Nigel Farage, futur leader de la droite britannique ?

Nigel Farage, figure du Brexit et leader du Reform Party. © Gage Skidmore

L’élection générale organisée aujourd’hui au Royaume-Uni devrait largement rebattre les cartes de la politique d’Outre-Manche. Après 14 ans au gouvernement, le Parti conservateur, extrêmement impopulaire, sera violemment balayé. Si les travaillistes du Labour devraient largement l’emporter et les libéraux démocrates peuvent espérer en profiter pour devenir le second parti en nombre de députés, cette élection devrait aussi sonner le grand retour de Nigel Farage. Trublion de la politique britannique depuis plus de 20 ans, le chef du camp du Brexit entend profiter du rejet des Tories pour incarner le renouveau de la droite avec son Reform Party. Si le fond du projet de Farage reste très libéral, plusieurs mesures visent à séduire les Britanniques déclassés, qui ne se reconnaissent plus ni dans le thatchérisme des conservateurs, ni le blairisme incarné par Keir Starmer. Article de notre partenaire Novara Media, traduit par Alexandra Knez.

Selon l’institut de sondage britannique Survation, Nigel Farage est en bonne voie pour être élu député de Clacton, provoquant ainsi ce qui serait le plus grand basculement électoral de l’histoire de la politique britannique. Selon les données de l’institut de sondage, le leader du tout nouveau Reform Party, présidé par Nigel Farage, pourrait remporter 42 % des suffrages, les conservateurs 27 % et les travaillistes 24 %. Rappelons ici que les élections britanniques n’ont qu’un seul tour et que le candidat arrivé premier, même d’une voix, est automatiquement élu.

Survation n’est pas le seul institution à prédire cette victoire : d’après Ipsos, le Reform pourrait même recueillir 53 % des voix à Clacton ! Lors des dernières élections parlementaires britanniques il y a cinq ans, c’est le candidat conservateur, Giles Watling, qui avait obtenu près des trois quarts des voix dans cette circonscription. Après 2019, cette circonscription était considérée comme la cinquième plus sûre pour les Tories.

Considérer Farage comme un phénomène purement médiatique est tentant : c’est un showman capable d’exploiter toutes les opportunités pour attirer les caméras de télévision, se faire inviter à Question Time (émission politique phare de la BBC, ndlr) ou devenir un phénomène viral sur TikTok. Si cette constatation est juste, il est de plus en plus évident que sa politique et sa rhétorique évoluent à mesure qu’il se crée un nouvel espace, non seulement après le Brexit, mais aussi à mesure que le niveau de vie de la population britannique stagne. Exit le thatchérisme pur et dur. À sa place, Farage opte pour une sorte de nationalisme assorti de quelques protections sociales qui rappelle davantage le parti Droit et Justice en Pologne, ou celui de Viktor Orbán en Hongrie. Parallèlement, son programme est particulièrement tourné vers la défense des petites entreprises. Si la Grande-Bretagne est vraiment une nation de commerçants, comme le disait Napoléon, Farage souhaite être leur porte-parole.

Exit le thatchérisme pur et dur. À sa place, Farage opte pour une sorte de nationalisme assorti de quelques protections sociales qui rappelle davantage le parti Droit et Justice en Pologne, ou celui de Viktor Orbán en Hongrie.

La droite pro-Brexit, au-delà du courant conservateur, a longtemps eu des allures très thatchériennes. Outre Farage lui-même, il y a eu des gens comme Douglas Carswell (député conservateur, passé ensuite au UKIP, ndlr), Matthew Elliott (lobbyiste libertarien, ndlr) et Daniel Hannan (ancien eurodéputé conservateur, ndlr) qui ont tous défendu l’idée qu’une sortie de l’UE permettrait une plus grande déréglementation et un étatisme plus restreint. Malgré leur influence bien réelle, ces personnalités – que l’on retrouve généralement en train d’errer à Westminster au sein des think tanks spécialisés dans le libre marché – restent façonnés idéologiquement par le succès historique de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan dans la sphère anglo-saxonne. Farage et son Reform Party passent progressivement à autre chose et s’alignent plus étroitement sur les tendances observées en Europe continentale.

Prenez le manifeste du parti : il est « pro business », mais d’une manière très différente de celle préconisée par la Confédération de l’industrie britannique, les conservateurs et les innombrables experts télévisés qui répètent inlassablement cette formule. Le Reform Party prévoit de relever le seuil d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés à 100.000 livres sterling (contre 50.000 livres actuellement), ce qui, selon le parti, permettrait de venir en aide à plus de 1,2 million de petites et moyennes entreprises. L’impôt sur les sociétés lui-même passerait progressivement de 25 % à 15 % et, surtout, le seuil de la TVA passerait à 150.000 livres (contre 90.000 actuellement).

Par ailleurs, et c’est plus intéressant, il y a la promesse d’abolir les taux d’imposition pour les petites et moyennes entreprises des centres-villes, financée par une « taxe sur la livraison de produits achetés en ligne » de 4 % imposée aux « grandes entreprises multinationales ». L’objectif, selon le document, est de « créer des conditions de concurrence plus équitables pour les commerces de proximité ». Une telle proposition aurait été impensable pour l’administration du conservateur David Cameron – et on peut presque imaginer Peter Mandelson, spin doctor de Tony Blair – se moquer de l’idée. Ce n’est assurément pas du copier-coller du thatchérisme.

Surtout, c’est politiquement astucieux. Aider le commerce de proximité en faisant payer les grandes entreprises ne peut qu’être populaire. Pour reprendre les termes de Dan Evans, auteur de A Nation Of Shopkeepers : The Unstoppable Rise of The Petty Bourgeoisie, le succès du trumpisme tient en partie à sa stratégie qui consiste à opposer (avec succès, en 2016) le « capital familial » au « capital national et mondialisé ». Il semblerait que Farage tente de s’en inspirer. Lorsque le parti affirme qu’il soutient les entreprises, il s’adresse ouvertement aux petits bourgeois – et non aux grandes chaînes de supermarchés, aux géants de l’industrie et aux consultants Linkedin que l’establishment politique estime être les meilleurs représentants de l’entreprise privée.

En outre, le Reform Party ne manque pas d’autres propositions populistes qui semblent plus de gauche que de droite. Le parti propose ainsi d’effacer les dettes des étudiants pour chaque année où les médecins, les infirmières et le personnel médical travaillent dans le National Health Service (NHS). Après dix ans de service, les dettes étudiantes de ces soignants seraient effacées. Cette proposition est extraordinairement populaire : 76 % du public y sont favorables.

Normalement, ce serait au parti travailliste de proposer ce type de mesure, à minima comme première étape pour supprimer les frais d’inscription à l’université en général, mais aussi pour arrêter la fuite des cerveaux du NHS. Aujourd’hui, l’infirmière moyenne a une dette étudiante de 48 000 livres. Il est frappant de constater que Farage leur offre plus que Keir Starmer, le chef du Labour. Plus largement, le Reform Party propose de supprimer les intérêts sur les prêts étudiants pour tous les diplômés : pas de quoi renverser la table, mais toujours plus que le Labour.

Encore plus remarquable, le manifeste du parti déclare : « Le contribuable britannique doit avoir le contrôle des services publics britanniques. » Ainsi, Reform souhaiterait que « 50 % de chaque entreprise de service public redevienne une propriété publique », les 50 % restants pouvant être « détenus par des fonds de pension britanniques, les services bénéficiant ainsi d’une nouvelle expertise et d’une meilleure gestion ».  L’idée que l’État puisse contrôler des actifs à une telle échelle rappelle le modèle français de l’Agence des participations de l’État, l’organisme gouvernemental chargé de gérer les participations de l’État dans les entreprises d’importance stratégique. Il semble que, dans certains secteurs au moins, Farage et son second, Richard Tice, prônent désormais un dirigisme à la française. Une sorte de mélange entre gaullisme et GB News (équivalent britannique de CNews, ndlr).

En matière industrielle, le Reform Party se focalise sur la relance de l’industrie de défense. Le parti prévoit ainsi d’ « introduire des incitations et des allègements fiscaux pour stimuler l’industrie de la défense britannique. Améliorer l’autosuffisance en matière d’équipement et fabriquer des produits mondialement reconnus pour l’exportation ». Il y a peu de chances que cela conduise à une relance significative de la fabrication d’armes au Royaume-Uni, mais l’idée que l’État puisse offrir des incitations aux entreprises privées qui produisent était inconcevable dans ces cercles idéologiques il y a quelques années. La crise du Covid, l’inflation et la baisse du niveau de vie, la guerre en Ukraine et le sentiment général de déclin continu ont rendu ces idées beaucoup plus populaires auprès du public. Les populistes suivent inévitablement le mouvement.

Pour cette élection, Farage cherche à séduire les anciens électeurs conservateurs, mécontents de la gestion catastrophique du pays. Alors que le Labour promet la poursuite de l’orthodoxie libérale, il pourrait bien séduire nombre de ses électeurs lors de la prochaine élection.

Parmi les autres points forts mis en avant par Farage, citons « l’éducation gratuite pendant et après le service » pour les membres des forces armées, ainsi que le remplacement des « dirigeants de la fonction publique par des professionnels performants du secteur privé, nommés par le pouvoir politique en place, et qui vont et viennent avec les gouvernements ». En d’autres termes, il s’agirait du plus grand bouleversement de la fonction publique moderne depuis sa création par le rapport Northcote-Trevelyan en 1854. En matière institutionnelle, le Reform Party va bien plus loin que les partis traditionnels, en proposant le passage à un scrutin à la proportionnelle pour la Chambre des communes (équivalent de l’Assemblée nationale, ndlr) et la réduction de la taille de la Chambre des Lords qui deviendrait élective (l’équivalent britannique du Sénat compte encore des personnes nommées par le roi, ndlr). Pour couronner le tout, Farage a récemment déclaré qu’il supprimerait le plafond des allocations parentales accordées pour deux enfants afin d’encourager les familles à avoir plus d’enfants – ce que la travailliste Angela Rayner a refusé de faire si son parti arrive au pouvoir. 

Bien sûr, Farage a souvent fait des promesses mensongères, mais des initiatives politiques comme celle-ci sont la preuve flagrante que Farage et Reform ont bien compris que quelque chose a changé. Pour cette élection, il cherche à séduire les anciens électeurs conservateurs, âgés et mécontents de la gestion catastrophique du pays. Alors que le Labour promet la poursuite de l’orthodoxie libérale, il pourrait bien séduire nombre de ses électeurs lors de la prochaine élection. En s’inspirant des politiques pseudo-sociales de l’extrême-droite d’Europe centrale plutôt de Thatcher et Reagan, Farage comprend que le monde a changé. Jusqu’à récemment, il était idéologiquement proche de Liz Truss, l’éphémère Première ministre ultra-libérale qui a causé une crise financière en à peine un mois au pouvoir. Cette dernière est maintenant la risée de tout le pays, tandis que Farage est la personnalité politique la plus populaire Outre-Manche. L’ancien trader en matières premières a repéré une lacune importante sur le marché politique, et il pourrait bien trouver de nombreux investisseurs.


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Royaume-Uni : l’élection du siècle

Jeremy Corbyn et Boris Johnson. © Garry Night et BackBoris2012 via Flickr.

Annoncé au dernier moment, le scrutin du 12 décembre au Royaume-Uni doit permettre de sortir du marasme du Brexit et d’impulser un nouveau cap politique au pays après une décennie d’austérité et deux ans d’inertie parlementaire. Extrêmement imprévisible en raison du mode de scrutin, il opposera les deux grands partis traditionnels aux Libéraux-Démocrates et au Brexit Party, favorisés par le nouveau clivage issu du référendum de 2016. En parallèle, la question de l’indépendance écossaise revient sur la table et pourrait bien booster le Scottish National Party, compliquant encore la formation d’une majorité à Westminster. Seule solution aux blocages actuels, l’élection britannique à venir promet d’être historique. Décryptage.


L’ultime coup de bluff de Boris Johnson

“Les sceptiques, les résignés, les mélancoliques auront tort. Ceux qui ne croient plus en la Grande-Bretagne y perdront leur chemise.” A son arrivée à Downing Street, Boris Johnson promettait d’en finir avec les couacs de l’impopulaire administration May et d’offrir un nouvel élan au pays, en réalisant enfin le Brexit voté 3 ans plus tôt. “Avec ou sans accord, nous sortirons le 31 Octobre. Pas de si, pas de mais” assurait-il. Malgré quelques manœuvres marquantes pour réaffirmer ce cap comme la suspension du Parlement (prévue pour durer 5 semaines mais rapidement retoquée par la Cour Suprême) et l’expulsion des conservateurs anti-Brexit du groupe parlementaire, cette promesse phare s’est évanouie. A peine trois mois plus tard, Johnson se retrouve dans la même situation que sa prédécesseure, c’est-à-dire sans majorité parlementaire, et contraint de convoquer une nouvelle élection. 

A première vue, Johnson a été ridiculisé et sa carrière politique semble brisée. Pourtant, il dispose d’une stratégie solide au regard de l’exaspération et de l’impatience d’une bonne partie des Britanniques : accuser le Parlement, et en particulier ses adversaires travaillistes, de bloquer toute sortie de l’UE et se faire passer pour le représentant légitime de la volonté du peuple exprimée par référendum. Certes, pour un pur produit de l’élite britannique (dont le père était fonctionnaire européen) élu par moins de 100.000 adhérents à son parti, soit 0,13% de la population, c’est un peu gros. Mais l’ancien maire de Londres et Ministre des affaires étrangères est un spécialiste des retournements de veste et semble en passe de réussir son pari à en juger par les sondages, qui lui donnent une avance de plus de 10 points sur Jeremy Corbyn.

Quoique sa gestion du pouvoir ait été très tumultueuse jusqu’à présent, Johnson a très bien ciblé les faiblesses de sa prédécesseure et est déterminé à s’en démarquer. Le Premier Ministre a arraché en trois mois ce que Theresa May a été incapable d’obtenir en deux ans.

Quoique sa gestion du pouvoir ait été très tumultueuse jusqu’à présent, Johnson a très bien ciblé les faiblesses de sa prédécesseure et est déterminé à s’en démarquer. D’abord, il peut au moins se targuer d’avoir réussi à décrocher une nouvelle proposition d’accord de la part de l’UE, qui renonce au très contesté “backstop” en Irlande du Nord. Le nouveau Premier Ministre a ainsi arraché en trois mois ce que Theresa May a été incapable d’obtenir en deux ans, simplement en faisant planer la menace d’une sortie sans accord dont les exportations européennes (allemandes, hollandaises et françaises notamment) auraient souffert. En promettant désormais de sortir seulement selon le nouvel accord, il peut même espérer rallier une partie des “soft Tories” qui s’inquiétaient d’un No Deal, au risque de booster Nigel Farage qui exige une sortie sans accord.

Au-delà du Brexit, Johnson répète en boucle sa volonté d’investir dans les services publics moribonds et cible la police, le National Health Service (service de santé similaire à notre Sécurité Sociale) et le système éducatif. Bien qu’il annonce des chiffres totalement mensongers (par exemple en promettant 40 nouveaux hôpitaux alors qu’il n’y en aurait en réalité que six), cela témoigne de sa volonté de faire oublier les coupes budgétaires très rudes imposées par son parti depuis une décennie. Répondant à la même logique, Johnson a déclenché un petit buzz en annonçant un moratoire sur le gaz de schiste – dont il avait dit par le passé qu’il était une “glorieuse nouvelle pour l’humanité” – comme signal de sa prise en compte de l’inquiétude des électeurs pour l’environnement… avant de se rétracter seulement une semaine plus tard. Ainsi, malgré l’impopularité de sa personne, Johnson a de quoi espérer une victoire, en profitant de la division du bloc anti-Brexit entre Labour et Libéraux-Démocrates et en mettant en avant un discours populiste plus en phase avec l’électorat que celui de David Cameron et Theresa May.

La campagne de la dernière chance pour Corbyn

Pour Jeremy Corbyn, cette élection s’annonce très risquée, alors que la position du Labour sur le Brexit est illisible pour la majorité des électeurs: après avoir garanti que le résultat du vote de 2016 serait respecté, le parti d’opposition défend désormais un nouveau référendum qui proposerait un choix entre une sortie selon les termes d’un accord négocié par le Labour et le maintien dans l’Union Européenne. En refusant de choisir véritablement une option, Corbyn espère maintenir la coalition électorale de son parti, mais risque une hémorragie de voix vers les Libéraux-Démocrates et, dans une moindre mesure, vers le Brexit Party et les Tories. Le leader travailliste, qui a annoncé qu’il démissionnerait s’il était battu, tente de faire de cette faiblesse un atout en assénant à chaque meeting qu’il est temps de réconcilier Brexiteers et Remainers autour d’un renouveau profond de la Grande-Bretagne. Ainsi, ses discours évoquent le Brexit comme un sujet parmi d’autres, au même plan que l’avenir du NHS, les inégalités ou la crise environnementale. Malgré les très bonnes propositions de Corbyn sur la plupart des sujets, il est impossible qu’un nouveau référendum résolve quoi que ce soit, tant le sujet est sensible et la sensation de trahison serait terrible si le résultat venait à être différent. Le débat du 19 novembre, où Corbyn affrontera Johnson en face-à-face, sera crucial : s’il parvient à élargir le débat au-delà du Brexit, il peut encore espérer une remontada.

Alors que le retour au bipartisme traditionnel en 2017 ne semble avoir été qu’une exception, tout l’enjeu pour les travaillistes est donc de perdre moins de voix que les conservateurs au détriment des autres partis, ce qui est mal engagé.

Evolution projetée des transferts de votes en fonction du choix de 2017, enquête Yougov auprès de 11.000 personnes. © Yougov

Aussi risquée qu’elle soit, l’élection du 12 décembre permet au moins au Labour de sortir des calculs parlementaires où l’opposition était constamment étrillée par le gouvernement pour son refus d’accepter l’accord de sortie et par ceux qui considèrent que le Labour doit exiger ni plus ni moins que l’annulation du Brexit. Depuis le début de la campagne, Corbyn jette toutes ses forces dans la bataille (jusqu’à enchaîner trois meetings dans la même journée) et tente de faire de l’élection un référendum sur la gestion du pays par les Tories depuis 2010. Cette stratégie avait très bien fonctionné en 2017 en raison du ciblage des circonscriptions où les conservateurs l’avaient emporté avec une faible marge et grâce à un sursaut de participation, en particulier chez les jeunes. Surtout, Theresa May s’est avérée très mauvaise durant la campagne et le Brexit dominait moins les débats. Alors que le retour au bipartisme traditionnel en 2017 ne semble avoir été qu’une exception, tout l’enjeu pour les travaillistes est donc de perdre moins de voix que les conservateurs au détriment des autres partis, ce qui est mal engagé. Le score du Labour dépendra donc fortement de la participation, notamment dans les marginals (là où ses candidats ont perdu ou gagné de peu la dernière fois) où est concentrée l’énergie des militants. Mais convaincre les électeurs de se déplacer au mois de décembre et faire oublier le rôle du Labour dans la non-réalisation du Brexit ne sera pas facile…

Les Lib-Dems et Farage, gagnants d’un nouveau clivage?

Jouant tous les deux la carte de l’alternative aux partis traditionnels empêtrés dans leurs difficultés sur le Brexit, les Libéraux-Démocrates et le Brexit Party cherchent à profiter de la conjoncture. Toute la question est de savoir combien de sièges cela leur permettra d’obtenir. Nigel Farage, qui a obtenu d’excellents résultats aux européennes dans un contexte très particulier, a vu son socle électoral s’effondrer depuis l’arrivée au pouvoir de Johnson. Face au retour très probable de ses électeurs vers les Tories pour leur donner une majorité, Farage a renoncé à se présenter lui-même et même à présenter des candidats dans les 317 sièges où de conservateurs sortants. Avec un score annoncé aux alentours de 10%, le Brexit Party pourrait bien subir le même destin que l’UKIP, qui n’a jamais réussi à faire élire un député à Westminster en raison du mode de scrutin. En concentrant ses moyens sur les sièges pro-Leave du Nord de l’Angleterre détenus par le Labour et en jouant sur son image personnelle, Farage espère éviter ce scénario. Mais ce pari est incertain : soit les électeurs pro-Brexit de Hartlepool, Bolsover ou Ashfield (les circonscriptions visées par le BP) choisissent le Brexit Party en raison de leur haine contre les conservateurs depuis Thatcher, soit ils préfèrent soutenir les Tories pour donner les pleins pouvoirs à Johnson pour sortir de l’UE.

Quelque soit la vacuité de leur discours, il se pourrait bien que les Whigs réussissent à capturer quelques sièges pro-Remain tenus par les conservateurs ou les travaillistes.

Mais s’il est une formation politique à qui le Brexit aura bénéficié, il s’agit bien des Libéraux-Démocrates. Ce vieux parti honni des électeurs depuis sa participation au gouvernement de coalition de David Cameron connaît un fort regain d’intérêt pour sa promesse de révoquer la sortie de l’UE, surtout de la part des médias. Aux yeux des journalistes et des classes supérieures europhiles, l’éternel troisième parti britannique incarne l’alternative aux populistes de droite pro-Brexit et à la menace marxiste, voire staliniste, qu’incarnerait Corbyn. Sa nouvelle leader, Jo Swinson, se considère l’égale d’Emmanuel Macron ou de Justin Trudeau et se présente comme passionnée par la cause du “progressisme”. Cette “féministe” a pourtant accueilli à bras ouverts l’ancien député conservateur Philip Lee qui a tenu de très nombreux propos homophobes ou l’ex-Labour Rob Flello qui s’opposait au droit à l’avortement. Quant à son logiciel économique, il est le même que celui de Margaret Thatcher, au point d’avoir demandé la création d’un monument dédié à la dame de fer par le passé. Lorsqu’elle était ministre du travail sous Cameron, elle a ainsi encensé les contrats zéro-heure, refusé d’augmenter le salaire minimum et a obligé les travailleurs à payer jusqu’à 1200 livres pour pouvoir aller aux prud’hommes.

Jo Swinson, leader des libéraux-démocrates. © Keith Edkins via Wikimedia Commons

Quelque soit la vacuité de leur discours, il se pourrait bien que les Whigs réussissent à capturer quelques sièges pro-Remain tenus par les conservateurs ou les travaillistes. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, le rôle des libéraux-démocrates dans le système politique d’Outre-Manche est toujours le même : priver le Labour de suffisamment de voix manquantes pour que les Tories l’emportent. En divisant suffisamment le vote Remain, Swinson pourrait bien être la meilleure alliée de Johnson.

Le retour de la question écossaise?

Pour ajouter de l’imprévisibilité à l’élection, voilà qu’après 3 ans de mélodrame politique à Westminster autour du Brexit, la Première Ministre écossaise Nicola Sturgeon considère le moment opportun pour organiser un nouveau référendum d’indépendance. Depuis le vote de 2014, où la cause indépendantiste avait réuni 45% des suffrages, le contexte politique a en effet profondément changé. Dans cette région qui a voté à 62% pour rester dans l’UE, l’incertitude sur les conséquences économiques du Brexit permet de contrer l’argument d’une plus grande prospérité en cas de maintien dans le Royaume-Uni, qui était central dans la campagne Better Together. Sturgeon, qui demeurait absente des mobilisations indépendantistes ces dernières années, l’a bien compris et demande donc l’organisation d’un nouveau vote pour 2020. Soucieuse d’écarter tout scénario d’embrasement similaire à ce qui se passe en Catalogne depuis le référendum illégal organisé en 2017, elle insiste sur le caractère légal et reconnu de ce vote.

Le contexte est favorable aux nationalistes, qui bénéficient à plein de la confusion sur la stratégie du Labour sur le Brexit et de la démission de la leader locale des Tories, Ruth Davidson, qui était populaire auprès des écossais.

Reste qu’il lui faut pour cela l’autorisation du futur Premier Ministre. Or, tous les autres partis s’y opposent. Toutefois, Sturgeon estime qu’elle peut obtenir le soutien du Labour si celui-ci obtient le plus de sièges, mais a besoin d’un apport de voix à Westminster pour être majoritaire, un pari très incertain. Quel que soit le résultat le soir du 12 décembre, le SNP espère que ce soutien appuyé à la cause indépendantiste délaissée dans la période récente lui permettra de répliquer sa performance de 2015, où il avait remporté 56 des 59 sièges de la province. Le contexte est effectivement favorable aux nationalistes, qui bénéficient à plein de la confusion sur la stratégie du Labour sur le Brexit et de la démission de la leader locale des Tories, Ruth Davidson, qui était populaire auprès des écossais. Mais pour gagner, il faudra que le SNP mobilise ses électeurs et se différencie des Lib-Dems, qui défendent aussi le maintien dans l’UE. Ainsi, la revendication soudaine d’un nouveau référendum est sans doute avant tout un appel du pied du SNP à sa base. Au vu de l’imprévisibilité de l’élection, en Ecosse comme ailleurs, chaque voix sera donc décisive et détient le pouvoir de changer la Grande-Bretagne pour des générations entières.


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Laura Parker : « Momentum est une organisation d’origine populaire »

Laura Parker, coordinatrice de Momentum, à la manifestation Stop the coup.

Laura Parker est la coordinatrice de Momentum, le mouvement né dans la foulée de l’arrivée à la tête du Labour par Jeremy Corbyn. Organisation dans l’organisation, le mouvement a bousculé la politique établie à travers des campagnes efficaces qui ont su mobiliser massivement sur tout le territoire britannique. Traversé par des contradictions sur le Brexit, nous avons voulu revenir sur son histoire et son positionnement.


LVSL – Pour commencer, nous aimerions que vous puissiez présenter à nos lecteurs votre organisation Momentum. Outre ses liens avec Corbyn et le Labour party, est-ce que vous pourriez revenir sur ses modalités d’apparition et ses modes d’action ? Quels étaient les réseaux préexistants et constitutifs de l’organisation ?

Laura Parker – L’origine de l’organisation remonte à la campagne de Jeremy Corbyn pour l’élection à la présidence du Labour Party en 2015. La façon dont les élections fonctionnent au sein du Labour pour le leadership fait que tous les candidats ayant reçu suffisamment de nominations de la part du groupe parlementaire travailliste auront accès à toutes les données concernant les membres du Labour. Jeremy Corbyn était donc l’un des quatre candidats en lice et il a mis sur pied une équipe de campagne, puis nous avons téléphoné aux membres du Labour au cours de l’été 2015 pour leur demander s’ils voulaient soutenir Jeremy. Lors de cette opération, nous leur avons également demandé s’ils étaient d’accord pour que nous restions en contact avec eux. Même si l’on raconte souvent que Momentum est une organisation d’origine populaire, ce qui se vérifie à bien des égards, le fait est qu’elle s’est formée à partir d’un nombre important de personnes dont les données étaient déjà enregistrées parce qu’elles étaient membres du parti. Ceci étant, le Labour a modifié ses règles pour permettre d’adhérer à un prix réduit, ce qui a conduit à son développement, et nous avons donc pu accueillir beaucoup de nouveaux adhérents grâce à la campagne en faveur de Jeremy Corbyn. Surtout, nous avons pu bénéficier d’une avance considérable car nous connaissions déjà les coordonnées de tous ces membres du Labour, ce qui nous distingue des nombreux autres mouvements de ce genre qui ont pu voir le jour.

Des milliers de personnes qui ont pu se détourner du Labour – ou comme moi qui n’avais jamais adhéré au parti – voulaient avant tout soutenir le projet politique de Jeremy Corbyn, qui a ensuite été élu en septembre 2015. De nombreux groupes se sont formés dans tout le pays. J’étais dans le quartier de Lambeth dans le sud de Londres et nous avions « Lambeth for Corbyn » : il y avait des groupes comme « Leeds for Jeremy », ou « Bradford supports Jeremy Corbyn for Leader ». Dans tout le pays, de nombreux groupes ont été mis sur pied. Mais ce que Momentum représente aujourd’hui a émergé d’une équipe de bénévoles très réduite d’environ trois personnes. À l’automne 2015, nous avons contacté tous ces soutiens et leur avons demandé de se joindre à un réseau qui est par la suite devenu Momentum. Ainsi, au cours de l’été 2016, lorsque Jeremy a dû revenir aux urnes pour obtenir le leadership du parti et qu’il y a eu une deuxième campagne, Momentum a fait émerger des groupes de militants dans tout le pays formant un réseau suffisamment souple pour qu’ils puissent décider de leurs propres priorités de campagne. Ainsi, à Lambeth, nous étions occupés à mettre fin aux fermetures des bibliothèques, parce que le conseil municipal était sous pression et que nous essayions d’empêcher la réduction des services publics. Dans d’autres régions du pays, différents groupes avaient chacun leurs priorités. En 2016, Momentum a mis son poids dans la balance pour conforter Jeremy Corbyn dans sa position de leader, fournissant ainsi une base de volontaires pour porter sa campagne. Puis nous avons recommencé à nous regrouper pour les élections générales de 2017, lorsque Momentum a pu jouer un rôle clé en mobilisant des activistes dans tout le pays, à l’aide de nouvelles méthodes de campagne inédites pour le Parti. Nous sommes tous des membres du Labour, mais nous sommes tous autour de Jeremy.

Depuis cette élection que nous avons failli remporter, nous avons essentiellement continué à accroître notre force en tant que groupe militant à travers le pays. L’organisation a trois objectifs principaux. Notre objectif global est évidemment de voir un gouvernement socialiste être élu. Au-delà de ça, nous cherchons à remporter des campagnes lors des élections municipales ou lors des élections de l’assemblée du Grand Londres. Nous avons d’ailleurs fait élire récemment un maire dans le nord de Tyne. Notre second objectif est de transformer le Parti travailliste en changeant ses procédures démocratiques et ses méthodes. Enfin, le dernier objectif est de participer à la construction d’un mouvement social plus large – en créant des liens entre le Parti travailliste, le mouvement syndical et les organisations issues de la base qui militent pour les droits des locataires et pour le climat. Récemment, nous avons fait partie de la grande campagne sur « stop the coup » avec d’autres groupes de campagne. Par ailleurs, nous cherchons à faire de l’éducation politique – nous sommes des partenaires proches du festival The World Transformed. Cette initiative a été lancée par les membres de Momentum. Elle permet de donner aux gens l’occasion d’avoir des débats de qualité et de reconstruire un parti doté d’une base idéologique plus solide. C’est ce qui constitue l’essentiel des raisons d’être de Momentum.

 

LVSL – Comment vous est venue l’idée du festival The World Transformed  ? Quel est l’objectif ?

LP – Deux militants de Momentum d’une vingtaine d’années sont à l’origine de la fondation de The World Transformed car ils ont estimé qu’il fallait constituer un espace pour avoir un débat politique digne de ce nom. L’appareil du Labour n’était pas favorable à Jeremy Corbyn, de telle sorte qu’une partie du débat politique que nous voulions avoir n’était pas si facile à obtenir au sein du parti. Ces deux personnes, avec d’autres, dirigeaient une série de débats appelée « Brick Lane Debates » dans le sud de Londres pour enseigner aux gens les principes de l’économie. C’était un groupe de gens qui avaient fait partie de Momentum ou qui gravitaient autour et qui ont tout simplement eu l’idée, probablement assis un soir autour d’un verre. Il y avait un appétit énorme pour le débat, alors que la machine du parti était opposée à Jeremy Corbyn, que cela semblait logique qu’une telle initiative émerge, même si cela représentait une quantité de travail considérable. En tout cas, il y avait un espace politique et une demande parallèle à la conférence du Labour, qui portait majoritairement sur le fonctionnement du parti.

The World Transformed a seulement fourni un espace différent où ceux qui avaient rejoint le Labour et qui étaient enthousiasmés par la victoire de Jeremy Corbyn puissent réellement parler de politique. Maintenant, au fil du temps et au fur et à mesure que la politique de Jeremy s’est enracinée et s’est intégrée au sein de la majorité du Parti, les relations se sont évidemment facilitées. L’autre aspect de cet évènement, c’est qu’il rassemble aussi des gens qui font partie de notre troisième objectif – la construction d’un mouvement social. Donc si vous allez à un événement de The World Transformed, vous rencontrerez beaucoup de gens qui ne font pas partie du Labour. J’ai pris la parole lors d’un événement l’année dernière, il y avait environ 120 personnes dans la salle, et quand j’ai demandé combien étaient adhérents au parti, ils ne représentaient même pas la moitié. Certains d’entre eux appartenaient au parti Vert, d’autres à une tradition anarchiste. Certains n’avaient aucune appartenance partisane voire étaient peut-être même d’anciens adhérents ayant quitté le Labour. The World Transformed est donc un espace pluraliste. Je dirais que nous sommes comme des cousins. C’est presque comme si nous [à Momentum] réalisions l’essentiel du travail concernant le Labour, et qu’ils réalisaient le travail à destination de l’extérieur du parti. Ce lien qui nous unit nous permet de construire ce mouvement social plus large.

LVSL – Depuis sa naissance, Momentum cherche à influencer la ligne politique du Labour, notamment en essayant de promouvoir des profils politiques marqués à gauche contre les députés issus du blairisme. De telle sorte que des figures centristes vous ont régulièrement attaqués et ont pointé votre « entrisme » dans le Labour. Où en est cette « guerre de position » dans le parti ?

LP – C’est une énorme hypocrisie de la part des gens que de laisser entendre que nous faisons de l’entrisme alors qu’il y a déjà eu des exemples de groupes similaires au sein du Labour. Il y a eu un groupe appelé Progress et qui a été fondé par Tony Blair. Il s’agissait davantage d’un groupe de relais avec le Parlement, mais axé autour du parti, de sorte que l’essentiel du pouvoir revenait aux députés. Notre approche relève d’une toute autre forme, visant à donner le pouvoir aux militants. Il a existé d’autres groupes comme Labour First et encore d’autres à différentes époques, et nous ne sommes en rien différents de ceux-ci – excepté que nous ne poursuivons pas un objectif étroit et intéressé, la preuve en est que nous avons fait campagne pour le Labour. En effet, lors des élections de 2017, nous avons fait campagne pour tous les députés travaillistes qui se présentaient partout dans le pays et pas seulement pour ceux qui étaient des soutiens de Corbyn. Malgré tout, beaucoup de gens apprécient vraiment Momentum et qu’ils comprennent que cette énergie militante est positive.

Bien sûr, si vous êtes contre la politique de Corbyn, vous serez contre Momentum. Par ailleurs, nous sommes devenus une cible facile, donc si quelqu’un de Momentum fait quelque chose d’un peu imprudent, un député de l’opposition aura tôt fait de s’exclamer : « Regardez, vous voyez ces gens de Momentum derrière Jeremy Corbyn ; ils mènent de terribles politiques d’intimidation, de haine… », ce genre d’inepties. De toute évidence, les choses se sont un peu calmées. Certes le moment est un peu tendu parce qu’il y a un processus en cours par lequel certains députés pourraient être ou non désignés comme candidats à leur propre réélection. Évidemment, dans certaines régions du pays, les militants du parti ne veulent pas toujours que leurs députés se maintiennent alors que les places sont rares, ce qui suscite évidemment l’inquiétude de ceux qui ne veulent pas perdre leurs sièges. Les choses sont en train de mûrir. Nous sommes invités à participer à un grand nombre d’activités officielles du Labour. Cette semaine, par exemple, je prendrai la parole au cours de sept débats, dont seulement deux d’entre eux sont au World Transformed. Tous les autres sont à la conférence officielle aux côtés des députés travaillistes. Cet après-midi, je m’exprime sur l’importance du vote pour la réforme électorale avec Steven Kinnock, qui est un député d’une aile très différente du Parti. Donc je pense que les gens se sont habituée à notre présence.

LVSL – Nés en 2015, vous avez réussi à fournir un souffle important en faveur de l’engagement politique des jeunes et du soutien à Jeremy Corbyn. La campagne de 2017 a été l’apogée de ce moment. Momentum revendiquait alors le fait de s’engager politiquement dans toutes les sphères de la société, au-delà de l’agenda du Labour. Par exemple, en organisant des crèches populaires pour pallier l’absence de l’État. Aujourd’hui, votre organisation semble s’être institutionnalisée à l’intérieur du parti et jouer avant tout le rôle de groupe d’influence. Partagez-vous cette lecture ?

LP – Au cours des différentes phases de notre courte histoire, nous avons eu diverses priorités. Il est vrai nous sommes moins dans une phase de construction du mouvement. C’est le reflet du travail considérable que nous sommes obligés de faire au sein de l’appareil du Labour afin de garantir que la politique de Corbyn reste mainstream dans les rangs du parti. Après tout, le Labour a un énorme passif institutionnel. La grande majorité des conseillers du Parti a été élue avant que Jeremy Corbyn ne prenne le pouvoir. Certains sont à gauche mais beaucoup d’autres ne le sont pas. Un nombre important de personnes qui travaillent pour le parti au sein de ses déclinaisons territoriales sont là depuis très longtemps. Certains d’entre eux changent de position pour être plus accommodants avec Corbyn, d’autres ne le font pas. Si nous n’exerçons pas d’influence envers les organes institutionnels du parti comme le Comité exécutif national [NEC], le Comité d’organisation de la conférence où les gens décident de ce qui doit être débattu au sein des conférences du Labour et au sein d’autres structures importantes du parti, cela limite notre impact extérieur. Malgré ce travail, nous devons continuer à exercer une pression populaire sur le pouvoir. Or, à certains moments, nous n’avons pas su gérer cet équilibre car nous avons cédé à la tentation immédiate de faire élire des gens dans les organes internes, parce que les élections fournissent un résultat rapide et tangible.

Nous avons mené ces activités dans le sens d’une réflexion sur la construction d’un mouvement externe plus long et plus lent, et c’est une tension constante entre ces deux objectifs. Finalement, la manière dont notre organe dirigeant fonctionnera sera déterminante. Nous avons un organe de direction, le National Coordinating Group et une équipe de bénévoles dont je suis à la tête, ce qui fait en quelque sorte de moi le lien entre ces deux pôles. Cependant, notre organe directeur a estimé dernièrement que nos priorités devaient consister à nous concentrer sur le travail interne au Labour. Pour ma part, j’aimerais que nos objectifs soient construits de façon plus équilibrée. Nous sommes en train de nous restructurer et de développer notre capacité à mener des campagnes externes en investissant davantage vers nos groupes et nos membres. Alors je pense que l’équilibre peut changer un peu, mais, encore une fois, il s’agit d’une tension constante. Je vois cela comme le signe que, depuis 2015, nous prenons à peine la mesure de tout ce qu’il y a à faire pour changer ce parti. Car que le blairisme a régné de 1997 à 2015, ce qui représente près de deux décennies. Renverser la situation prend du temps.

LVSL – Votre position sur la question du Brexit n’est pas évidente. D’une relative position de neutralité, de nombreuses figures de Momentum semblent désormais soutenir explicitement la demande d’un second référendum au cours duquel il faudrait faire campagne pour le Remain. Qu’est-ce qui a conduit à ce changement de ligne ?

LP – Momentum, historiquement, si on peut qualifier d’historique quelque chose qui a commencé il y a 4 ans, n’est pas un organe à caractère législatif. Il soutenait uniquement la politique du leadership du Labour. Personnellement, je dirais surtout que la ligne politique du leadership du parti n’a pas toujours été très claire. Par voie de fait, la position de Momentum n’a pas semblé claire non plus. Fondamentalement, nous avons essayé de soutenir la direction en tant qu’organisation qui avait cette tâche délicate d’équilibre, et tenté d’honorer le résultat du référendum qui, comme chacun sait, était très serré. Ce n’était pas une victoire décisive, ni pour le camp du Leave, ni pour celui du Remain. De toute évidence, au fur et à mesure que les négociations ont été menées par les Tories, ces derniers se sont radicalisés. De la même façon, beaucoup de ceux qui sont du côté du Remain s’accrochent vigoureusement à cette position. Ce que la direction du Labour essaye de faire a été de rester proche d’une position intermédiaire. De notre côté, nous avons, de façon générale, appuyé la direction.

Désormais, les dirigeants disent dans leur majorité qu’on devrait organiser un deuxième référendum. C’est la seule façon de résoudre l’impasse actuelle. Personnellement, j’en suis arrivé à la conclusion que nous aurions probablement dû avoir un deuxième référendum il y a un certain temps déjà. Même si, comme la plupart des gens, je ne suis pas très enthousiaste à l’idée d’assister à un autre référendum dont l’issue pourrait s’avérer terrible. À moins que ce référendum soit très bien tenu, il pourrait être source de division et ne pas nécessairement produire un résultat différent. Mais tant le parti travailliste que Momentum ont fait face à une position complexe parce que, contrairement aux Libdems qui ont juste à soutenir les 48 % de remainers, dans un contexte où le parti conservateurs n’incline plus seulement vers Leave mais désormais vers un Hard Brexit. Le Labour a tenté avec sincérité, sans grand succès, de combler la brèche qui divise les britanniques. Évidemment, les membres du Labour sont majoritairement favorables au Remain, mais les électeurs du parti, comme le reste de la Grande-Bretagne, ont des opinions très différentes. Certains sont focalisés sur l’idée que nous ne pourrons pas gagner une autre élection générale si nous n’occupons pas certains sièges dans le nord de l’Angleterre, qui appartiennent en théorie à la frange Leave du parti.

Dans la pratique, même au sein des circonscriptions traditionnellement travaillistes ayant votés Leave, la grande majorité des électeurs du Labour ont finalement voté Remain, parce que les leavers, qui l’ont emporté, sont des électeurs de l’UKIP, des gens qui n’avaient jamais votés auparavant, et seulement une petite partie de l’électorat du Labour. Mais pour ce qui est de gagner de nouveau ces sièges, il est clair que les dirigeants du Labour craignent que ce ne sera pas le cas s’ils ne maintiennent pas leur position initiale. Je dirais aussi que nous devons être très prudents avec ces régions du pays où le point de vue des leavers est écrasant. En fin de compte, la seule façon de s’en sortir malgré le gâchis actuel est d’organiser ce second référendum. Le Labour, contrairement aux autres grands partis, est doté d’un programme national de réformes massives. Je crois que nombre de nos électeurs qui ont votés Leave sont davantage intéressés par le programme politique national des travaillistes en faveur des services publics, des investissements, des réformes, des transports, de l’éducation, de la santé et du logement.

Nous sommes maintenant proches de la fin de ce qui aura été un processus très complexe et très désordonné. Mais lorsque nous avons sondé nos propres adhérents en 2018 sur la question du Brexit, la majorité des membres du parti et de de Momentum pensaient de façon écrasante (82%) que le Brexit serait nuisible pour nos quartiers, nos amis et nos familles, et ce avant même que n’arrive cet horizon du No-deal. De façon générale, les membres de Momentum sur la même longueur d’onde que la grande majorité des membres du Parti. Mis à part que nous mettons davantage l’accent sur le fait de s’assurer que peu importe la ligne que prendra le parti autour de la question du Brexit cela ne doit pas entraver le maintien de la ligne socialiste Labour. Nous ne voulons vraiment pas être de connivence avec des gens qui figurent à la droite du parti et qui ont utilisé le Brexit comme levier pour attaquer Jeremy Corbyn. Nous ne partageons pas leur ligne politique.

LVSL – Votre slogan « For the many, not the few » trace une démarcation nette entre la minorité privilégiée et la grande majorité du peuple britannique. Cette référence au peuple vous est disputée par Nigel Farage et Boris Johnson, qui pointent le refus des élites d’accepter le verdict du référendum de 2016 sur le Brexit. Votre parti, le Labour, mène actuellement une stratégie de blocage du Brexit au Parlement. N’avez-vous pas peur de renforcer la rhétorique de la droite radicale qui dénonce un complot des élites contre le vote populaire, et les laisser ainsi hégémoniser la référence au peuple ?

LP – Oui, c’est un grand risque et l’un des principaux débats au sein du Parti a été de savoir comment trouver une position concernant le Brexit qui n’encourage pas la droite et ne lui permette pas d’affirmer qu’elle est l’alternative populaire et radicale. Il s’agit d’un véritable combat pour nous du fait de la structure de la propriété des médias dans ce pays. Ces derniers sont détenus à environ 85% par la droite, qui est évidemment très favorable à Boris Johnson. Cependant, toute analyse rigoureuse de ces leaders montre l’imposture totale qu’ils représentent. Boris Johnson, Nigel Farrage et Jacob Rees-Mogg sont tous multimillionnaires. Ce sont eux qui gagneraient de l’argent avec un Hard Brexit.

Leur existence reste un défi pour nous et il y a eu de grandes tensions au sein du parti parce que certains ont préféré soutenir que nous ne devions pas nous éloigner des gens qui ont été tentés de voter pour le Brexit Party mené par Nigel Farage. Selon eux, si nous employions un certain langage trop pro-Remain, nous encouragerions l’extrême droite. L’autre école de pensée, dont je fais partie, estime que nous ne pouvons pas céder un seul pouce à l’extrême droite. Je pense que nous devrions aller dans les quartiers afin d’avoir des échanges avec les gens et de leur expliquer que leurs salaires ne sont pas faibles à cause des migrants mais parce que leur employeur ne les a pas payés : « votre grand-mère n’a pas obtenu sa prothèse de hanche non pas parce qu’un polonais l’aurait eue à sa place, mais à cause des diminutions de l’investissement dans le système de santé national au cours des dix dernières années. Votre salaire stagne depuis dix ans et ça n’a rien à voir avec l’immigré lituanien. » Ces questions ont représenté une source de tensions et de discussion continue sur la façon dont nous devions gérer la situation. HOPE not Hate organise d’ailleurs une conférence à laquelle je vais participer sur la façon de battre le Brexit Party. L’idée que si nous faisons preuve d’une certaine retenue, nous regagnerons des électeurs n’est pas forcément efficace. Vous ne pourrez jamais faire mieux que la droite sur son terrain, mais il s’agit là sans aucun doute d’une question importante sur laquelle il faut débattre.

Retranscription et traduction par Eugène Favier-Baron


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Triomphe du Brexit Party : jusqu’où ira Nigel Farage ?

Nigel Farage en 2017. © Gage Skidmore via Wikimedia Commons

Il y a quelques semaines, Nigel Farage faisait son grand retour au Parlement européen où il promettait « de revenir encore plus nombreux » avec ses soutiens. Son Brexit Party, surgi de nulle part seulement 6 semaines avant le scrutin du 26 mai, a emporté haut la main des élections européennes qui ne devaient pas avoir lieu, avec près d’un tiers des voix. Alors que le discours des travaillistes sur le Brexit ne convainc pas et que les conservateurs sont occupés à se choisir un nouveau leader pour remplacer Theresa May, Farage semble avoir un boulevard devant lui. Mais d’où vient un tel succès et quelles en sont les conséquences sur l’avenir du Royaume-Uni ?


Aux origines du Brexit Party

Sans Nigel Farage, le Brexit Party n’existerait pas. Le grand retour de l’ancien leader du UKIP n’a lieu qu’en début d’année, alors que Theresa May essuie les défaites les unes après les autres et finit par implorer Bruxelles de lui accorder plus de temps. Le parlement de Westminster est incapable de réunir une majorité sur un quelconque projet (second référendum, accord de Theresa May, sortie sans accord, union douanière, etc.) et de plus en plus de voix s’élèvent pour annuler purement et simplement le Brexit. Les Britanniques qui ont voté pour le Brexit perdent patience et se sentent trahis. Farage sent son heure venue : pendant qu’il prépare la création du Brexit Party, il renouvelle son image.

En décembre 2018, il quitte le UKIP, devenu un parti rabougri, en proie aux difficultés financières et sans leader stable. Surtout, il souhaite prendre ses distances avec le tropisme anti-musulman notoire du UKIP, qui n’a cessé de dériver toujours plus à l’extrême-droite et s’est rapproché du nationaliste Tommy Robinson, le fondateur de la milice English Defence League, plusieurs fois condamné pour ses actes. Il participe ensuite à l’organisation de la Brexit Betrayal march, qui aboutit à Londres le 29 Mars 2019, jour où la Grande-Bretagne est censée sortir de l’UE. Cette marche de deux semaines, qu’il n’effectue qu’en partie, lui permet d’attirer l’attention des caméras et de s’opposer aux parlementaires qui cherchent un compromis capable de réunir une majorité de voix. Enfin, il annonce la création du Brexit Party le 12 Avril et présente une liste de 70 candidats pour les élections européennes sur laquelle figure Annunziata Rees-Mogg, la soeur du très eurosceptique député conservateur Jacob Rees-Mogg. Le Brexit Party a également su jouer habilement de l’image confuse de Claire Fox, une ancienne militante du Revolutionary Communist Party devenue fervente défenseur des marchés libres et de la liberté d’expression, qui a été présentée comme un soutien de Nigel Farage venu de la gauche.

Les élections européennes non prévues de mai 2019 permettant aux Britanniques d’exprimer tout le mal qu’ils pensaient du Brexit ou de l’absence de sortie effective, Farage savait qu’il n’avait nullement besoin de programme. Le même message a donc été répété en boucle : la démocratie britannique est en train de mourir, les élites politiques conservatrices et travaillistes ont trahi le vote de la majorité de 2016 et préfèrent rester dans une Union européenne anti-démocratique, tandis que les alliés traditionnels de la Grande Bretagne s’attristent de voir ce grand pays être devenu si faible. Ce message très simple d’invocation de la souveraineté, du patriotisme et de la démocratie, associé à la figure emblématique de Farage, a suffi à réunir 31,6% des voix, reléguant le Labour Party de Jeremy Corbyn à la 3ème place et les conservateurs de Theresa May à la 5ème. Pour parvenir à ce résultat, Farage a complètement siphonné le UKIP (qui avait déjà réuni 26,6% des voix en 2014) et bénéficié du soutien de nombreux sympathisants conservateurs et d’une partie des électeurs travaillistes. Le discours anti-élites de Farage, lui-même élu au Parlement européen depuis 1999 et ancien trader, semble donc avoir fonctionné à plein régime. Il faut dire que l’homme n’est pas avare de critiques percutantes sur les technocrates européens non-élus, comme dans ce célèbre discours de 2010 où il accuse Herman Van Rompuy, président du Conseil européen sans aucun mandat démocratique, d’avoir le « charisme d’une serpillière humide et l’apparence d’un petit employé de banque ».

La démocratie digitale, cache-sexe du césarisme

Jusqu’à présent, Nigel Farage a très bien joué ses cartes, en focalisant son discours sur l’exigence d’un Brexit rapide et sans accord, et en se présentant comme le recours contre le bipartisme traditionnel auxquels les électeurs avaient largement fait confiance en 2017. Exit les discours anti-musulmans, anti-immigration ou pro-austérité qui caractérisaient le UKIP : le Brexit Party se pose en parti attrape-tout capable de séduire tous les soutiens du dégagisme et du Hard Brexit, quelles que soit leur affiliation idéologique. Pour y parvenir, le Brexit Party maintient le flou sur tous les autres enjeux auquel le Royaume-Uni est confronté : pauvreté galopante, désindustrialisation, logement hors-de-prix, services publics détruits… Si le parcours professionnel et politique de Farage se situe clairement du côté de la finance et du thatchérisme, il préfère donc ne plus en parler afin de maximiser ses voix.

Exit les discours anti-musulmans, anti-immigration ou pro-austérité: le Brexit Party se pose en parti attrape-tout capable de séduire tous les soutiens du dégagisme et du Hard Brexit, quel que soit leur affiliation idéologique.

En attendant la première convention du parti le 30 Juin à Birmingham où la ligne politique sur de nombreux enjeux devrait être définie, Nigel Farage fait miroiter un système de démocratie participative en ligne à ses sympathisants, de façon similaire à ce que fait le Mouvement 5 Étoiles en Italie. Non concrétisée pour l’instant, cette démocratie digitale, probablement limitée à des sujets secondaires, devrait surtout servir de façade pour dissimuler le contrôle total de Farage sur le Brexit Party, comme l’explique le chercheur Paolo Gerbaudo, déjà interrogé dans nos colonnes. Ce parti est en réalité enregistré sous le nom de l’entreprise The Brexit Party Limited et ne compte que des soutiens, pas des membres, de la même manière que le PVV de Geert Wilders. La direction du parti ne peut échapper des mains de Farage que si un conseil nommé par ses soins (qui compte actuellement 3 personnes dont Nigel Farage), le décide. Ce cadenassage absolu de l’appareil partisan lui permet de s’isoler de toute menace interne, notamment si des figures dissidentes ou trop ambitieuses émergeaient au sein de son parti, pour l’instant bâti autour de la seule personnalité de son leader. Un leader tout puissant donc, mais pas nécessairement indépendant.

Un Hard Brexit pour milliardaires

Derrière cette façade de combat pour la souveraineté et la démocratie se cache cependant la défense d’intérêts très particuliers: ceux de quelques grandes fortunes qui espèrent profiter d’un Hard Brexit pour s’enrichir. Un nom revient en particulier, celui d’Arron Banks, homme d’affaire multimillionnaire qui a fait le plus gros don de toute l’histoire politique britannique, 8,4 millions de livres sterling (environ 9 millions et demi d’euros), à la campagne Leave.EU en 2016. Après avoir déjà offert 1 million de livres à UKIP en 2014, ce spécialiste de l’évasion fiscale cité dans les Panama Papers a également financé le luxueux train de vie de Farage à hauteur d’un demi-million de livres. Chauffeur, garde du corps, voyages aux États-Unis pour rencontrer Donald Trump, maison estimée à 4 millions de livres, voiture ou encore bureau proche du Parlement : rien n’est trop beau pour son ami de longue date forcé de vivre avec les près de 9000 euros mensuels de son mandat de parlementaire européen. Farage est également proche de Tim Martin, propriétaire de la chaîne de pubs Wetherspoon qui compte 900 établissements à travers le pays. Martin, qualifié de « Brexit legend » par Farage, ne cesse lui aussi de promouvoir un Brexit dur, en distribuant des dessous de verres et un magazine gratuit (400.000 exemplaires) en faveur du Leave, mais aussi en éliminant les alcools européens de ses bars et en prenant fréquemment position pour des accords de libre-échange sauvages avec le reste du monde.

Contrairement aux élites économiques sur le continent européen, les grandes fortunes britanniques sont nombreuses à soutenir le Brexit dur défendu par Farage, mais aussi nombre de conservateurs dont Boris Johnson, favori à la succession de Theresa May. Ces ultra-riches rêvent de transformer le Royaume-Uni en « Singapour sous stéroïdes », c’est-à-dire en paradis pour businessmen, enfin débarrassés de toute régulation, notamment financière, et des rares précautions (sanitaires en particulier) qu’impose l’UE dans les accords de libre-échange qu’elle signe. En somme, une ouverture totale aux flux de la mondialisation sauvage qui achèverait ce qu’il reste de l’industrie britannique et ferait du pays un immense paradis fiscal. Le projet phare de ces Brexiters ultralibéraux est un accord de libre-échange avec les USA de Donald Trump. Le patriotisme des grandes fortunes pro-Brexit est tel que Jim Ratcliffe, magnat de la pétrochimie et homme le plus riche de Grande-Bretagne avec 21 milliards de livres qui a soutenu la sortie de l’UE, s’est récemment installé à Monaco. Pendant longtemps, ces grandes fortunes eurosceptiques construisaient leur réseau au sein des Tories, notamment à travers l’European Research Group de Jacob Rees-Mogg (la fraction la plus europhobe des parlementaires conservateurs), un excentrique héritier qui a lui aussi ouvert 2 fonds d’investissements en Irlande récemment. Désormais, ces ploutocrates préfèrent de plus en plus le Brexit Party de Farage aux conservateurs en pleine perte de vitesse.

Après les européennes, quelles conséquences à Westminster ?

Si le Brexit Party n’a pour l’instant aucun élu au Parlement britannique, cela ne l’empêche pas de peser désormais très lourd dans le jeu politique outre-Manche. Les conservateurs se savent très menacés par Farage dont le logiciel idéologique, économiquement libéral et conservateur sur les questions de société, est proche du leur. Le successeur de Theresa May, qui qu’il soit, va devoir une issue rapide à l’enlisement du Brexit qui exaspère ses électeurs s’il ne souhaite pas voir son parti marginalisé pour longtemps. Bien que le Labour Party ait moins à perdre dans l’immédiat, grâce à la ferveur de ses militants et à la confiance envers Jeremy Corbyn pour sortir du néolibéralisme, son socle électoral s’érode également. Près des deux tiers des sièges de députés travaillistes sont dans des circonscriptions qui ont choisi la sortie de l’UE en 2016, ce qui explique la poussée du Brexit Party dans les terres représentées par le Labour. Toutefois, l’hémorragie électorale des travaillistes aux européennes s’est aussi faite au profit des libéraux-démocrates, largement rejetés pour leur alliance avec David Cameron entre 2010 et 2015 et désormais fer de lance du maintien dans l’UE, et du Green Party, une formation europhile. Toutes les cartes du jeu politique sont donc en train d’être rebattues autour d’un clivage sur le Brexit où dominent les opinions radicales (maintien dans l’UE et sortie sans accord). Tant que le Brexit n’a pas eu lieu, le Brexit Party et les Lib-Dems devraient donc continuer à affaiblir le bipartisme traditionnel revenu en force à Westminster aux élections de Juin 2017.

On ne saurait toutefois être trop prudent en termes d’impact du Brexit sur le nouveau paysage politique à Westminster. D’abord car les élections européennes, et en particulier au vu du contexte dans lequel elles se sont tenues en Grande-Bretagne, ne sont jamais représentatives des intentions de vote au niveau national. Ensuite parce que le Brexit peut advenir dans les mois qui viennent, notamment si Boris Johnson accède au 10 Downing Street et parvient à trouver une majorité législative, et refermer la phase de chaos politique ouverte par Theresa May. Mais surtout, le système électoral britannique, un scrutin à un tour qui offre la victoire au candidat en tête, complique les prédictions. Certes, l’élection législative partielle de Peterborough du 6 juin dernier, où le député travailliste sortant a dû démissionner, a vu la candidate Labour l’emporter, par seulement 2 points d’avance sur son rival du Brexit Party, et a permis à Jeremy Corbyn de réaffirmer son positionnement : unir le pays autour d’une politique écosocialiste. Mais ce scrutin très médiatisé n’a même pas mobilisé la moitié des inscrits et ne peut servir de base à une stratégie électorale. Même si le socle électoral du Labour est moins exposé que celui des Tories à la menace Farage, il n’est en réalité guère plus solide, tant le mécontentement envers la position molle de Corbyn (ni no-deal, ni Remain, mais une union douanière avec l’UE) est fort. Tant qu’il se refuse à choisir entre son électorat jeune et urbain pro-Remain et son électorat populaire pro-Brexit, Jeremy Corbyn ne sera pas plus audible qu’aujourd’hui. Or, vu le succès inquiétant de Nigel Farage et l’hostilité notoire de l’Union européenne envers toute politique alternative au néolibéralisme, il est surprenant que le choix paraisse si compliqué.


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