Au Brésil le mouvement social ne faiblit pas contre la politique néolibérale de Temer – Entretien avec un brésilien

©Kremlin

Depuis un peu plus d’un an le Brésil est le théâtre d’un drame politique qui n’en finit pas depuis la mise à l’écart de l’ancienne présidente Dilma Rousseff fin-Août 2016, dans le cadre du scandale de corruption du géant pétrolier public Pétrobras et l’accusation de maquillage des comptes publics pour cacher la dette du pays et pouvoir être réélue en 2014. Remarquons qu’une bonne partie des sénateurs ayant prononcés sa destitution sont eux-même sous l’œil de la justice brésilienne car soupçonnés de corruption. Embourbé dans de nombreux scandales, le nouveau gouvernement s’emploie à présent à détruire les conquêtes sociales brésiliennes. 

Michel Temer, l’ancien vice-Président de Dilma Rousseff et son allié au cours des élections de 2014, est devenu depuis fin-Août 2016 le nouveau président brésilien. Mais il est lui même inquiété par la justice dans plusieurs affaires de corruption. Le tribunal électoral brésilien a même été à deux doigts d’annuler il y a quelques jours l’élection de 2014 , au cours de laquelle il a été élu vice-Président aux côtés de Dilma Rousseff, pour des financements illégaux de leur campagne électorale provenant d’entreprises.

La substitution à Dilma Rousseff de Michel Temer n’avait donc rien d’une « opération nettoyage » contre la corruption des politiques brésiliens mais tout d’un coup d’état institutionnel et d’un règlement de comptes entre deux anciens alliés devenus rivaux. Pour mieux comprendre la situation politique au Brésil, mais aussi le mouvement social qui est très actif et a même réussi le 28 Avril dernier à faire descendre 40 millions de Brésiliens dans les rues lors d’une grève générale et a appelé à une nouvelle journée de grève ce 30 Juin, nous avons interrogé un brésilien impliqué dans la lutte contre le gouvernement néolibéral de Michel Temer qui, depuis sa nomination, s’emploie à détruire les conquis sociaux.

LVSL : Peux-tu te présenter rapidement pour nos lecteurs ? Qui es-tu ? Que fais-tu dans la vie ? Es-tu engagé politiquement, syndicalement ?

Je m’appelle Francisco Arruda, j’ai 20 ans, je suis étudiant en dernière année d’Histoire à l’Université fédérale du Ceará. Je suis associé au Parti Communiste du Brésil (PcdoB) et au collectif étudiant Union de la Jeunesse Socialiste (UJS). Je n’ai pas grandit dans Fortaleza, la ville principale de l’État du Ceará, mais dans l’intérieur des terres, de telle façon qu’en plus du mouvement étudiant j’agis aussi dans le sertão* pour la défense des agriculteurs, pour cela je suis en contact avec l’actif Mouvement des Travailleurs sans Terre (MST) qui est, au Brésil, la référence dans la lutte pour la Réforme Agraire.

* Zone géographique du Nordeste du Brésil éloignée des centres urbains, sorte de campagne semi-aride brésilienne.

LVSL : Tes engagements politiques et syndicaux te poussent donc à te positionner en permanence sur la politique menée par le gouvernement brésilien, est-ce que tu faisais déjà partie de l’opposition à la politique de Dilma Rousseff, si oui, pourquoi ?

D’une certaine manière oui, mes engagements me poussent à tenir cette posture.

Avant de répondre à la deuxième question, je crois qu’il est important de faire un bref résumé de la situation dans laquelle nous vivions entre 2014 et la chute de Dilma : lors de l’élection présidentielle (de 2014 – ndlr), il y avait 2 candidats principaux, Dilma et Aécio* (*Aécio Neves, président du PSDB, Parti de la Social-Démocratie Brésilienne – ndlr). Les deux avaient des projets extrêmement différents l’un de l’autre. Dilma fut réélue avec 51% des voix, une légère différence de nombre de voix par rapport à Aécio. Quand elle a été réélue tout le monde attendait un gouvernement encore plus combatif contre l’avancée des idées néolibérales.

Mais à la place de ça elle s’est tirée une balle dans le pied : Dilma a adopté le programme de Aécio. Des mesures impopulaires ont été prises comme des coupes budgétaires dans certains domaines qui étaient auparavant privilégiés, et une équipe économique néolibérale a été nommée, ce qui a entraîné, y compris parmi ses alliés, des critiques sévères de son gouvernement. Quand la classe aisée est descendue dans les rues pour soutenir l’impeachment, avec des slogans tels que “Dehors Dilma”, “Dehors Lula”, “Dehors le Parti des Travailleurs”, Dilma n’avait plus le soutien du peuple et des classes populaires pour résister à une telle pression, tout cela en raison des mesures prises au début du second mandat. Et avec seulement 10% d’approbation populaire son gouvernement est tombé.

Non seulement le mouvement étudiant mais tous les mouvements sociaux, syndicaux et les autres organismes de lutte connaissaient déjà d’avance le groupe politique duquel provenait le vice-président Temer et étaient conscients également des intérêts qui se cachaient derrière l’impeachment. On pouvait donc d’office se déclarer contre le nouveau gouvernement et sa politique. Après tout, ni moi, ni la majeure partie des mouvements sociaux existants ne nous sommes positionnés contre le gouvernement de Dilma. Oui, nous avons bel et bien protesté pendant son second mandat contre les coupures de budget dans l’éducation et nous avons fait de nombreuses critiques. Mais nous n’avons pas empêché l’ouverture du processus d’impeachment, nous croyions que quand ce processus commencerait, là oui nous aurions le gouvernement populaire que nous voulions, en croyant que nous avions toujours la majorité au parlement.

Mais quand tout a commencé nous avons compris l’abysse dans lequel se trouvait le Brésil. Tout est devenu clair et évident quand des enregistrements audios de personnes liées à Michel Temer proposant ouvertement un “accord national” pour mettre de côté Dilma et l’imposer lui, le tout avec l’appui de la Cour Suprême et du Parlement ont filtré : ce qui arrivait n’était rien de moins qu’un coup d’état institutionnel et l’impeachment n’était que le scénario dans lequel se jouait cette pièce politique et ses nombreux actes.

De plus, personnellement, je ne me suis pas placé contre le gouvernement de Dilma car je suis aussi un fils des programmes sociaux développés par le gouvernement du PT (Parti des Travailleurs): le nom par lequel on m’appelle, Gilmar, est un hommage posthume à un de mes frères qui est mort de maladie lors d’une période l’état ne s’intéressait pas au peuple, il n’a donc pas eu accès aux soins. Moi je n’ai pas eu ce genre de problème, mais mes frères ont connu la faim. Mon père et ma mère ont du faire face à de grands défis pour s’occuper de leurs 9 enfants, en plus des enfants du premier mariage de mon père. Les programmes du gouvernement de Lula (président du Brésil de 2003 à 2011, issu du Parti des Travailleurs – Ndlr) ont sorti des millions de personnes de la misère et nous ont donné des conditions de vie dignes. J’ai lutté à la campagne et dans le cadre du mouvement étudiant depuis que je suis entré à l’université afin que ces programmes puissent s’étendre et s’améliorer. Maintenant je dois lutter pour qu’ils ne soient pas démantelés par le gouvernement actuel.

LVSL : La question suivante concernait justement les différences entre Dilma et Michel Temer. Tu nous as déjà fourni de nombreux éléments de réponse en pointant certaines mesures néolibérales promulguées d’abord pendant le second mandat de Dilma Roussef puis poursuivies par Michel Temer. Mais dans quelle mesure cette politique a-t-elle été amplifiée ?

En premier lieu, à la tête d’un gouvernement qui est le fruit d’un coup d’état et ayant un accord avec le grand capital rentier, qui a patronné ce coup d’état, Michel Temer avait déjà montré ce qui allait advenir. Ensuite dès son arrivée au gouvernement il a proposé des réformes dans l’éducation, le droit du travail et la protection sociale. L’éducation avait été jusque là un domaine de grande réussite pour avoir facilité un accès à l’enseignement supérieur jamais vu dans l’histoire du Brésil, en 13 ans de gouvernement* (*durée cumulée des mandats de Lula et de Dilma, ndlr) 18 universités fédérales publiques de qualité ont été créées et chaque année les résultats s’amélioraient. A la fin du gouvernement de Dilma, comme je l’ai dis, des coupures ont été annoncé dans l’éducation. Dilma les a annoncé, Temer les a réalisé, et même de façon bien pire que ce qui était annoncé : un projet de son équipe économique et approuvé par le parlement gèle pour 20 ans les dépenses du gouvernement fédéral, ce qui implique de nouvelles régressions dans l’éducation, la santé, les infrastructures, la sécurité, etc.

Tout cela, selon lui, pour empêcher que le pays ne se ruine financièrement. Il pointe la protection sociale, mais il occulte que 45 % du budget général de l’Union sert à payer les intérêts de la dette publique. De plus le pétrole, principalement le pre-sal* (* réserves pétrolifères présentes sur le littoral brésilien), est livré aux entreprises étrangères sous forme de vente d’actifs et de domaines d’exploitation, Petrobras vend aussi ses participations à cette exploitation. Si ce partage du pre-sal continue, il représentera un manque à gagner de 480 milliards de reais brésiliens (soit un peu plus de 128,5 milliards d’euros) sur 15 ans selon la Chambre des Députés. Autant d’argent qui aurait pu servir à financer l’éducation ou la santé. De plus dans les appels d’offres actuels le gouvernement ne convoque pas les entreprises nationales en prétextant qu’ « elles sont toutes impliquées dans des cas de corruption dans le cadre du Lava Jato* » (* lavage express en Français, opération anti-corruption en cours depuis 2014i). De la même façon on a appris récemment que le Brésil pourrait posséder 98 % des réserves de Niobium* de la planète (* métal rare qui entre dans la composition de nombreux alliages d’aciers), mais cette richesse naturelle est elle aussi menacée.

La protection sociale est un autre grand combat que nous essayons à gauche de bloquer. Le gouvernement tente d’adopter une contre-réforme de la sécurité sociale qui rendrait la retraite quasiment inaccessible. Quant à la réforme du travail, il veut réduire le rôle et l’importance des syndicats, mettant au même niveau pour « négocier » l’ouvrier pauvre et le grand bourgeois, comme s’ils étaient dans les mêmes conditions. Il tente aussi de faire adopter la loi de tertiarisation, qui met fin aux garanties salariales et permet au patron de réduire les salaires. Un député allié au gouvernement a même proposé que les travailleurs agricoles soient payés en nature (repas et vivres) comme c’était le cas avant le gouvernement de Lula.

Ce que nous subissons est un cas sérieux de perte de notre souveraineté nationale, que ce gouvernement, qui a à nouveau été accusé de corruption le 26 Juin dernier, continue de mettre en place.

LVSL : Quelles sont les moyens qu’ont les Brésiliens pour combattre cette politique ? Et quelles sont les perspectives ?

Le parti et les mouvements sociaux dont je fais partie donnent une grande importance au débat et à la formation dans les organisations de base. De cette façon nous faisons constamment l’analyse de la conjoncture, ce qui est actuellement très important, au Brésil et dans le monde, en raison des altérations du scénario politique. Ainsi nous nous proposons de pointer les chemins et les possibilités : le départ de Temer est notre mot d’ordre actuel, mais nous regardons au-delà ce qui se dessine à l’horizon. Temer parti nous devrons lutter pour que soient organisées des élections directes. Nous savons qu’il y a une opposition à ce projet dans les médias locaux (principalement TV Globo, grand soutien du putsch, qui essaie maintenant d’imposer pour des élections indirectes au parlement un politique de droite : Tasso Jereissati). Les parlementaires de gauche, eux, soutiennent aussi l’organisation d’élections directes. Mais dans cette lutte notre meilleur allié est le peuple brésilien qui a été, lors des deux dernières années, très passif à tout cela. Aujourd’hui il reprend la parole dans différents espaces et critique le gouvernement Temer, on peut dire qu’il y a une tendance de fond à revenir vers la gauche il n’y a plus autant d’aversion pour la politique et nous voyons tout un tas de petites actions qui montrent sa résistance. Ce que nous avons vu le 28 Avril était un exemple de cela, le peuple est descendu spontanément dans la rue. La méthode du mouvement est non seulement la conscientisation populaire mais aussi de faire mal au porte-monnaie de l’élite bourgeoise, et ça, nous savons le faire.

Nos perspectives sont qu’une grande pression populaire, même si les parlementaires disent qu’elle n’existe pas, se mette en œuvre avec la plainte actuelle contre Michel Temer, avec le soutien des masses, des centrales syndicales et des grands secteurs de la société civile comme l’Ordre des Avocats du Brésil (qui présente déjà une demande d’impeachment au parlement) et la CNBB (Conférence Nationale des évêques du Brésil) qui ont déjà manifesté contre le gouvernement actuel. Nous sommes bien plus forts avec ces soutiens, ce que nous souhaitons est établir un front large unifiant la gauche et les forces progressistes dans un même projet national pour le retour de la croissance économique et le rétablissement des programmes sociaux et faire revenir le Brésil sur la scène internationale comme une nation souveraine. Cela veut donc dire annuler les mesures rétrogrades du gouvernement actuel et commencer à discuter au parlement de nouvelles réformes (fiscales, politiques, éducatives, etc.) qui soient en accord avec les demandes des mouvement sociaux, pour que la prochaine législature commence par ces réformes.

LVSL : Merci beaucoup pour ton témoignage !

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