainsi. Contrairement à ce qu’on lit dans la Pravda des bobos, titre que se disputent Le Monde et Libération, les Français ne sont pas des racistes invétérés, insensibles aux autres. On n’en est pas revenu aux « heures les plus sombres de notre histoire », comme disent ces esprits qui se croient encore à l’époque des Républicains espagnols en lutte contre le fascisme. Simplement, à oublier de regarder la réalité telle qu’elle est, à remplacer la politique par la morale permanente, on se coupe de ceux qui ont les deux pieds dans la glaise de la vraie vie, et qui attendent des réponses à leurs questions, non des sermons culpabilisants. D’une certaine manière, tout l’enjeu de la prochaine présidentielle est là.

La vérité sort de la bouche des menteurs

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©Sarah Hafiz

Dans son dernier ouvrage, Jean-Michel Aphatie poursuit inlassablement l’entreprise de décrédibilisation de la “classe médiatique” mainstream, dévoilant un système de copinage à bout de souffle, et un mépris certain pour ces pauvres cloches d’électeurs que nous sommes.

« Quel journaliste peut ainsi se vanter d’intervenir à soixante-sept reprises en huit minutes dans le cadre d’une interview ? Jean-Michel Aphatie bien entendu. Cette prouesse, qui doit probablement constituer un record en la matière, a été accomplie lors de la venue de Nadine Morano, le 15 février 2012. Un simulacre d’interview qui en dit long des méthodes de cet éditocrate en chef dont l’une des marques de fabrique consiste à couper la parole de ses interlocuteurs, anéantissant ainsi toute illusion de débat de fond. Sur RTL comme sur Canal +, l’interview politique est donc un sport de combat où les coups donnés masquent (à peine) un manque évident d’intérêt pour la diversité des opinions et des options politiques, surtout si celles-ci ne sont pas du goût de Jean-Michel Aphatie », Acrimed, 12 mars 2012.

C’est, comme dirait l’autre, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Que le monde politique et le monde médiatique actuel soient dans un état de déliquescence avancé, ça ne date pas d’hier. Qu’un certain nombre de journalistes complaisants, adeptes du copinage en série, grassement payés par des capitaines d’industrie, dégradent jour après jour la réputation et la valeur de leur profession, c’est acquis. Qu’un nombre assez restreint de vedettes omniprésentes cultivent le zapping et la désinformation, allons, il faut être né de la dernière pluie pour l’ignorer.

Il n’empêche : tomber nez-à-nez avec le dernier chef d’oeuvre d’une de ces vedettes où figure, sur la première de couverture, une question comme “En 2017, qui sera le meilleur menteur ?” a de quoi écœurer violemment. Voyons, va-t-on aussitôt m’objecter, l’affinité des politiques, et en particulier des mieux mis en avant par le système médiatique, est une évidence, non ? Ça n’est pas Cahuzac qui nous l’aura appris ?

Un beau pedigree 

Rappelons le parcours du vénérable M. Aphatie. Après avoir fait cocus une bonne pelletée de médias privés (Canal+, RTL, L’Express) et une petite poignée de médias publics, le voilà débarqué pour une nouvelle aventure sur la toute dernière émanation télévisuelle du service public, FranceTV Info. Il y pratique son art subtil, à l’égal de nombre de ses confrères, de titiller la classe politique, de lui tirer les vers du nez, dans l’espoir de lui faire cracher le morceau, autrement dit, de poser toujours à peu près les mêmes questions aux mêmes individus. Au fond, il s’agit d’entendre leurs idées, peut-être pas le fond de leur pensée, ne rêvons pas, mais une pensée ayant vocation à convaincre une majorité de citoyens.

Que je sache, M. Aphatie ne lance pas en début d’entretien “Alors, vous vous situez où dans l’échelle du mensonge, vous vous considérez un champion en la matière ?”. Bien sûr que non. Alors cracher à la face du monde, avec un grand sourire, cette question qu’il n’oserait pas leur dire en face, c’est au mieux de l’hypocrisie, au pire du cynisme catégorie poids lourds.

Nourrir, loger et surtout blanchir M. Aphatie

Seulement, qui paye M. Aphatie ? En ce moment, la redevance télévisuelle. C’est-à-dire vous et moi. Si Aphatie était le Zorro des médias, s’il s’appliquait à prendre en flagrant délit de mensonge les politiciens, ou s’il prenait soin d’inviter des gens qu’il aurait de bonnes raisons de croire intègres, on pourrait trouver que l’investissement tient la route. Le problème, c’est que c’est exactement le contraire, c’est plutôt le genre “symbole conspué d’un journalisme “assis”, au mieux inoffensif et inutile, au pire complice des pouvoirs1. Côté oligarchie, il n’est pas en reste : en 2012, Bruno Masure estimait qu’il gagnait environ 20 SMIC par mois2.

Conclusion : soit M. Aphatie ment (non, pas tous menteurs !), soit il croit véritablement à son oxymore : on peut être le meilleur et être le pire des menteurs. Et on peut porter une critique par ailleurs légitime (essoufflement des élites traditionnelles peu renouvelées, tendance au mensonge) sur les “puissants”, tout en se vautrant dans la même fange, qui plus est aux frais du contribuable. On peut offrir de l’audience aux mêmes personnes que l’on châtie par derrière. Contradiction ? Provocation ? Humour décalé ? Non : rentabilité.

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Interview de Mr Mondialisation

On a parlé de mondialisation, de Notre-Dame-des-Landes, de souveraineté, d’engagement politique, des médias dominants et de Donald Trump aussi, avec Mr Mondialisation. Interview à découvrir…

LVSL – Le moins que l’on puisse dire est que vous êtes devenu un média alternatif influent. Vous avez plus d’un million d’abonnés sur Facebook, ce qui vous place devant Libération, par exemple, et fait de vous un concurrent sérieux de la presse mainstream. Comme celui d’autres médis alternatifs, votre succès pose la question du devenir de la presse mainstream, à qui les citoyens font de moins en moins confiance. Le système médiatique traditionnel (c’est-à-dire la presse écrite et financée par de puissants intérêts économiques) a-t-il fait son temps ?

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Mr Mondialisation – Si on regarde l’histoire des médias, on constate que la presse a toujours été en évolution constante mais sur de plus longues périodes. Tout comme l’industrialisation s’est « accaparée » l’outil du travailleur, une poignée de médias ont également gagné peu à peu le contrôle de l’outil de publication des journalistes (le vrai travailleur). Avec Internet, l’outil est rendu aux mains du journaliste qui peut choisir de s’exprimer sans passer par le prisme d’une grande entreprise d’information. C’est exactement le phénomène que nous observons. Le système médiatique traditionnel n’est pas encore révolu, mais il va devoir coexister avec des « maquis » journalistiques libres qui peuvent gagner autant de visibilité qu’ils en ont aujourd’hui. La grande question reste de savoir comment ces journalistes peuvent vivre dans leur activité car aucune aide ne leur est offerte, le système ayant deux décennies de retard sur la réalité.

LVSL – Vous avez commencé votre activité de blogueur en 2004. Depuis douze ans, la question écologique a gagné en importance au sein des discours politiques ; cette année, les grandes puissances se sont réunies à Paris pour signer les accords de la Cop 21 sur le réchauffement climatique. Pensez-vous qu’elle témoigne d’une prise de conscience de l’urgence de la question écologique ? Depuis 2004, constatez-vous plus largement une évolution positive dans la manière dont le monde politique considère la question écologique ?

mr-mondisaltion-billetsMr Mondialisation Je n’ai malheureusement pas le sentiment d’une véritable prise de
conscience du drame écologique dans les discours politiques des partis dominants. La COP21 fut présentée comme un événement historique qui changerait tout. Les précédentes COP également. Dans les faits, toutes les structures de la société continuent de porter la Croissance des productions comme étant le seul objectif louable, et cette « croyance » commune se reporte dans les discours politiques : compétitivité, emplois, développement… Ainsi, quand j’écoute un Fillon, une Le Pen ou un Macron, leur aveuglement (ou cynisme) me frappe. Tous, ou presque, se persuadent qu’ils vont régler nos problèmes environnementaux en conservant le modèle qui en est à la source. Certes, on peut admettre que la question écologique prend une plus grande place dans les discours qu’il y a dix ans, mais surtout sur la forme, et rarement le fond. Et pourtant, voilà déjà trop longtemps que nous n’avons plus le luxe d’attendre.

mr-m-iiiLVSL – On distingue d’ordinaire deux approches de la question écologique : une approche individuelle, selon laquelle chaque citoyen peut, par ses choix individuels (en réduisant sa consommation, en la modifiant…) protéger la planète des menaces qu’elle encourt ; et une approche politique, selon laquelle c’est le changement des structures institutionnelles (politiques et économiques) qui permettra de mettre fin au saccage de la planète. Privilégiez-vous l’une de ces deux approches par rapport à l’autre ?

Mr Mondialisation – Je n’ai jamais aimé les positionnements extrêmes, tout noir ou tout blanc. Je crois sincèrement que ces deux composantes sont complémentaires et qu’il serait impossible d’articuler l’une sans l’autre. Je m’explique : un changement de structure à un niveau politique n’est possible que si une large portion de la population change de comportement de consommation et accepte donc des réformes qui seraient jugées contraignantes par les consommateurs lambdas avides de produits industriels low-cost. Il ne peut y avoir de changement structurel sans une population politiquement engagée. Et par politique, j’entends une véritable citoyenneté « dans la cité » qui s’inscrit autant à travers l’idée que les actions du quotidien. Nous avons été bercés à l’idée qu’il existait un fossé entre politique, institutions et le peuple. C’est ce fossé qu’il faut combler, notamment à travers des outils beaucoup plus démocratiques qu’aujourd’hui. 

Par opposition, les possibilités d’action sur le terrain sont nécessairement limitées par les réglementations qui sont aussi l’effet de la volonté collective. En matière d’urbanisme par exemple, les règles sont très contraignantes pour ceux qui aspirent à l’habitat alternatif. On comprend donc que les approches individuelles et collectives sont imbriquées et ne peuvent être séparées. Les discours clivants qui cherchent à opposer ces deux univers viennent ainsi ralentir le processus démocratique et les possibilités de transition.

LVSL – Vous vous revendiquez volontiers “apartisan”. Cela veut-il dire que vous jugez les partis politiques insuffisants pour régler la question écologique, ou tout simplement incapables et dépassés ?

Mr Mondialisation – Je me revendique « apartisan » et non pas apolitique, c’est à dire que je suis libre de tout mouvement partisan au sens des partis politiques d’un pays déterminé. Et pour cause, Mr Mondialisation touche de nombreux pays francophones. Même si nous avons des idées politiques clairement identifiables, nous voulons garder notre indépendance vis à vis du jeu politicien pour nous focaliser sur les actes et les idées. Ceci ne nous empêchera donc pas de critiquer vivement une figure ou même de suggérer un débat sur une autre figure politique qui partagerait certaines de nos idées.

LVSL – Face aux aspects néfastes de la mondialisation (ultralibéralisme, pollution), deux solutions se profilent ; la première passe par une transformation de la mondialisation ; la seconde prône la reconquête des souverainetés nationales face aux structures supranationales qui propagent la mondialisation (FMI, OMC, Union Européenne…). Vous avez plusieurs fois suggéré votre préférence pour la première option ; la seconde option est-elle pour autant en contradiction avec les valeurs de citoyenneté mondiale et du “penser global, agir local” que vous prônez ?

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Mr Mondialisation – C’est un sujet délicat car les mouvements nationalistes entretiennent volontairement une vision manichéenne radicale du monde pour justifier leur position. Allons dans le concret. Qu’est-ce qui permet à une multinationale d’aller exploiter un travailleur chinois, dans des conditions environnementales dramatiques, pour trois fois rien à l’autre bout du monde pour revendre le fruit de cet esclavagisme moderne au français moyen ? C’est précisément le fait que les réglementations sociales et environnementales sont plus souples en Chine, donc le fruit de leur souveraineté politique, qui permet cette exploitation. Quand certains parlent de fermer les frontières et de cristalliser les différences, ils accentuent au contraire ces hétérogénéités qui font le profit des multinationales. Cette mondialisation n’en est donc pas vraiment une : les gens ne peuvent pas circuler où ils le souhaitent, ils ne bénéficient pas du même salaire, ni des mêmes droits, ni des mêmes protections. La seule mondialisation que le « système » autorise, c’est celle du déplacement des capitaux. Le reste, nos différences légales, permettent l’exploitation des peuples. Ce monde a besoin de solidarité entre les peuples, pas de davantage de division. C’était le sens premier de « l’internationale ». Offrir à chaque humain une chance de vivre dignement où qu’il se trouve. C’est donc un faux débat que de vouloir maintenir ses différences en voguant sur les peurs et les frustrations économiques.

Cependant, si les structures supranationales font le jeu de ces différences pour alimenter le dogme de la Croissance et de l’économie triomphante, il semble évident qu’une volonté de s’en affranchir soit légitime. Alors, comment « le français » peut-il lutter contre l’exploitation d’autres peuples par leurs gouvernements ? Au niveau local, c’est réapprendre à consommer de manière éthique en s’assurant que le producteur/travailleur soit respecté, où qu’il se trouve. À un niveau politique, c’est envisager une forme de protectionnisme solidaire qui pénalise économiquement une importation qui soit socialement et écologiquement insoutenable sur une base rationnelle. Ainsi, pourquoi un petit producteur indépendant de cacao bio respectant une éthique sociale (bons salaires, droits,..) devrait-il être traité de la même manière qu’un géant de l’industrie du cacao exploitant des enfants et responsable de la déforestation ? Si nous étions sur un marché de village, qui voudrait tolérer des producteurs ayant du sang sur les mains à venir vendre sa marchandise moins chère ? Alors pourquoi est-ce si facile de fermer les yeux à l’échelle globale ? En pénalisant ceux qui ne respectent pas les règles des droits de l’Homme et des droits de la Terre, on offre le marché à ceux qui « produisent bien », autant en local qu’ailleurs, et on le ferme à ceux qui refusent de s’adapter. Mais c’est une position nuancée, sans doute complexe à mettre en oeuvre, qui demande du courage politique et surtout une analyse rationnelle des situations, sans possibilité de lobbying.

 

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LVSL – Une étude publiée par l’université de Stanford affirme qu’il est possible de bâtir une économie basée à 100% sur l’énergie renouvelable d’ici cinquante ans. C’est loin d’être la seule. Pourtant, la majorité des partis politiques ne font pas de la transition vers l’énergie renouvelable leur priorité. Quelle en est l’explication d’après vous ?

Mr Mondialisation – L’étude de l’université de Stanford n’est effectivement pas la seule à le démontrer. Oui, les énergies renouvelables sont l’avenir aujourd’hui autant pour des raisons élémentaires d’environnement que d’économie, celles-ci étant chaque année plus abordables et donc compétitives. C’est donc paradoxalement l’appât du gain qui aujourd’hui permet l’évolution de ces énergies. Mais c’est aussi ce même appât du gain qui restreint leur avancée ! Je m’explique. En matière d’énergie, l’argent n’a pas d’odeur. Si dans le domaine du renouvelable on trouve beaucoup d’outsider et de petites structures, les acteurs des énergies fossiles sont des mastodontes bien difficiles à faire bouger. Ils ont un pouvoir de lobbying impressionnant, ils étaient à la COP21 et seront aux prochaines pour négocier avec les gouvernements, ils ont des capitaux colossaux et continuent d’investir dans de nouvelles formes d’extraction du pétrole ou d’autres sources fossiles. Pire, l’industrie fossile continue de recevoir des aides d’Etat colossales (directes ou indirectes). L’ensemble de notre civilisation moderne axée sur l’hyper-consommation repose sur une énergie bon marché et facilement transportable. Il existe ainsi énormément de facteurs qui expliquent pourquoi la transition est lente et difficile. Des événements locaux comme l’opposition citoyenne à un nouvel aéroport, où encore contre la construction d’un oléoduc géant aux Etats-Unis, montre comment, sur le terrain, des gens conscientisés souhaitent la transition dès aujourd’hui. Mais les pouvoirs prennent la défense de la libre entreprise et de la propriété privée des grands détenteurs de capitaux pour justifier et protéger ces projets d’un autre âge.

LVSL – La justice française vient d’autoriser les travaux à continuer sur le site de Notre-Dame des Landes. Que pensez-vous de cette décision?

Mr Mondialisation – Comme je le suggère plus haut, les institutions baignent en plein délirium. La notion de bien être collectif, toute forme de raison environnementale, sont éludées du débat au profit de décisions quasi-mécaniques et froides. Nous vivons le règne du capital à court terme et de la liberté de l’utiliser, même si cette utilisation met en péril la survie des générations futures. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un outil institutionnalisé (et légal) pour mesurer rationnellement l’impact d’une décision de ce type sur la collectivité. Bref, une vision d’avenir bâtie sur des faits.

LVSL – Un commentaire sur l’élection récente de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique ?

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Mr Mondialisation – Est-ce bien nécessaire ? Ce délirium dont nous parlions est autant symbolisé par l’élection de Trump qu’il ne l’aurait été par celle de Clinton. L’un comme l’autre ont une vision commune en matière d’emploi ou de nécessité économique. C’est encore plus pesant aux USA où l’idée de liberté de faire du business est inscrite dans leurs veines. Il n’y a rien à espérer de cette élection. Les candidats avec un réel potentiel de changement ont été éludés du débat et des médias depuis longtemps et la plupart des citoyens n’ont même pas idée de leur existence. Je crains que la France ne fasse bientôt face à la même expérience. Seront placés sous les yeux des électeurs deux principaux candidats jugés « satisfaisants » pour l’intérêt de l’establishment et non celui des français. Je crois que nous arrivons à un point où chacun comprend que c’est la structure même de la démocratie qui doit évoluer aujourd’hui, depuis la manière dont on vote à la représentativité des élus ou encore le poids des lobbies dans le processus démocratique. Les outsiders qui questionnent ces institutions devraient avoir toute notre attention.