Taïwan, à l’ombre des empires

Chine Taïwan Le Vent Se Lève
© LHB pour LVSL

Point de tension international majeur, la question taïwanaise agite régulièrement le monde politico-médiatique français, peu avare de simplifications. Le statut international de l’île fait l’objet d’un contentieux historique avec la République populaire de Chine (RPC), héritage de la guerre civile ayant opposé communistes et nationalistes (1927-1949). Les deux parties n’ont officiellement jamais renoncé à leur objectif de réunification. Dans les faits, Taipei n’a plus aucune revendication sérieuse en la matière et a intérêt au statu quo. Il n’en va pas de même pour Pékin. Si la voie de la réunification pacifique a toujours eu les faveurs du discours officiel, Xi Jinping devait briser un tabou en 2019, déclarant ne pas exclure un recours à la force… Cette posture a été renforcée par les liens de plus en plus denses entre Taïwan et les États-Unis, pour qui l’île est une pièce maîtresse de leur stratégie chinoise, tout en jouant un rôle de premier plan dans l’approvisionnement mondial en semi-conducteurs.

L’autonomisation de Taïwan et les puissances étrangères

La guerre civile ayant opposé les communistes, emmenés par Mao Zedong, et les nationalistes du Kuomintang (KMT), emmenés par Tchang Kaï-Chek, a duré jusqu’en 1949. À la victoire des forces communistes, le KMT s’est réfugié sur l’île de Hainan, au Sud, et sur l’île de Taïwan, à l’Est, qui était alors encore sous occupation japonaise. Si les communistes sont parvenus à reprendre pied à Hainan, ils n’ont pas réussi à reprendre le contrôle de Taïwan, officiellement cédé par les Japonais aux nationalistes suite au traité de San Francisco (1951). La RPC considère quant à elle que la souveraineté japonaise sur Taïwan avait déjà été perdue au profit de la Chine lors de la déclaration de Potsdam en 1945, ce qui constitue encore à ce jour le point majeur de divergence juridique entre les deux rives du détroit.

Le conflit s’est poursuivi jusqu’en 1953, avant de cesser, sous pression américaine. Une phase de coexistence s’ouvre alors, durant laquelle l’enjeu se déplace vers la question de la reconnaissance internationale.

En pleine Guerre froide, l’Occident rechigne à considérer la République populaire de Chine comme un État à part entière et c’est Taïwan – « République de Chine » (ROC) – qui siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il faudra attendre l’année 1971 pour que la RPC prenne le siège de la ROC aux Nations Unies ; les États-Unis de Richard Nixon viennent en effet d’opérer un rapprochement spectaculaire avec Mao Zedong, par calcul politique visant à affaiblir l’URSS.

Dès lors, les États-Unis adhèrent au principe d’une seule Chine, tout en conservant des relations informelles avec Taïwan. Cette position équilibrée permet à Washington d’entretenir une forme d’ambiguïté stratégique supposée prévenir toute déclaration unilatérale d’indépendance de Taïwan, tout en utilisant l’île comme un moyen de pression contre la RPC à échéance régulière…

Si les États-Unis entretiennent traditionnellement une « ambiguïté stratégique » quant à la défense de Taïwan, Joe Biden lui affiche un soutien plus marqué.

Le dialogue finit par reprendre et débouche sur le « consensus de 1992 » : les deux côtés du détroit s’accordent alors sur le principe d’une seule Chine. Des divergences d’interprétation demeurent : la réunification est admise comme un but partagé, mais Taipei et Beijing ne s’accordent pas sur la légitimité politique qu’aurait l’un sur l’autre. Aussi les relations se refroidissent-elles à nouveau en 1996, alors que Taïwan connaît un virage pluraliste sous l’impulsion de Lee Teng-hui, premier président élu au suffrage universel (1996-2000). Cette ouverture à l’alternance – qui permet aux indépendantistes de se présenter aux élections – est vue par Pékin comme une rupture du consensus de 1992, débouchant sur la troisième crise du détroit de Taïwan, durant laquelle le soutien militaire américain à l’île s’est avéré considérable…

Vases communicants entre Taipei et Pékin

Les deux décennies suivantes verront les relations inter-détroit osciller au gré des alternances politiques taïwanaises et des diverses postures du Parti communiste chinois (PCC). Le statu quo perdure sur le plan politique, mais le rapprochement économique est considérable : les échanges commerciaux inter-détroit sont multipliés environ par quinze en 20 ans. Malgré cela, le sentiment d’appartenance à une aire civilisationnelle chinoise ne fait que diminuer au sein de la population taïwanaise. En 1992, 20,5% des Taïwanais se disaient Chinois et seuls 17% s’identifiaient comme Taïwanais. Trois décennies plus tard, ces chiffres se sont radicalement inversés : 64% des personnes interrogées se disent Taïwanaises, 30% se sentent à la fois Taïwanais et Chinois, et seul 2,4% Chinois. Comment expliquer cette évolution ?

Plusieurs interprétations sont possibles. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, et, avec lui, d’une ligne plus dure et de la montée en puissance d’un culte de la personnalité, ont accru la méfiance des Taïwanais, désormais attachés à leur système libéral. Par la suite, les événements de Hong Kong en 2014 (loi électorale) et 2019 (loi d’extradition) n’ont fait que la renforcer. Le non-respect par la Chine du principe « un pays deux systèmes » pour Hong Kong renforce la défiance de Taïwan, qui ne croit plus en cette solution pour lui-même. En 2016, Tsai Ing-wen, candidate du Parti démocrate progressiste (PDP) et considérée comme indépendantiste, remporte les élections présidentielles avec 56% des voix. Elle est réélue haut la main en 2020 à 57% des voix. Le modèle taïwanais de gestion transparente de l’épidémie, avec une faible mortalité malgré l’absence totale de confinement, contraste avec l’opacité et la dureté de la politique zéro COVID en Chine. 

Un jeu de vase communicant se crée ainsi entre Taipei et Pékin, dans lequel l’assertivité du PCC alimente les velléités indépendantistes des Taïwanais et du PDP, appuyés par une posture pro-américaine opportuniste, qui accroît elle-même la méfiance du PCC. 

À l’international, les deux rives s’affrontent également dans une course à la reconnaissance largement dominée par la Chine. La Chine rejetant la double normalisation, tout pays souhaitant établir des relations avec Pékin se voit ainsi obligé de rompre en amont avec Taipei. Alors qu’ils étaient 56 en 1971, seuls 13 États reconnaissent aujourd’hui Taïwan. Parmi eux, de nombreuses nations insulaires proches des États-Unis et plusieurs pays d’Amérique latine, dont le nombre ne cesse de décroître : en mars 2023, c’était au tour du Honduras de Xiomara Castro de rétablir des relations avec la Chine. Dans cette bataille pour la reconnaissance, Pékin comme Taipei recourent à la diplomatie du dollar. Chaque année, Taïwan dépenserait près de 100 millions de dollars en investissements et en aide au développement auprès de ses alliés diplomatiques. La Chine n’est pas en reste et poursuit la même stratégie.

Après leur reconnaissance de Pékin au détriment de Taipei, en 2019, les îles Salomon auraient bénéficié de 8,5 millions de dollars de fonds de développement chinois. A l’inverse, le Paraguay, allié fidèle de Taïwan, subit des restrictions sur ses exportations de bœuf et de soja vers la Chine. La stratégie chinoise reste toutefois limitée et le volet de la diplomatie non-officielle de Taïwan ne doit pas être sous-estimé. Taipei entretient de solides relations avec les États occidentaux, bien que ces derniers ne reconnaissent pas formellement l’indépendance de l’île. Taïwan poursuit également une stratégie de pénétration des institutions internationales, tout en misant sur sa solide diplomatie économique et commerciale.

Rivalité sino-américaine

La question taïwanaise revêt un enjeu stratégique considérable. Aux États-Unis, le containment de la Chine fait l’objet d’un consensus transpartisan depuis plus d’une décennie. L’administration Obama adoptait une stratégie de leadership from behind dans laquelle ses alliés asiatiques étaient mis en avant. L’administration Trump s’est inscrite dans cette continuité, bien que le président républicain ait davantage mis l’accent sur la guerre économique que son prédécesseur. L’administration Biden s’oriente vers une synthèse des deux approches, s’appuyant en plus sur un discours de défense de la démocratie face aux dictatures. Le style change, les pratiques demeurent. 

Si les États-Unis entretiennent traditionnellement une « ambiguïté stratégique » quant à la défense de Taïwan, Joe Biden lui affiche un soutien plus marqué. Ainsi, la visite de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, à Taïwan en août 2022, a été vécue par Pékin comme une provocation. De son côté, Xi Jinping n’hésite plus à évoquer une réunification par la force. Les deux puissances misent ainsi un capital politique de plus en plus important sur cette affaire. Au risque de multiplier les prophéties autoréalisatrices ? 

Le containment de la Chine se matérialise par une forte présence militaire dans ce que Pékin nomme le « premier cercle d’îles », allant du Japon aux Philippines. En réalisant sa réunification avec Taïwan, la Chine ferait sauter un verrou stratégique et militaire majeur en s’ouvrant les portes du Pacifique. Xi Jinping aurait notamment déclaré en 2015 à des diplomates américains que « le Pacifique est assez grand pour embrasser la Chine et les États-Unis ». 

L’un des enjeux de cette montée des tensions sino-américaines dans la région est de savoir jusqu’où doivent s’impliquer les puissances régionales. En plus des relations bilatérales, les États-Unis s’efforcent d’améliorer l’interopérabilité entre armées par le biais d’exercices militaires de grande ampleur. Le QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité), composé des États-Unis, de l’Inde, du Japon et de l’Australie, initialement créé en 2007, a connu différentes phases de dialogues, de revirements et d’approfondissement de l’interopérabilité bilatérale entre pays protagonistes, avant d’accoucher d’un exercice militaire annuel de grande ampleur à partir de 2017. Hésitante, et sous la menace d’un conflit avec son voisin du Nord, la Corée du Sud est souvent pressentie pour rejoindre un QUAD+1. L’Australie est également membre de la nouvelle alliance AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis), qui a tant fait parler d’elle lors de l’affaire des sous-marins.

D’autres puissances plus régionales, telles que les Philippines ou le Vietnam, ont leur propre contentieux en mer de Chine méridionale avec la RPC, les conduisant à approfondir leurs relations avec les États-Unis. Les pays de l’ASEAN semblent cependant vouloir préserver leurs relations économiques avec la Chine, et ainsi se maintenir à égale distance des deux superpuissances, ce qui apparaît de plus en plus comme étant un dilemme insoluble. Le nouveau président philippin, Ferdinand Marcos Junior, élu en 2022, semble vouloir réparer le lien avec les États-Unis, après la présidence houleuse de Rodrigo Duterte. Il a proposé l’ouverture à l’armée américaine de quatre bases militaires en territoire philippin – avant d’ajouter qu’elles ne pourraient servir de zone de stockage pour défendre Taïwan…

Mutations de l’Armée populaire de libération

La crainte d’un encerclement militaire américain est ancrée dans la pensée stratégique chinoise depuis plusieurs décennies. L’un des plans majeurs de recherche et développement visant à rattraper le retard technologique de l’armée chinoise, nommé plan 863, remonte à 1986. Les différents plans de modernisation de l’APL ont mis l’accent à la fois sur les capacités conventionnelles, les capacités nucléaires et, plus récemment, l’intelligence artificielle. L’installation en Corée du Sud du THAAD (bouclier antimissile américain), à la fin des années 2010, a été vécue comme un défi supplémentaire par Pékin, qui a considérablement développé ses propres capacités balistiques en retour.

Les capacités de la marine chinoise, essentielles dans l’optique d’un conflit autour de Taïwan, ont également atteint des sommets ces dernières années, dépassant probablement celles de la marine américaine, tout en suivant une trajectoire de croissance considérable à l’horizon 2030. Si des doutes persistent quant à leur usage opérationnel, ces avancées permettraient théoriquement à la Chine de réaliser un blocus maritime sur Taïwan, et d’empêcher une intervention américaine selon une stratégie A2/AD (déni d’accès et interdiction de zone). La visite de Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022 a été l’opportunité pour l’APL de réaliser une démonstration de force d’une ampleur inédite, tant sur le plan aérien, naval que balistique.

Sur le plan macro-économique, les dépenses militaires de la Chine ont connu une progression marquée. Elles frôlaient les 300 milliards de dollars en 2021 – un chiffre qui demeure cependant plus de deux fois inférieur à celui des États-Unis. 

Au-delà des capacités matérielles, Xi Jinping a également fait évoluer la Commission Militaire Centrale (CMC), en s’entourant de figures qui lui sont proches. L’un des deux vice-présidents de la CMC depuis 2018, Zhang Youxia, est un ami d’enfance de Xi. Âgé de 72 ans, son mandat a été prolongé fin 2022. Le second vice-président et n°3 de la CMC, He Weidong, a été nommé par Xi en 2019 à la tête de la zone orientale de commandement, qui fait directement face à Taïwan.

Le numéro 4 de la CMC, le ministre de la Défense nationale Li Shangfu, est quant à lui issu d’un groupe de pouvoir important, dit la « clique aérospatiale » en raison du lien de proximité qu’entretiennent ses membres avec ce secteur. Li a travaillé puis dirigé le centre de lancement de satellite Xichang durant 31 ans, période durant laquelle il aurait supervisé des tests de missiles antisatellites en 2007. La promotion de ces deux personnages et la multiplication au sein de la CMC de vétérans du conflit de 1979 avec le Vietnam démontre la volonté de Xi de rendre l’APL plus opérationnelle. 

Une invasion inéluctable ?

De nombreux observateurs s’accordent pour dire que la Chine sera en capacité d’envahir Taïwan à l’horizon 2027. D’après les renseignements américains, Xi Jinping aurait demandé aux autorités militaires de se préparer à la prise de l’île pour cette date, qui coïncide par ailleurs avec le centenaire de la fondation de l’APL et la fin du troisième mandat du président chinois. L’amiral américain Philip Davidson, commandant de la flotte du Pacifique, avait fait part de cette éventualité dès 2021. Les résultats d’une étude réalisée auprès d’une soixantaine d’experts de la question sont également sans appel : 63% d’entre eux considèrent une invasion possible dans les 10 années à venir.

Toutefois, malgré ces discours alarmistes fortement médiatisés, rien n’indique qu’une invasion se prépare de manière inéluctable. Une telle opération nécessiterait de considérables efforts de préparation militaire, que Pékin ne pourrait que difficilement garder secrets. De plus, la Chine n’amorce que tout juste sa réouverture, après plusieurs années de strict confinement, et les autorités devraient avant tout se concentrer sur la reprise économique.

Il paraîtrait en outre plus qu’incertain que Pékin amorce un conflit alors que Xi Jinping s’attelle à s’imposer comme un juge de paix sur la scène internationale ; c’est en effet sous l’égide de la Chine que l’Iran et l’Arabie saoudite ont scellé leur réconciliation en avril 2023, deux mois après que Pékin ait présenté un plan de paix pour résoudre le conflit en Ukraine.

Surtout, il semblerait peu probable que la Chine s’engage dans une bataille qu’elle ne serait pas certaine de remporter. Malgré le renforcement croissant de l’APL, sa capacité à envahir Taïwan d’ici 2027 est encore sujette à discussions. L’armée chinoise n’est pas rompue au combat et n’a mené aucune guerre depuis l’invasion du Vietnam en 1979.

En face, Taïwan se prépare depuis longtemps à l’éventualité d’un conflit : l’île est fortifiée et l’armée taïwanaise, dotée d’équipements militaires occidentaux, poursuit sa modernisation. Le pays multiplie les programmes d’achats d’armements auprès de ses partenaires et la présidente Tsai Ing-wen a annoncé fin 2022 une série de réformes de l’armée. Taïwan peut surtout compter sur le soutien des États-Unis, l’adoption du « Taiwan Policy Act of 2022 » ayant permis un renforcement de l’aide militaire américaine. Début mai 2023, l’administration Biden aurait en outre préparé un programme d’armement de 500 millions de dollars à Taipei

L’échec russe en Ukraine pourrait également tempérer les ambitions de la Chine, qui tire les leçons des erreurs commises par Moscou lors des premiers jours de son offensive. La comparaison est toutefois hasardeuse : dans le cas de Taïwan, le rapport de force apparaît plus favorable à la Chine qu’il ne l’était pour l’armée russe en Ukraine. Xi Jinping et la CMC continuent d’affiner leur stratégie militaire et d’étudier les scénarios qui permettraient à l’APL de prendre le contrôle de l’île en un temps record tout en neutralisant ses capacités de résistance, et ce avant que les États-Unis ne puissent contre-attaquer. 

Dans cette équation, l’inconnue réside en effet dans la réaction américaine. Suivant leur position officielle dite « d’ambiguïté stratégique », les autorités américaines se sont toujours abstenues de se prononcer clairement sur le sujet. Néanmoins, plusieurs évolutions laissent à penser que les États-Unis interviendraient militairement auprès de Taïwan, qui dispose désormais du statut d’« allié majeur hors OTAN » : outre le renforcement de l’aide militaire à l’île, Joe Biden a laissé entendre à plusieurs reprises que l’armée américaine défendrait Taïwan, suscitant l’ire de Pékin.

Une récente étude du très sérieux Center for Strategic & International Studies montre que la Chine ne pourrait probablement pas réussir à mener à bien son invasion si les États-Unis venaient à intervenir dans le conflit. Conscient du risque d’immixtion de Washington, Pékin se veut donc pragmatique. 

L’élection présidentielle de 2024, prélude à la réunification pacifique ?

Si, aux yeux du PCC, la réunification avec Taïwan apparaît inéluctable, l’option militaire n’en est pas la seule sur la table. Bien que le PCC se réserve le droit d’user de la force pour reprendre l’île, Pékin prône en priorité la réunification pacifique. Celle-ci s’inscrit dans la continuité du principe d’« un pays, deux systèmes » et pourrait suivre une intégration politique et économique accrue.

Pékin n’hésite pas à faire miroiter les avantages économiques mutuels qu’entraînerait la réunification. En effet, malgré les dissensions politiques entre Pékin et Taipei, les deux rives ont toujours entretenu de solides relations économiques. En 2021, les deux pays ont réalisé près de 230 milliards de dollars d’échanges commerciaux, tandis que 42% des exportations taïwanaises étaient destinées à la Chine et Hong Kong (contre 15% pour les États-Unis). Dans le même temps, la plupart des grands groupes taïwanais (y compris TSMC et Foxconn) sont implantés sur le sol chinois, qui aurait accueilli plus de 130 milliards de dollars d’investissements taïwanais depuis 1991. Ces échanges s’étaient accrus sous la présidence de Ma Ying-jeou (KMT), entre 2008 et 2016. Durant cette période, un certain statu quo est observé, alimenté par un flou diplomatique. Les liens économiques et humains entre les deux rives s’amplifient, de nombreux accords commerciaux sont signés et l’ouverture des liaisons aériennes directes permet à des millions de touristes chinois de se rendre sur l’île. Après la défaite du KMT à la présidentielle de 2016 et l’arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen (PDP), les relations entre Taipei et Pékin se sont néanmoins taries et les tensions se sont amplifiées.

Contrairement au PDP, le KMT est traditionnellement considéré comme étant plus conciliant envers Pékin. Le parti est en effet favorable au rapprochement avec la Chine, soutenant le consensus de 1992 tout en s’opposant à l’indépendance formelle de Taïwan. A l’approche des élections présidentielles de 2024, et alors que les tensions géopolitiques ont atteint leur paroxysme sous la présidence de Tsai Ing-wen, la Chine mise donc sur une victoire du KMT pour amorcer un travail de réunification pacifique. Le scrutin verra s’affronter le candidat du KMT et maire de Taipei, Hou Yu-ih, au candidat du PDP et vice-président sortant, William Lai. La question de la Chine est au cœur des débats.

Le KMT aborde cette campagne revigoré par son succès inédit aux élections municipales de novembre 2022. La formation avait remporté 13 des 21 circonscriptions taïwanaises, dont la capitale Taipei ; un véritable désaveu pour le PDP au pouvoir, dans un contexte géopolitique tumultueux. A Pékin et Taipei, l’on s’interroge donc : le positionnement du KMT serait-il en train de séduire l’électorat taïwanais ?

Bien qu’à ce stade, le PDP soit en tête des sondages, aucun parti n’a encore remporté trois fois de suite l’élection présidentielle. La dégradation des perspectives économiques et la crainte d’un conflit pourraient en outre venir favoriser le KMT, qui se veut pragmatique : la formation historique de Chiang Kai-Shek limite les références à la question chinoise et fait campagne sur le développement économique du pays. En prônant le dialogue avec Pékin, le KMT se présente aussi comme le parti de la paix, pointant du doigt le risque d’affrontement en cas de réélection du PDP. Tant le PCC que le KMT jouent également la carte du développement inter-détroit et mettent en avant les nombreuses opportunités économiques qui découleraient de l’amélioration des relations entre l’île et le continent.

En Chine continentale, les autorités veulent croire en la victoire du KMT. Le PCC espère que son arrivée au pouvoir ouvrirait la voie au dialogue et à une intégration accrue, laquelle pourrait mener à la réunification. En cas de victoire marginale du KMT, la Chine pourrait également jouer sur les divisions du pays et la fragilité du gouvernement pour renforcer son emprise sur l’île. En sous-main, Pékin opère donc un rapprochement accru avec le KMT, tout en lui apportant un discret soutien. Preuve s’il en est de cette proximité grandissante, Andrew Hsia (vice-président du KWT) et Ma Ying-jeou (président de 2008 à 2016) se sont tous deux rendus en Chine au début de l’année 2023. Les deux hommes ont notamment rencontré Wang Huning, idéologue du PCC récemment nommé responsable du Bureau des relations avec Taïwan. Wang aurait pour mission d’établir une nouvelle solution politique différente « d’un pays deux systèmes ».

Alliés de circonstance, le PCC et le KMT défendent avant tout leurs propres intérêts. Il serait simpliste de présenter le KMT comme résolument pro-Chine, alors que ses cadres restent critiques envers Pékin et s’abstiennent de mentionner clairement la question de la réunification. Considéré comme modéré, le candidat Hou Yu-ih, s’oppose à l’indépendance de Taïwan mais rejette également le principe d’« un pays, deux systèmes ». Il serait donc réducteur de présenter, l’élection à venir comme une confrontation entre la paix et l’affrontement, ou l’unification et l’autonomie. En dépit d’un rapprochement avec le PCC, une victoire du KMT ne signerait pas pour autant la réunification des deux rives… Tout en soutenant le KMT et en observant avec attention le début de campagne électorale, la Chine continue de fourbir ses armes et garde l’option militaire sur la table, quel que soit le résultat.

Guerre économique : l’enjeu des semi-conducteurs

Moins connu que son équivalent chinois, le « miracle économique taïwanais » a transformé, dans les années 60-70, une économie principalement agraire en une économie fortement industrialisée et de haute technologie. Le secteur des semi-conducteurs est un secteur dans lequel Taïwan est particulièrement compétitive, par le biais de son géant national TSMC, qui détient plus de 50% du marché mondial. L’un des enjeux du marché des semi-conducteurs est la miniaturisation, domaine dans lequel Taïwan est également en avance, TSMC détenant plus de 90% du marché pour les modèles les plus miniaturisés. Consciente de son retard dans ce secteur à très forte valeur ajoutée et de sa vulnérabilité à l’égard de Taïwan, la Chine investit massivement pour rattraper son voisin.

La pandémie de COVID-19, et la pénurie de semi-conducteurs qui s’en est suivie, a également fait prendre conscience aux États-Unis de la nécessité de développer leur propre industrie des semi-conducteurs, essentielle pour d’autres secteurs technologiques clés (téléphonie, voitures électriques, défense, IA etc.).

En août 2022, le président américain Joe Biden signe le Chips and Science Act, un plan de 53 milliards de dollars d’investissements dans le secteur des semi-conducteurs, incluant la R&D, des subventions de production et de la formation professionnelle. De manière totalement explicite, la Maison Blanche communique sur une loi qui vise à « baisser les prix, créer des emplois, renforcer les chaînes de valeur et contrer la Chine ». En parallèle de ce plan, Washington cherche depuis un an à créer l’alliance Chip 4, incluant Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, soit les trois premiers fournisseurs de semi-conducteurs de la Chine. L’objectif de cette alliance est de renforcer les échanges technologiques, d’accroître les investissements (notamment de TSMC sur le sol américain) et surtout, d’isoler la Chine. En effet, l’alliance Chip 4 conditionne l’accès aux subventions de ce programme par un engagement des entreprises à ne pas investir en Chine pendant les dix prochaines années.

Perçu à juste titre par Pékin comme une « démarche discriminatoire qui vise à exclure la Chine », le Chip 4 est également critiqué dans les pays concernés, pour qui la Chine est un partenaire commercial incontournable. La Corée du Sud et ses chaebols, notamment Samsung qui assure 16,3% de la production mondiale de semi-conducteurs et pour qui la Chine est un partenaire majeur, se retrouvent face à un dilemme économique dont ils se seraient bien passés. À Taïwan, la question est toutefois différente, en raison des tensions inter-détroits. Le gouvernement taïwanais a ainsi promulgué en janvier 2022 une réglementation selon laquelle les entreprises taïwanaises sont tenues de demander une autorisation si elles souhaitent vendre ou céder un actif ou une usine en Chine, dans l’objectif de protéger son savoir-faire technologique.

En octobre 2022, le Bureau américain de l’industrie et de la sécurité avait annoncé toute une série de restrictions concernant les exportations vers la Chine dans le domaine des semi-conducteurs, dans le but d’endiguer la montée en puissance de l’industrie électronique chinoise. Sur le plan juridique, comme sur le plan économique et technologique, Pékin a riposté. Après avoir porté réclamation auprès de l’Organisation mondiale du commerce, la Chine a annoncé des crédits d’impôt et des subventions massives à ses entreprises afin de soutenir la production chinoise de semi-conducteurs. De manière plus symbolique, les autorités chinoises ont également lancé une enquête sur l’entreprise américaine de cartes mémoire Micron Technology, l’évinçant de plusieurs secteurs critiques chinois pour des motifs sécuritaires

En août 2022, lors de sa visite à Taïwan et en marge de sa rencontre avec Tsai Ing-wen, Nancy Pelosi s’est entretenue avec le fondateur, le président et le vice-président de TSMC. Depuis cette visite, les annonces d’investissements et d’ouverture d’usines TSMC aux États-Unis, au Japon et en Europe se multiplient. En décembre 2022, TSMC annonçait ainsi la construction d’une deuxième installation en Arizona, pour un coût de 40 milliards de dollars. Ces épisodes démontrent, s’il le fallait, l’imbrication qui existe entre la question taïwanaise, le soutien américain et l’industrie des semi-conducteurs. Les États-Unis semblent vouloir assurer une continuité de production de cette filière hautement stratégique, dans l’hypothèse d’une invasion chinoise et d’un conflit de grande ampleur à Taïwan.

Véritable assurance-vie de l’île, l’hégémonie de Taïwan sur les semi-conducteurs lui garantit le soutien de ses partenaires occidentaux, soucieux de sécuriser leurs approvisionnements.

Côté taïwanais, on s’interroge. Véritable assurance-vie de l’île, son hégémonie sur les semi-conducteurs constitue la première de ses protections en lui garantissant le soutien de ses partenaires soucieux de maintenir la sécurité de leurs approvisionnements. Se pose alors la question de savoir si les États-Unis, une fois leur autonomie stratégique renforcée dans le domaine des semi-conducteurs, seraient toujours aussi enclins à prendre la défense de Taïwan. 

Malgré la complexité des relations politiques inter-détroit, les deux parties sont parvenues à préserver le statu quo jusqu’à aujourd’hui. Celui-ci est désormais menacé par une assertivité chinoise qui trouve sa justification dans l’attitude offensive des États-Unis, tant sur le plan politique et économique, que technologique et militaire. En dépit des récents succès électoraux du KMT, la population taïwanaise semble, quant à elle, plus éloignée que jamais d’une volonté de réunification. Si le pire n’est jamais certain et que le dialogue inter-détroit doit être encouragé, la volonté politique de réunification affichée par Xi Jinping, et la détermination américaine à contenir l’ascension chinoise, placent les deux puissances sur une trajectoire conflictuelle dont Taïwan n’est finalement que le catalyseur. 

Prop 22 : 200 millions de dollars pour graver l’uberisation dans le marbre

A bord d’un VTC. © Dan Gold

En parallèle de la campagne présidentielle américaine, Uber et ses alliés ont dépensé plus de 200 millions de dollars pour faire passer la Proposition 22 en Californie, qui prive de protections légales les travailleurs des plateformes. Ce référendum, le plus cher de l’histoire américaine, illustre le caractère ploutocratique du système américain et la volonté de la Silicon Valley de généraliser l’uberisation. Article de notre partenaire Jacobin, traduit et édité par William Bouchardon.


Mardi 3 novembre, jour de l’élection américaine, les électeurs californiens ont adopté la proposition 22, une mesure soutenue par les entreprises de « l’économie de plateforme » qui les dispense de considérer leurs quelque trois cent mille travailleurs comme employés. Pire, la proposition 22 stipule aussi en petits caractères que la mesure ne peut être modifiée qu’avec l’approbation des sept huitièmes du Parlement de l’État, rendant l’annulation de la loi quasi-impossible.

Le succès de cette mesure est un jalon dans l’histoire du gouvernement des riches. Pour ceux qui en doutait encore, le succès de la proposition 22 prouve que les capitalistes peuvent écrire leurs propres lois. Et toutes les entreprises américaines l’ont bien noté.

Un cartel d’entreprises, comprenant notamment Uber, Lyft, DoorDash, Postmates et Instacart (des entreprises de livraison à domicile ou de VTC, ndlr), a consacré 205 millions de dollars à la campagne « Oui à la proposition 22 » pour faire passer cette législation qui les exempte des exigences du droit du travail en matière de soins de santé, d’assurance chômage, de sûreté des conditions de travail et d’autres avantages (y compris potentiellement les indemnités pour accident du travail, comme les prestations de décès). Les opposants à la proposition 22, en grande partie des syndicats et des organisations de travailleurs, ont eux dépensé 20 millions de dollars, soit dix fois moins que leurs adversaires.

Les partisans de la proposition ont bombardé les Californiens de mails, de publicités trompeuses et de notifications dans leurs applications avant le vote. Comme le rapporte le Los Angeles Times, Yes on Prop 22 a dépensé près de 630 000 dollars par jour : « Dans un mois donné, cela représente plus d’argent que tout un cycle électoral de collecte de fonds dans 49 des 53 circonscriptions à la Chambre des représentants en Californie. » En plus d’engager dix-neuf sociétés de relations publiques, dont certaines se sont fait un nom en travaillant pour l’industrie du tabac, Uber et ses alliés se sont cyniquement présentés en faveur de la lutte contre les discriminations en faisant un don de 85 000 dollars à une société de conseils dirigée par Alice Huffman, la directrice de la NAACP de Californie (National Association for the Advancement of Colored People, une organisation majeure du mouvement des droits civiques, ndlr). Un geste obscène tant la mesure va encore davantage appauvrir les chauffeurs et livreurs, dont la majorité sont des personnes de couleur. Ce véritable déluge d’argent fait de la Proposition 22 non seulement le référendum le plus cher de l’histoire de la Californie, mais aussi de l’histoire des États-Unis.

L’essentiel de la mesure consiste à exempter les entreprises de l’économie de plateforme de l’Assembly Bill 5, une loi de l’État qui oblige les entreprises à accorder aux travailleurs le statut d’employé sur la base du « test ABC ». Énoncée dans l’affaire Dynamex de la Cour suprême de Californie, la norme ABC stipule qu’un travailleur est un employé, plutôt qu’un entrepreneur indépendant, « si son travail fait partie de l’activité principale d’une entreprise, si les patrons décident de la manière dont le travail est effectué ou si le travailleur n’a pas établi un commerce ou une entreprise indépendante ». Malgré l’insistance des cadres des entreprises du numérique à considérer leurs entreprises comme de simples plateformes plutôt que comme des employeurs, les chauffeurs et livreurs de ces entreprises passent clairement le test ABC, ce qui a entraîné cette course pour créer une exemption.

Si ces entreprises étaient tenues de respecter le droit du travail, elles couleraient.

Si les entreprises de l’économie de plateforme étaient prêtes à débourser tant d’argent pour obtenir cette exemption, c’est bien car il s’agit d’une question existentielle pour leur business model. Aucune de ces entreprises ne réalise de bénéfices. Uber a perdu 4,7 milliards de dollars au cours du premier semestre 2020. Tout leur modèle économique est basé sur un arbitrage du travail, c’est-à-dire la recherche du travail le moins cher : ces firmes ne seront pas rentables tant qu’elles ne pourront pas adopter une technologie qui automatise le travail des conducteurs, ce qui signifie qu’elles ne seront jamais rentables, étant donné que cette technologie est loin d’être fonctionnelle. Mais en attendant, elles opèrent à perte, subventionnées par les fonds de pension et les spéculateurs, en se soustrayant à la responsabilité et au risque qui accompagnent le statut d’employeur. Le lendemain du vote, Uber a vu ses actions augmenter de 9 %, tandis que Lyft progressait de 12 %.

Si ces entreprises étaient tenues de respecter le droit du travail, elles couleraient. Par exemple, comme le rapporte le magazine Prospect, le refus d’Uber et de Lyft de verser des cotisations à la caisse d’assurance chômage de Californie a permis à ces entreprises d’économiser 413 millions de dollars depuis 2014. Au lieu de payer pour les avantages et les protections que la loi impose, ces entreprises ne seront désormais tenues que d’offrir des avantages limités et un salaire qui s’élève à 5,64 dollars de l’heure, au lieu des 13 dollars de l’heure prévus par la loi sur le salaire minimum de l’État, selon des chercheurs du Centre du travail de l’Université de Berkeley.

Certes, il y a des raisons de penser que même cette victoire historique ne suffira pas à sauver Uber et ses concurrents. L’entreprise, devenue le parasite le plus célèbre de l’économie de plateforme, est confrontée à une forte opposition à travers les États-Unis et dans le monde entier. Partout, les gouvernements se battent pour obliger Uber à régler des milliards de dollars d’impôts impayés. Une grève en 2019, le jour de l’introduction en bourse de la société, a été suivie des actions de travailleurs au Brésil, au Mexique, au Chili, en Argentine et en Équateur. En outre, « Uber perd des procès en France, en Grande-Bretagne, au Canada et en Italie, où les hautes cours ont soit statué que ses chauffeurs sont des employés, soit ouvert la porte à des procès les reclassant comme tels ».

Ainsi, même si les partisans de la proposition 22 voient l’étau se resserrer, leur quête pour se soustraire à leur responsabilité envers les travailleurs n’est pas unique aux entreprises de l’économie de plateforme. Quoi qu’il arrive à Uber et consorts, les innombrables chauffeurs qui dépendent actuellement de leurs algorithmes pour payer leur loyer risquent d’en faire les frais. L’industrie technologique est unie par son fondement dans l’arbitrage du travail et l’exploitation des lacunes juridiques. N’est-ce pas le prix à payer pour l’innovation ? Et cela ne concerne pas seulement les travailleurs à bas salaires : la majorité des effectifs de Google, qui emploie une majorité des cols blancs, est composée d’entrepreneurs indépendants. Voici l’avenir du travail pour nous tous si la Silicon Valley a son mot à dire.

La majorité des effectifs de Google, qui emploie une majorité des cols blancs, est composée d’entrepreneurs indépendants. Voici l’avenir du travail pour nous tous si la Silicon Valley a son mot à dire.

La création d’une nouvelle catégorie de travailleurs dont aucune entreprise n’est tenue de respecter les droits durement acquis ne restera pas non plus réservée aux serfs californiens de l’économie de plateforme. Depuis le succès de la Proposition 22, les dirigeants des entreprises victorieuses ont annoncé leur intention d’exporter ce modèle au niveau fédéral. « Maintenant, nous nous tournons vers l’avenir et vers le pays tout entier, prêts à défendre de nouvelles structures de prestations qui soient portables, proportionnelles et flexibles », a déclaré le PDG de DoorDash, Tony Xu, peu après l’adoption du vote. Lyft a envoyé un courriel de célébration, qualifiant la loi de « pas révolutionnaire vers la création d’une « troisième voie » qui reconnaît les travailleurs indépendants aux États-Unis ». « La proposition 22 représente l’avenir du travail dans une économie de plus en plus axée sur la technologie », proclame quant à lui le site Yes on Prop 22.

La volonté de ces entreprises de transformer l’essai en passant un texte similaire au niveau fédéral rencontre peu d’opposition parmi les élus. Ces entreprises ont lancé leur offensive dans le propre district de Nancy Pelosi, la leader démocrate de la Chambre des Représentants, qui n’est guère mobilisée contre. Certes, Joe Biden et Kamala Harris disent s’opposer à la proposition 22. Mais Joe Biden a-t-il jamais pris la peine de se battre pour les droits des travailleurs, si ce n’est pour une photo de campagne ? Quant à Kamala Harris, elle a des liens sans précédent avec la Silicon Valley, y compris au niveau familial : Tony West, son beau-frère, haut fonctionnaire de l’administration Obama, a effectué un travail juridique pour des entreprises de l’économie de plateforme.

Personne ne viendra sauver les travailleurs. L’avenir dépend de la capacité de ces derniers à s’organiser pour défendre leurs droits, alors même que le capital déploie des montants presque infinis pour les empêcher de réussir. L’unité entre les travailleurs, syndiqués ou non, employés ou entrepreneurs indépendants, n’a jamais été aussi urgente. Si l’on en croit la proposition 22, l’avenir de la démocratie, même limitée, encore exercée aux États-Unis en dépend.

« We’re going to impeach the motherfucker » : la présidence Trump en péril

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© Marc Nozell / Wikimedia Commons

Cette fois, Donald Trump n’y échappera pas. Malgré la réticence des cadres du Parti démocrate, la Chambre des représentants vient de lancer une procédure de destitution contre le président américain. Si elle reste quasiment assurée d’échouer au Sénat, une telle initiative devrait peser lourdement sur le rapport de force politique et la campagne présidentielle de 2020. Explications par Politicoboy.


Depuis les élections de mi-mandat et la victoire du Parti démocrate à la Chambre des représentants du Congrès, le spectre d’une procédure de destitution hante la Maison Blanche. Tout juste élue, la démocrate socialiste Rachida Tlaib proclame devant ses militants « On va destituer cet enfoiré* ». Dès mars 2019, de nombreux démocrates issus de l’aile gauche du parti prennent position en faveur d’une procédure de destitution, citant le racisme du président, son soutien implicite aux néonazis, sa corruption patente, ses multiples abus de pouvoir et sa violation des lois de financement de campagne via un paiement illégal à une star du porno. Mais Nancy Pelosi, la cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants et troisième personnage de l’État, s’oppose à une telle procédure, affirmant que Trump « n’en vaut pas la peine ». Derrière cette affirmation se cache la crainte qu’une tentative de destitution renforce Donald Trump.

En effet, l’impeachment est à l’initiative de la Chambre, mais une fois les commissions parlementaires achevées et les articles justifiant la destitution votés, c’est au Sénat de trancher. Cette institution se mue alors en tribunal et instruit les différents chefs d’accusation, avant de rendre son verdict. Deux tiers des sénateurs doivent voter en faveur de la destitution pour qu’elle soit effective. Soit, dans la configuration actuelle, 47 sénateurs démocrates et vingt sénateurs républicains. Il s’agit d’une procédure purement politique.

Plutôt que de se précipiter dans une telle aventure, le camp démocrate attendait les conclusions de l’enquête du procureur Mueller sur le RussiaGate, censé délivrer le coup de grâce en prouvant la collusion de Donald Trump avec le Kremlin pendant la présidentielle de 2016. Ce fut un double fiasco. Publié en avril, le rapport Mueller prouve l’absence de collusion. Il détaille néanmoins dix situations où Trump a commis ce qui s’apparente à une obstruction de la justice, faute qui avait provoqué la chute de Richard Nixon. Dans l’espoir de convaincre le public, passablement désabusé par l’effondrement de la théorie du complot russe, les démocrates convoquent le procureur Mueller à une audition au Congrès. Second fiasco : Mueller apparaît cognitivement limité et peu coopératif. Après le mythe de la collusion, celui du procureur implacable s’effondre en direct à la télévision.

Trump semblait avoir miraculeusement échappé à la procédure de destitution. Mais pendant que les principaux médias le déclaraient tiré d’affaire, un vaste mouvement d’activistes augmentait la pression sur les élus démocrates, avec un succès croissant. La plupart des candidats à la présidentielle de 2020 et une majorité des membres de la Chambre se rallient à la cause. Il manquait cependant un motif suffisant pour convaincre les cadres du parti. Jusqu’à ce que l’affaire ukrainienne éclate.

L’affaire ukrainienne rend la procédure de destitution inévitable pour Nancy Pelosi

En septembre, la presse sort une série de révélations sur l’existence d’une conversation au cours de laquelle Donald Trump aurait fait pression sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu’il enquête sur Joe Biden, alors favori des primaires démocrates et donné à 14 points d’avance face à Trump [1].

L’origine du scandale provient d’un signalement effectué par un membre des services de renseignements. Conformément à la procédure prévue pour les lanceurs d’alerte, ce fonctionnaire dépose une plainte à sa hiérarchie pour alerter sur le comportement du président. Ni son identité ni le contenu du document ne sont rendus publics. Mais confronté aux révélations de la presse, Trump reconnaît publiquement la nature de la conversation, tout comme son avocat personnel Rudy Giuliani, directement mis en cause par le signalement. Il serait également question d’un chantage reposant sur la suspension d’une aide militaire de 400 millions de dollars promise à l’Ukraine. Sur ce second point, Trump confirme puis rétracte la version relayée par la presse. [2]

Outre les actes de collusion avec une puissance étrangère pour obtenir un gain politique personnel en vue d’une élection, le fait que cette conversation a eu lieu le lendemain de l’audition du procureur spécial Robert Mueller provoque l’outrage des démocrates. En clair, à peine tiré d’affaire dans l’épisode russe, Trump s’est précipité pour conspirer avec le pouvoir ukrainien, ce qui montre un mépris croissant pour la loi électorale et la Constitution.

Pour les démocrates, le coût politique de l’inaction va rapidement excéder le coût présumé d’une procédure de destitution. Si l’impeachment risque de mobiliser la base électorale de Donald Trump, ne rien faire peut démotiver celle des démocrates. Or, les cadres du parti trainent les pieds depuis des mois. Non seulement sur la question de la destitution, mais également dans leurs enquêtes parlementaires censées faire toute la lumière sur les abus de pouvoir du président et l’usage de sa fonction à des fins d’enrichissement personnel. Selon The Intercept, ce surprenant manque de pugnacité s’explique par de mesquines querelles politiciennes au sein de la Chambre des représentants, et des calculs personnels douteux. [3]

Cette inaction accroît la frustration des électeurs démocrates. Jon Favreau, ancienne plume d’Obama et animateur du podcast Pod Save America dont l’audience dépasse allègrement celle de CNN, résumait le sentiment général des militants qu’il contribue régulièrement à mobiliser : « C’est complètement fou. […] C’est pathétique. Ce n’est pas ce pour quoi on s’est battu si durement en 2018 ».

Pendant la pause estivale, les élus démocrates ont été violemment confrontés par leurs électeurs. Furieux, ces derniers les ont pris à parti devant leurs permanences parlementaires, lors des traditionnels Town Hall ou en les interpellant directement dans leur vie quotidienne, au supermarché ou dans la rue. « On s’est fait botter le cul tout l’été », confiait un élu. [4] À la colère des activistes s’ajoute le spectre des primaires. Pour les élections de 2020, un nombre record de démocrates font face à des candidatures dissidentes issues de leur propre parti.

Cette dynamique s’explique par le fonctionnement de la Chambre des représentants. Du fait des efforts de gerrymandering et de la géographie du vote, la majorité des 435 circonscriptions sont acquises à une des deux formations – le Queens, dans l’État de New-York vote à 70 % démocrate, par exemple. Le Parti démocrate a remporté une majorité confortable en 2018 (235 sièges), mais cela a nécessité de faire basculer des circonscriptions très disputées. Or, ces sièges ont principalement été gagnés par des candidats centristes. Pour les protéger en 2020, où l’ensemble de la Chambre sera renouvelée, Nancy Pelosi a adopté une ligne politique de centre droit, refusant de déclencher rapidement une procédure de destitution ou d’organiser un vote sur les projets ambitieux comme la réforme de la santé Medicare for all et le New deal vert, préférant concentrer le travail législatif sur des propositions de loi qualifiées de « modérées ». Les sondages effectués dans ces circonscriptions montrent également un manque de soutien de l’opinion pour une procédure de destitution, ce qui n’encourage pas la prise de risque.

La stratégie de Pelosi exigeait des deux cents élus plus progressistes et issus de circonscriptions acquises aux démocrates qu’ils se sacrifient pour une poignée de collègues centristes. Deux éléments viennent d’inverser cet équilibre. D’abord, la multiplication des primaires met en danger les élus qui s’opposent à la destitution uniquement par solidarité. Leur position devient intenable : à quoi bon défendre une majorité parlementaire dont ils ne feront plus partie s’ils perdent leur primaire ?

Ensuite, le bien-fondé de la stratégie centriste devenait de moins en moins évident, bien qu’épousant les désirs des riches donateurs du parti et des élites néolibérales. En refusant de destituer Donald Trump, ce dernier continuait d’humilier les démocrates, déprimait leur base électorale et se permettait d’abuser de sa fonction pour obtenir un avantage en vue des prochaines élections. Et dans ce cas précis, laisser la collusion avec l’Ukraine impunie revenait à autoriser et encourager n’importe quel pays à s’ingérer dans les élections américaines, au profit de Trump.

Acculée par sa majorité parlementaire, Nancy Pelosi finit par céder, faisant de Donald Trump le troisième président de l’histoire à subir une procédure de destitution.

L’enchaînement des événements donne raison aux démocrates

La publication de deux documents successifs va, dans les 48 heures qui suivent, renforcer la position démocrate. Le premier est un compte rendu de la  conversation entre le président américain et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, rédigé à partir de notes et relu par la Maison Blanche avant publication.

Tous les travers du président y sont exposés. Son langage plus proche de celui des parrains de la mafia que des diplomates, sa corruption avérée – le président ukrainien vante ses séjours dans les hôtels Trump, l’implication de son avocat personnel Rudy Giuliani et du garde des Sceaux William Barr, et surtout, la réponse de Donald Trump à l’inquiétude de Zelensky au sujet de la suspension de l’aide militaire, unilatéralement décidée par Donald Trump la veille de l’appel téléphonique, alors que seul le Congrès est autorisé à gérer ce dossier, par cette phrase auto-incriminante : « J’aimerais que vous nous fassiez une faveur cependant ».

Bien que la conversation soit incomplète et rédigée par la Maison Blanche, les principales allégations de la presse sont confirmées par ce premier document. Puis, le signalement du lanceur d’alerte, que l’administration Trump avait tenté d’enterrer, est rendu public par le Congrès. Le texte, rédigé le 14 août, corrobore le compte rendu de la conversation, et ajoute de nombreuses allégations. Entre autres, il semblerait que Donald Trump ait orchestré cette manœuvre depuis des mois, et fait pression sur d’autres dirigeants internationaux pour son propre bénéfice. Surtout, le lanceur d’alerte évoque les efforts de la Maison Blanche pour étouffer les conversations illégales où Trump confond son intérêt personnel avec celui de la nation.

Là aussi, la Maison-Blanche confirme : la retranscription de plusieurs appels téléphoniques, dont celui avec l’Ukraine, a bien été déplacée du serveur usuel vers un serveur à accès limité, normalement réservé pour les secrets les plus sensibles. Ce qui constitue un acte illégal en soit. Pire, l’avocat du président Rudy Giuliani écume les plateaux télévisés depuis le début du scandale, et confirme sa propre implication tout en essayant de la faire passer pour un service rendu à la diplomatie américaine, impliquant de ce fait le département d’État. L’envoyé spécial américain en Ukraine vient de démissionner du fait de ces incriminations.

Depuis, suite aux multiples retombées, Donald Trump adopte une ligne de défense atypique : il justifie ses actions en les considérant comme parfaitement légales, implique un maximum de personnes autour de lui, en particulier son vice-président Mike Pence, et vient de demander publiquement à la Chine d’ouvrir une enquête sur les Biden pour corruption.

Ce faisant, le motif justifiant sa destitution présente l’avantage d’être particulièrement simple et compréhensible. Donald Trump a utilisé sa fonction à des fins personnelles dans le but d’obtenir un avantage pour sa réélection, violant la constitution et la loi électorale, puis a essayé d’enterrer les preuves, avant de reconnaître publiquement sa culpabilité. Contrairement au RussiaGate et les 400 pages du rapport Mueller, le scandale ukrainien est limpide, et confirmé par Donald Trump lui-même dans des documents que n’importe quel Américain peut lire en une poignée de minutes.

Pour preuve, les sondages montrent un regain important du soutien de la population pour la destitution, qui a augmenté d’une dizaine de points, passant de 37 % à 47 % voire 55% dès les premiers jours. De plus, un tiers des électeurs opposés à la destitution le sont uniquement par crainte que cela nuise aux démocrates, selon une enquête récente.

Le sort de Donald Trump sera déterminé par la bataille de l’opinion

La procédure de destitution est purement politique et se conclura par deux votes : celui du Sénat pour ou contre l’impeachment, et celui de la présidentielle de 2020. Pour les républicains, destituer Donald Trump assurerait l’effondrement du parti. Ce serait un suicide politique inconcevable. Quels que soient les torts du président, la droite est trop impliquée pour se permettre de le lâcher.

Ce constat servait de principal argument aux démocrates opposé à la procédure de destitution. Mais l’intérêt politique du parti se trouve ailleurs. L’impeachment devrait permettre d’affaiblir durablement le président, tout en fragilisant la position des nombreux sénateurs et parlementaires républicains en campagne dans des circonscriptions disputées.

Pour se défendre, le parti républicain possède un atout majeur : Fox News et l’écosystème médiatique ultra conservateur qui gravite autour. L’idée même du lancement de cette chaine d’information prend racine après la démission de Nixon, dans le but d’immuniser les futurs présidents républicains contre ce genre de procédure en construisant un appareil de propagande capable d’orienter une part critique de l’opinion publique. [5]

S’ils n’ont pas d’arguments de fond, ils peuvent s’appuyer sur deux faits pour faire diversion. D’abord, le scandale a été porté à la connaissance du public par un membre de la CIA, ce qui nourrit la vision d’un État profond qui cherche à renverser le président. Ensuite, le fils de Joe Biden figure bien au conseil d’administration d’une entreprise gazière ukrainienne, où il touche jusqu’à 50 000 dollars par mois. Contrairement à ce qu’affirme Trump, Joe Biden n’avait pas fait pression sur l’Ukraine en 2014 pour que le gouvernement épargne l’entreprise de son fils dans sa lutte contre la corruption, mais l’exact opposé : Biden avait rejoint les efforts de la diplomatie américaine, des sénateurs républicains et des ONG ukrainiennes pour que la lutte anticorruption soit confiée à un procureur plus zélé, au risque de nuire à l’entreprise rémunérant son fils. [6] Mais les médias conservateurs martèlent la version inverse, afin d’accabler Joe Biden et de faire diversion. Une campagne de publicité ciblée via Facebook, chiffrée à dix millions de dollars, vient d’être lancée dans ce but.

Face à cette machine bien huilée, les démocrates apparaissent divisés. Les partisans historiques de la destitution veulent élargir le champ des accusations au-delà du scandale ukrainien, pour y inclure les abus de pouvoir, l’enrichissement personnel et divers actes contestables du président, tel que l’incarcération de masse des migrants à la frontière en violation du droit américain, qui a provoqué la mort de plusieurs enfants en détention.

Pour la gauche, la destitution est un moyen et non une fin. Bien consciente que les causes de l’élection de Donald Trump ne disparaîtront pas après qu’il ait quitté la Maison Blanche, elle préférerait une victoire électorale grâce à un programme qui réponde aux problèmes des Américains, plutôt qu’une procédure de ce type. Mais compte tenu des immenses avantages dont dispose le président sur le plan électoral, se priver de l’outil de la destitution constituerait une faute morale et stratégique majeur. [7]

À l’inverse, les cadres du parti et l’aile centriste voient dans la destitution une manière de restaurer l’ordre néolibéral qui précédait Donald Trump. Pour Nancy Pelosi, la procédure d’impeachment est une forme d’obligation dont elle se serait bien passée, et une opportunité politique qu’elle espère expédier rapidement. Les cadres du parti cherchent ainsi à aller vite et à restreindre le champ d’investigation au seul scandale ukrainien afin d’apparaître bipartisans et de convaincre les électeurs des deux bords du bien-fondé de leur décision. L’avantage de cette approche est de conserver un message simple auquel les Américains peuvent adhérer : Trump a utilisé sa position pour exercer un chantage sur l’Ukraine afin d’attaquer son principal opposant, dans le but de favoriser sa réélection, en violation de la constitution. Point.

On peut douter de la capacité des dirigeants démocrates à exécuter cette feuille de route efficacement, tant ils se sont trompés jusqu’à présent. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les cadres du parti n’avaient pas intégré dans leur grille d’analyse le fait que les sondages puissent évoluer en leur faveur. Pire, Nancy Pelosi avait publiquement affirmé que Donald Trump souhaitait être la cible d’une procédure de destitution, pensant que cela le renforcerait politiquement. Lorsqu’on connait la personnalité narcissique du milliardaire, on peut douter qu’il se réjouisse d’être le troisième président à faire face à une telle procédure.

Sa réaction s’apparente à une fureur incontrôlée. Trump a déversé des torrents de tweets rageurs : plus de 120 le premier week-end, allant jusqu’à retweeter un compte le parodiant sans s’en rendre compte, qualifié les démocrates de sauvages, menacé publiquement le lanceur d’alerte d’exécution, exigé le jugement pour haute trahison d’Adam Schiff – le président de la commission de destitution à la Chambre des représentants – et évoqué le risque de guerre civile s’il était destitué. Sa ligne de défense continue d’être floue et désorganisée, tandis que son taux d’opinion favorable décroche peu à peu. En exigeant le nom du fonctionnaire à l’origine des révélations et en évoquant des « conséquences » pour ce dernier, il a violé la loi de protection des lanceurs d’alerte. Le lendemain, il incitait la Chine à enquêter sur Joe Biden, commettant publiquement le crime pour lequel il subit une procédure de destitution. Plus il se défend, et plus le président fournit des arguments supplémentaires à ses adversaires.

La suite des événements, en particulier les auditions au Congrès, devrait continuer de l’affaiblir. Celle du lanceur d’alerte se fera à huis clos afin de protéger son identité, mais d’autres procédures seront probablement télévisées, en particulier le fameux procès au Sénat. De quoi mettre Donald Trump au tapis. Du moins, c’est le pari des démocrates.

Diverses conséquences sur les primaires démocrates pour 2020

Ces événements impactent de manière variée les différents candidats démocrates aux primaires de 2020. Joe Biden, en légère perte de vitesse, se retrouve malgré lui au cœur du scandale. Sa pratique du pouvoir et les faveurs accordées à son fils, bien que parfaitement légales, reflètent le type d’usages contre lesquels Donald Trump comme Bernie Sanders ont fait campagne. Selon la presse, l’équipe de Biden ne se réjouit guère de cette exposition. Ironiquement, Trump pourrait atteindre son objectif en précipitant sa défaite aux primaires démocrates, tout en survivant lui même à la procédure de destitution.

Elizabeth Warren, en progression dans les sondages, devrait bénéficier de retombées positives. Elle fut la première candidate sérieuse à demander la destitution de Donald Trump dès l’hiver dernier et n’a de cesse de dénoncer la « corruption » du système.

Bernie Sanders aurait dû tirer son épingle du jeu pour les mêmes raisons. Mais sa récente hospitalisation pourrait réduire ses chances de victoire, indépendamment des déboires de Donald Trump.

Pour le moment, la couverture médiatique reste braquée sur la destitution. Ce sera probablement le cas jusqu’au procès au Sénat qui devrait se tenir avant la fin de l’année si la Chambre des représentants vote en faveur de la destitution.

Notes et références :

* en VO : « we’re going to impeach the motherfucker »

  1. https://www.foxnews.com/politics/fox-news-poll-september-15-17-2019
  2. https://www.vox.com/policy-and-politics/2019/9/24/20882081/trump-ukraine-aid-explanation-whistleblower
  3. Pour comprendre les détails des divergences au sein du parti démocrate sur la question de la destitution, lire https://theintercept.com/2019/09/24/impeachment-inquiry-donald-trump-nancy-pelosi/
  4. Ibid 3.
  5. Sur la capacité d’influence de Fox News, lire cette enquête de Vox. Sur la genèse de FoxNews, lire : https://theintercept.com/2019/09/28/impeachment-republicans-nixon-watergate/
  6. Le site The Intercept, pourtant ouvertement anti-Biden, a publié une série d’articles pour démonter la thèse impliquant Joe Biden. Un résumé est disponible ici, et les principaux articles sont à lire ici et .
  7. Pour se familiariser avec le point de vue de la gauche américaine, lire cet éditorial de Chris Hedgesce débat publié par Jacobin, et l’édito de The Intercept.