Métal « vert » et exploitation des mineurs : dix ans après le massacre, « business as usual » à Marikana

© Malena Reali pour LVSL

Le 16 août 2012, dans les mines de platine de Marikana, la police sud-africaine massacrait 34 grévistes, en coordination avec la direction de la multinationale britannique Lonmin. Cette tuerie a été présentée par la presse occidentale comme une affaire exclusivement « sud- africaine », relative à l’intensité des conflits sociaux du pays. Une lecture qui passe sous silence l’insertion des mines de platine d’Afrique du Sud dans les chaînes de production globales. Les bénéfices de « l’or blanc », essentiel à la « transition écologique » que les gouvernements occidentaux prétendent impulser, se paient en coûts environnementaux et en violences multiformes sur les lieux de son extraction. Dix ans plus tard à Marikana, rien ne semble avoir changé. Ni pour les mineurs qui risquent leur vie pour de faibles salaires, ni pour les communautés qui vivent dans des baraquements en tôle à proximité des mines, dans un environnement pollué. Reportage.

Un métal pour un futur plus vert : c’est ainsi qu’est présenté le platine par le World Platinum Investment Council. Essentiel à la fabrication des catalyseurs automobiles – conçus pour limiter les émissions de CO2 -, des semi-conducteurs et des alliages magnétiques pour les disques durs, son importance continue de croître avec la « transition numérique » qui se profile en Europe. À Maditlokwa, dans la région de Marikana, « l’or blanc » évoque immédiatement une tout autre réalité. Après l’ouverture de la mine, en 2008, « les femmes victimes de fausses couches ont été de plus en plus nombreuses. Nous avons fini par comprendre que l’eau, polluée par les activités minières, en était la cause. », témoigne Cicilia Manyane, présidente de l’association Mining Host Communities in Crisis Network (MHCCN) qui rassemble plusieurs membres de la communauté.

Plusieurs études ont documenté le lien entre extraction minière dans la région et pollution de l’eau – du fait de l’usage de produits chimiques lors de l’extraction et du raffinage des minerais, du dépôt de déchets miniers et d’investissements insuffisants de la part de l’entreprise pour en prévenir les effets. « Légalement, nous ne devrions pas consommer l’eau qui arrive dans nos robinets. Nous ne devrions même pas nager dedans », continue-t-elle.

Des habitants de la communauté de Maditlokwa devant leurs habitations © Maud Barret-Bertelloni et Vincent Ortiz

Tharisa, l’entreprise minière qui opère dans le village, affirme avoir fourni aux communautés locales un accès régulier à l’eau. L’expérience quotidienne permet aux habitants de constater sa dangerosité. « Lorsque nous faisons bouillir de l’eau, un dépôt blanc apparaît – comme si le lait tournait dans le thé », commente Christina Mdau, secrétaire du MHCCN – preuve à l’appui. « Rien n’a changé ».

La pollution de l’eau générée par les activités minières n’est que l’une des nombreuses récriminations adressées par les habitants et les travailleurs à l’égard des entreprises du platine. En août 2012, ces revendications ont été portées lors d’une grève violemment réprimée par la police. Plus de trente grévistes ont été tués lors du « massacre de Marikana », devenu le symbole des luttes sociales et environnementales dans le secteur minier. « Rien n’a changé », nous répète-t-on, depuis cette tuerie.

Économie politique de « l’or blanc »

La presse internationale a insisté sur les déterminants nationaux du massacre de 2012 : violence de la police, intensité des conflits sociaux, implication sulfureuse de Cyril Ramaphosa – actionnaire de la multinationale Lonmin, figure clef de la politique sud-africaine et aujourd’hui président du pays. À la veille du massacre, dans un échange de mails avec la police, ce dernier avait qualifié les grévistes de « criminels » et affirmé s’engager auprès du ministère de l’Intérieur afin qu’une action soit prise en conséquence. Si la répression fut indéniablement le fait de la police sud-africaine, il est impossible de comprendre ce climat incandescent de tensions sociales sans prendre en compte les caractéristiques de l’industrie du platine.

L’année du massacre, celle-ci connaît une perte de profitabilité. Les multinationales du platine subissent alors le contrecoup du processus de financiarisation entamé dans la période post-apartheid, qui leur avait au départ tant bénéficié. La chercheuse Samantha Ashman résume : « Depuis 1996, l’ANC [African National Congress, le parti au pouvoir depuis l’élection de Nelson Mandela NDLR] a réduit le contrôle sur les capitaux et les échanges, et permis aux conglomérats de déplacer leurs cotations en bourse à l’étranger ». Cette ouverture du pays aux marchés financiers internationaux était censée permettre un accès facilité à des financements et capitaux étrangers. Les actionnaires de Lonmin, d’Anglo-American et d’Impala, les trois maîtres du platine, ont d’abord connu des années fastes. Tant que d’importants profits étaient dégagés et que les agences de notation certifiaient la rentabilité de l’industrie, les capitaux continuaient à affluer. Puis la conjonction de la chute du cours du platine, des rendements décroissants des activités minières – le platine se raréfiant et nécessitant davantage d’investissements pour être extrait – et plus largement de la crise de 2008, ont fait baisser les taux historiques de retour sur investissement de 30 % à près de 15%.

La dépendance aux actifs étrangers impliquait que les géants du platine retrouvent rapidement leurs marges antérieures pour rassurer investisseurs, prêteurs et agences de notation. Afin de préserver leur accès aux marchés financiers, ils ont promis des taux de retour sur investissement « absolument irréalisables ». Leur modèle : « distribuer et réduire » (distribute and downsize), soit continuer à distribuer des revenus conséquents aux actionnaires tout en réduisant le nombre de travailleurs, licenciés par milliers après 2008. La pression comptable liée à l’évasion fiscale aux Bermudes de plusieurs centaines de millions de rand par an, documentée par Dick Forslund, n’a rien arrangé à la chose.

C’est dans ce contexte que les conflits sociaux se sont multipliés dans la ceinture de platine – une bande traversant l’Afrique du Sud d’Est en Ouest où l’on trouve une grande quantité de ce métal précieux. Pour la première fois, ils se sont déroulés en-dehors du cadre des organisations traditionnelles. Le syndicat majoritaire, la NUM, alliée historique de l’ANC, avait été discrédité auprès des travailleurs miniers par son refus d’engager une action frontale contre la société minière. La grève qui s’annonçait pour le mois d’août 2012 à Lonmin tranchait avec les conflits antérieurs. D’une part, les travailleurs qui portaient la revendication d’un salaire « de survie » de 12,500 rands – plus du double de leur revenu de l’époque – étaient déterminés à lutter jusqu’à obtenir gain de cause. De l’autre, l’entreprise minière, sous une pression internationale intense, était déterminée à rétablir le rythme de production. Tout était réuni pour que le conflit débouche sur une répression violente.

La colline au pied de laquelle s’est produit le massacre de Marikana © Maud Barret-Bertelloni et Vincent Ortiz

Le 16 août 2012, à l’issue d’une grève « sauvage », la police sud-africaine ouvrait le feu sur les mineurs en train de se disperser. La médiatisation du massacre, qui a fait la part belle aux images insoutenables de grévistes mitraillés, tend à faire apparaître ce conflit comme une affaire intégralement sud-africaine. La vulnérabilité des entreprises du platine à l’égard des marchés financiers et la politique de licenciements et de compression des salaires qui en résulte en temps de récession, est pourtant une affaire transnationale. Au lendemain de Marikana, l’agence Moody’s avait averti : accepter une « augmentation des salaires » généralisée des travailleurs de la mine aurait « des effets négatifs en termes d’accès aux crédits pour les entreprises minières ». De fait, Lonmin a connu un lent dépérissement les années suivantes en raison des concessions finalement accordées aux grévistes, qui ont enclenché un cercle vicieux de retrait des actionnaires et de dévalorisation boursière. La multinationale a fini par être vendue en 2018 après avoir perdu 98% de sa valeur…

Alors que l’on commémore les dix ans du massacre, aux pieds de la colline où s’étaient retirés les travailleurs en grève, les trente-quatre croix qui avaient été érigées en hommage aux victimes ont disparu. Siphiwe Mbatha, co-auteur avec Luke Sinwell d’un livre sur les événements de 2012, y voit la manifestation d’un rapport de force toujours aussi défavorable aux travailleurs de la mine.

Permanence des conflits sociaux

La plaine, traversée par les pylônes électriques qui alimentent la mine, est bordée de campements informels composés de baraquements en tôle ondulée, sans eau courante, dans lesquels résident la majeure partie des travailleurs qui se relaient dans les puits et les fonderies. L’air est chargé de poussière, soulevée par l’activité dans les décharges de gravats et le va-et-vient incessant des pick-ups sur les routes en terre battue. Les relations avec les services de sécurité de la mine sont toujours aussi exécrables. Et le spectre de la violence, toujours présent. En juin dernier, une militante qui défendait les communautés locales a été abattue sur le pas de sa porte, tandis qu’un syndicaliste a été assassiné dans la ville voisine de Rustenburg, suite au déclenchement d’une importante grève.

Le démantèlement de Lonmin et son rachat en 2018 par la sud-africaine Sibanye-Stillwater auraient pu faire espérer une amélioration dans les conditions de travail et de vie des habitants. Il n’en a rien été. La revendication d’un « salaire de survie » de 12,500 rands a bien été satisfaite. Mais l’inflation galopante (près de 50 % depuis 2013) contribue à relativiser cette augmentation, de même que l’endettement croissant des travailleurs, y compris à l’égard de leur employeur. Ces gains ne concernent pas les travailleurs contractuels, exclus des structures de négociation collective et systématiquement moins bien payés que leurs collègues directement employés.

Des mineurs membres du syndicat AMCU © Maud Barret-Bertelloni et Vincent Ortiz

Si la prévention des maladies telles que la silicose et la tuberculose a fait des progrès, les travailleurs portent le poids d’années de travail sans protection. Ces enjeux ne sont pas propres à la région de Marikana. Les statistiques sud-africaines font état de conditions de santé dégradées pour l’ensemble des travailleurs du secteur minier. David Van Vyk, chercheur pour la Bench Marks Foundation, est catégorique. « Dans La situation de la classe ouvrière en Angleterre, Engels rapporte qu’au XIXème siècle les ouvriers avaient une espérance de vie qui s’échelonnait entre 40 et 60 ans. Nous sommes au XXIème siècle et c’est aujourd’hui la condition des travailleurs des mines en Afrique du Sud ». Une étude, menée sur 300.000 Sud-Africains de 2001 à 2013, fait état d’un taux de mortalité supérieur de 20 % à celui du reste de la population pour les ex-mineurs…

Les membres du syndicat AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union – le syndicat désormais majoritaire dans la région) mettent en cause la politique de logement de l’entreprise Sibanye-Stillwater. Certains mineurs continuent de vivre dans des hostels, ces habitations collectives où les travailleurs, qui partagent leurs chambres, sont soumis au contrôle des horaires d’entrée et de sortie. Jusqu’en 2020, les invitations de personnes extérieures à la mine demeuraient interdites. Elles sont aujourd’hui autorisées, mais seulement pour un temps limité. Un mineur peut obtenir une chambre individuelle pour y recevoir sa femme, pour la durée maximale d’un mois. « Ils nous considèrent comme des esclaves », commentent-t-ils. Bien sûr, les travailleurs sont libres de refuser d’habiter ces hostels… à condition, bien souvent, d’accepter de vivre dans les baraquements informels, comme ceux du village de Maditlokwa.

Les membres de l’organisation Mining Host Communities in Crisis Network, dénoncent la pollution et la dégradation des conditions de vie aux abords de la mine. Ils pointent du doigt la responsabilité de l’entreprise Tharisa, accusée de violer systématiquement ses engagements.

La mine, qui a pourtant déplacé les habitants du village il y a quelques années, continue de grignoter sur leurs terres. Elle décharge désormais ses gravats juste en face de l’école primaire, soulevant des nuages de poussière, et installe ses grillages électriques à quelques mètres des habitations. « Nous avons toujours peur qu’un enfant, inconscient du danger, soit électrocuté », témoigne un habitant. L’air est chargé de dioxyde de soufre, de dioxyde d’azote et de poussière. Les habitants souffrent de sinusites chroniques et de maladies respiratoires. Dans la région, les raffineries et les excavations à ciel ouvert ont systématiquement dépassé les taux de pollution de l’air réglementaires, même lorsque ces derniers sont graduellement augmentés, bien au-delà des recommandations internationales, comme l’ont documenté les rapports de la Bench Mark Foundation.

L’école primaire Retief School, qui accueille les enfants de Maditlokwa et des villages environnants, au pied des piles de gravats de la mine opérée par Tharisa © Maud Barret-Bertelloni et Vincent Ortiz

Les entreprises profitent du flou juridique de la législation sud-africaine. Depuis 2002, la loi responsabilise les entreprises pour les dégradations environnementales causées par leurs opérations. Mais elle est plus ambiguë sur le cas des communautés déplacées par les activités minières – comme ce fut le cas des habitants de Maditlokwa : de simples « compensations » sont évoquées, sans en préciser la nature. De même, les obligations sociales des entreprises ne sont pas clairement définies – en particulier sur la question du logement. Des documents intitulés Social and labour plans (SLP), censés impliquer dans leur rédaction les communautés locales, les syndicats et les autorités municipales, détaillent leurs engagements sociaux et environnementaux. Le Département des ressources minières et de l’énergie est chargé d’évaluer leur respect pour renouveler les concessions minières. Ces obligations légales donnent lieu à des haussements d’épaules de la part des habitants. L’entreprise Sibanye-Stillwater avait été autorisée à racheter Lonmin en 2018 par les autorités sud-africaines, à condition d’appliquer les SLP de celle-ci, qui prévoyaient entre autres la construction de plusieurs milliers de logements. Pourtant, les engagements les plus récents pris par l’entreprise n’incluent aucun objectif chiffré en la matière. Elle a récemment refusé de fournir les documents attestant le respect de ses SLP à Amnesty International après avoir promis de les rendre publics.

Délocaliser la pollution

Les métaux du groupe du platine (MGP), parmi lesquels on trouve le platine, le palladium, ou l’irridium, occupent un rôle essentiel dans la « transition écologique » – comme c’est par ailleurs le cas de nombreux métaux rares – : ils permettent la production de catalyseurs automobiles qui réduisent les émissions. Une part croissante de ces métaux est dirigée vers le secteur numérique : ils permettent d’améliorer les capacités de stockage des disques durs et le rendement des data centers. Le conflit ukrainien n’a fait qu’accroître la centralité de l’Afrique du Sud dans la production de MGP : premier fournisseur mondial, son principal concurrent demeure la Russie, à présent frappée par de sévères sanctions. 

La transition écologique des pays du Nord aura-t-elle pour contrecoup l’accroissement de la pollution dans l’autre hémisphère ? Le coût énergétique de l’extraction de platine n’est en effet pas négligeable. Il n’a fait que s’accroître avec le temps : en raison de la profondeur croissante des gisements, il fallait en 2010 entre quatre et dix fois plus d’énergie pour l’extraction d’une quantité similaire qu’en 1955, selon l’étude de deux universitaires australiens. Ceux-ci notent que l’extraction des MGP émet en moyenne près de quatre fois plus de CO2 que celle par exemple de l’or, en raison notamment de « la prévalence du charbon dans le mix énergétique sud-africain ».

Un grillage saboté de Tharisa à proximité des habitations © Maud Barret-Bertelloni et Vincent Ortiz

Plus qu’une forme de greenwashing, les entreprises du numérique et de l’automobile pratiquent une délocalisation du coût environnemental de leurs équipements. Ainsi, leurs filières « zéro émission nette » sont tributaires de l’extraction de matières premières au coût environnemental accablant, qui ne sont pas prises en compte dans leurs calculs…

Le platine de Marikana est issu d’une chaîne de production qui relie l’industrie suédoise (Atlas Copco, Sandvig) – laquelle fournit les équipements pour percer la roche et les camions pour transporter les gravats – aux concessionnaires transnationaux (Lonmin, Amplats, Implats) et sud-africains (Sibanye, Tharisa). Après l’extraction et le raffinage, la chaîne s’étend aux premiers acheteurs de platine, comme l’allemand BASF, le britannique Johnson Matthey et la belge Umicore, à leurs clients dans l’industrie automobile (Volkswagen, BMW…), à leurs actionnaires dans le Nord du monde.

À de rares exceptions près, les ONG et mouvements écologistes européens ignorent l’étendue de cette chaîne de production, et se contentent de pointer du doigt le coût environnemental de la production à l’intérieur des frontières du Vieux continent.1

De même, les objectifs de « neutralité carbone » des pays européens ne prennent pas en compte la pollution importée. Si les rapports de la Commission européenne lient transition « écologique » et « numérique », ils oublient que la seconde se fera très probablement au prix de l’intensification de l’extraction de platine en Afrique du Sud, et de ses risques de pollution et de violences.

Notes :

1 On mentionnera cependant la campagne Plough Back our Fruits, menée par un collectif sud-africain et allemand, centrée autour de la responsabilité de BASF, géant de la manufacture bavarois et premier client de Lonmin, parcourant les chaînes de responsabilité transnationale dans le massacre. Ou les rapports de plusieurs ONG suédoises, dénonçant l’implication de leur industrie automobile.

Rwanda : déstabiliser le Congo pour mieux le piller

À gauche : Paul Kagame, chef du Front patriotique rwandais et président du Rwanda (2000-). À droite : Laurent-Désiré Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo (1997-2001). © Aymeric Chouquet.

Le Rwanda est souvent affiché comme un modèle de développement pour l’Afrique, mais sa face sombre est moins connue. Le régime de Paul Kagamé a mis fin au génocide des Tutsis en vainquant le gouvernement rwandais et les extrémistes hutus durant la guerre civile de 1994. Deux ans plus tard, l’armée de Paul Kagamé envahit l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) et y exporte le conflit. L’armée rwandaise, appuyée par ses supplétifs congolais, a commis des crimes de masse et a pillé les riches mines de la région, contribuant au décollage économique du Rwanda et à la déstabilisation, jusqu’aujourd’hui, des Kivus. Retour sur l’histoire des guerres du Congo par Bienvenu Matumo et Stewart Muhindo.

Lors de son dernier séjour à Paris en mai 2021, le président rwandais Paul Kagamé fut interrogé par France 24 sur les déclarations du docteur congolais et prix Nobel de la paix 2018 Denis Mukwege, auditionné à l’Assemblée nationale française quelques jours plus tôt. Le Dr Mukwege plaide pour une meilleure reconnaissance des crimes de masse commis en RDC et pour la création d’un tribunal pénal international visant à établir les responsabilités pénales de leurs auteurs.

Le Rwanda, un modèle ?

Devant les journalistes français, Paul Kagamé accuse le prix Nobel d’être « un outil des forces qu’on n’aperçoit pas » et affirme qu’« il n’y a pas eu de crimes » dans l’Est de la RDC. L’agacement affiché par le président rwandais montre à quel point la démarche de reconnaissance et de justice pour les victimes des crimes graves commis en RDC dérange dans son pays. L’élite politico-militaire rwandaise, et en premier lieu le chef de l’État, n’est pourtant pas étrangère aux désastres sécuritaires et économiques que connaît la région depuis 1996.

Le régime de Kagamé est régulièrement affiché par les médias internationaux comme un modèle pour l’Afrique en termes de développement, d’égalité femmes/hommes, d’innovation technologique ou de protection de l’environnement. Il symboliserait l’« afro-optimisme », cet espoir de développement pour le continent. Mais ces succès ne peuvent occulter la face sombre de ce régime : celui-ci tire pleinement profit de la déliquescence de l’État congolais et de l’état de guerre permanente qui frappe l’Est de la RDC depuis vingt-cinq ans.

La communauté internationale, se reprochant son inaction lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, a toujours traité Paul Kagamé avec beaucoup d’égards. Celui-ci en tire un soutien diplomatique et des financements internationaux, malgré l’exploitation illégale des richissimes mines du Kivu et les crimes que commettent ses troupes dans cette région, qui ne sont que rarement dénoncés dans la presse. Cette immunité politique et diplomatique ne doit pourtant pas l’exonérer de la responsabilité des crimes commis par ses forces. Elle est une entrave à la pacification de la région des Grands Lacs.

Le droit à la justice des millions de citoyens congolais et de réfugiés rwandais, déplacés et massacrés depuis 1996, peine à être reconnu. L’accès à ce droit devrait pourtant leur être facilité après la publication du rapport Duclert et du rapport Muse, reconnaissant le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Ces deux événements sont intimement liés : la guerre civile rwandaise et le génocide des Tutsis sont le point de départ des conflits qui frappent encore aujourd’hui l’Est de la RDC. Fermer les yeux sur ces pillages et ces crimes revient à consacrer l’impunité de leurs auteurs et accepter leur perpétuation. Seule la justice transitionnelle peut aboutir à la réconciliation et au retour de la paix dans la région.

Lire l’article de Frédéric Thomas « Rwanda 1994 : dernière défaite impériale de la France ? » et notre entretien avec François Graner « Rwanda : le rapport Duclert enterre-t-il le dossier ? »

1996, le conflit rwandais s’exporte en RDC

En 1994, la guerre civile rwandaise, le génocide des Tutsis et le déplacement des populations hutu rwandaises vers la RDC conduit à l’exportation du conflit vers le pays voisin. L’épicentre du conflit se déporte alors vers le Nord-Kivu et le Sud-Kivu voisins. Après le génocide et la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) – parti politique constitué par les Tutsis réfugiés en Ouganda à la suite de plusieurs vagues de persécutions par le pouvoir hutu depuis 1959 –, plus d’un million de Hutus fuient vers l’Est de la RDC. Il s’agit de civils tous âges confondus qui craignent des représailles de la part du FPR ou de civils tutsis, mais aussi des cadres de l’organisation génocidaire : d’anciens militaires des Forces armées rwandaises (FAR), des gendarmes et des miliciens Interahamwe.

Incursions du FPR au Kivu durant la première guerre du Congo (1996-1997) © Keïsha Corantin

Ces différentes forces prennent rapidement le contrôle des camps de réfugiés situés à proximité des villes de Goma et de Bukavu pour se réorganiser dans le but de ré-envahir le Rwanda, renverser le FPR et « finir le travail », c’est-à-dire exterminer les survivants Tutsis. Profitant de la déliquescence de l’État congolais et de l’isolement diplomatique du président Mobutu Sese Seko, lâché par les États-Unis, les autorités rwandaises décident, en novembre 1996, d’envahir l’Est de la RDC pour neutraliser les anciens militaires rwandais et les miliciens Interahamwe. C’est le début de la première guerre du Congo.

La première guerre du Congo fut menée pendant six mois par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Laurent-Désiré Kabila, opposant historique à Mobutu. L’AFDL est largement soutenue par le FPR – lequel a demandé à plusieurs reprises, en vain, au gouvernement congolais de renvoyer les réfugiés rwandais au pays pour juger les criminels –, mais aussi par le Burundi et l’Ouganda, chacun ayant ses propres intérêts sécuritaires et économiques. Ces opérations, visant à neutraliser les extrémistes hutus, aboutissent à des massacres de Rwandais, Congolais et Burundais innocents, soupçonnés, sur la simple base de leur appartenance ethnique, de soutenir les extrémistes. Non contente de rapatrier de force au Rwanda plusieurs centaines de milliers de Rwandais hutus et de pourchasser les fuyards jusqu’au cœur de la forêt congolaise, la coalition composée par l’AFDL, le FPR et leurs alliés prennent Kinshasa, renversent un Mobutu malade et placent Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’État.

En réalité, de nombreux cadres de l’AFDL étaient des membres du FPR. Au point que, après la chute de Mobutu de nombreux civils rwandais intègrent les hautes sphères du pouvoir politique à Kinshasa tandis que l’armée congolaise passe sous le contrôle du général rwandais James Kabarebe, devenu chef d’état-major. Mais Laurent-Désiré Kabila, qui s’était appuyé sur le FPR pour arriver au pouvoir, se retourne subitement contre lui en juillet 1998, en relevant Kabarebe de ses fonctions et en expulsant les militaires rwandais.

La deuxième guerre du Congo

La réaction rwandaise ne se fait pas attendre : dès août 1998, le FPR s’associe aux rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), envahit une nouvelle fois la RDC et prend le contrôle de nombreuses villes du Kivu, de la province orientale et du Nord-Katanga. L’armée rwandaise en profite pour organiser le pillage des mines, tandis que les crimes commis contre les populations congolaises se multiplient. Le 24 août, en représailles après une embuscade, le FPR et le RCD massacrent plus d’un millier de personnes à Mwanga, dans le Sud-Kivu, et commettent des exactions particulièrement sordides : viols et mutilations des parties génitales, jet d’enfants et de bébés dans des latrines. Ces crimes n’ont pas cessé après le retrait des forces rwandaises et la fin de la deuxième guerre du Congo, en 2003.

Les massacres commis par les le FPR et l’AFDL ont pris une proportion telle que certains observateurs ainsi que le rapport Mapping, publié par le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en 2010, ont pu évoquer l’hypothèse d’un génocide commis contre les hutus rwandais et congolais [1].

L’hypothèse d’un second génocide perpétré par le FPR contre les Hutus réfugiés en RDC est écartée par la communauté des chercheurs. Il n’en reste pas moins que des massacres à grande échelle et des tortures particulièrement cruelles ont été perpétrés par le FPR et l’AFDL. De nombreux crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ont été commis. Le rapport Mapping relate des cas de massacres au marteau, d’enrôlements massifs et forcés d’enfants soldats, d’incendie de villages, de viols ou de mutilations. Les victimes sont rwandaises et congolaises.

Aujourd’hui, des chercheurs tels que Roland Pourtier ou Gérard Prunier, estiment qu’il y a eu entre 3 et 5 millions de morts en RDC durant la période 1996-2003, soit lors des deux guerres du Congo. Il est nécessaire de rappeler qu’un génocide se définit comme la destruction systématique de tout ou partie d’un peuple. Le critère est donc qualitatif, et non quantitatif. Un nombre de morts, aussi élevé soit-il, ne suffit pas à qualifier des crimes de génocide. D’autre part, la majorité des morts durant ces deux guerres n’ont pas été tué lors de combats ou de massacres, mais sont morts de privations et de maladie, dues aux désordres engendrés par les conflits. Enfin, le gouvernement rwandais a réalisé plusieurs rapatriements de Hutus réfugiés en RDC. Mais ceux qui ont fui vers la forêt ont été pourchassés et massacrés de manière systématique.

Les chiffres sur les morts ont fait l’objet de vives polémiques, car ils sont un fort enjeu politique. L’Est du Congo est une région montagneuse et forestière, où il y a très peu d’infrastructures, il est donc particulièrement difficile d’avancer un nombre de morts des suites du conflit, d’autant plus que les enquêtes disponibles ont été réalisées plusieurs années après. Il n’existe que des estimations : l’ONG américaine International Rescue Committee (IRC) a avancé le chiffre de 4 millions de morts, repris notamment par Pourtier [2]. C’est en surfant sur cette polémique que Paul Kagamé peut nier les crimes de son armée sur le sol congolais.

Si le rapport Mapping, publié en 2010, s’est limité à documenter et à tenter de qualifier les crimes commis avant 2003, c’est en raison de l’espoir de paix suscité cette année-là. En effet, après avoir signé un accord de retrait des troupes rwandaises (le 30 juillet 2002, à Pretoria) et des troupes Ougandaises (le 6 septembre 2002, à Luanda), les autorités Congolaises signent avec les rébellions Congolaises l’« Accord global et inclusif de Pretoria », le 17 décembre 2002, ratifié par toutes les parties prenantes le 1er avril 2003.

Après la deuxième guerre du Congo, la déstabilisation perdure

La mise en place officielle, le 30 juin 2003, des institutions de transition regroupant tous les belligérants devait signer la fin des hostilités et le lancement du processus de démocratisation. Ce processus a abouti à l’adoption d’une nouvelle constitution et à l’organisation d’élections générales en 2006. Les différents groupes armés rebelles, comme le RCD et le MLC, se constituent alors en partis politiques et leurs troupes sont intégrées aux forces armées congolaises, ce qui fut une réussite relative du processus de démocratisation. Les incursions rwandaises directes ou par milices interposées n’ont pas cessé pour autant.

Que ce soit en soutien au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du chef de guerre Laurent Nkunda en 2008 ou au Mouvement du 23 mars (M23) en 2012, le Rwanda a continué d’apporter un appui de taille à des mouvements rebelles qui déstabilisent la RDC et y commettent des crimes contre la population [3]. Alors que le gouvernement rwandais s’était engagé à Nairobi le 9 novembre 2007 à « prendre toutes les mesures nécessaires pour sécuriser sa frontière, empêcher l’entrée ou la sortie de membres de tout groupe armé et empêcher que toute forme de soutien – militaire, matériel ou humain – soit fourni à aucun groupe armé en RDC [4] », il a activement participé au recrutement de soldats – dont des enfants – à la fourniture de matériel militaire et a envoyé des officiers et des unités des Forces de défense rwandaises (RDF) en RDC, selon un rapport du Groupe d’experts des Nations unies sur la RDC et un rapport d’Human Rights Watch [5].

Malgré le départ du président Joseph Kabila et le réchauffement diplomatique entre le Rwanda et la RDC sous la houlette du président Félix Tshisekedi, les incursions illégales de l’armée Rwandaise sur le sol Congolais se poursuivent. Dans son rapport publié en février 2021, le Kivu Security Tracker (KST) [6] souligne que l’ingérence des puissances régionales dans l’Est du Congo s’est accrue ces dernières années, « en particulier dans des zones sensibles telles que les Hauts Plateaux du Sud-Kivu [7] ». Le groupe d’experts des Nations unies chargé de veiller au respect de l’embargo sur les armes en RDC fait le même constat : dans son rapport publié en 2020, il prouve la présence active de l’armée Rwandaise dans les territoires de Nyiragongo, Masisi et Rutshuru (province du Nord-Kivu) entre fin 2019 et octobre 2020, malgré les dénégations de Kagame [8].

Le pillage des mines congolaises

Le Rwanda et toutes les autres parties prenantes aux conflits armés qui secouent la RDC depuis trois décennies ont toujours évoqué des considérations politiques, ethniques et surtout sécuritaires pour justifier les interventions militaires répétées et le soutien aux milices locales. Pourtant, l’Est de la RDC est une des régions minières les plus riches du monde, on y trouve notamment d’immenses réserves de coltan, mais aussi de l’or et d’autres métaux précieux ou des terres rares, utilisées dans les technologies numériques.

Lire notre entretien avec Guillaume Pitron : « L’espace et la mer, nouveaux horizons de la guerre des métaux rares ? »

Si, durant la première guerre du Congo (1996-1997), on ne note pas de pillage des ressources minières par le Rwanda – celui-ci poursuivant essentiellement un objectif sécuritaire –, il n’en est pas de même lors de la deuxième guerre (1998-2003). En effet, on observe depuis 1998 trois activités illégales pratiquées par le Rwanda sur le territoire congolais : le pillage systématique des mines, l’exploitation minière directe et l’imposition de taxes sur les activités minières. Selon le chercheur Pierre Jacquemot, « pour les nouveaux potentats, la persistance de l’insécurité devint le moyen principal d’enrichissement » et ces guerres furent « le début de la mainmise des lobbies militaro-commerciaux rwandais et ougandais sur les ressources naturelles des zones qu’ils contrôlaient [9]. »

Qu’il s’agisse de minerais, de produits agricoles et forestiers, de l’argent ou du bétail, les militaires rwandais et leurs alliés ont organisé, coordonné, encouragé et mené des activités de pillage systématique dans les zones sous leur contrôle en RDC. Par exemple, dans le secteur minier, l’armée rwandaise et ses alliés ont, en 1998, pillé un stock de sept ans de coltan appartenant à la Société minière et industrielle du Kivu (Sominki). Il a fallu près d’un mois aux rwandais pour transporter le précieux minerais jusqu’à Kigali !

Autre exemple, dans le secteur financier : les mêmes protagonistes ont attaqué les banques locales, pillé et emporté l’argent. En 1999, l’équivalent de 1 à 8 millions de dollars ont été volés à la banque de Kisangani, amené sous escorte militaire à l’Hôtel Palma Beach de la même ville avant d’être acheminé par avion à Kigali, en passant par Goma.

Au-delà des pillages, l’armée rwandaise s’est livrée à l’exploitation directe des ressources minières sur le territoire Congolais qu’elle contrôlait. L’extraction des ressources naturelles était tellement intense que le Rwanda importait de la main-d’œuvre : il utilisait des prisonniers rwandais pour extraire le coltan et, en contrepartie, leur octroyait une réduction de peine ou un versement. En mars 2001, ils étaient plus de 1 500 prisonniers rwandais à extraire le coltan à Numbi (territoire de Kalehe) sous la surveillance des forces rwandaises. L’importance de la main-d’œuvre employée donne une idée de la quantité de minerai extrait et volé. L’enquête de l’ONU a également prouvé que Rwanda Metals, tenue par le FPR, et parmi d’autres entreprises publiques ou proches du gouvernement rwandais, a exploité le coltan en RDC [10].

Les statistiques officielles de l’État rwandais mènent aux mêmes conclusions. Le Rwanda produisait 54 tonnes de coltan en 1995, soit avant les incursions de son armée. En 1999, la production passe à… 224 tonnes [11]. Même chose pour la cassitérite : la production passe de 247 tonnes en 1995 à 437 tonnes en 2000. Cette tendance s’observe aussi dans les exportations rwandaises de diamant. Elles passent de 13 000 carats (d’une valeur de 720 000 dollars) en 1997 à 30 500 carats (d’une valeur de 1,8 millions de dollars) en 2000 [12]. Ceci alors que le Rwanda ne possède pas de gisements significatifs de ces minerais [13].

Cette exploitation illégale s’est poursuivie même après le retrait officiel des troupes rwandaises en 2003. En plus de l’extraction illégale par les groupes armés soutenus par le Rwanda, notamment le CNDP et le M23, un réseau de contrebande de minerais congolais a proliféré au profit du Rwanda et au mépris du devoir de diligence et de traçabilité imposés par la loi Dodd Frank américaine, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Union européenne. L’agence écofin signale même que « le Rwanda est devenu entre 2013 et 2014 le premier exportateur mondial de coltan [14] ». Ces exportations, à quoi s’ajoute la perception de taxes et impôts transitant via les rebelles du RCD-Goma, ont fortement contribué à l’essor économique du pays.

Le régime de Paul Kagamé a su adapter sa politique étrangère et sa stratégie d’exploitation du Congo oriental face à ses homologues successifs, de Laurent-Désiré Kabila à Félix Tshisekedi, en passant par Joseph Kabila. En témoignent les accords signés en juin 2021 sur l’or. Kagamé a su profiter de la volonté du président Tshisekedi de renouer des relations avec lui pour « réguler » ce secteur… et aboutir à ce que l’or congolais soit transformé dans une fonderie rwandaise. Ainsi, la prédation pourra perdurer légalement.

Notes :

[1] Le rapport Mapping est un projet du Haut-commissariat de Nations unies aux droits de l’Homme qui a mobilisé plus d’une vingtaine d’enquêteurs indépendants. Pendant presque un an, ils ont recensé par ordre chronologique et par province 617 « incidents » : des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de « possibles » crimes de génocide commis en RDC entre 1993 et 2003.  

[2] Roland Pourtier, « Le Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux », EchoGéo, Sur le Vif, 2009.

[3] « République démocratique du Congo. Crise dans le Nord-Kivu », Amnesty International, 21 novembre 2008.

[4] « Communiqué conjoint du Gouvernement de la République Démocratique du Congo et du Gouvernement du Rwanda sur une approche commune pour mettre fin à la menace pour la paix et la stabilité́ des deux pays et de la région des Grands Lacs », 9 novembre 2007.

[5] « RD Congo : Les rebelles du M23 commettent des crimes de guerre », Human Rights Watch, 10 septembre 2012.

[6] Projet mis en place par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), un centre de recherche de l’université de New York, et Human Rights Watch (HRW).

[7] « La cartographie des groupes armés dans l’Est du Congo », Baromètre Sécuritaire du Kivu, février 2021.

[8] « Rapport de mi-mandat du Groupe d’experts conformément au paragraphe 4 de la résolution 2528 (2020) », 23 décembre 2020.

[9] Pierre Jacquemot, « Ressources minérales, armes et violences dans les Kivus (RDC) », Hérodote, vol. 134, n° 3, 2009, pp. 38-62.

[10] Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République Démocratique du Congo, 2001.

[11] Rwanda Official Statistics, cité dans le « Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République Démocratique du Congo », 12 avril 2001.

[12] Conseil supérieur du diamant, cité dans le « Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République Démocratique du Congo », 12 avril 2001.

[13] Pierre Jacquemot, « Le Rwanda et la République démocratique du Congo. David et Goliath dans les Grands Lacs », Revue internationale et stratégique, vol. 95, n° 3, 2014, pp. 32-42.

[14] Louis-Nino Kansoun, « Le coltan, pour le meilleur et pour le pire », Agence Ecofin, 15 décembre 2017.

Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

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Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

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