Un mur de sable : quand l’Union Européenne érige sa frontière migratoire au Niger

Les migrations et l’accueil des migrants sont des questions récurrentes dans les débats politiques, que les principaux dirigeants européens refusent de traiter frontalement. À l’inverse, ils opèrent un déplacement du problème en empêchant, coûte que coûte, les migrants d’arriver sur la rive nord de la Méditerranée. Pour cela, ils externalisent les frontières, c’est-à-dire qu’ils chargent d’autres États de contrôler les migrants en amont pour que ces derniers n’arrivent pas aux portes de l’Europe. Le Niger est un pays laboratoire, étant le principal point de passage au Sahel. La législation restrictive de ce pays interroge cependant sur le bien-fondé de ces accords. 


Depuis plusieurs années, l’Union européenne (UE) renforce les moyens alloués à la « sécurisation » de ses frontières extérieures et à « la lutte contre l’immigration illégale », notamment au travers de l’Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières, Frontex. Les différents moyens de contrôle des frontières, des barbelés aux caméras vidéo de vision nocturne en passant par l’interdiction pour les navires de débarquer les migrants secourus en mer, montrent cependant leurs limites. Aussi barricadée soit elle, l’Europe ne peut être complètement hermétique. Les migrants, qui fuient la guerre, les persécutions et la misère, n’ont pas d’autres alternatives et continueront de risquer leurs vies.

Dans ce contexte, le concept d’externalisation des frontières a gagné en importance. L’idée est simple : sous-traiter le contrôle des migrations à des États tampons afin que les migrants ne puissent arriver aux frontières de l’Europe (quand bien même ils pourraient légitimement demander l’asile) et faciliter les retours forcés. L’exemple le plus connu est le pacte migratoire entre l’UE et la Turquie de 2016. Celui-ci prévoit le renvoi forcé vers la Turquie des demandeurs d’asile arrivés sur les îles grecques, en échange de milliards d’euros versés (3 milliards d’euros initialement, rallongé depuis) et s’accompagne surtout du silence de l’UE sur la violation quotidienne en Turquie des droits humains.

Le tournant du sommet de La Valette

Avec la Turquie, l’UE se vante d’avoir « réussi » à diminuer les arrivées de demandeurs d’asile de la rive est de la Méditerranée. Le nombre de personnes arrivant sur les côtes grecques a effectivement diminué par rapport à 2015 mais les routes migratoires se sont, dans le même temps, déplacées vers la frontière Nord de la Grèce. Une fois l’accord avec la Turquie trouvé, l’attention de l’UE s’est tournée vers les pays du sud de la Méditerranée, en particulier sur la Libye, principal pays de transit vers l’Europe. Mais depuis la chute de Kadhafi, le pays n’a plus d’État en tant que tel, ce sont des milices qui se partagent le territoire. D’où l’idée de contrôler les migrations encore plus en amont, dans la région du Sahel.

Déjà en 2015, au sommet de La Valette, les chefs d’États européens avaient fait pression sur les dirigeants africains pour conditionner les politiques de coopération avec l’UE (en matière économique, commercial, d’aide au développement, etc.) au contrôle des migrations et aux retours forcés des ressortissants africains. C’est en quelque sorte un chantage fait aux pays du sud : aides économiques et commerce en échange de basses œuvres. Partenaire privilégié de cette nouvelle politique : le Niger, seul pays africain à avoir présenté un plan d’action à La Valette.

Cartographie du Niger

Le Niger présente plusieurs avantages. C’est le principal point de transit au Sahel pour rejoindre la Libye et ensuite l’Europe. On estime que 75% des personnes arrivées par bateau sur les côtes italiennes ces dernières années sont passées par le Niger. Le pays connait une relative stabilité politique depuis 2011 et le sentiment communautaire est assez fort (les Touaregs du nord du pays ne se sont pas associés à la rébellion Touaregs au Mali). En outre, c’est le pays le plus stable de la région. En effet, presque tous les pays frontaliers sont confrontés à des menaces: Boko Haram est actif dans le nord du Nigéria, la criminalité organisée est largement répandue au Tchad, des groupes djihadistes sont présents au Burkina Faso, les rebelles Touaregs et des groupes djihadistes contrôlent le nord du Mali. Ainsi, on ne compte pas moins de 250 000 réfugiés ou déplacés au Niger venant de pays limitrophes.

 

Carte du Niger ©Wikimedia

Au-delà des aspects géopolitiques, le Niger est l’un des États les moins développés de la planète. C’est le dernier pays en terme d’Indice de développement humain (189ème place sur 189 pays comptabilisés), 2 millions de personnes sont en insécurité alimentaire pour une population totale de 17 millions d’habitants et le taux de fécondité est le plus élevé du monde avec 7,6 enfants par femme en moyenne (la population double tous les 20 ans). Cette situation crée une grande dépendance vis-à-vis de l’aide internationale, et le rend d’autant plus vulnérable aux pressions des acteurs étrangers.

Le verrouillage des routes migratoires

Le Niger est cité en exemple par les institutions européennes. Signe de cet intérêt, depuis 2015, date d’adoption d’une loi controversée sur les migrations, le Niger a reçu la visite de nombreux acteurs européens: Federica Mogherini (haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères) et Antonio Tajani (président du Parlement européen). Mais aussi Angela Merkel, Emmanuel Macron, ou encore Gérard Collomb, l’ancien ministre de l’intérieur.

La loi nigérienne 2015-36 (qui n’a pas été adopté sous la pression directe de l’UE mais qui répond clairement à une demande européenne) criminalise toute assistance à des personnes migrantes sur le territoire du Niger, et rend les migrations illégales pour les non-nigériens au nord d’Agadez – dernier point de passage avant le désert. Dans les faits, cela revient à interdire les migrations vers l’Algérie, la Libye et ensuite vers l’Europe. Cependant, une partie non négligeable des migrants souhaitent se rendre dans ces pays, non pas pour ensuite passer en Europe mais pour y travailler. En effet, malgré le contexte, les possibilités de trouver un emploi y sont plus nombreuses que dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne.

Cette loi a eu deux conséquences principales. Premièrement, elle a rendu les routes migratoires plus dangereuses. Loin de décourager les migrants, elle les pousse à aller hors de toute route dans le désert, à rester éloignés des points d’eau pour échapper à la police. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence des Nations Unis, le nombre de migrants ayant péri dans le Sahara serait deux fois supérieur à ceux morts en Méditerranée, environ 30 000 selon les estimations. Pourquoi une telle différence ? Sans doute parce que plus éloigné des yeux de l’Europe, l’attention des médias, des dirigeants et de l’opinion publique est moindre et qu’en conséquence, ce drame silencieux fait moins de vagues.

La fermeture des routes migratoires va à l’encontre du droit à l’asile. Pour « compenser », certains États européens ont convenu de réinstaller en Europe des personnes évacuées de la Libye vers le Niger. Des officiers de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) se sont rendus plusieurs fois à Niamey pour examiner des dossiers. Si l’intention est louable (sortir les personnes des centres de détention en Libye), le nombre de personnes ayant pu être évacuées puis réinstallées est très limité par rapport à celui des personnes enfermées en Libye dans des conditions inhumaines. D’ailleurs, ces personnes ont souvent été enfermées suite à leur interception en mer par les milices libyennes soutenues par l’UE. Nombre de migrants ont subi la torture, le viol ou ont même été mis en esclavage par les milices libyennes.

L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) se charge également des personnes évacuées de Lybie et des demandes d’asile. Mais les conditions d’accueil des réfugiés au Niger sont parfois très mauvaises. Face à la dégradation de la situation en Libye, près de 2000 soudanais originaires du Darfour se sont réfugiés à Agadez, en venant par eux-mêmes. Depuis août 2018, un camp du HCR a été construit dans le désert à 13 km d’Agadez pour accueillir 800 soudanais. Du fait de l’environnement, les conditions d’accueil sont très mauvaises: les tentes offertes par la Fondation Ikea fondent quand les températures dépassent les 50ºC en été et le vent est omniprésent, causant des infections des voies respiratoires.

Camp du HCR à Agadez ©Pierre Marion

Des répercussions sur l’économie locale

La loi 2015-36 a eu également un impact très négatif sur l’économie locale de la région d’Agadez (un territoire plus grand que la France). En effet, Agadez, comme point de passage, a vécu depuis plusieurs siècles grâce aux migrations. Bons connaisseurs du désert, de nombreux locaux travaillaient comme passeurs de manière légale. D’ailleurs, être passeur au Niger n’est pas vu comme une activité négative mais comme une profession normale.

En interdisant les migrations, les passeurs et les différents secteurs économiques liés aux migrations (cafés, commerces, etc.) ont été privés d’importantes sources de revenus, alors que dans le même temps les aides promises pour la reconversion professionnelle ne suivent pas. Le Plan d’Actions à Impact Économique Rapide à Agadez (PAIERA, sic) financé par l’UE et supposé permettre aux passeurs de se reconvertir a bénéficié à 371 personnes alors que l’on compte plus de 5 000 anciens passeurs. La population locale voit passer les programmes d’aide d’organismes internationaux mais les retombées ne sont pas au rendez-vous, créant tensions et frustrations. De plus, cela a favorisé le développement de nouveaux réseaux de passeurs liés aux trafics de drogue et d’armes venant de Libye.

La face cachée des aides européennes

Ramené au nombre d’habitants, le Niger est le premier pays bénéficiaire de l’aide européenne. Il reçoit des aides du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (229,9 millions en 2017). Ce fonds fiduciaire, basé sur la confiance comme son nom l’indique a été créé lors du sommet de la Valette. En laissant de côté l’artifice de communication, l’aspect fiduciaire du fonds permet d’échapper à la validation du Parlement européen. Une porte ouverte à de potentiels détournements de fonds ou à la corruption. D’ailleurs lorsqu’un pays fait face à de la corruption endémique – le Niger est classé 112ème sur 180 par Transparency International – les fonds sont versés à des ONGs. Or, dans le cas présent, 75% des aides arrivent directement au gouvernement.

Pour la période 2014–2020, 731 millions d’euros sont destinés au Niger dans le cadre du Fond européen pour le développement durable (FEDD). Le Fonds fiduciaire et le FEDD s’inscrivent dans l’Agenda européen en matière de migration, qui fixe le cadre global de la politique migratoire. Mélangeant différents domaines d’action, ils sont censés traiter les causes profondes des migrations. Toutefois, le mode de gestion de ces fonds fait que ce sont principalement des grandes entreprises, parfois européennes, qui en bénéficient à travers des partenariats public-privé. Les retombées pour les populations locales sont donc extrêmement limitées et cela ne permet pas un développement propre du Niger. De plus, une partie importante des fonds sont dirigés vers la lutte contre l’immigration illégale. Autant d’argent en moins pour l’économie locale et de crédits en plus pour l’industrie de la sécurité, conscient de l’aspect très lucratif de ce marché.

En matière de sécurité, la lutte contre l’immigration illégale a pris le pas sur la lutte contre le terrorisme – à mesure que la première s’impose dans l’agenda politique européen. En parallèle, les puissances étrangères renforcent leurs positions militaires dans la région, soit directement avec des bases militaires, soit en formant les forces de sécurité locales – la mission EU CAP Sahel a par exemple pour but la formation par l’UE des forces de sécurité des pays du Sahel. La France veut garder la main sur son ancien pré carré, notamment à cause des mines d’uranium d’Areva dans la région d’Arlit au nord du Niger (même si les ressources s’amenuisent). Quant aux États-Unis, ils sont en train de construire une nouvelle base de drone à Agadez, sans doute la plus grande base jamais construire à l’étranger, pour plus de 280 millions de dollars.

La double hypocrisie européenne

Les responsabilités de l’Europe sont multiples: legs colonial, accaparement des ressources par les firmes transnationales, pratiques commerciales agressives, détournements de l’aide au développement, alimentation indirecte des conflits, contribution au réchauffement climatique. Autant d’éléments qui empêchent les pays africains de se développer de manière autonome et de faire face aux causes de l’exil.

Dans le même temps, les politiques d’austérité prônées par les institutions européennes alimentent la montée du racisme. En réduisant l’action des services publics, en précarisant les conditions de travail, en mettant la pression à la baisse sur les salaires, elles créent un imaginaire de la rareté. Autrement dit, il n’y a pas assez de ressources, pas assez d’argent, pour tout le monde. Il faut donc trouver un coupable, ou plutôt un bouc émissaire. Au lieu de pointer du doigt les responsables des choix économiques, l’attention est détournée pour que la bataille se livre entre le dernier et l’avant dernier. Ce sont ainsi souvent les migrants qui font office de derniers.

D’un côté les politiques européennes créent les conditions du départ des migrants de leurs pays d’origines et de l’autre, elles créent les conditions de leur rejet sur le sol européen. Une politique paradoxale, comme un mur de sable entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

La “méthode Collomb”, une politique anti-réfugiés qui ne dit pas son nom

Les migrants accueillis à l’université Lyon II manifestent devant le lieu d’expulsion ©Collectif Amphi C

Alors que le projet de loi sur l’asile et l’immigration va être débattu à l’Assemblée nationale dès février, l’OFPRA a annoncé cette semaine qu’un nombre record de demandes d’asile a été enregistré en 2017, avec plus de 100 000 requêtes. Nul doute que ces chiffres vont être instrumentalisés dans la négociation par avance houleuse du projet de loi. Et inutile de dire que la politique prévue par le gouvernement semble balayer toute approche humaniste de la question.

 

Une politique répressive

Le projet de loi sur le régime d’asile européen et la circulaire du ministre de l’ntérieur Gérard Collomb illustrent en effet la stratégie gouvernementale, qui consiste essentiellement à renforcer la législation répressive contre les migrants. La circulaire du 13 décembre somme les préfets d’augmenter le nombre d’éloignements forcés, avec la mise en place d’équipes mobiles chargées de contrôler les situations administratives dans les centres d’hébergement d’urgence, ce qui signifierait l’intervention policière sans décision de justice et la transmission à l’Etat de données individuelles.

La future loi sur le régime d’asile européen a quant à elle pour objectif de permettre l’accélération des procédures en effectuant un tri systématique des migrants arrivant sur le territoire : elle prévoit en ce sens la rétention en centre des migrants dublinés, mais également l’allongement de la durée de rétention des migrants en attente d’expulsion. Elle est dénoncée par le défenseur des droits Jacques Toubon comme permettant de priver de libertés les demandeurs d’asile.

Des dénonciations multiples

Cependant, la vision binaire que porte le gouvernement, distinguant “bons” et “mauvais” migrants, se heurte à l’indignation de la société civile, notamment avec la dénonciation remarquée du projet de circulaire Collomb par 19 associations le 20 novembre dernier. Ces associations ont saisi le 10 janvier le juge des référés du Conseil d’État contre les circulaires “hébergement d’urgence” et seront à nouveau reçues par Edouard Philippe le 11 janvier.

Les associations dénoncent la volonté de mettre en place un contrôle discriminatoire et systématique au sein de lieux indépendants de l’État. La mise en place de cet inquiétant arsenal répressif est pointée du doigt au sein même de la majorité : en témoigne la question de la députée Sonia Krimi (LREM) dans l’hémicycle le 19 décembre, qui assimile la circulaire à une série de “caricatures simplistes et cyniques“. En réponse, le ministre de l’intérieur se contente de citer des statistiques, conformément à la politique du chiffre qu’il souhaite mettre en place. Une position qui tend de plus en plus à diviser au sein de la majorité : le député LREM Jean-Michel Clément a pour sa part exprimé mardi 9 janvier sa volonté de mettre en place un groupe de frondeurs.

Lyon, laboratoire de la “méthode Collomb”

Pour avoir un aperçu alarmant de ce à quoi peuvent mener les prérogatives du ministre de l’intérieur, il suffit de jeter un œil à la gestion migratoire de la ville de Lyon, dont Gérard Collomb a été maire de 2001 à 2017, et qui illustre déjà cette logique de criminalisation des migrants. Ainsi, il avait décidé durant l’été caniculaire 2016 de couper stratégiquement l’eau potable de fontaines publiques  pour éviter qu’elles ne deviennent des lieux de regroupement de sans-abris et donc que ceux-ci soient visibles des touristes.

Une volonté méthodique de cacher les migrants, également mise en oeuvre lors de la venue du président de la République à Lyon début septembre, lorsque la police avait ordonné la dissimulation du camp de l’esplanade Nelson Mandela par laquelle passait le convoi présidentiel. La politique locale se mue en nationale lorsque Gérard Collomb est nommé ministre de l’Intérieur : ainsi justifiera-t-il les lacérages de tentes et autres violences policières dans la Jungle de Calais par une volonté de ne pas “créer un appel d’air” conduisant les migrants à “s’enkyster”.

Face à cette politique, des étudiants se sont récemment mobilisés à l’université Lumière Lyon II, accompagnés de professeurs et personnels administratifs, se substituant ainsi à un État qui manque à ses devoirs d’accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse. Une cinquantaine de migrants – dont des mineurs et des familles – ont été accueillis et pris en charge dans une aile du campus. L’occupation se voulait dénonciatrice du déni du droit commun et du recours normalisé aux expulsions dont font preuve les autorités. Malgré la mobilisation associative et médiatique provoquée par l’occupation de « l’amphi C », le préfet du Rhône Stéphane Bouillon a refusé l’ensemble des revendications du collectif. La décision de justice rendue le 14 décembre exige une expulsion de la faculté avec recours aux forces de l’ordre. Cette réponse est emblématique du recul des droits fondamentaux annoncé dans le cadre de la réforme migratoire en chantier. Depuis, le collectif a réquisitionné et occupe toujours un bâtiment vide, propriété de la métropole. A l’intérieur, un lieu de vie décent pour les migrants tente de s’organiser faute de proposition de logement étatique, alors même que la Fédération Française de l’Immobilier estime que 3 millions de logements sont actuellement inoccupés.

Ce type de mobilisations ayant recours à l’occupation se répand dans de nombreuses villes françaises comme Grenoble ou Nantes. L’action citoyenne, qui répond dans un premier temps à l’urgence solidaire, se veut également lutte politique. Une résistance qui s’organise malgré la volonté de criminaliser cette solidarité. Martine Laudry, militante d’Amnesty International, a par exemple été jugée ce lundi 8 décembre au tribunal correctionnel de Nice pour “délit de solidarité”, pour avoir accompagné deux migrants mineurs isolés à la police aux frontières, afin de faire valoir leurs droits.

L’instabilité politique, la violence sociale et la précarité économique sont autant de facteurs de migration qui ne peuvent être hiérarchisés en dehors de toute considération contextuelle. Le phénomène de migration est souvent évoqué à tort comme un tout, homogène, dans lequel l’individu est effacé. William Lacy Swing, directeur de l’IOM, organisme de l’ONU chargé des migrations, dénonçait au contraire le 15 décembre le fait que « nous vivons une époque dans laquelle une élite privilégiée considère la mobilité presque comme un droit de naissance ».

Une “victoire politique du Front national” ? 

La posture extrêmement répressive du gouvernement en matière de politique migratoire a d’ailleurs été saluée par l’extrême-droite, par le biais de Louis Aliot sur BFM-TV, et même à travers un communiqué de presse du parti, célébrant une  “victoire politique du Front national”. Un soutien de poids qui semble embarrasser Gérard Collomb, exprimant dans la presse son incompréhension d’être perçu comme « facho de service ». Ce qui ne l’empêche pas de disqualifier les associations d’aide aux migrants, en rappelant que “l’extrême gauche, ne l’oublions pas, ce sont des millions de morts en URSS” …

Le caractère personnel de la gestion présidentielle de la politique migratoire est particulièrement révélateur d’un autoritarisme d’État alarmant : “Je ne peux pas donner des papiers à tous les gens qui n’en ont pas” avait-il ainsi répondu à une demandeuse d’asile le 21 novembre.

Pensée complexe ou double-discours ?

La ligne politique de gestion migratoire dans laquelle s’inscrit Emmanuel Macron est en contradiction totale avec les propos qu’il avait précédemment tenus. Ainsi, dans un discours aux préfets en septembre, il dénonçait les « situations indignes de notre pays et de sa tradition d’accueil » qu’amène la non considération de l’urgence migratoire, soulignant l’importance de ne « céder ni à la démagogie, ni aux facilités du quotidien ».

Ces déclarations apparaissent dès lors comme la façade trompeuse d’une réalité de sélection de migrants : les moyens mis en œuvre pour mieux accueillir certains migrants sont corrélatifs à l’exclusion systématique d’autres. Le double discours de Macron tente de justifier cette politique de tri. Ce positionnement biaisé est révélateur de la stratégie gouvernementale, et s’est vu récemment dénoncé par une partie de la gauche dont Benoit Hamon, pour lequel même la ligne sarkozyste en matière de gestion migratoire était davantage tempérée. Une comparaison qui fait la une de Libération ce 12 janvier, le journal titrant : “Tri des migrants : Sarkozy en rêvait, Macron l’a fait”.

“Il n’y a pas aujourd’hui un traitement de faveur pour les migrants en France, c’est vraiment l’inverse” déclarait le directeur des études de la fondation Abbé Pierre le 3 janvier. Après la violence physique du périple, la violence institutionnelle porte déjà et portera encore plus le coup fatal. La déshumanisation du rapport au demandeur d’asile sera d’autant plus flagrante de par la mise en place d’audience avec les magistrats par vidéo-conférence (mesure du projet de loi), une mise à l’écart totale en somme.

Le reniement par le gouvernement des valeurs humanistes au fondement de la République, à travers cette circulaire Collomb et le projet de loi sur le régime d’asile européen, interroge donc. Faut-il y voir une volonté de concurrencer la droite, et notamment Laurent Wauquiez, dans la surenchère identitaire ? En attendant, c’est le FN qui applaudit.

Crédit Photo: ©Collectif Amphi C