Inde : des réformes agraires entraînent la plus grande grève du monde

Manifestation de paysans indiens le 11 décembre 2020. © Randeep Maddoke

Fin janvier, les autorités indiennes ont coupé l’électricité et l’eau à un camp de protestataires, afin de mettre un terme à un mois de sit-in des agriculteurs manifestant contre les nouvelles réformes agricoles. Malgré ces coupures et une répression policière de plus en plus violente, les agriculteurs continuent leur lutte, des milliers d’autres arrivant en tracteurs au campement en signe de solidarité. Simran Jeet Singh, universitaire indien membre de plusieurs thinks-tanks et historien de l’Asie du Sud revient sur l’origine et l’évolution de ce mouvement social hors-normes encore peu abordé en Europe. Article traduit et édité par William Bouchardon.

Depuis la semaine dernière, la répression du mouvement paysan en Inde a redoublé d’ampleur. À New Delhi, la police a tiré des gaz lacrymogènes et des manifestants ont été attaqués à coups de matraque. Selon le gouvernement indien, la violence a commencé lorsqu’un groupe de manifestants s’est écarté de l’itinéraire prévu et a franchi les barricades du Fort Rouge, symbole de l’indépendance de l’Inde, où le Président donne son allocution annuelle pour la fête nationale. Mais les vidéos prises sur le terrain montrent de multiples cas où des policiers attaquent des manifestants sans avoir été provoqués. Au moins un manifestant est mort lorsque son tracteur s’est renversé alors que la police tirait des gaz lacrymogènes, tandis que des centaines de policiers ont été blessés. Si la plupart des manifestants sont toujours déterminés à poursuivre la lutte, deux syndicats d’agriculteurs ont annoncé qu’ils se retiraient des manifestations en raison des violences.

L’escalade de fin janvier s’inscrit dans un face-à-face de plus de deux mois entre les agriculteurs et le gouvernement indien qui ressemble pour l’instant à une impasse. Les manifestants remettent en cause de nouvelles lois promulguées en septembre visant à déréglementer le secteur agricole. Pour le premier ministre Narendra Modi, ces réformes constituent un « tournant décisif » pour l’économie indienne. Les opposants des réformes les qualifient, eux, de « condamnation à mort » des travailleurs agricoles.

Les troubles ont commencé fin novembre lorsque plus de 250 millions de personnes ont participé à une grève générale en réaction aux nouvelles lois, conduisant de nombreux observateurs à qualifier le mouvement de « plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité ». Des centaines de milliers d’agriculteurs indiens ont alors installé des camps sur différents sites à la périphérie de la capitale. Les manifestants ont dû endurer un hiver rigoureux qui a coûté la vie à 150 d’entre eux, tandis que 18 autres se sont suicidés. Malgré ces décès et les rudes conditions de vie dans les camps, les manifestants, issus d’horizons très divers, transcendant les clivages religieux, de caste et de classe sociale, et promettent de rester jusqu’à ce que soient abrogées les nouvelles lois.

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Le 12 janvier, face à une pression croissante et à l’échec de onze cycles de négociations, la Cour suprême de l’Inde a suspendu les nouvelles lois et convoqué un comité pour examiner les préoccupations des agriculteurs. Les chefs de file de la protestation ont toutefois estimé que cette suspension n’était pas sincère. Pour Balbir Singh Rajewal, un des leaders du mouvement, « les membres du comité nommés par la Cour suprême ne sont pas fiables car ils ont écrit que ces lois agricoles sont favorables aux agriculteur. Nous allons continuer notre campagne ».

« Nous sommes prêts à affronter les balles, mais nous ne mettrons pas fin à nos protestations ».

Depuis le début, les syndicats d’agriculteurs appellent à un retrait complet et absolu de la législation et considèrent les propositions d’amendement insuffisantes. « Nous avons rejeté à l’unanimité la proposition du gouvernement », déclarait ainsi Jagmohan Singh, secrétaire général de l’Union Bharatiya Kisan (Union des agriculteurs indiens). « C’est une insulte à notre égard… Nous ne voulons pas d’amendements ». Alors qu’aucun des deux camps ne veut céder et que la tension monte entre manifestants et autorités, les agriculteurs sont déterminés à poursuivre la lutte, même face à la violence. « Nous sommes prêts à affronter les balles, mais nous ne mettrons pas fin à nos protestations ».

Des lois écrites pour l’agro-industrie

A l’origine du conflit, on trouve trois projets de loi : la loi sur le commerce des produits agricoles, la loi sur l’accord de garantie des prix et des services agricoles, et la loi sur les produits essentiels. Ensemble, ces lois prévoient la suppression des protections gouvernementales en place depuis des décennies à l’endroit des agriculteurs, notamment celles qui garantissent des prix minimums pour les récoltes. Si les agriculteurs protestent contre ces trois projets à la fois, ils sont particulièrement préoccupés par le Farmers’ Produce and Commerce Bill, qui habilite les entreprises à négocier l’achat des récoltes directement avec les petits agriculteurs.

Pour ces derniers, ce serait une catastrophe, la plupart d’entre eux n’ayant ni les compétences ni les ressources nécessaires pour faire face aux multinationales. Les paysans de tout le pays craignent donc que leurs moyens de subsistance ne soient décimés et qu’ils s’endettent encore plus.

Balbir Singh Rajewal, syndicaliste paysan en lutte contre les nouvelles lois agricoles. © Harvinder Chandigarh

Etant donné le poids considérable du secteur agricole dans l’économie indienne, les conséquences de ces lois s’annoncent énormes. Les petits agriculteurs et leurs familles représentent près de la moitié des 1,35 milliard d’habitants de l’Inde : selon le recensement national de 2011, près de 60 % de la population active indienne, soit environ 263 millions de personnes, dépendent de l’agriculture comme principale source de revenus. Pour beaucoup d’entre eux, ces nouvelles lois viennent confirmer ce qu’ils craignaient le plus : que les petites exploitations agricoles ne soient plus un moyen de subsistance rentable ou durable en Inde. Au cours des dernières décennies, les paysans ont vu leurs marges bénéficiaires se réduire et leurs dettes augmenter. Une récente étude de l’économiste Sukhpal Singh, de l’université agricole du Pendjab, montre ainsi que les ouvriers agricoles du Pendjab sont endettés à hauteur de quatre fois leur revenu annuel.

Épidémie de suicides chez les paysans indiens

Plusieurs études ont en effet démontré que le cycle implacable de l’endettement est le principal facteur de l’épidémie de suicides de paysans que connait le pays. En trois ans, de 2015 à 2018, plus de 12.000 agriculteurs ont mis fin à leur jour dans l’État du Maharashtra. Et cette tragédie ne se limite pas à un seul État : en 2019, plus de 10.000 fermiers indiens se sont suicidés, selon les données du Bureau national indien des archives criminelles.

Or, ces statistiques alarmantes ont été enregistrées avant l’introduction des nouvelles lois ! On comprend mieux pourquoi certains qualifient ces dernières « d’arrêt de mort »… En effet, de nombreux experts craignent que la nouvelle législation ne serve qu’à endetter davantage les agriculteurs, exacerbant ainsi la crise économique et l’épidémie de suicides qui en découle.

Kaushik Basu, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, résume la situation en un tweet : « Je viens d’étudier les nouvelles lois agricoles de l’Inde. Je me rends compte qu’elles sont biaisées et qu’elles seront préjudiciables aux agriculteurs. Notre réglementation agricole doit changer, mais les nouvelles lois serviront davantage les intérêts des entreprises que ceux des agriculteurs. Chapeau à la sensibilité et à la force morale des agriculteurs indiens ».

Endettement et crise écologique : les legs de la « Révolution verte »

Le mouvement de protestation actuel s’inscrit dans une lutte beaucoup plus longue des agriculteurs indiens, inextricablement liée à la mise en œuvre du programme de la « révolution verte » à la fin des années 1960. Soutenue par les États-Unis, cette initiative déployée dans tous les pays du Sud a conduit à des pressions du gouvernement indien sur les agriculteurs du Penjab pour qu’ils abandonnent leurs méthodes agricoles traditionnelles au profit d’un système industriel américanisé. Si les rendement des cultures se sont considérablement améliorés, ces « progrès » rapides ont toutefois eu des conséquences profondément néfastes.

Pou augmenter les rendements, les nouvelles semences ont eu besoin de beaucoup plus d’eau que n’en fournissaient les précipitations naturelles. Les agriculteurs ont donc dû creuser des puits et irriguer leurs champs avec l’eau des nappes phréatiques. Ils ont également dû recourir à des pesticides et à des engrais nocifs pour favoriser la croissance « miraculeuse » des semences modifiées. Autant de pratiques qui se poursuivent encore aujourd’hui. Cependant, comme les prix des semences et des pesticides ont augmenté et que les prix minimums de vente des récoltes approuvés par le gouvernement sont restés bas, les agriculteurs ont été obligés de se tourner vers les banques et les prêteurs privés pour obtenir des prêts afin de maintenir leur entreprise à flot. C’est ainsi qu’a débuté la crise écologique, sanitaire et économique qui frappe désormais les agriculteurs indiens.

L’usage de pesticides toxiques durant des décennies a ravagé les sols du pays. En parallèle, les études du gouvernement montrent que les agriculteurs ont pompé tellement d’eau souterraine pour irriguer leurs cultures que le niveau de la nappe phréatique baisse de près d’un mètre par an. Le Penjab, l’un des plus gros consommateurs de pesticides par hectare du pays, connait également l’un des pires taux de cancer en Inde, ce qui lui vaut le titre de « ceinture du cancer »… Une étude de 2017 a relevé d’importantes traces d’uranium et d’autres éléments toxiques lourds dans des échantillons d’eau potable, tandis que de nombreuses autres études font un lien entre la forte augmentation des cas de cancer au Penjab et l’utilisation massive de pesticides dans la région.

Même si les agriculteurs indiens obtiennent l’abrogation de la législation, ils seront contraints de retourner travailler dans les mêmes conditions intenables, qui conduisent un paysan au suicide toutes les 30 minutes.

Les mauvaises récoltes dues à la dégradation des sols et l’incapacité à rembourser les intérêts des prêts ou à obtenir des prix compétitifs pour leurs produits forment un cercle vicieux pour nombre de paysans indiens. D’où l’épidémie de suicide que la nouvelle législation ne fera qu’aggraver.

Un moment décisif

La situation des agriculteurs indiens était déjà sombre avant même l’introduction de la nouvelle législation. Loin d’être une aberration, ces manifestations sont en fait la conclusion logique de décennies d’exploitation et de négligence de la part du gouvernement. Même si les agriculteurs indiens obtiennent l’abrogation de la législation, ils seront contraints de retourner travailler dans les mêmes conditions intenables, qui conduisent un paysan au suicide toutes les 30 minutes.

Si le gouvernement reste passif et ne s’attaque pas aux causes profondes de cette crise, les protestations de ce type deviendront de plus en plus fréquentes à mesure qu’augmenteront les taux de cancer, la pauvreté et l’épidémie de suicides. Alors que la tension s’aggrave chaque jour, il est clair que le gouvernement indien se trouve à la croisée des chemins. Continuera-t-il à ignorer et à négliger des millions de personnes les plus vulnérables ou cherchera-t-il enfin à résoudre les problèmes de longue date qui sont au cœur de cette lutte ? La réaction du gouvernement à ces manifestations de masse déterminera si l’Inde reste prisonnière d’un passé d’exploitation ou si elle s’engage résolument dans la voie d’un avenir plus juste et plus écologique.


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Inde-Chine : un point de non-retour dans la guerre économique globale ?

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Poignée de main entre Narendra Modi et Xi-Jinping lors du sommet des BRICS en 2017 © 新華社

Dans la nuit du 15 au 16 juin, une rixe violente entre des soldats des armées chinoises et indiennes, aux conséquences létales, a éclaté dans la vallée himalayenne de Galwan. Alors que New Delhi fait le deuil d’une vingtaine de soldats, la Chine n’a pas souhaité divulguer le nombre de ses victimes. Cette nouvelle confrontation vient fragiliser les relations diplomatiques sino-indiennes déjà mises à rude épreuve à cause d’affrontements passés. Aujourd’hui, malgré une décision commune des gouvernements indiens et chinois de privilégier une résolution pacifique à cet incident, resurgissent à la surface des sentiments nationalistes. Un accroissement des tensions qui ravive d’anciens différends entre la Chine et l’Inde, et s’inscrit dans l’affrontement commercial et stratégique global entre Pékin et Washington. 


Le 5 mai, un groupe de soldats indiens sont missionnés sur les rives du lac Pangong Tso pour s’assurer que l’Armée Populaire de Libération ne s’aventure pas au-delà de la « line of actual control ». Considérée comme un affront par des soldats de l’armée de l’Empire du Milieu et malgré une tentative avortée des chefs des deux armées de trouver un terrain d’entente, la mission de surveillance entraîne dans la nuit du 15 au 16 juin une rixe entre les deux armées dans la vallée de Galwan. Rapidement, la Chine et l’Inde se renvoient la responsabilité de la confrontation meurtrière. Zhao Lijian, porte-parole du ministère des affaires étrangères de la République populaire de Chine, accuse l’Inde « d’avoir franchi la frontière à deux reprises, avant de se livrer à des actions illégales, de provoquer et d’attaquer des soldats chinois ». L’Inde, quant à elle, reproche à la Chine de vouloir changer le statu quo à la frontière.

New-Delhi s’allie avec les États-Unis, premier concurrent de la Chine. Cette coopération permet à l’Inde de disposer d’une aide économique et militaire importante.

Face à la préoccupation grandissante de l’ONU et du gouvernement Trump, qui appellent à la retenue, une entrevue entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays frontaliers a permis de résoudre le conflit pacifiquement. Selon un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères, « les deux parties ont convenu de traiter équitablement les graves éléments causés par le conflit dans la vallée de Galwan ».

Les deux géants asiatiques : l’enlisement progressif

Les relations sino-indiennes n’ont jamais été un long fleuve tranquille. En effet, les questions relatives aux frontières et à la ligne de contrôle ont fragilisé les rapports entre les deux géants asiatiques. Les contestations territoriales ont provoqué en 1962 une « guerre-éclair », depuis laquelle la Chine, sortie victorieuse du conflit, occupe le territoire de l’Aksai Chin, revendiqué par l’Inde car lui appartenant autrefois. La Chine, quant à elle, aspire à récupérer les territoires de l’Aruchanal Pradesh et de Jammu-et-Cachemire, qui étaient sous sa tutelle pendant la guerre sino-indienne jusqu’au cessez-le-feu du 20 novembre 1962. Le tracé de la ligne de contrôle n’ayant jamais été officiel, un accord entre l’Inde et la Chine avait été signé en avril 2005 afin de régler les différends frontaliers.

Néanmoins, l’Empire du Milieu viole plusieurs fois l’accord en déployant des troupes au-delà de sa frontière, ce qui entraîne par conséquent une augmentation de la présence militaire de part et d’autre de la ligne de contrôle. En 2019, New-Delhi modifie le statut du Cachemire indien, composé aujourd’hui de la région du Ladakh et celle de Jammu-et-Cachemire. L’ancien statut avait permis de faire de ces deux régions fusionnées un territoire autonome, régi par sa propre constitution. La division du Cachemire indien en deux territoires administratifs distincts permet au gouvernement de les placer sous sa tutelle, et ainsi lui octroie un plus grand pouvoir dans la gestion des affaires locales. Néanmoins, la mise en place de cette mesure a été prise unilatéralement et dans le plus grand secret par le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, ce qui a une fois de plus ravivé les hostilités avec la Chine, mais aussi avec le Pakistan.

Aujourd’hui, malgré la décision commune des gouvernements indiens et chinois de régler pacifiquement la rixe meurtrière de la nuit du 15 au 16 juin, afin d’apaiser les tensions entre les deux géants asiatiques, l’Inde a pris la décision ce mardi 30 juin de bloquer 59 applications chinoises, dont Tik-Tok, très populaire auprès des jeunes Indiens. Interdire l’utilisation de ces applications ne répondrait qu’à un seul objectif : « assurer la sécurité et la souveraineté du cyberespace indien ». Cette mesure s’inscrit dans une certaine continuité avec les manifestations nationalistes qui ont éclaté au lendemain de la rixe dans la vallée de Galwan, pendant lesquelles des citoyens indiens ont appelé au boycott des produits chinois et ont brûlé des portraits de Xi-Jinping ainsi que des drapeaux de la République populaire de Chine.

Traduisant une coopération infaillible entre les deux puissances nucléaires, le concept de chindia semble aujourd’hui être remis en cause. La relation sino-indienne se dégrade au fil du temps et les rencontres diplomatiques entre les deux gouvernements afin de trouver un terrain d’entente pérenne ne portent plus ses fruits.

L’Inde selon les États-Unis : un enjeu stratégique

Alors que la Chine se rapproche du Népal, de la Birmanie, du Sri Lanka et du Pakistan, grand rival de l’Inde, cette dernière, ambitieuse elle aussi, se tourne vers de nouveaux partenaires afin de contrebalancer la puissance de l’Empire du Milieu en Asie du Sud-Est. New-Delhi s’allie ainsi avec les États-Unis, premier concurrent de la Chine. Cette coopération permet à l’Inde de disposer d’une aide économique et militaire importante. Elle a notamment accès désormais à du matériel et des informations militaires, mais aussi à une partie des troupes américaines.

Renforcer la coopération avec New-Delhi représente pour les États-Unis un enjeu géopolitique des plus stratégiques. À l’heure où les relations sino-américaines sont au plus bas, notamment à cause des attaques répétées du gouvernement Trump contre Pékin – amplifiées dès l’expansion du coronavirus, puisque le locataire de la Maison-Blanche demande « plus de transparence sur l’origine » du virus et a mis fin à sa collaboration avec l’OMS, la considérant comme la « marionnette de la Chine » –, elle permettrait aux États-Unis d’exercer une forte pression sur son adversaire en ayant un contrôle conséquent sur la région et sur la mer de Chine. De surcroît, ce désir commun de limiter l’influence géopolitique de l’Empire du Milieu s’inscrit dans une certaine continuité historique, puisque l’Aigle américain avait versé une aide financière considérable à l’Inde et mis à sa disposition une aide militaire dans les années 1950 et 1960.

Contrebalancer le poids de la Chine en Asie du Sud-Est est devenu un objectif majeur pour l’Inde, mais aussi pour l’Australie et le Japon. Ces derniers se sont constitués en une unique structure, le « Quadrilateral Security Dialogue » (Quad), aux côtés des États-Unis

Il existe néanmoins entre les deux pays des divergences. En visite officielle à New-Delhi le 26 juin, Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, s’est entretenu avec le premier ministre Narendra Modi et son homologue indien Subrahmanyam Jaishankar. Il s’agissait dans un premier temps de régler les actuels différends commerciaux qui entravent la relation indo-américaine. Face à la puissante politique protectionniste indienne, les États-Unis avaient exclu l’Inde du régime préférentiel américain le 5 juin. L’Inde, voulant riposter, a imposé des droits de douanes supplémentaires sur l’importation d’une trentaine de produits américains. De plus, la signature en octobre dernier d’un accord de 4,5 milliards d’euros entre New-Delhi et Moscou concernant l’achat de missiles sol-air S-400 a contrarié Washington, qui a menacé l’Inde de sanctions économiques. Cette dernière maintient toutefois son accord commercial avec la Russie malgré la pression américaine. Dans sa conférence de presse qu’il a tenu à la suite de son entrevue avec ses pairs indiens, Mike Pompeo s’est montré toutefois confiant quant à la résolution de ces tensions et a souligné l’importance de la relation indo-américaine, second objectif de cette visite officielle.

New Delhi a plusieurs cordes à son arc

Désireuse de faire de l’ombre au Dragon chinois, l’Inde multiplie les partenariats à l’échelle régionale et internationale. La main tendue des États-Unis ne lui suffit plus. Il s’agit désormais de tirer profit de l’angoisse de certains pays face à l’influence exponentielle de la Chine. Elle s’entoure d’alliés voisins, comme le Vietnam, Singapour ou le Japon, avec lequel a été mis en place dès 2006 un important partenariat stratégique. New-Delhi, ambitieuse, signe aussi des accords de nature militaire avec l’Australie – par exemple, l’actuel accord « Mutual Logistics Support Agreement » qui lui permet d’avoir accès aux bases militaires australiennes et vice versa. Face à l’implantation de plusieurs bases militaires chinoises en Mer de Chine, le partenariat militaire indo-australien permet de faire front à l’Empire du Milieu, l’Inde au Nord de l’Océan indien et l’Australie au Sud. Selon Mikaa Mered, géopolitologue, « les deux partenaires sont complémentaires » et doivent « étendre leurs capacités d’action ». Canberra, à qui Pékin a infligé des sanctions économiques lourdes pour avoir demandé une enquête sur les origines du coronavirus, permet à l’Inde de « créer sinon une force, du moins un rapprochement conséquent pour contrebalancer le poids de la Chine et recréer un équilibre » dans l’espace indopacifique. Au-delà des intérêts militaires, le partenariat indo-australien offre « la possibilité de nombreuses autres opportunités commerciales » et le partage « d’une vision de systèmes multilatéraux ouverts, libres et régulés » selon le premier ministre Scott Morrison. De surcroît, l’Australie représente pour l’Inde un soutien essentiel à son obtention d’un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, fonction qu’exerce d’ores et déjà la Chine.

Contrebalancer le poids de plus en plus important de la Chine en Asie du Sud-Est est devenu un objectif majeur pour l’Inde, mais aussi pour l’Australie et le Japon. Ces derniers se sont constitués en une unique structure, le « Quadrilateral Security Dialogue » (Quad), aux côtés des États-Unis. Ce projet a l’unique objectif de rivaliser avec la puissance de Pékin. De surcroît, le Quad se voit renforcé par l’intégration progressive de la Nouvelle-Zélande, de la Corée du Sud, du Vietnam ou de l’Indonésie.

A l’échelle internationale, l’Inde peut compter parmi ses plus fervents alliés la France. L’Hexagone « contribue directement à cette offre alternative de sécurisation indopacifique » en représentant « une force importante qualitativement » selon Mikaa Mered. La coopération indo-française est de nature majoritairement militaire, puisque la France fournit du matériel militaire à l’Inde mais aussi à l’Australie – des sous-marins ont été vendus à Canberra pour 35 milliards d’euros en 2016.


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Élections en Inde : triomphe du nationalisme hindou

Narendra Modi lors d'une réunion publique à Meerut, 15 février 2014. © Narendra Modi, Flickr
Narendra Modi lors d’une réunion publique à Meerut, 15 février 2014. © Narendra Modi, Flickr

La plus grande démocratie du monde vient d’achever le marathon électoral au terme duquel plus de 600 millions d’Indiens ont choisi celui qui présidera aux destinées de la sixième puissance économique du monde. Le verdict est sans appel : la coalition emmenée par le Premier ministre, Narendra Modi, emporte 353 des 542 circonscriptions en jeu. Il a désormais toute latitude pour poursuivre les orientations définies lors de son premier mandat, entre réformes libérales, investissements dans les infrastructures, affirmation de l’Inde sur la scène mondiale et renforcement de l’identité hindoue du sous-continent. Le parti du Congrès est décimé [ndlr : principal mouvement d’opposition, le parti du Congrès a dominé la vie politique indienne de l’indépendance jusqu’à l’élection de Narendra Modi en 2014].


Une Inde s’éteint. Une autre émerge. Celle-là se pensait comme un creuset de civilisations, unie par une constitution qui proclame la sécularité de l’État indien et garantit des protections particulières aux minorités autant qu’aux couches populaires, notamment les ex-intouchables et les populations tribales. Celle-ci brandit fièrement l’hindouisme, fondement de sa civilisation et ciment de son identité, pense-t-elle.

Celle-là était mue par un nationalisme civique ayant pour ambition de constituer une puissance souveraine qui promeut la paix et le multilatéralisme. Celle-ci veut tenir en respect les autres nations, notamment la Chine et le Pakistan, n’hésitant pas à faire usage de la force et laissant planer l’ombre du feu nucléaire.

Celle-là tenait les civil servants pour des modèles de vertu, soldats d’un capitalisme d’État ayant pour mission d’œuvrer en faveur de l’autonomie productive et d’un développement soucieux des couches populaires. Celle-ci espère que Narendra Modi mènera à son terme la libéralisation économique qu’a entamée le sous-continent dans les années 1980.

Celle-là reconnaissait une légitimité sans faille à ses élites intellectuelles, rompues aux humanités au sein des universités européennes, s’exprimant dans un Anglais presque britannique, consolidant, chaque jour passant, le culte du savoir et l’admiration pour la figure du professeur, et plaidant, sans fléchir, en faveur des droits des minorités, de la tolérance, du respect de la diversité et de la laïcité. Celle-ci admire les ingénieurs, conquérants modernes, formés dans les Indian Institute of Technology et dont les faits d’armes sont des places de choix acquises dans la Silicon Valley. La vieille Inde admirait les conservateurs du savoir, à la croisée entre la philosophie grecque, la pensée française, le libéralisme anglais et les traditions spirituelles et philosophiques indiennes. La nouvelle espère atteindre la classe moyenne supérieure des entrepreneurs à succès, qui assument leurs devoirs envers leur famille en leur garantissant protection, aisance matérielle et accès au mode de vie consumériste américain.

Trois symboles illustrent ce changement d’époque. Kanhaiya Kumar, jeune étudiant marxiste, candidat pour le parti communiste – ayant fait ses armes au sein de la Jawaharlal Nehru University, temple du marxisme et connu pour son arrestation spectaculaire, pour sédition, durant un événement organisé par des étudiants de la JNU, à l’occasion duquel des slogans anti-Indiens furent proférés – essuie une défaite, dans son État natal, le Bihar, où il faisait face à un candidat du BJP, le parti de Narendra Modi. Atishi Marlena, professeure formée à Oxford, quintessence de ces élites humanistes issues de l’indépendance, est frappée d’un échec similaire, tandis que Pragya Thakur, militant du BJP, accusé d’avoir participé à un attentat à la bombe (non condamné pour l’heure et, par conséquent, présumé innocent), en réaction aux attentats islamistes de Mumbai, perpétrés en 2008, est élu triomphalement. Ces trois figures incarnent l’Inde qui s’efface et celle qui la remplace.

2014 : NARENDRA MODI CHASSE LA DYNASTIE GANDHI-NEHRU DU POUVOIR

Enfant du Gujarat, État situé à la frontière avec le Pakistan, Narenda Modi s’engage très jeune au sein du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), groupe paramilitaire et militant, membre de la famille politique Sangh Parivar. Cette dernière réunit principalement le groupe RSS, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party et le Vahini Hindu Parishad.

Cette communauté politique et intellectuelle se réunit autour de l’Hindutva, idéologie éponyme d’un ouvrage rédigé par un penseur fondamental du nationalisme hindou : Vinayak Damodar Savarkar. A ces origines, l’Hindutva n’implique pas forcément une suprématie de l’hindouisme sur les autres civilisations et religions. Toutefois, très vite, le groupe RSS s’engage contre le séparatisme musulman, ennemi éternel, pour ce groupe, de la civilisation indienne. Dans l’Inde contemporaine, les propagateurs de l’Hindutva souhaitent, à tout le moins, soumettre les musulmans et les chrétiens à l’ethos, aux mœurs et aux valeurs fondamentales de l’hindouisme. Pour les nationalistes hindous, l’hindouisme et l’identité de l’Inde se confondent. Les musulmans et les chrétiens ne feront jamais totalement partie de Mata Bharat (littéralement la Mère Inde), terme mythique pour désigner l’Inde éternelle, inscrite dans les temps immémoriaux.

Groupe clivant, RSS sera plusieurs fois interdit au cours de l’histoire récente de l’Inde : après l’assassinat  de Mahatma Gandhi, commis par un ancien membre d’RSS, durant l’état d’urgence déclaré par Indira Gandhi et après la destruction de la mosquée Babri, que ce groupe estimait construite sur les ruines d’un ancien temple hindou, à Ayodhya, cœur du royaume de Ram, héros mythique du Rāmāyaṇa, conte épique de l’Inde.

Manifestation du groupe RSS. ©Suyash Dwivedi
Manifestation du groupe RSS. ©Suyash Dwivedi

Alors que nombre de leaders de Sangh Parivar sont en prison, pendant l’état d’urgence déclaré par Indira Gandhi, Narendra Modi parvient à monter, un à un, les échelons des organisations hindoues. A l’occasion de cet état d’urgence, plusieurs opposants politiques sont emprisonnés, au nombre desquels figurent des représentants du BJP. Il assume des responsabilités dans le Gujarat puis dans l’Himachal Pradesh, où il mène le BJP à la victoire. Entre 2001 et 2012, il est chef de l’État du Gujarat. A cette occasion, ses opposants l’accusent de jouer un rôle négatif pendant les pogroms ayant conduit aux meurtres d’entre 1000 et 2000 personnes, majoritairement musulmanes, après l’incendie d’un train dans lequel périssent 59 pèlerins, revenus d’Ayodhya. Toutefois, il faut signaler que Narendra Modi ne fait l’objet d’aucune condamnation dans cette affaire.

Son règne à la tête du Gujarat lui permet de se forger l’image d’un leader charismatique et autoritaire, capable de mener les Hindous à la victoire. Par ailleurs, le développement économique du Gujarat, fondé notamment sur des investissements venus de riches hommes d’affaires indiens et du Japon – eux-mêmes facilités par la création de zones économiques spéciales, à la fiscalité et aux normes sociales moins contraignantes – le fait passer pour un modernisateur, capable de redresser l’économie du sous-continent.

Ainsi, en 2014, lorsqu’il se présente aux suffrages des Indiens, Modi réalise une synthèse qui rencontre les aspirations de l’Inde : un renouvellement démocratique qui balaie la dynastie Nehru-Gandhi, perçue comme corrompue et népotique, l’affirmation d’un pouvoir fort au gouvernement central qui redonne de la fierté aux Hindous et une modernisation économique qui libère les Indiens d’un État ressenti comme bureaucratique. Cela lui permet d’obtenir le soutien de la classe moyenne supérieure qui rêve de modernisation économique et se trouve de moins en moins habitée par le surmoi caritatif que le Congrès avait insufflé en elle. Elle estime mériter la place qui est la sienne. Narendra Modi donne un vernis moral et spirituel à ce sentiment. En agissant ainsi, assure-t-il, les Indiens assument leur devoir à l’égard de leur famille et de leur patrie. Leur position dans l’échelle sociale n’est qu’une juste rétribution de leurs mérites.

Fait plus rare pour le BJP, Modi arrache le soutien d’une partie des couches populaires indiennes, notamment celui des Other backward castes (OBCs), groupe social qui ne bénéficie pas pleinement des politiques de discrimination positive mais reste délaissé par la croissance indienne, profitant essentiellement aux upper castes et à la classe moyenne supérieure. Le récit de Narendra Modi rencontre la soif de représentation politique exprimée par ces OBCs, que les partis régionaux et le Congrès ne considèrent pas. En effet, Modi est un Shudra, caste qui, parmi les 4 Varna traditionnelles de l’hindouisme, se rapproche des OBCs.

Plus jeune, alors que ses parents se préparent à lui présenter la femme qu’il doit épouser, le jeune Narendra s’enfuit et travaille comme chai walla, c’est-à-dire vendeur de thé dans la rue, figure populaire s’il en est. Pour ces OBCs, Modi est l’un des leur. Il se détache des élites libérales et occidentalisées qui composent le parti du Congrès. Il n’hérite pas. Il mérite. Dès lors, leurs espoirs se portent sur cet homme.

En 2014, les Indiens décident de chasser la famille Nehru-Gandhi, corrompue et incapable d’assurer le développement économique du pays selon eux, tandis que Narendra Modi leur promet le vikas, c’est-à-dire le développement, en les débarrassant des lourdeurs de la bureaucratie indienne et de la corruption et en développant les infrastructures, le retour à la fierté hindoue et l’affirmation de l’Inde comme puissance majeure sur la scène internationale. Avec Modi, estiment les Indiens, viendront les acche din, c’està-dire les jours heureux.

2019 : LA VICTOIRE IDÉOLOGIQUE DE L’HINDUTVA

En 2019, la campagne électorale prend une toute autre tournure. Rahul Gandhi, le leader du Congrès, estime la constitution et la laïcité menacées par le règne sans partage du parti safran – surnom du BJP – et souhaite sauver la laïcité de l’ombre du nationalisme hindou. Durant ses cinq années de mandat, Narendra Modi s’est efforcé de renforcer l’identité hindoue de l’Inde. Une partie des programmes d’histoire sont réécrits. Les interdits qui frappent l’élevage bovin sont renforcés pour protéger la vache sacrée. L’Hindi est mis en avant au détriment des autres langues de l’Inde. Le Congrès prend donc la tête d’une grande coalition laïque.

Par ailleurs, le Congrès fait campagne sur les échecs du gouvernement en matière économique et sociale. M. Modi a mis en place de grands plans d’infrastructures (toilettes publiques, électricité, gaz, routes) insuffisants aux yeux des Indiens et a imposé des réformes libérales qui ne font pas l’unanimité, comme la Goods and Services Tax (une TVA uniformisée à l’échelle du pays) et la démonétisation (remplacement de 85% de la monnaie en circulation afin de lutter contre l’argent sale et développer les réseaux bancaires). La détresse des paysans reste grande. Ils sont victimes de la politique de faible inflation des prix agricoles et de baisse des subventions qui garantit des denrées alimentaires bon marché aux électeurs urbains du BJP mais délaisse les masses paysannes. Par ailleurs, le chômage reste un sujet majeur de préoccupation pour les Indiens.

Enfin, le Congrès s’efforce d’affubler le BJP des limaces de la corruption. Il accuse Narendra Modi de favoritisme à l’égard du riche entrepreneur Anil Ambani, à l’occasion du « contrat du siècle », par lequel la France a vendu 36 Rafales à l’Indian Air Force.

Le plan du Congrès souffre d’une faiblesse de taille : de nombreux partis régionaux font bande à part. Il s’agit notamment du Bahujan samaj party, et du Samajwadi party, qui obtiennent traditionnellement le soutien des Yadav (sous-caste des OBCs) et des Jatav (sous-caste des dalits, ex-intouchables) dans l’État le plus peuplé de l’Inde, l’UttarPradesh. Mamata Banerjee, qui règne sur le Bengal Occidental, joue également sa propre partition.

Fin 2018, la mayonnaise semble prendre puisque le BJP subit trois défaites, coup sur coup, au Rajasthan, au Madhya Pradesh et à Chhattisgarh, lors de scrutins régionaux.

Un événement vient cependant bouleverser la campagne. Le 14 février 2019, un camion rempli d’explosifs tue 49 paramilitaires indiens dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde. Très vite, l’attentat est revendiqué par Jaish-e-Mohammed, dont le chef, Masood Azhar, opère depuis le Pakistan. L’Inde réagit coup pour coup. Le 26 février, un raid de 12 Mirage 2000 cible un centre d’entraînement djihadiste situé au-delà de la frontière indo-pakistanaise. Selon l’Inde, 350 terroristes sont neutralisés.

Les critiques du Congrès deviennent inaudibles. L’Inde se cherche un chef de guerre dont la main ne tremblera pas lorsqu’il s’agira de frapper le Pakistan au cœur. Narendra Modi apparaît alors comme l’héritier de Shivaji, qui croisa le fer contre le joug musulman.

Le professionnalisme du BJP et le talent politique de Narendra Modi feront le reste. Sa stratégie de communication est nettement plus adaptée aux campagnes du XXIème siècle que celle de Rahul Gandhi. Modi est partout : dans les grandes réunions publiques en plein air réunissant des centaines de milliers de personnes, sur tous les réseaux sociaux, dans la presse, sur toute les pancartes publicitaires situées le long des routes. Rahul Gandhi, au contraire, s’est doté d’une stratégie réseaux sociaux balbutiante et apparaît, tout à tour, nerveux, immature, incapable de se contrôler, faible, fragile et excessif.

Par ailleurs, Modi et Amit Shah, leader du BJP, ont une analyse très fine des patrimoines électoraux. Ainsi, dans l’État de l’Uttar Pradesh qui donne 80 députés à l’Inde, une mahagatbandhan (grande alliance) affronte le parti safran. A trois, le Samajwadi party, le Bahujan samaj party et le Lok dal coalisent les suffrages des Yadav (sous-caste des OBCs), des Jatav (sous caste des dalit, ex-intouchables) et des Jats (caste de paysans). Additionnées, ces diverses communautés dépassent largement les hautes castes, qui forment l’électorat traditionnel du BJP. Le BJP ne se résigne pas et cible, dans les candidats qu’il présente, dans les localités qu’il investit ainsi que dans les sujets qu’il prend en charge, les OBCs non-Yadav et les dalits non-Jatav. Ainsi, il emporte la mise et s’assure du soutien de 63 des 80 députés de l’État de l’Inde le plus peuplé.

Le succès est sans appel. Dans la ceinture Hindi, traditionnellement acquise au BJP, Modi réalise des scores staliniens. Il obtient le soutien de 41 des 49 députés du Maharashtra, de la totalité des députés de l’Haryana, du Gujarat et du Rajasthan, et de 28 des 29 députés du Madhya Pradesh. Il réalise également des cartons pleins dans l’Himachal Pradesh et l’Uttarakhand.

Carte électorale de l'Inde, 2019
Carte électorale de l’Inde, 2019
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Le succès du BJP s’étend même hors de ses bastions historiques. Il fait des percées notables dans le Nord-Est de l’Inde, qui se donne habituellement aux partis autonomistes et aux mouvements révolutionnaires. Il emporte la victoire dans le Bihar, où 39 des 40 députés sont issus de la coalition dirigée par Narendra Modi.  Dans le Bengal occidental, État où se trouve une forte communauté musulmane, il fait quasiment jeu égal avec Mamata Banerjee, et éclipse le parti communiste, qui a dirigé l’Etat pendant près de quatre décennies.

Il n’y a guère que les États du Sud qui résistent à la vague safran. Les Indiens du Sud n’ont pas les mêmes rapports avec l’islam que les Indiens du Nord, pour qui la frontière avec le Pakistan est nettement plus palpable. Par ailleurs, ils sont très jaloux de leurs particularités culturelles et très attachés à la sauvegarde des leurs langues. Ils restent donc réticents à apporter leur soutien à un parti qui plaide pour la suprématie de l’Hindi. Toutefois, il est remarquable que Modi emporte 25 des 28 députés du Karnataka, bastion du Congrès pendant ces 5 années rares en succès électoraux pour Rahul Gandhi.

En 2014, la victoire de Narendra Modi fut un subtil mélange entre diverses aspirations : un coup de balai qui débarrasse l’Inde de la dynastie Gandhi-Nehru et de la corruption, un coup de collier en faveur de la libéralisation de l’économie, un pouvoir fort à la tête de l’État central et le renouement avec la fierté de l’hindouisme triomphant.

En 2019, le message est sans équivoque. L’Inde ne se cache plus. Elle souhaite réaffirmer son identité hindoue, chasser les élites libérales qui promeuvent le multiculturalisme et porter à la tête de l’État un chef de guerre capable de tenir en respect les autres nations pour assurer à Mata Bharat une place éminente sur la scène mondiale.

L’INDE, PUISSANCE CHARNIÈRE DANS LE JEU INTERNATIONAL ?

A présent, plusieurs échéances vont se succéder pour le Premier ministre fraîchement réélu. Elles donneront à voir le rôle que l’Inde entend jouer sur la scène internationale.

A l’occasion de son premier mandat, Narendra Modi avait renforcé la posture guerrière de son pays à l’égard du frère ennemi : le Pakistan. L’attaque terroriste intervenue en février dernier ne changera certainement pas la donne.

L’Inde accuse régulièrement le Pakistan de soutenir et de financer, par l’intermédiaire de son agence de renseignement ISI, le terrorisme islamiste et séparatiste dans la vallée du Cachemire. Aussi, à l’occasion du G20 qui aura lieu les 28 et 29 juin prochains et du G7, auquel l’Inde est invitée par la France, Modi entend obtenir des engagements forts de la part de la communauté internationale pour couper les financements aux organisations terroristes. Elle a d’ores et déjà arraché la reconnaissance, par les Nations-Unies, de Masood Azhar, chef de Jaish-e-Mohammed, comme global terrorist.

Par ailleurs, alors que les États-Unis ont annoncé leur retrait du bourbier afghan, l’Inde va devoir prendre position sur le processus de paix dans ce pays. Vladimir Poutine espère œuvrer en faveur d’un compromis historique entre les Talibans et le gouvernement afghan, condition sine qua non, selon lui, d’une lutte résolue contre l’Organisation de l’État islamique. C’est la raison pour laquelle Moscou a organisé plusieurs rencontres entre le Haut Conseil pour la paix, organe consultatif de l’État afghan et les Talibans. Il a également provoqué une rencontre entre l’opposition afghane et les Talibans. Ainsi, il espère réconcilier les populations pachtounes, parmi lesquels on trouve des soutiens des Talibans, et les populations du Nord de l’Afghanistan. Ces efforts russes ont d’ailleurs poussé le président afghan Ashraf Ghani à convoquer une grande assemblée consultative, qu’il souhaite représentative des courants de la société afghane, afin qu’elle constitue un interlocuteur acceptable pour les Talibans.

L’Inde pourrait avoir intérêt à appuyer ce processus de paix à la fois pour donner de la stabilité à son allié afghan – riche en ressources pétrolières et gazières, carrefour commercial et de civilisations entre l’Asie et la Russie – et pour forcer le Pakistan à intensifier sa lutte contre le mouvement taliban pakistanais, entamée lorsque l’armée pakistanaise a délogé les terroristes du Tehrik-e-Taliban de la région du Waziristan pakistanais.

Enfin dernier axe structurant pour la diplomatie indienne : le rapport qu’elle entretient avec son puissant rival chinois. L’Inde a consolidé sa relation avec les États-Unis, pour se protéger des incursions chinoises dans l’Océan indien et l’Himalaya, participant régulièrement à des exercices militaires communs avec les États-Unis, le Japon, l’Australie et, plus récemment, la France. Elle a renforcé son arsenal militaire et sa présence navale dans l’Océan indien : achat de 36 rafales et de 6 sous-marins de classe Scorpène auprès de la France, accès aux bases navales françaises dans l’Océan indien (Djibouti, La Réunion, Émirats Arabes Unis).

Toutefois, cette nouvelle alliance stratégique avec l’Occident se heurte au partenariat historique qu’entretient l’Inde avec deux pays que les États-Unis ont pris en grippe : l’Iran et la Russie. L’Inde investit notamment dans le port de Chabahar, stratégique pour l’accès de l’Iran à la Mer Rouge et à l’Océan indien. Les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé qu’ils sanctionneraient toute nation qui achèterait du pétrole iranien, sans exception. Dès lors, l’Inde va devoir rapidement se positionner : reprendre les importations de pétrole depuis l’Iran ou intensifier les relations commerciales avec l’Arabie Saoudite. Elle semble se diriger vers un alignement sur la position américaine.

Avec la Russie, l’Inde partage une relation militaire ancienne. La Russie est le second fournisseur de l’Inde en termes d’armements. 35% des exportations de la Russie vers l’Inde concernent le domaine militaire. L’Inde vient ainsi de confirmer l’achat de systèmes de défense sol-air russes S 400 et la location d’un sous-marin nucléaire d’attaque auprès de la Russie. Elle s’expose à des sanctions américaines, au titre du Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act qui permet aux États-Unis de châtier des nations qui achèteraient des systèmes d’armement à la Russie.

Donald Trump a déjà de retiré à l’Inde son inscription au sein du Generalized Preferences System, qui assure aux produits indiens un accès privilégié au marché américain. Les États-Unis souhaitent, en effet, que l’Inde ouvre d’avantage son marché intérieur, notamment dans les domaines du e-commerce, des médicaments et des produits laitiers.

L’Inde entend ainsi contenir les prétentions chinoises qui s’expriment à travers des investissements dans des infrastructures portuaires et aéroportuaires de la Mer de Chine à Djibouti. La Chine a ainsi obtenu une concession de 99 ans sur le port d’Hambatota, au Sri Lanka. Elle prévoit d’investir dans deux cités portuaires d’ampleur : le Colombo International Container Terminal, qu’elle exploite par le biais d’une société détenue à 70% par la Chine et à 30% par le Sri Lanka et le port de Gwadar au Pakistan, point d’arrivée du corridor économique sino-pakistanais. Pour se protéger des incursions chinoises, l’Inde cherche à s’assurer des facilités portuaires aux Seychelles et aux Maldives. Elle s’apprête à construire une nouvelle base militaire sur l’île Andaman-et-Nicobar, à proximité du détroit de Malacca. Elle vient également de signer un accord avec le Sri Lanka pour exploiter le terminal Est du port de Colombo, par le biais d’une société détenue à 51% par le Sri Lanka et à 49% par les Indo-Japonais. Signe des temps, le premier voyage qu’a effectué le Premier ministre indien après son élection l’a mené vers le Sri Lanka et les Maldives.

Elle développe également des relations avec les pays de l’ASEAN – Association des Nations de l’Asie du Sud-Est et de l’ASACR – Association sud-asiatique pour la coopération régionale, qui réunit le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan, le Sri Lanka et l’Afghanistan. A ce titre, d’ici novembre, elle devra rendre sa décision sur sa participation à l’accord de libre-échange conclu entre les pays de l’ASEAN, la Chine, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Renforcé par le plébiscite que vient de lui donner le peuple indien, Modi va pouvoir développer son agenda, mélange de réformes néolibérales et de nationalisme hindou. Il profitera sans doute de cet appui populaire pour pousser son avantage vis-à-vis du Pakistan et consolider son réseau d’alliances ainsi que son arsenal militaire, de façon à rééquilibrer la relation avec la Chine, aujourd’hui défavorable à l’Inde.  L’Inde se prépare à assumer les responsabilités qui seront les siennes lorsqu’elle fera partie, avec les États-Unis et la Chine, des trois premières puissantes mondiales.

©Prime Minister’s Office, Government of India


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Veillée d’armes au Cachemire

Narendra Modi © India Times

14 février 2019, un camion rempli d’explosifs tue 49 paramilitaires indiens dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde. Très vite, l’attentat est revendiqué par Jaish-e-Mohammed, dont le chef, Masood Azhar, opère en toute quiétude depuis le Pakistan. L’Inde réagit coup pour coup. Le 26 février, un raid de 12 Mirage 2000 cible un centre d’entraînement djihadiste situé au-delà de la frontière indo-pakistanaise. 350 terroristes sont neutralisés. Dès lors, cet attentat agit comme un révélateur du jeu géopolitique qui met aux prises les grandes puissances mondiales dans la région. Récit. 


Rapidement, les premières mesures de rétorsion sont prises par l’Inde, qui assure détenir « des preuves irréfutables » de la complicité pakistanaise dans l’attentat. Le Pakistan perd son statut de nation la plus favorisée et les droits de douane indiens augmentent de 20% pour Islamabad. La machine diplomatique indienne se met en ordre de marche pour cibler la République islamique et l’isoler sur le plan international. Les Etats-Unis, quant à eux, demandent au Pakistan de « cesser immédiatement de soutenir et de prêter refuge à tous les mouvements terroristes actifs sur son sol ».

Puis viennent les représailles militaires. Comme en 2016, lorsqu’une attaque terroriste avait fait 18 morts dans un camp militaire indien, le Premier Ministre, Narendra Modi, envoie les Mirage 2000 cibler les camps d’entraînement des groupes terroristes qui opèrent depuis le Pakistan. L’Inde se prépare à la réponse du Pakistan. La surveillance à la frontière est renforcée. Médias et réseaux sociaux laissent paraître un soutien unanime des Indiens, à travers le mot-dièse #Indiastrikesback.

Pendant ce temps, la traque s’organise. Le 17 février, 23 hommes soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat sont arrêtés. Le lendemain, deux terroristes présumés sont abattus par l’armée indienne, dans un raid qui cause deux victimes civiles et 4 parmi les militaires indiens. Abdul Gazi, cerveau présumé de cette attaque, est éliminé par les forces de sécurité indienne. Ce dernier avait fait ses classes de terroriste islamiste auprès des Talibans en Afghanistan.

LE CACHEMIRE, ENJEU DE PUISSANCE POUR L’INDE ET LE PAKISTAN

Depuis 1947, attentats terroristes et guerres conventionnelles ont rythmé la vie des populations de la vallée du Cachemire. Toutes furent gagnées par l’Inde. Toutes donnent des frissons aux puissances de la région, eu égard au fait que les deux nations sont nucléarisées. Pourtant, depuis 1947, rien n’a changé, ou presque. L’Inde contrôle les deux tiers du Cachemire, tandis que le Pakistan administre le tiers restant. Dominé militairement, le Pakistan est régulièrement accusé de soutenir des groupes terroristes pour déstabiliser le seul état indien majoritairement musulman tandis que le gouvernement indien est accusé de remettre en cause les droits de l’homme et de laisser les mains libres aux forces armées indiennes pour maintenir l’ordre dans le Jammu et Cachemire.

En Inde, comme en Afghanistan, le Pakistan est accusé de financer des activités terroristes pour déstabiliser ses voisins. L’Inter-Services Intelligence, véritable État dans l’État, aurait pour rôle d’apporter un soutien logistique et financier aux groupes terroristes dans le Cachemire et en Afghanistan. Par ailleurs, le gouvernement pakistanais est accusé de tolérer l’existence de camps, ayant pour fonction d’assurer une base arrière et des centres d’entraînement pour les terroristes opérant ensuite en Afghanistan et dans la vallée du Cachemire.

Selon l’Inde, le Pakistan utilise donc les groupes terroristes qu’il protège et finance pour déstabiliser la partie du Cachemire administrée par l’Inde et remettre en cause la souveraineté indienne dans la région. A ce titre, le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammad est particulièrement actif. En septembre 2016 déjà, il a revendiqué l’assaut contre la caserne d’Uri, au cours duquel 18 militaires indiens perdirent la vie. Le même groupe est responsable de l’attentat du 14 février dernier.

Le Pakistan se défend de telles accusations. On doit d’ailleurs à la vérité de reconnaître que le Pakistan a entrepris, depuis l’arrivée au pouvoir de Nawaz Sharif, une lutte plus affirmée contre les groupes terroristes qui opèrent sur son territoire. Ici encore, le nouveau Premier Ministre pakistanais, Imran Khan, a déclaré : « Si vous avez des preuves fermes de l’implication de Pakistanais dans cet attentat, je peux vous assurer que j’ordonnerai une enquête contre eux. Car ces terroristes sont aussi les ennemis du Pakistan, ils agissent contre nos intérêts ».

Le groupe Jaish-e-Mohammad est effectivement interdit au Pakistan depuis 2002. Pourtant, le chef de ce groupe terroriste, Masood Azhar, y vit sans être inquiété par les autorités. Par ailleurs, sous la pression du Pakistan, la Chine a empêché l’inscription du chef djihadiste sur la liste noire des terroristes reconnus par l’ONU en 2017.

L’Inde, elle, a mis en place une législation d’exception pour lutter contre le terrorisme. A cet égard, l’Armed Forces (Special Powers) Act donne de larges pouvoirs aux forces armées pour neutraliser les terroristes mais également pour perquisitionner et détenir qui que ce soit dans la région. Les associations de défense des droits de l’homme ciblent cette législation comme étant responsable de viols des droits humains dans la vallée du Cachemire.

La population du Jammu et Cachemire, seul Etat indien majoritairement musulman, est donc prise en tenaille entre un gouvernement pakistanais qui finance des groupes terroristes qui meurtrissent régulièrement l’Etat, et l’armée indienne qui recourt à une législation d’exception, lui donnant une grande liberté d’action pour maintenir l’ordre.

LE GRAND JEU DES PUISSANCES MONDIALES EN ASIE

L’avenir du monde se joue dans cette région stratégique, entre trois États-puissances : l’Inde, la Chine et les Etats-Unis.

D’un côté, le Pakistan, doté de l’arme nucléaire, joue de sa relation stratégique avec l’Arabie Saoudite et la Chine pour garantir sa sécurité et son développement économique. De l’autre l’Inde, nation nucléaire par ailleurs, jouit de sa supériorité militaire, du soutien de plus en plus affirmé des Etats-Unis et de sa position centrale dans la région pour dominer son dangereux voisin et contenir l’avancée de la Chine dans son pré carré, l’océan indien.

Islamabad noue donc des liens forts avec la Chine, qui prévoit d’investir 46 milliards de dollars dans la construction d’un corridor économique partant du Xinjiang chinois et allant jusqu’au port Pakistanais de Gwadar, de façon à garantir un accès au golfe persique, à la mer d’Arabie et à l’océan indien.

Le corridor économique sino-pakistanais.  ©Javedpk05

Cela lui permettrait d’ouvrir une route commerciale en direction de l’Asie centrale, du Moyen-orient et de l’Europe, sans passer par l’unique voie d’accès – jusqu’à présent -, le détroit de Malacca, aux abords duquel l’Inde a renforcé son contingent militaire par le biais de son implantation sur les îles Andaman et Nicobar.  En outre, une bretelle du corridor devrait rejoindre l’Afghanistan, dont les ressources minières intéressent la Chine.

Les deux pays ont également signé des programmes de coopération militaire notamment dans le domaine nucléaire, mais également pour ce qui concerne les avions de combat.

L’Afghanistan est une pièce centrale des enjeux d’influence dans la région : il donne accès aux ressources minières de l’Asie centrale. C’est la raison pour laquelle la Chine aimerait étendre le corridor sino-pakistanais en direction de l’Afghanistan. Or, un tel mouvement suppose une normalisation des relations afghano-pakistanaises, empêchée par le fait que le Pakistan constitue une base de repli et d’entraînement pour les Talibans. Les négociations entre Pakistanais et Afghans ont échoué sur un point : le Pakistan refuse que les factions djihadistes qui refusent de négocier avec Kaboul soient neutralisées. L’Inde, alliée historique de l’Afghanistan, continue de soutenir Kaboul. Elle compte s’appuyer sur le partenariat stratégique qu’elle a avec l’Iran, qui lui assure une partie de son approvisionnement en gaz et pétrole, pour moderniser le port de Chabahar. Ce dernier lui permettrait d’accéder à l’Afghanistan sans passer par le Pakistan, d’avoir un accès direct en Asie centrale et, par là même, de désenclaver son allié afghan. Par ailleurs, l’Inde a financé le nouveau parlement afghan. Elle livre également des hélicoptères de combat à l’armée afghane, ce qui lui permet de lutter plus efficacement contre les Talibans.

Avec l’Arabie Saoudite, la relation bât de l’aile. Le Pakistan a du mal à se positionner vis-à-vis de la politique d’affrontement frontal que l’Arabie Saoudite a engagé à l’égard de l’Iran. D’un côté, le Pakistan doit beaucoup à son allié sunnite : l’Arabie Saoudite fournit de larges liquidités pour permettre au Pakistan de financer son développement économique et ses écoles coraniques, la minorité pakistanaise qui sert de main d’oeuvre bon marché dans les pays du Golfe assure des transferts financiers importants vers le Pakistan, tandis que l’ancien Premier Ministre Pakistanais, Nawaz Sharif, a été libéré des geôles du général Musharraf grâce à l’aide saoudienne.

Cependant, le Pakistan se refuse à s’engager, de trop près, dans la politique anti-iranienne de l’Arabie Saoudite. Elle a refusé son soutien aux Saoudiens dans leur guerre anti-chiite au Yémen et exprime des réserves vis-à-vis de la coalition formée par Mohammed Ben Salman unissant 34 pays sunnites “contre le terrorisme”. Sharif avait même envisagé la finalisation du gazoduc Pakistan-Iran, avant que le gouvernement américain ne fasse preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis du régime des Mollahs et ne rétablisse les sanctions économiques.

Officiellement, cette réserve est liée à la volonté pakistanaise de ne pas diviser le monde musulman. Cependant, les fragilités intérieures de l’Etat pakistanais comptent, tout autant, dans cette position modérée.  En effet, les forces de sécurité pakistanaises ont fort à faire avec le groupe terroriste sunnite Lashkar-e-Jhangvi qui cible régulièrement la minorité chiite du pays.

De son côté, l’Inde cherche à se doter d’alliés et d’une puissance économique, géopolitique et militaire à même de contenir l’avancée de la Chine dans la région. En effet, la stratégie des nouvelles routes de la soie, mise en avant par la Chine, encourage l’Inde à s’affirmer comme une puissance régionale de premier plan. Les nouvelles routes de la soie, vaste projet d’établissement de routes commerciales alternatives, et contrôlées par la Chine, pour relier l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie du Sud-Est au géant asiatique passent par des territoires pakistanais revendiqués par l’Inde.

La stratégie du collier de perle, vaste réseau de bases militaires et de facilités portuaires mis en place par la Chine en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien, inquiète également l’Inde. L’énumération des facilités portuaires et militaires chinoises peut paraître inquiétante : base navale de Yulin (île d’Hainan); bases aériennes dans l’archipel des Parecels et Spratleys, annexés de fait par la Chine; construction d’un gazoduc et d’un oléoduc pour alimenter la Chine en gaz et pétrole birman; implantation dans le port de Gwadar (Pakistan), concession centenaire sur le port d’Hambantota (Sri Lanka), implantations dans le port bangladeshi de Chittagong et dans le port birman de Kyauk Phyu, ouverture de la première base militaire chinoise à l’étranger, au niveau de port de Djibouti. L’objectif de la Chine est assez clair : contrôler la Mer de Chine méridionale par laquelle passe la majorité de son approvisionnement en hydrocarbure, isoler l’Inde dans l’océan Indien et maîtriser les routes maritimes de la Mer de Chine méridionale jusqu’au détroit de Bab-el-Mandeb.

La Chine pousse également son avantage dans l’Himalaya, où elle a des contentieux avec l’Inde. Par conséquent, l’Inde renforce sa présence dans l’Himalaya à travers une modernisation de ses infrastructures et la création d’une force d’intervention de montagne armée de 40 000 soldats.

De son côté, l’Inde a renforcé ses capacités navales et d’aviation de combat à travers la commande de 36 rafales à la France et de 6 sous-marins de classe Scorpène à Naval Group. Malgré les mises en garde américaines, elle a également commandé les systèmes de défense sol-air S 400 au gouvernement russe. Elle tente par ailleurs de renforcer ses facilités portuaires à travers des accords avec les Seychelles et l’île Maurice, qui offrent des ports d’attache pour l’Indian Navy. L’Inde a enfin noué un partenariat stratégique avec la France, puissance asiatique qui s’ignore. L’Inde a désormais accès aux bases navales françaises dans l’océan Indien. La France bénéficie, en effet, d’une capacité de déploiement importante dans l’espace indo-pacifique à travers ses bases militaires à Djibouti, aux Emirats Arabes Unis, à Mayotte, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française. 25% de sa ZEE se situe dans l’Océan Indien et 67% de sa ZEE est située dans l’Océan Pacifique.

En outre, l’Inde bénéficie du soutien de plus en plus appuyé des Etats-Unis. Elle participe, notamment, au dialogue quadrilatéral de sécurité, réunissant les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, qui vient de commander 12 sous-marins de classe Barracuda à la France. Ces 4 nations souhaitent contenir l’avancée de la Chine en Mer de Chine méridionale et dans l’Océan Indien. Elles mettent en oeuvre des exercices militaires communs, tandis que l’OTAN met en place des opérations de promotion de la liberté de navigation. L’effet final recherché ? Le respect de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, régulièrement enfreinte par la Chine. Dans cette région, l’enjeu reste le contrôle des routes maritimes entre la Chine et ses alliés d’une part, et l’Inde, les Etats-Unis et leurs alliés d’autre part.

INDE – PAKISTAN : UNE COHABITATION IMPOSSIBLE ?

On ne peut considérer cette affrontement indo-pakistanais sans s’intéresser aux contextes politiques intérieurs de ces deux pays.

L’Inde, État laïc, est portée depuis quelques années par le souffle du nationalisme hindou. Le Premier Ministre Indien, Narendra Modi, en est l’expression.  Ce dernier est issu de la famille politique nationaliste hindoue, unie par l’idéologie Hindutva. Cette famille politique, à l’opposée des congressistes, considère que la Mata Bharat (Mère Inde) doit aboutir au Ram Rajya, société utopique hindoue, et voue aux gémonies les “anti-nationaux” qui considèrent que l’Inde est un creuset de civilisation, où l’Hindouisme a sa place au même titre que l’Islam. L’année 2019 est celle des élections générales pour l’Inde. Narendra Modi tente donc de s’affirmer comme un leader nationaliste, en opposition au Pakistan pour obtenir la faveur des électeurs indiens, comme en témoigne le soutien, presque unanime, qu’il a reçu après les frappes chirurgicales contre son voisin, matérialisé par le mot-dièse #IndiaStrikesBack.

De son côté, le gouvernement pakistanais est toujours prisonnier de l’influence des militaires et de l’idéologie constitutive de l’identité pakistanaise. La naissance du Pakistan provient de la volonté de la Ligue Musulmane de constituer un État musulman, par opposition au Parti du Congrès qui souhaitait une Inde rassemblée. La partition de l’Inde, en 1947, a donné lieu à la migration de 10 millions d’Indiens, les uns, musulmans, migrant vers le Pakistan, et les autres, hindous, se dirigeant vers l’Inde. Ces migrations ont donné lieu à de nombreuses émeutes communautaires et à des viols de masse.

Les militaires s’érigent en gardiens du temple. Jusqu’ici, ils refusent de céder quoi que ce soit sur la revendication d’un Cachemire pakistanais. Issu des milieux d’affaires, Nawaz Sharif avait tenté d’opérer un rapprochement, sans succès. Seule maigre consolation pour les partisans de la paix : l’accord de transport commercial entre l’Afghanistan et le Pakistan qui donne aux camions afghans le droit de rejoindre l’Inde, mais n’autorise pas le trajet retour, et, a fortiori, le trajet de camions indiens vers l’Afghanistan.

A l’heure où ces lignes sont écrites, la tension monte à la frontière indo-pakistanaise. La supériorité militaire indienne conduira probablement le Pakistan a éviter une guerre conventionnelle. Il n’en demeure pas moins que les deux pays sont embarqués dans des systèmes d’alliance et des intérêts géopolitiques radicalement opposés. A n’en pas douter, l’Asie constitue le champ où se jouera la bataille pour l’hégémonie mondiale.


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Etats-Unis, Chine, Inde : jusqu’où ira la montée des tensions ?

©The White House from Washington, DC. L’image est dans le domaine public.

Depuis quelques mois, la situation s’échauffe en Asie et de nouvelles lignes de forces apparaissent. Pendant que Trump et Narendra Modi, le Premier Ministre Indien, mettent en scène leur idylle, les armées chinoises et indiennes se font face au nord du Sikkim. La militarisation se poursuit en mer de Chine. Un jeu d’échec dangereux s’établit autour de l’Afghanistan. Et la Corée du Nord vient nous rappeler que la menace nucléaire rode. La course à la guerre n’a jamais été ici dangereuse dans une région qui compte trois puissances nucléaires, voire 4.

 L’Idylle indo-américaine

A première vue, Narendra Modi et Donald Trump n’ont rien en commun. Trump est un héritier grossier et ignorant, néophyte en politique étrangère qui a su capter les craintes de l’Amérique de Pittsburgh. Narendra Modi est un ancien vendeur de thé d’Ahmedabad, issu des basses castes de la société Hindoue ayant fait peu à peu ses armes au sein du groupe nationaliste hindou RSS (accusé notamment d’être lié au meurtre du Mahatma Gandhi et interdit pendant quelques années suite à cet épisode) et du BJP, parti réunissant les adhérents de la famille politique du Sangh Parivar, ayant en commun de penser l’Inde comme une société exclusivement hindoue et dans laquelle musulmans et chrétiens sont des intrus.  Cependant, les deux leaders ont un ennemi commun : la Chine qui menace leur position dans la région pour l’Inde, dans le monde pour les Etats-Unis. Si le président américain a traité durement l’Inde lors de son discours justifiant son retrait de la COP 21, le sujets difficiles ont été écartés lors de la visite du Premier Ministre Indien à Washington pour le premier dîner d’un chef d’Etat étranger à la maison blanche durant l’ère Trump.

Deux choses obsèdent Narendra Modi : le Pakistan (lubie des nationalistes qui leur permet de construire une Inde fondamentalement hindoue) et attirer des investissements directs à l’étranger. On a les ambitions que l’on mérite. Deux choses obsèdent le président américain : l’influence grandissante de la Chine sur le continent asiatique et sa balance commerciale. On peut y ajouter le terrorisme islamiste. Sur ces sujets, Modi et Trump peuvent fonder une alliance stratégique pour contrer l’influence de la Chine et isoler le Pakistan. 

Pour mettre à l’aise son homologue, Trump a donc commencé par inscrire Syed Salahudeen, patron du groupe terroriste kashmiri Hizb-ul-Mujahideen dont l’Inde dit qu’il est soutenu par le Pakistan à  la liste des “Specially Designated Global Terrorist”. Des accords de coopération militaire ont également été signé. Les Etats-Unis ont vendu 22 drones de haut-niveau – qu’ils réservent à leurs plus proches alliés habituellement- pour 2 milliards de dollars. Cela renforcera les capacités de surveillance maritimes de l’Inde au moment où le sous-continent constate une activité inhabituellement élevée de la Chine dans l’Océan Indien. Par ailleurs, Modi a soutenu l’intégration de son allié américain en tant que membre observateur du symposium naval de l’océan Indien, organisation de coopération réunissant 35 membres. Autre élément digne d’intérêt : l’exercice militaire commun que l’Inde, les Etats-Unis et le Japon comptent mener dans l’océan Indien.  Trump a même qualifié l’événement de “plus large exercice militaire jamais conduit dans l’Océan Indien.” J’ajoute que des discussions devraient s’ouvrir dans les prochains mois sur la vente d’avions F-16 et de F/A-18, et d’hélicoptères d’attaque Apache. Tout cela dans le cadre du forum Indo-Américain pour les technologies de défense et le commerce. Cerise sur le gâteau : la presse américaine a laissé entendre que les Etats-Unis pourraient retirer au Pakistan son statut d’allié d’exception hors OTAN.

Alors que l’Inde récolte les fruits de 20 ans de positions pro-américaines, la volonté de Trump de durcir sa ligne contre le terrorisme soutenu par le Pakistan et contre le gouvernement Chinois ont fait fortement accélérer les choses. Modi obtient ce qu’il voulait : un partenariat stratégique avec les Etats-Unis et un durcissement de la ligne américaine contre le Pakistan, allié historique des nord-américains. Trump, quand à lui, obtient un allié de choix contre le terrorisme islamiste et une puissance capable de contre-balancer l’influence de la Chine en Asie. L’Inde sera le bras-armé de la politique anti-chinoise de Trump.

Enfin, sur le terrain commercial, Narendra Modi est venu faire la publicité de sa réforme fiscale : le fameux GST. Le but est d’unifier la fiscalité indirecte sur le marché Indien. Bien que l’application souffre de nombreuses exceptions, l’idée est d’avoir une TVA unifiée sur tout le sous-continent et d’en finir avec le fatras d’exceptions locales. De fait, depuis son arrivée au pouvoir, la nationaliste hindou s’attache à satisfaire les demandes du gouvernement américain et du FMI. Il privatise notamment la compagnie aérienne Air India. Il facilite la venue d’IDE en Inde jusque dans le secteur de la defense nationale. Autre réforme imposée par l’USAID (l’agence américaine pour le développement) : le retrait de 86% de la monnaie en circulation en novembre dernier pour engager la mutation de l’économie indienne vers un système “sans cash”. C’est un moyen afin d’intégrer l’immense marché Indien dans le système bancaire international. Enfin, une réforme du marché du travail devrait intervenir. Bref, s’il bombe le torse contre le Pakistan, Modi le nationaliste, fait des pieds et des mains pour “adapter” l’Inde à la mondialisation et aux normes définies par Washington et le FMI. Tout cela dans le but de renforcer le flux d’IDE en Inde et de s’engager dans un modèle de développement à la chinoise. Bien que l’industrie pharmaceutique américaine grogne encore contre les barrières qui empêchent les Etats-Unis de s’emparer de l’industrie du médicament en Inde et que Modi n’a pas obtenu d’assouplissement sur les visas H-B1 permettant aux brillants ingénieurs Indiens qui font le bonheur de la Silicon Valley de s’installer plus facilement aux Etats-Unis, la coopération commerciale entre les Etats-Unis et l’Inde est au beau fixe. C’est que les deux leaders y voient un intérêt. Les deux veulent accroître leur relations commerciales pour réduire leur déficit commercial avec la Chine.

Les manoeuvres Chinoises et les provocations dangereuses des Etats-Unis

Alors que la coopération indo-américaine se renforce avec un but : isoler la Chine sur le continent asiatique, le président Chinois réplique. Après avoir mis en place, de concert avec ses autres partenaires des BRICS, une banque de développement visant à contrecarrer l’hégémonie de la banque mondiale et du FMI, bras armé des Etats-Unis dans le monde, les Chinois se lancent dans un immense projet d’infrastructures et de commerce pour une nouvelle route de la soie unissant l’ensemble de l’Asie, une partie de l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient. Le but est de réunir 64 pays représentants 60% de la population mondiale et 30% du PIB mondial. 29 pays ont participé au sommet de mai dernier. Seul pays de l’Asie du Sud à boycotter l’initiative ? L’Inde et pour cause : un des projets de cette vaste initiative consiste à construire un corridor entre la Chine et le Pakistan. Problème ? Ce corridor passe par la partie du Kashmir occupée par le Pakistan. Une insupportable atteinte à la souveraineté nationale indienne pour Narendra Modi. La réplique ne s’est pas fait attendre : l’Inde ouvre des lignes directes de commerce avec son allié historique : l’Afghanistan, ce que Pékin a qualifié de provocation. En effet, cette ligne de commerce outrepasse l’un de ses alliés dans la région : le Pakistan. Par ailleurs, l’Inde, l’Iran et l’Afghanistan travaillent de concert sur un projet de port en Iran pour faciliter les liens entre les trois alliés historiques dans la région. Au final, l’alliance stratégique de l’Inde avec les Etats-Unis l’isole et renforce la position centrale de la Chine dans le secteur. Des contradiction vont d’ailleurs entre l’Inde et nombre de ses alliés historiques au premier rang desquels l’Iran qui voit d’un mauvais oeil le partenariat stratégique entre l’Inde et Israël.

Si cette guerre de position en Asie semble circonscrite à une bataille d’influence entre l’Inde et la Chine pour le contrôle de l’Asie Centrale, deux épisodes récents sont d’autant plus inquiétants que leur portée est mondiale et qu’ils met en présence des puissances nucléaires de premier plan.

Le premier épisode concerne la frontière indo-chinoise et sa jonction avec le royaume du Bhoutan. En cause : une route que le gouvernement chinois veut construire dans la vallée de Chumbi jusque sur le plateau du Doka Ladu ou du Donglang selon le terme utilisés par les Chinois. Le problème ? Ce plateau est le sujet d’une dispute territoriale entre la Chine et le Bhoutan qui n’entretiennent pas de relations diplomatique. L’Inde est donc intervenue empêchant la Chine de poursuivre les travaux alléguant que la Chine violait la souveraineté territoriale de son allié historique : le Bhoutan. En réponse à ce qui constitue une intrusion de l’Inde sur un territoire Chinois aux yeux de Xi Jinping, l’empire du milieu a détruit deux bunkers Indiens installés en 2012 pour protéger la frontière entre le Bhoutan et la Chine. Une cinquantaine de pèlerins ont été empêchés de rejoindre le Tibet chinois. La situation est particulièrement tendue : armées chinoises et indiennes se font face depuis près d’un mois. Alors que les officiels Chinois ont appelé l’Inde à se “souvenir des leçons de l’histoire” dans une référence évidente à la défaite militaire infligée à l’Inde par l’armée Chinoise en 1962, ils réagissaient à une provocation verbale du patron de l’armée indienne, le général Bipin Rawat déclarant quelques  mois plus tôt que l’armée Indienne était préparée à une guerre sur deux fronts et demis (le front Pakistanais, le front Chinois et le front intérieur). Alors que l’Inde indique que la Chine viole un accord de 2012 dans lequel elle s’engageait à régler ce conflit territorial par la voie de la négociation, la Chine refuse toute concession tant que l’armée indienne ne se sera pas retirée d’un territoire qui n’est pas le sien. Les tensions ne cessent de monter entre la Chine et l’Inde depuis quelques mois : quelques semaines auparavant, la visite du Dalaï Lama dans le territoire disputé de l’Arunachal Pradesh a provoqué l’ire des dirigeants Chinois. Ils ont depuis renommé la région le Tibet du sud.

C’est loin d’être un conflit territorial anecdotique. En effet, le plateau du Doka Ladu se situe au Nord de la jonction entre le Bhoutan, la Chine et l’Inde. Au sud de cette jonction se trouve l’Etat du Sikkim (Indien depuis 1976) et le nez du coq, corridor étroit qui relie les Etats du Nord-Est de l’Inde au reste du sous-continent. Le face-a-face des armées Chinoises et Indiennes au milieu du Bhoutan et les diverses provocations des deux puissances fait planer sur la region le drapeau noir de la guerre généralisée entre deux puissances nucléaires de premier plan.

Autre menace pour la sécurité du monde : les manoeuvres américaines et chinoises en mer de Chine autour de différents territoriaux que la Chine entretient avec le Japon et la Corée du Sud. Depuis quelques jours, le president américain durcit sa politique anti-chinoise. Le bruit court qu’il serait mécontent par la complaisance de la Chine vis-à-vis de la Corée du Nord, dont elle reste le principal partenaire commercial. En réaction, le gouvernement américain a commandé un rapport sur le trafic humain qui épingle la Chine (plus que l’Inde, étrangement), émis des sanctions contre une banque et une entreprise chinoise accusées de commercer avec la Corée du Nord, et un livré un lot de 1,4 milliards de dollars d’armes à Taiwan. Mais l’escalade guerrière a franchi un seuil avant hier puisqu’un destroyer américain est passé à 15 km d’une île chinoise ! Si les provocations entre l’Empire du milieu et le géant américain continuent ainsi, le risque d’une déclaration de guerre n’est pas à exclure.

Le blocus organisé par l’Arabie Saoudite contre le Qatar peut inquiéter, a juste titre, puisqu’une guerre engagerait le combat entre trois axes : l’axe arabe soutenu par les Etats-Unis, l’axe Qatari soutenu par le Hezbollah et la Turquie et l’axe Perse soutenu par la Russie. La guerre en Syrie, qui devient un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie peut dégénérer en conflit généralisé mais il s’agirait de ne pas oublier que le drapeau noir de la mort et la menace de la guerre généralisée plane aussi en Asie, où l’on vient d’apprendre que la Corée du Nord a lancé un dernier missile balistique qui pourrait être tombé sur le territoire japonais, à 250 km des côtes du pays du soleil Levant…

Credits photos : ©The White House from Washington, DC. L’image est dans le domaine public.


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