Les rappeurs, ces petits soldats du capitalisme

En France comme aux États-Unis où il est né, le rap était porteur d’un message subversif. Mais progressivement digérées par l’industrie du divertissement, la sous-culture hip-hop et ses aspirations à renverser la société se sont vidées de leur substance critique. Comment le rap est-il devenu l’appareil idéologique préféré du capitalisme pour convertir les jeunes au système de valeurs dominant ?


En 1995, Suprême NTM rappe : « la bourgeoisie peut trembler, les cailleras sont dans la ville, pas pour faire la fête, qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu? Allons à l’Elysée, brûler les vieux ». En 1997, Stomy Bugsy, Passi, Shurik’n et plusieurs ténors du rap français posent leur flow sur une compilation destinée à servir de bande originale à Ma 6T va craquer, film coup de poing sur les banlieues réalisé par Jean-François Richet. Dans le morceau La Sédition, Mystik et 2 Bal rappent ce refrain : « la sédition est la solution, révolution / multiplions les manifestations, passons à l’action ». Et ce couplet : « d’abord des gens fâchés qui n’ont pas la langue dans la poche / faisant partie d’un parti d’avant-garde / guidé par des principes visant à renverser la société ».

Inconcevables dans la bouche d’aucun des poids lourds du rap français actuel, ces paroles insurrectionnelles résonnent vingt ans plus tard comme le chant du cygne d’un rap conçu comme l’art capable d’esthétiser la colère des classes populaires. En effet, depuis la fin des années 2000, le rap mainstream est devenu une arme idéologique qui suggère aux auditeurs des comportements et des désirs qui correspondent aux exigences du capitalisme.

Au début des années 2000, le rap français vit les prémisses de son âge d’or : davantage écouté et plus médiatisé, il tend à se démocratiser(1). Son succès auprès d’un nombre croissant de jeunes fait progressivement émerger un marché très lucratif. En l’espace d’une décennie, de nombreux titres deviennent des classiques, faisant du rap l’un des genres musicaux les plus populaires. Des deux côtés de l’Atlantique, cette audience exponentielle incite les producteurs à usiner les artistes et leurs morceaux de manière standardisée. Purs produits de cette mutation, des rappeurs comme Akhenaton (IAM) ou Joey Starr (NTM) se situent à cheval sur les deux époques : celle du rap révolté, et celle du rap promoteur de la société de consommation et arbitre du jeu néolibéral.

Du capitalisme partout, tout le temps

À la fin des années 2000, le rap achève lentement sa mise en conformité : l’individualisme, la volonté de domination et la compétition interpersonnelle sont devenus les thématiques fétiches de quasiment tous les rappeurs. Et à mesure que le nombre d’artistes augmente, leurs textes s’uniformisent autour d’un dénominateur commun de plus en plus étroit : l’argent, et plus largement, la mise en scène des valeurs et des pratiques capitalistes les plus violentes.

Tandis que les artistes redoublent d’imagination pour créer de nouveaux univers visuels et mélodiques, le contenu se rétrécie, cantonnant le champ des possibles à des aspirations centrées sur l’argent, son accumulation et les consommations ostentatoires qu’il permet. Il existe des exceptions dans le rap game français. Kerry James reste par exemple le pape du « rap dissident ». Bigflo & Oli, Nekfeu, Orelsan ou certains rappeurs moins célèbres peuvent épisodiquement signer des punchlines engagées. Mais dans la grande majorité, le constat reste le même : le « rap conscient » tend à disparaître, au profit du « rap hardcore ».

À la manière du S-Crew ou de Jul, certains rappeurs font le pari de créer leur propre label et revendiquent leur indépendance à l’égard des Majors (Universal, Sony, Warner). Pourtant, le contenu de leurs morceaux se calque bien souvent sur celui des grosses maisons de disque. Car si les parts de marché ne se comptent plus exclusivement en nombre de disques vendus, les clics sur les plateformes de streaming et de téléchargement et les « vues » sur Youtube pèsent comme les nouvelles contraintes du marché.

Genius est un moteur de recherche qui recense les paroles des morceaux de rap des vingt dernières années. Si on tape le mot-clé « biff » ou ses synonymes, la base de données s’affole et affiche des centaines d’occurrences. Lomepal écrit : « je veux des millions, j’en veux 70 ». Booba chante : « j’dois faire du biff, de la mula, du caramel ». Kekra ne dit pas autre chose lorsqu’il rappe : « j’veux du cash dans mes poches, j’veux des fonds ». Damso est plus concis : « j’fais du biff ». Kaaris partage ses dilemmes : « si j’devais choisir entre tout ce biff et toutes ces bitchs / je prendrais le gros chèque parce que l’oseille est la plus bonne des schnecks ». La Fouine est dans l’injonction : « faites du biff, c’est pas compliqué ». PNL : « chaque jour c’est la même, c’est le biff qui m’fait frissonner ». Cette année, Angèle – chanteuse belge qui mélange rap et pop – signait un titre explicite : La thune. Dans ce morceau, elle exhibe une mitraillette en or et tire des rafales de billets tout en chantant : « tout le monde il veut seulement la thune, et seulement ça ça les fait bander ».

 

Hommes-sandwich 2.0

Avec l’essor d’internet puis celui des réseaux sociaux, les rappeurs vedettes sont devenus les promoteurs de la société de consommation, de ses valeurs et plus trivialement, de ses produits. Cette année, Lomepal a collaboré à deux reprises avec des grandes marques : avec Apple, pour une campagne publicitaire qui promeut l’Iphone X, puis avec la chaîne d’hôtellerie Ibis, dans un spot publicitaire destiné à la télévision et aux plateformes de vidéos sur internet.

https://www.youtube.com/watch?v=h8L04Fxti5c

Quelques mois plus tard, le rappeur marseillais SCH – dont le deuxième album s’intitule Anarchie – devenait l’égérie d’Adidas. Et après la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde de football en Russie, la marque américaine Nike s’est offerte la voix du rappeur Niska dans un spot publicitaire pour le nouveau maillot floqué avec deux étoiles. Jackpot pour l’équipementier des Bleus, puisqu’il commercialise le précieux sésame pour la somme rondelette de 140 euros et que la FFF (Fédération française de football) prévoit des records de ventes.

Et lorsque les rappeurs exhibent des vêtements et des accessoires griffés dans leurs clips, la publicité devient gratuite. Récemment, Jok’Air a sorti le titre Mon Survet, dans lequel lui et la trentaine de figurants sont habillés par Adidas de la tête aux pieds. Ces vitrines bénévoles sont du pain béni pour les multinationales, qui y voient des influenceurs redoutablement efficaces auprès des jeunes auditeurs.

Côté paroles, les stars enchaînent les références aux marques si bien que les seize mesures de nombreux rappeurs français ressemblent à des catalogues de produits de luxe, et leurs clips à des télé-achats. Philipp Plein, Cartier, Ruinard, Gucci, Audi, BMW, Bugatti, Ferrari, Porsche, Burberry… Quand les rappeurs ne casent pas des placements de produits, ils s’évertuent à faire rimer rap avec marques. Avec son titre Sapés comme jamais, sorti en 2015, Maître Gims assume complètement cette tendance, en cumulant dans un seul morceau des références à Louboutin, Chanel, Balmain, Vuitton, Hermès et Zanotti.

Et quand des rappeurs vont jusqu’à donner à leurs morceaux des noms de marques, les multinationales jubilent. En 2013, Kaaris faisait le buzz avec son clip 63, du nom du modèle de grande berline AMG63, commercialisé par Mercedes-Benz. En 2015, Sadek sortait un titre homonyme de la marque de haute couture Zanotti. Et cette année, Rim’k a collaboré avec Ninho pour le morceau Air Max, du même nom que la paire de chaussures Nike. En septembre, le même Ninho sortait le clip de son titre Fendi – du nom de la marque de prêt-à-porter de luxe italienne – tourné dans une villa cossue de Milan.

La parabole du pauvre devenu riche

Le capitalisme est friand de success stories : les parcours exceptionnels de self-made-men lui permettent de se légitimer, à rebours des indicateurs économiques et des démarches scientifiques. Bien racontée, l’histoire d’un Bernard Tapie ou celle d’un Silvio Berlusconi peut battre en brèche n’importe quelle enquête sociologique sur la reproduction sociale des inégalités, n’en déplaise à Pierre Bourdieu. Et si les reportages télévisés à la gloire du « fils-d’immigré-pauvre » devenu « capitaine-d’industrie-milliardaire » ne suffisent pas, le rap diffuse le même story-telling.

La majorité des textes sont ainsi construits sur le modèle du « jeune-parti-de-rien-devenu-riche-qui-profite-de-son-argent ». SCH écrit : « J’étais rien, j’avais rien, là j’ai trois putes sous mon plaid » ou encore : « j’avais pas un radis, sur un banc j’ai grandi, là j’vais rue Paradis ». Dans son dernier clip sorti en septembre, MHD pose ce couplet : « Bah ouais ma vie a changé : plus de retard de loyer, maintenant j’me fais plaisir, j’peux porter du Giuseppe (NDLR Giuseppe Zanotti). »

De nombreux rappeurs produisent un système de justification qu’on pourrait résumer par la formule suivante : « gagner beaucoup d’argent, pour pouvoir sortir ses proches de la pauvreté ». Dans un classique sorti en 2010, Booba rappe : « Chaque jour c’est pour faire du biff, mettre à l’abri la mif ». Les deux frères de PNL ont quant à eux créé un slogan pour résumer ce credo : « QLF » , qui signifie littéralement « que la famille ». Cette conception tribale de l’existence – chacun pour soi, loi du plus fort – et dans laquelle la solidarité n’existe pas, correspond parfaitement à celle que voulait imposer Margaret Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980. La championne du conservatisme néolibéral écrivait à l’époque : « La société n’existe pas, il n’y a que des individus. »(2)

Alors que pour un nombre croissant de jeunes, l’attractivité du mode de vie capitaliste s’effondre sous le poids de ses contradictions, le rap commercial semble agir comme une piqûre de rappel permanente. Piqûre qui immunise contre le risque de rébellion ; rappel à se recentrer sur la quête d’argent, la consommation et le divertissement.

Le péril climatique qui vient, l’explosion des inégalités ou la perte de sens poussent davantage de jeunes à remettre en question le modèle de société dominant. Ils sont de plus en plus nombreux à délaisser l’accumulation et l’individualisme, tout en cherchant leur épanouissement ailleurs (égalité, solidarité, militantisme, écologie, décroissance, lien social…). En bombardant ces futurs adultes de stimuli idéologiques dans lesquels l’argent est roi et où la violence règne, la majorité du rap agit comme un frein à la décolonisation des imaginaires : elle érode le sentiment de révolte, inhibe le désir d’utopie et fabrique la paix sociale. Là où les pionniers du rap jouaient un rôle d’objecteurs de consciences, la plupart des rappeurs actuels sont devenus des gardiens de l’ordre établi.


Notes

(1) Stéphanie Molinero, Les publics du rap. Enquête sociologique, L’Harmattan, Paris, 2019.

(2) https://www.cairn.info/les-societes-civiles-dans-le-monde-musulman–9782707164896-p-313.htm

Crédits photo

Capture d’écran Jok’Air – Mon Survet (https://www.youtube.com/watch?v=KvWmv1QcGA8)

 

PNL, la naissance d’une étoile cinématographique

PNL, dans Le monde ou rien, tourné dans la cité sicilienne de Scampia

PNL, pour « Peace n’ Lovés » [Paix et fric, ndlr], a sorti la quatrième et dernière partie de leur film disponible gratuitement sur YouTube, appuyé par leurs musiques en bande originale. Pour une durée totale de 66 minutes, ce tétraptyque relève d’une prouesse cinématographique qui réinvente le genre du vidéo-clip grâce à un fil narratif d’un réalisme inédit qui décrit le quotidien de la banlieue, de péripéties folles, accrochantes mais jamais clichées ou irréelles. Si la musique de PNL peut en rebuter certains, d’aucuns reconnaîtront que leur talent cinématographique est indiscutable.

Lovés, joints, QLF et fame

Intitulée Jusqu’au dernier gramme, Pt. finale, la quatrième vidéo fait suite à Naha, Onizuka, et Béné, musiques également parues en 2016 sur leur album Dans la légende, certifié disque de Diamant, chose inédite pour un label indépendant. Le groupe de rap PNL, formé par les deux frères Ademo et N.O.S, a introduit le cloud rap en France, s’inspirant de Yung Lean ou d’ASAP Rocky. Malgré un vocabulaire plutôt pauvre et redondant, le duo est parvenu à relater le quotidien abrutissant et violent des banlieusards enterrés dans leur cité, zonant en bas des blocs. Vente de canabis — et l’ivresse inhérente —, rivalité entre les gangs, la figure de la sœur et de la mère, la célébrité sont au centre de leur univers.

« J’voudrais sauver la Terre / Parfois j’voudrais la voir brûler / Ça va pas trop j’roule un tehr trop d’haine pour neuf mètres carrés » (Jusqu’au dernier gramme)

Si ces thèmes paraissent communs aux autres rappeurs français, la manière dont PNL les traite demeure inédite. L’égotrip est souvent ironique, morose, réaliste. Quant à la vulgarité et la brutalité de certains de leurs propos [1], elles sont contrastées par la maturité et le recul acquis face à certaines situations. « En fait le truc c’est qu’j’dois tuer mon monstre. Ouais j’suis là, j’me balade dans ce décor de merde » (Humain), contraste avec « On veut la ville pas le sang du maire » (Dans la légende). Ils n’ont plus peur, ni du quartier ni de la justice, ils ont trop vécu et tout connu, maintenant « [ils] sourient car [ils] connaissent déjà le sort de cette juge qui [les] condamne » (Kratos), manière métaphorique de signifier qu’ils ont mûri.

En comparant avec les vidéo-clip d’un Booba ou d’un Maître Gims, la présence des femmes est souvent dépréciative, présentées comme des « filles faciles », seules la mère et la sœur y échappent et sont élevées sur un piédestal. Or, mis à part les quatre parties du film, notons la quasi-absence de femmes [2] dans les clips de PNL. Comment l’expliquer? En prenant attention à leurs textes, on a vite l’impression que leur misogynie est feinte à cause d’une socialisation trop oppressive du quartier. Comme si eux-mêmes ne croyaient pas à la prétendue infériorité de la femme mais qu’ils se retrouvaient contraints à adopter ce discours pour prouver leur virilité.

« J’viens faire mon beurre, mer de billets, j’fais des longueurs » (Onizuka)

L’odeur et la couleur de l’argent sont omniprésentes dans l’univers PNL. Au lieu, comme Kaaris, de se payer des prostituées, ils demeurent lucides et « leur frigo n’a plus peur. Petit frère change de paire [de chaussures] » (J’suis QLF) et « jusqu’à c’que la vie ne leur fasse plus jamais peur ». Eux-mêmes le disent, ils ont trouvé un équilibre grâce à la musique et n’éprouvent plus le besoin de vendre, de se battre, de prouver quoique ce soit. Ils travaillent sur leur musique et leur film.

Un réalisme quasi-zolien [3] de la banlieue

Les thèmes abordés dans le film sont ceux évoqués plus haut mais mettent en scène surtout quatre personnages : Naha, Béné, Onizuka et Macha. Le film s’ouvre sur l’intérieur d’une HLM de banlieue parisienne avec un jeune qui roule un joint. D’emblée, le ton est donné. L’univers est oppressant, mortuaire et abrutissant. Échapper à l’ennui par l’herbe, échapper à la pauvreté par sa vente. Des jeunes, déscolarisés ou trop âgés pour le secondaire, sont en bas des immeubles, fument des clopes, rient, discutent, attendent parfois et, surtout, ne font absolument rien. Toute l’intrigue du film part sur une guerre commerciale de contrôle du marché de la weed. Comme si cette petite guerre n’était que divertissement. Évidemment, il n’en sera rien.

Rapidement, l’introduction des policiers apparaît. Mais là où l’on croirait les voir présentés péjorativement, ils sont simplement des policiers observant la banlieue pour démanteler le trafic. Ils ne présentent pas de caractéristiques grossières du flic blanc qui vote FN. À aucun moment, on ne tombe dans le cliché. Pour autant, ils ne taisent pas la haine des policiers qui existent — notamment lorsque Béné lance une brique sur le pare-brise de la voiture policière ou l’altercation entre les policiers et les amis de Macha qui est recherché.

« Les billets bleus sont devenus violets, les rouges sont devenus verts » (Da)

Les jeu des acteurs qui proviennent de l’entourage des deux rappeurs est sans fausse note [4]. Le jeune Béné, nous touche par sa révolte candide, et par sa volonté de porter le monde sur ses épaules et de vouloir régler tous les problèmes seul. Le personnage d’Onizuka est particulièrement attachant car il fréquente l’université qu’il finit par quitter. Il incarne l’individu qui tente de se sortir de cet enfer mais que la réalité du quartier finit par rattraper.

La violence quotidienne est toujours soulignée de manière épique comme si, malgré l’habitude, elle demeurait affreuse

La ville de Corbeil-Essonnes, et plus particulièrement la cité des Tarterêts, d’où est issu PNL, est marqué par sa violence quotidienne que le duo s’est efforcé de montrer dans le film. Bagarres entre les différents gangs, l’affligeante facilité pour se procurer un pistolet chez le voisin, les menaces, les regards qui se transforment en coup de couteau.

« Pas besoin des bras d’une femme, j’connais pas ceux de ma mère / Pas besoin qu’on m’aime en fait, j’ai juste besoin que tu quittes ma tête » (Simba)

Une courte scène dans la partie finale met en scène un contraste impressionnant entre le quotidien de Corbeil-Essonnes qui jouxte la banlieue pavillonnaire de Villabé, où des jeunes blancs jouent au foot et filment la voiture de police qui passe, comme pour marquer qu’ils sont inhabitués à cette présence [5].

La métaphysique du rêve [6] ponctue le film et a une place non négligeable : que cela soit la simple présence d’un survêtement de club de foot tels que FC Barcelone ou Inter Milan ; ou bien de clubs moins connus tels que FC Real Bristol, de façon à signifier que le jeune a dû faire un essai dans le club de formation mais qu’il a échoué ; ou encore Macha qui, ayant fui à Marbella, trompe l’ennui accompagné d’une femme, les pieds dans la piscine, les palmiers fouettés par le vent méditerranéen.

Le couple son-image

Et d’un point de vue technique ? PNL a utilisé ses musiques comme bande originale et nommé éponymement les épisodes de leur film. Ainsi, le titre Naha est la bande originale de la première partie du film. Ce procédé aurait pu devenir répétitif si PNL n’avait pas modulé les titres originaux pour qu’ils collent parfaitement au corps esthétique du film. Ils ont non seulement  effectué des modulations du thème musical, augmenté de nouvelles nappes sonores et instruments, mais ils ont aussi amputé des sons présents sur le titre originel. Il faut encore noter l’astuce du leitmotiv pour annoncer l’action future d’un personnage principal. Par exemple, l’irruption du leitmotiv de Naha dans la musique d’Onizuka qui s’y entremêle avec perfection.

Les flash-back sont en noir et blanc et se colorisent par nuance en fonction de la proximité avec le présent

En ce qui concerne les techniques de tournage, PNL est renommé pour des clips de qualité. Que cela soit Oh Lala tourné en Islande ou La vie est belle tourné en Namibie, l’esthétique soignée et onirique du groupe cadrait déjà parfaitement avec la musique planante. Dans ce film, on remarque un soin particulier accordé à l’alternance entre les ralentis et les plans accélérés. Peut-être qu’un usage plus parcimonieux des ralentis aurait été plus judicieux. Sinon l’utilisation du fondu au blanc et fondu au noir obéit aux règles classiques du cinéma mais la règle du 180° [7] n’est parfois pas respectée, ce qui peut donner l’impression de faux-raccord.

« On veut la vie de rêve, elles veulent toutes l’arrière à Kim Kim / J’crame ma garo puis je respire comme si je sortais de Guantanamo » (Gala Gala)

Quant à la trame de l’histoire, on est vite happé par le destin de ces personnages pour qui l’on s’attache ou que l’on hait à l’instar de Macha — l’acteur ayant même reçu des menaces de mort de fans… Aussi, les deux frères ont évité de tomber dans la simplicité du manichéisme des policiers ou de Macha, le “méchant” du film. De fait, grâce à l’usage de flash-back, ils parviennent à raconter l’histoire de ce dernier et l’on parvient presque à s’émouvoir, à comprendre d’où vient sa violence. La violence, selon PNL, ne serait donc pas intrinsèque à l’homme mais proviendrait d’une enfance elle-même violente, d’un père qui bat son fils, d’un ballon de foot crevé. Une violence intériorisée comme moyen de vengeance contre cette « chienne de vie ».

Cette vie qui, après tout, mérite d’être fumée jusqu’au dernier gramme.


Notes de bas-de-page :

[1] On a beaucoup reproché à PNL leur vulgarité, l’usage de mots arabes et d’onomatopées, leur manière brutale de parler, presque animale mais, revendiquant cette appartenance à la cité, ils posent leur animalité en opposition à ceux qui parlent de manière civilisée. Les mêmes qui, pour eux, les enterrent dans des cités.

[2] Mise à part une paire de hanches qui passent très rapidement dans le clip J’suis QLF. C’est d’ailleurs ce que signifie aussi QLF (Que La Famille), qu’ils n’accordent aucune attention aux femmes sauf à leur sœur ou à leur mère.

[3] Peut-être est-il nécéssaire de s’expliquer sur l’utilisation du terme ‘zolien’, provenant de l’intellectuel Émile Zola. Le naturalisme zolien s’est toujours efforcé à dépeindre les classes populaires d’une précision encore inégalée aujourd’hui. Quant à PNL, si leur vocabulaire n’est effectivement en rien comparable à celui de l’écrivain, leur réussite passe justement par un dictionnaire pauvre mais une expression paradoxalement tout aussi riche. Si PNL est aussi apprécié c’est qu’ils ont su parler aux gens d’en bas avec leur vocabulaire. Pour autant, le mot ‘quasi’ apparaissait nécéssaire, car ce réalisme se distancie de celui de Zola puisqu’il n’a, si ce n’est le même but, au moins des moyens d’expression différents.

[4] Si le jeu d’acteur est bon pour une production indépendante sans grands moyens, la synchronisation des voix est parfois très légèrement décalée ce qui donne un résultat malheureusement très brouillon.

[5] Autre contraste très intéressant, la cité et Paris que les protagonistes sont amenés à rejoindre par RER. La capitale se résume à l’université ou aux stations de métro. L’autre scène dans Paris intra-muros est synonyme d’échappatoire pour Béné et son ami, consacrant la différence de monde entre des endroits pourtant séparés par moins de vingt kilomètres.

[6] Plus que la substance onirique, c’est le rêve, l’espoir, qui sont au centre de l’univers PNL mais comme moyen d’échappatoire, d’exutoire presque, à l’enfer qu’est la banlieue.

[7] « Lorsque l’on filme deux personnages qui se font face en champ/contre champ, la caméra ne doit pas franchir la ligne imaginaire qui réunit ces personnages » Vincent Pinel, Dictionnaire technique du cinéma

Pour aller plus loin :

La musique Tu sais pas est probablement l’une de leur plus engagée. Sinon, Jusqu’au dernier gramme est l’une des plus poétiques et la mieux écrite. Pour mieux cerner l’univers PNL vaut-il encore mieux se plonger dans leurs albums en entier plutôt qu’écouter des musiques isolées, écrites originellement pour former un tout.

Crédits images : 

  • Screenshot du clip Le monde ou rien, YouTube
  • Screenshot du clip Jusqu’au dernier gramme, YouTube
  • Screenshot du clip Onizuka, YouTube
  • Screenshot du clip Jusqu’au dernier gramme, YouTube